Quand on arpente à longueur de temps les lieux de colloques, conférences, congrès dédiés à la périnatalité, on finit par identifier des figures incontournables. Romain Dugravier est de celles-ci. Chef du Centre de psychopathologie Périnatale Boulevard Brune (rattaché au centre hospitalier Sainte-Anne), il parle avec passion de sa pratique clinique, du service qu’il dirige, de ses patients mais aussi de la société, des systèmes et des cadres avec lesquels il faut composer, de la façon dont on pourrait les faire évoluer.
Que fait-on exactement au 26 Boulevard Brune ? On y reçoit des couples pendant la grossesse et/ou jusqu’aux 3 ans de l’enfant. Il y a encore 15 ans il était rare de proposer de la psychiatrie périnatale. Depuis 2013 la structure, créée dans les années 50 par Michel Soulé, s’est recentrée sur la périnatalité. Car on sait aujourd’hui à quel point la précocité des interventions peut tout changer. « Surtout, avec un service ouvert à tous les jeunes de 0 à 18 ans, on finit par ne s’occuper que des enfants les plus bruyants, plus âgés», ajoute Romain Dugravier. Les 6-12 ans représentent en effet 80% de la file active du secteur de la pédopsychiatrie. Dans ce service dédié aux plus petits, une unité de jour, notamment, accueille des parents et leur bébé de 0 à un an, que ce bébé présente des manifestations de souffrance ou pas, que les parents soient porteurs de troubles psychiques ou pas. C’est le besoin ressenti par le parent qui conduit à la prise en charge et la difficulté dans la relation qu’il faut en général accompagner.
Les parents viennent plusieurs fois par semaine avec l’enfant pour des soins psychiques, de la psychomotricité, un accueil groupal (quatre familles en même temps). En complément, si nécessaire, une équipe mobile se déplace au domicile des familles pour proposer un soin supplémentaire. Ces équipes travaillent en liaison avec les maternités et les pédopsychiatres assurent ainsi des consultations prénatales et dans les premiers jours de la naissance au sein de la maternité de l’hôpital Saint-Joseph. Le centre du Boulevard Brune collabore également avec la psychiatrie adulte de Saint-Anne dans le cadre de la Consultation d’Information, de Conseils et d’Orientation (CICO), que nous avons déjà évoquée dans un article précédent consacré à la parentalité des adultes porteurs d’une déficience intellectuelle. Ce maillage serré et la pluridisciplinarité des équipes permettent d’intervenir très en amont et donnent tout leur sens aux principes du travail en réseau.
Partir de la souffrance et du besoin des familles
Car, insiste, Romain Dugravier, « notre service ne peut fonctionner que parce qu’il est pris dans un réseau, alimenté par les rencontres avec des professionnels d’autres horizons ». « Les bébés font peu de bruit, la souffrance parentale aussi, poursuit-il. Il faut être dans un réseau très dense dans lequel on se connaît bien pour permettre l’accès au soin. » Le pédopsychiatre est un promoteur de la prévention précoce et du concept d’universalisme proportionné. « Nous voyons toute personne en détresse dans la relation à l’enfant si elle en fait la demande. Parfois pour des troubles du sommeil, des troubles alimentaires mais c’est en tous cas un registre de psychiatrie large. Nous sommes là pour tous et nous faisons varier l’intensité de ce que nous proposons selon le besoin. » Le médecin revendique aussi le souci de partir de la souffrance qui s’exprime, plus que d’en rechercher la causalité. Il donne l’exemple d’un petit garçon avec un syndrome de l’X fragile et une mère dépressive. « Il est parfois difficile de faire la part des choses entre un syndrome génétique associé et des troubles de la relation. Nous, en clinique, on se dégage de ça. Mon sujet n’est pas la causalité mais comment accompagner les parents. Comment chercher avec eux.»
Le facteur social change la clinique
Romain Dugravier l’exprime souvent lorsqu’il est invité à prendre la parole publiquement : la symptomatologie et la façon de la prendre en charge diffèrent selon les territoires. « La demande des familles n’est pas partout la même, les offres de soins non plus. Lorsque je travaillais dans le nord de Paris, je voyais des familles adressées par l’école, elles se sentaient menacées d’aller chez le psy ou n’en percevaient pas l’intérêt. Ici, dans le 14 ème arrondissement, les parents sont très demandeurs. Ca transforme la clinique et la pratique. Il y a moins d’implication sociale. Car le social et le psychique sont toujours très intriqués. On ne peut pas dire « ça c’est pour les assistantes sociales, ça c’est pour les psys ». »
C’est bien parce qu’il remet sans cesse au cœur de son propos la prise en compte de la dimension sociale que la clinique de Romain Dugravier nous semble à ce point faire sens. D’autres que lui auraient plutôt la tentation d’évacuer le gradient socio-économique et de marteler que tous les parents, partout, ont les mêmes problèmes et les mêmes besoins.
Regarder ailleurs pour améliorer l’existant
Le pédopsychiatre s’intéresse aussi à ce qui se pense, se produit, se tente en dehors de nos frontières. Il plaide, non pas pour une table rase de l’approche française, mais pour des ajustements, à la lumière notamment des expérimentations menées ailleurs. A la lumière surtout d’un état des lieux en profondeur. « Il serait malvenu de jeter nos systèmes tels qu’ils existent, assure-t-il. Ils sont structurés, ils couvrent le territoire et il existe de multiples initiatives originales et créatives. Avant de parler de « plus » et de « moins » il faudrait surtout une évaluation de ce qu’on a, de ce qui est utile. Que des cliniciens et des chercheurs discutent avec les usagers pour mettre en commun les connaissances. Il nous faudrait un « what works center » (sur le sujet voir notre article) pour identifier ce qui marche ailleurs, les invariants qu’on retrouve dans les programmes de prévention précoce et la façon dont on peut les faire vivre ici. »
Il prend l’exemple des interventions à domicile. Celles qui s’avèrent efficaces sont intensives. « Mais même comme ça, les résultats sont mitigés, estime-t-il. Certains aspects seulement de ces interventions sont pertinents, nous devons repérer lesquels. En France, Nous avons déjà un système bien en place. Il est illusoire d’imaginer un système de droit commun proposant 40 visites à domicile entre la grossesse et les deux ans de l’enfant. Le Nurse Family Partnership c’est irréaliste de vouloir le faire ici. Mais on peut récupérer des ingrédients pour les réinjecter dans nos dispositifs, pour faire évoluer nos VAD par exemple.» Romain Dugravier est par ailleurs président de l’Agence des Nouvelles Interventions Sociales et de Santé qui produit des travaux remarquables sur la PMI, d’où ce tropisme marqué pour la prévention précoce, la VAD ou l’universalisme proportionné.
Sa curiosité pour les expériences menées à l’étranger l’a conduit à s’intéresser de près à une thérapie novatrice née aux Etats-Unis puis développée en Suisse : la guidance interactive avec video feedback. Le pédopsychiatre considère qu’il s’agit de l’approche la plus prometteuse de ces dernières années. Son enthousiasme étant particulièrement contagieux, nous avons demandé à l’une des pionnières de nous en parler. Après le 14ème arrondissement parisien avec Romain Dugravier, direction Genève avec Sandra Rusconi-Serpa.