Nous résumons ici plusieurs articles scientifiques publiés au cours du premier trimestre 2018, qui traitent de la maltraitance et plus généralement des violences subies pendant l’enfance et de leurs répercussions à l’âge adulte.
Liens entre les abus pendant l’enfance et la dépression chez les seniors
International Journal of Geriatric Psychiatry
Les auteurs de cet article incitent à investiguer l’éventualité d’abus pendant l’enfance chez les personne âgées souffrant de dépression. Ce facteur est en effet une cause parmi d’autres et devrait être pris en compte dans la thérapie envisagée.
Ne pas sous-estimer les effets délétères du harcèlement chronique
Canadian Medical Association Journal
D’après cette analyse des données issues d’une cohorte longitudinale canadienne, 15% des enfants sont exposés à du harcèlement chronique et sévère. Ces enfants présentent ensuite un risque beaucoup plus élevé de souffrir de troubles anxieux ou dépressifs graves ou de tenter de se suicider. Plus de la moitié des enfants de l’échantillon ont souffert d’un harcèlement léger à modéré, ce qui conduit les auteurs à considérer que cette forme de harcèlement (se voire attribuer un sobriquet ou être exclu du groupe) est assez courant chez les jeunes enfants et n’est en tous cas pas associé à des troubles mentaux ultérieurs. Les enfants qui subissent tôt un harcèlement sévère continuent d’être harcelés au début de l’adolescence. Les auteurs préconisent une prévention précoce de ces comportements, avant même l’entrée dans le système éducatif formel.
Meilleur développement des enfants placés en famille d’après une étude roumaine
Journal of Child Psychology and Psychiatry
Cet article rend compte des résultats du Bucharest Early Intervention Project qui permet de comparer les effets d’un placement au sein d’une famille aux effet d’un placement en institution. Des enfants ont été suivis à partir de l’âge de 22 mois jusqu’à l’âge de 12 ans. Certains ont grandi en institution, d’autres sont passés de l’institution au placement familial, d’autres enfin ne sont jamais passés par un foyer. Le fonctionnement adaptatif de ces enfants a été évalué à partir de différents critères ( santé mentale et physique, usage de substances toxiques, comportements à risque, relations familiales, relations avec les pairs, performances scolaires). Parmi l’ensemble de ces enfants ayant connu de sévères privations à un âge très précoce, 40% présentaient un bon fonctionnement adaptatif mais c’était beaucoup plus le cas pour les enfants qui n’avaient connu que les familles d’accueil (56% contre 23%). Les enfants présentant un meilleur fonctionnement adaptatif à 12 ans avaient également un QI plus élevé et manifestaient une meilleure réponse physiologique au stress. Les enfants placés auprès d’une famille d’accueil avant l’âge 20 mois avaient davantage de chance d’atteindre le seuil moyen de fonctionnement adaptatif.
La réussite scolaire, facteur de prévention pour les enfants victimes de maltraitance
Journal of Interpersonal Violence
Cet article montre le caractère protecteur des bons résultats scolaires pour les enfants victimes de maltraitance psychologique, physique ou sexuelle. D’après les données d’une cohorte longitudinale de plus de 300 individus suivis depuis près de 40 ans, il apparaît que ceux n’ayant pas décroché scolairement et qui ont obtenu de bons résultats ont été beaucoup moins impliqués dans des actes de délinquance et comportements anti-sociaux. D’où l’importance, pour les auteurs, d’aider les enseignants à prendre conscience de l’impact des mauvais traitements sur le développement des enfants et à construire autour d’eux un environnement favorisant la résilience et diminuant les comportements anti-sociaux.
Prendre en compte le harcèlement au sein de la fratrie
Selon cette étude menée à partir d’une cohorte de 3600 enfants, les jeunes victimes de harcèlement au sein de la fratrie ont jusqu’à trois fois plus de risque de développer des troubles psychotiques à la fin de l’adolescence. Les enfants qui sont à la fois harcelés et harceleurs présentent eux aussi un risque plus élevé. Ce risque est encore augmenté lorsque l’enfant est harcelé chez lui et à l’école puisqu’il ne bénéficie alors d’aucun lieu sûr.
Le point sur les arguments contre les violences éducatives ordinaires
Les auteurs de ce texte font le point sur les arguments avancés contre les châtiments corporels. Ils rappellent ainsi que plusieurs revues de littérature et méta analyses ont montré une corrélation entre ces châtiments (dont la fessée comme méthode éducative) et les comportements agressifs ainsi que les troubles mentaux chez l’enfant. Trois théories viennent généralement expliquer cette corrélation : la théorie de l’attachement (la violence éducative fragilise l’attachement de l’enfant), la théorie des apprentissages sociaux (le recours à la violence par les parents signifie pour l’enfant que cet usage est normal et que c’est un bon moyen pour résoudre les problèmes), la théorie de la coercition (qui pose un phénomène d’escalade, porte ouverte sur des interactions de plus en plus violentes). Les auteurs reprennent les grandes interrogations qui nourrissent le débat : la violence éducative précède-t-elle et entraîne-t-elle les problèmes de comportement ou est-elle induite par ces problèmes ? Pour les auteurs de fortes preuves sont en train d’émerger quant à la temporalité : c’est bien la violence éducative qui débouche sur des troubles du comportement de l’enfant, et non l’inverse. Enfin, la littérature s’est intéressée aux potentiels facteurs qui pourraient expliquer le moins bon développement de ces enfants au-delà de l’usage de la violence (vivre dans un quartier violent par exemple). En général le lien entre violence éducative et développement de l’enfant persiste même lorsque les autres variables sont prises en compte.
De la même façon, même si ce lien statistique peut être modéré par certains facteurs (des parents par ailleurs affectueux, les conditions socio-économiques, un contexte culturel où la violence est plutôt la norme), il demeure néanmoins très similaire à travers les différents contextes. Enfin, les auteurs affirment que la violence éducative fait bien partie d’un continuum qui mène à la maltraitance. D’abord parce que les effets de la fessée -en tant que modèle éducatif- sont de même nature (mais pas de même degré) que les effets de la maltraitance. Ensuite parce que des études montrent que le recours à la fessée avec un enfant de un an est assez prédictif d’une mesure de protection de l’enfance quelques années plus tard.
En conclusion les auteurs insistent sur la nécessité de promouvoir les pratiques parentales bénéfiques à l’enfant, au premier rang desquelles la chaleur et l’acceptation (au sens de soutien, encouragements). Ils rappellent que le mot « discipline » signifie « instruire » en latin et que la discipline a donc un objectif au long cours : apprendre à l’enfant les comportements appropriés, l’auto-régulation, et la résolution de problèmes. Pour que les parents communiquent clairement des attentes appropriées au développement de l’enfant il faut qu’ils connaissent les besoins et les stades de développement. Quand c’est nécessaire, des techniques de gestion du comportement validées peuvent être appliquées : rediriger le comportement négatif, enseigner les conséquences de ce comportement, priver l’enfant de petits plaisirs (à un niveau approprié à son développement).