Accompagner les émotions du jeune enfant
Date
23 novembre, 2016
Catégorie
Colloques
Auteur
Gaëlle Guernalec-Levy

La fédération nationale Familles Rurales organisait ce mardi 22 novembre à Paris un colloque sur le thème des émotions du jeune enfant pour permettre aux professionnels de bien les décrypter et mieux les accompagner.

heloise-junierUne soixantaine de professionnels de la petite enfance se sont réunis toute une journée à l’initiative de la fédération nationale Familles Rurales, en collaboration avec Zoeki, pour écouter Héloïse Junier (photo ci-contre), psychologue en crèche, journaliste et formatrice, sur le thème des émotions de l’enfant. Sujet qui se trouve au cœur des pratiques et suscite des questionnements intenses.

 

Le plan de la conférence animée par Héloïse Junier:
1) Les besoins fondamentaux du jeune enfant
2) Emotions : tordre le cou aux idées reçues
3) Le cerveau affectif du jeune enfant
4) Accompagner les émotions
5) Quelques ateliers à proposer aux enfants
6) Décrypter et accompagner les pleurs
7) Comprendre les manifestations d’agressivité

1) Les besoins fondamentaux du jeune enfant

Deux catégories de besoins fondamentaux peuvent être distinguées : les besoins physiologiques et les besoins psychologiques.
Les besoins physiologiques englobent : manger, boire, dormir, éliminer, respirer, l’hygiène. Bouger ? Est-ce un besoin physiologique ou psychologique ? Plutôt un besoin d’ordre psychologique, tranche Héloïse Junier.

Les besoins psychologiques sont «les plus intéressants, les plus invisibles, les plus sous estimés » précise la psychologue. Quels sont-ils ?

Le besoin de se mouvoir
Un enfant qui bouge beaucoup peut être taxé de turbulent voire d’hyperactif. Or, « ce n’est pas qu’il est surexcité mais qu’il a besoin de se mouvoir ». L’apprentissage de la marche demande une longue préparation, beaucoup de mouvements en amont.

Le besoin de s’attacher et de communiquer

Le bébé a besoin de s’attacher à un adulte. Ce n’est pas propre à l’homme. Tous les mammifères sont concernés. Combien de temps un enfant met-il pour élire ses figures d’attachement principales et les hiérarchiser par rapport aux figures secondaires ? Entre 6 et 9 mois, alors que chez les mammifères c’est immédiat. « Nous sommes l’espèce qui mature le plus lentement ». Même dans une famille carencée, l’enfant s’attache forcément à quelqu’un, un frère, un animal, quelqu’un d’animé. Il ne peut pas s’attacher à un objet. Il est pré-câblé pour s’attacher à un être vivant.

Le besoin d’explorer
Le tout petit explore le corps des autres. « Un cuisseau potelé qui sent bon est beaucoup plus attractif qu’un jouet en bois ! » Ce qui complique le travail des professionnels qui doivent régulièrement intervenir pour gérer ces « explorations ».

Et puis vient la « question à un million ». Le besoin d’affection est-il aussi important que celui de manger, de boire ? Oui, évidemment. C’est le constat qui a été posé au vingtième siècle de deux façons. D’une part, par l’observation des enfants élevés dans des orphelinats où les soins étaient automatiques, mécaniques, sans temps de contact privilégié avec un adulte. Il s’agit du syndrome d’hospitalisme, identifié par René Spitz. Les terribles images des orphelinats de Roumanie après la chute des Ceaucescu ont parfaitement illustré les effets de ce syndrome : « le vide, la tristesse, l’abattement, l’activité répétitive (pour se bercer soi-même), des retards intellectuels » comme l’a énuméré le psychiatre Antoine Guedeney dans l’extrait de l’émission « La Santé au Quotidien » diffusé par Héloïse Junier.
experience-harlowD’autre part, John Harlow, psychologue éthologue, a mené une (déchirante) expérience avec des petits singes. Un bébé singe séparé de sa mère est placé dans une cage avec 2 substituts maternels, un cylindre de fer qui distribue du lait, une fausse mère en peluche qui ne donne pas de lait. La question est : le bébé singe va-t-il passer plus de temps sur la « maman laine » ou la « maman fer » ? Résultat : c’est seulement quand la faim le tenaille que le singe lâche la maman fourrure pour se décider à téter. Dès qu’il a bu, il revient s’agripper à la « maman fourrure ».
En France dès les années 40, les traitements infligés aux bébés dans les pouponnières  ont été dénoncés, entre autres par Myriam David.

Quel lien peut-on établir entre l’attachement et les émotions ?

Une participante propose une réponse : « Si le besoin d’affectivité n’est pas comblé, l’enfant ne peut pas éprouver d’émotions »
« Oui, confirme Héloïse Junier, quand on ne satisfait pas les besoins invisibles fondamentaux, ça donne lieu à des émotions négatives, la colère, la tristesse, la peur. Ces besoins non assouvis sont à la base des émotions négatives. Il n’est pas naturel pour un enfant d’être séparé de ses parents. »

Quel est le meilleur anxiolytique pour un enfant ?

L’affection de l’adulte, les câlins, les regards encourageants, les mots bienveillants. Vient ensuite un focus sur l’ocytocine, cette incroyable hormone aux nombreux bienfaits: relâchement musculaire, bien-être, stimulation de la confiance, coopération entre les êtres humains, attachement, empathie, réduction de l’anxiété.
Et ce n’est pas propre aux humains. Héloïse Junier l’assure aux professionnels en face d’elle : « Vous êtes des réservoirs d’ocytocine sur pattes ».

2) Emotions : tordre le cou aux idées reçues

Quelles sont les idées reçues en lieu d’accueil ?

– Un jeune enfant fait des caprices
La colère de cet enfant apparaît comme illégitime aux yeux de l’adulte, selon sa vision des choses. Le caprice est un jugement de valeur. Dire « il fait un caprice », c’est juger l’émotion de l’autre. Chaque âge a sa frustration et sa colère légitimes.
La formatrice cite son confrère Didier Pleux : « le mot caprice en lui-même inclut la notion de perversité, la volonté d’embêter son monde, tout ce dont un tout petit n’est pas capable ! »

– Un jeune enfant peut vous manipuler
L’adulte peut avoir cette impression d’être manipulé par un très jeune enfant.
Or, manipuler demande 3 compétences : connaître ses propres attentes et ses besoins, connaître l’autre et être capable de se mettre à sa place, anticiper. Héloïse Junier évoque la « théorie de l’esprit » : il s’agit de la capacité à attribuer à l’autre un état mental différent du sien. Pour mettre en exergue cette capacité ou incapacité chez l’enfant selon son âge, on utilise le « test » de la tortue.
Une tortue est dessinée sur une feuille et placée devant l’enfant. Le chercheur est assis en face de son petit cobaye, il voit donc la tortue à l’envers. Lorqu’on demande à un enfant de 7 ans s’il pense que lui, l’adulte, voit la tortue sur le dos ou sur les pattes, l’enfant, bien décentré, capable de se mettre à la place de l’autre, répond correctement : le chercheur voit la tortue sur le dos. Un enfant de trois ans n’en est pas capable. Il répondra que l’adulte voit la tortue sur ses pattes, comme lui.

Autre expérience : la boîte de smarties. Le chercheur fait entrer un enfant dans la pièce, il lui montre une boîte de smarties, la secoue, il y a du bruit, elle semble pleine. Mais à l’intérieur, pas de bonbons, juste un crayon. Déception de l’enfant quand il l’apprend. Le chercheur explique ensuite qu’il va faire entrer un autre enfant dans la pièce. Il remet le crayon dans la boîte et dit à l’enfant qu’il est le seul à savoir ce qu’il y a réellement dans cette boîte. « Si ton copain entre, que va-t-il croire ? Qu’est-e qui sera dans la boîte selon lui?” L’enfant de 7 ans va répondre « des smarties » car il est capable de comprendre que son ami sera dans l’état de méconnaissance dans lequel il était lui-même quelques minutes avant. L’enfant de 4 ans va répondre « un crayon ». Il ne peut pas attribuer à un autre une pensée différente de la sienne. Il n’est donc pas en capacité de manipuler qui que ce soit.
Et de citer la psychologue Isabelle Filliozat : « L’enfant ne cherche ni à tendre un piège aux adultes ni à les tester, il n’en a tout simplement pas les capacités intellectuelles. »
Dans la salle, une participante interroge: « Teste-t-il les limites ? »
« Non, répond Héloïse Junier. Pour découvrir, il doit répéter. Il ne teste pas les limites. Notre vision de l’enfant manipulateur pervers vient de l’approche psychanalytique ».

– Un enfant peut s’habituer aux bras
La question des bras est à envisager avec la façon dont l’enfant est avec ses parents. Tous les enfants n’ont pas les mêmes besoins de proximité physique. Et l’adulte peut avoir aussi ces besoins. John Bowlby a beaucoup travaillé sur l’attachement. Il a comparé le maternage proximal avec le maternage distal à l’âge de la marche. Les enfants du premier groupe, très maternés, parviennent beaucoup plus à se distancer de leur mère à un an que les autres. L’enfant s’attache à l’adulte pour mieux se détacher et pouvoir être autonome.

Héloïse Junier rapporte les propos entendus un jour dans une structure de la part d’un EJE : « on passe notre temps à chercher à rendre l’enfant autonome alors qu’on devrait chercher à le rendre secure ».
Sans la salle, une professionnelle explique que selon sa directrice, certains enfants pleurent beaucoup car ils seraient trop portés chez eux. Et que par conséquent il faut les laisser pleurer. Héloïse Junier est en désaccord et le répète : « une fois que l’enfant est secure, il est plus apte à devenir autonome ». En toute logique l’échange se poursuit sur la notion de référence. Pour aller dans le sens de la théorie de l’attachement, il faut donc qu’il y ait un professionnel référent pour chaque enfant. La psychologue estime que c’est préférable en effet même si c’est parfois peu compatible avec les contraintes de l’organisation. Elle revient sur cette expression :« il veut toujours les bras ». Non, un petit ne « veut » pas les bras, il en a besoin. C’est un besoin fondamental.
« On a tendance à interpréter le comportement des enfants comme si c’était des mini adultes, à leur attribuer des comportements d’adultes. C’est de l’adultomorphisme. » Il en résulte des erreurs d’interprétation.

3) L’immersion dans le cerveau affectif du jeune enfant

La façon de concevoir l’enfant a considérablement évolué sur les vingt dernières années. Nous sommes passés d’une volonté de dresser l’enfant (cet être fondamentalement mauvais) avec une éducation autoritaire, dans le but qu’il ne devienne pas un tyran, à la vision d’un être vulnérable, en devenir, sujet aux émotions, qui a besoin d’affection pour bien se construire.

Le cerveau du jeune enfant n’est pas mature. D’où ces difficultés à réguler ses émotions. Ce cerveau est également très plastique et la façon dont les adultes, parents et professionnels, accompagnent les émotions au quotidien, s’imprime sur le cerveau en construction.
A l’appui de son propos, Héloïse Junier montre une vidéo du site québécois Naître et Grandir.
A la naissance, le cerveau continue de se construire, le rythme de développement est effréné, il va tripler de volume dans les trois premières années. Durant cette période, chaque geste compte. Toucher l’enfant, lui parler, le réconforter, l’aider à explorer, stimuler ses 5 sens, autant de facteurs qui vont impacter son développement neuronal et psychique. Les apprentissages commencent très tôt. A 6 mois le cerveau est prêt pour le langage (il a procédé à l’élagage synaptique et s’est stabilisé autour de la langue maternelle). L’enfant se prépare à interagir avec les autres plus tard. Pour pouvoir lire et compter le cerveau s’est préparé longtemps avant. Il y a des fenêtres d’opportunité à ne pas rater. Tout ce qu’on donne à l’enfant en temps, en soins, en interactions, dès la naissance, aura une incidence positive sur l’individu qu’il deviendra.

Pourquoi un enfant n’est-il pas capable de contrôler ses émotions ?
Parce que l’aire frontale qui permet l’inhibition n’est pas mature. Les émotions explosent et ne peuvent pas être refrénées. Les neurones de son cortex préfrontal sont immatures. Ses émotions sont très vives et son raisonnement beaucoup plus lent que le nôtre. Car chez l’enfant la myéline, qui gaine les nerfs du cerveau et sert de conducteur, est en cours de formation, l’information met plus de temps à passer d’une synapse à une autre. Le processus de myélinisation est mûr à 20 ans. Le cerveau du jeune enfant est beaucoup plus vulnérable que celui de l’adulte. C’est une éponge. L’enfant est très perméable à son environnement humain.
Héloïse Junier évoque un autre personnage central : le COF. Pour « cortex orbito frontal », une partie du cerveau précieuse pour gérer nos interactions au quotidien, vivre en société, éprouver de l’ empathie, réguler nos émotions. C’est le COF qui permet d’avoir des relations amoureuses stables, du sens moral. Les études ont montré que tout ce qui est de l’ordre de la maltraitance physique et émotionnelle (les humiliations, l’isolement, les punitions par exemple) frêne la maturation du COF. Au contraire, les pratiques chaleureuses, tendres, empathiques, augmentent la maturation du COF.
livre-catherien-gueguen« Vous avez un rôle dans la construction de l’adulte que cet enfant deviendra demain, martèle la psychologue. Souvent on surestime le rôle du pédiatre. Vous avez une incidence beaucoup plus importante que le pédiatre. » C’est néanmoins la vidéo d’une pédiatre qu’elle conseille de regarder. Pas n’importe laquelle. Il s’agit d’une conférence de Catherine Gueguen, auteure d’un livre devenu une référence, « Pour une enfance heureuse ». Elle la cite : « Malheureusement dans notre société la maltraitance émotionnelle, -tout ce qui humilie un enfant, lui fait honte, le menace, l’isole, le pressurise, le rejette- est très répandu dans les domiciles mais également dans les lieux qui accueillent les enfants ».

Une participante intervient : « On sait beaucoup de choses mais on est tellement imprégnés par une culture. Et quand on est dans le stress, on reprend des archaïsmes. Or, nous savons que ça a un impact. Ca crée des conflits intérieurs. »
Héloïse Junier acquiesce. Elle rapporte les propos de Josette Serres qui pendant 30 ans a été chercheuse au CNRS avant de décider d’aller sur le terrain : « la première fois que je suis allée sur le terrain et que j’ai pris conscience des connaissances des professionnels, j’ai pris une douche froide ».
Héloïse Junier propose ensuite la vidéo sur la plasticité cérébrale de Céline Alvarez, l’auteure du livre devenu best-seller « Les lois naturelles de l’enfant ». De cet extrait, un des participants retient que « le cerveau se souvient des moments les plus fréquents, pas forcément des moments heureux ». Une de ses collègues imagine les conséquences de la guerre sur le développement des enfants. Oui, grandir en temps de guerre ou dans des conditions socio-économiques difficiles impacte le cerveau et le développement cognitif. La littérature scientifique ne cesse de le rappeler. D’où la nécessité d’une prévention très précoce, d’un étayage solide quand l’environnement n’est pas propice à l’épanouissement cognitif, psychique et affectif d’un jeune enfant. L’accueil en crèche des enfants pauvres et la pré-scolarisation sont évoqués.

4) Accompagner les émotions au quotidien

Premier conseil : Il faut nommer les émotions, mettre des mots sur elles.
Et ne pas oublier la surprise et la peur, souvent plus fortes que la douleur. Dire par exemple à l’enfant « Tu as sans doute été surpris et tu as eu peur quand il t’a mordu ». On sous-estime trop souvent les émotions ou la frustration. Elles sont légitimes pour l’enfant même si elles nous semblent exagérées. On évitera donc le « c’est rien, c’est pas grave », « ne pleure pas », « arrête de faire ton cinéma ». Comme si on disait à un adulte : « Arrête de te plaindre de ne pas avoir eu ta mutation à Perpignan, Dunkerque c’est pas si mal ». Le fait de ne pas le consoler peut sécréter des molécules de stress, adrénaline et cortisol. Elles sont toxiques pour le développement du cerveau. Et qui est-on pour juger les émotions des autres ?

Dans la salle quelqu’un objecte : « La socialisation et le fait d’apprendre à relativiser les émotions pour apprendre à se comporter en société, ça fait partie de l’éducation ». Simplement, la petite enfance n’est pas une période propice à cette partie de l’éducation qui devra attendre un peu. L’enfant est trop jeune pour apprendre à inhiber ses émotions. L’apprentissage de la politesse est un bon exemple. A deux ans, c’est trop tôt. « Quand un enfant entre et ne dit pas bonjour et que le parent insiste lourdement, je dis « c’est bien il m’a fait un sourire » », note une professionnelle.
Une autre intervient : « Nous on est dans l’optique de dire, même sur une égratignure, « oui tu as mal », pour éviter que s’accumulent des petites émotions négatives qui vont finir par exploser. Exprimer ce qu’on ressent quand ça arrive, libérer au fur et à mesure, permet d’être plus ajusté dans nos réactions. » «J ‘ai entendu une pedopsy dire au sujet de la chute, que chez l’enfant il y avait aussi une blessure de l’ego. Dans le fait de chuter, il n’y a pas que l’effet physique, il y a aussi la vexation. On néglige cet aspect. »
Héloïse Junier rebondit : « Dans ce cas, conservez une expression faciale sereine : vous êtes son référent social. Les études ont permis de voir qu’un enfant se réfère à l’expression faciale de l’interlocuteur pour savoir s’il y a danger dans son environnement. » C’est l’expérience de la « fausse falaise » : un enfant rampe sur une table basse dont la dernière partie est en plexiglas, lui donnant l’impression que s’il avance encore, il va tomber. Si sa mère, placée devant lui, a un visage confiant, il avance. Si elle semble inquiète il s’arrête.

Deuxième conseil : Accompagner les émotions c’est aussi faire avec ses propres émotions.
Premier cas de figure : « Vous n’allez pas bien, ça se voit. Que comprend enfant ? Il va ressentir votre émotion. Elle va l’envahir. Que faire ? Il faut lui expliquer que ce n’est pas de sa faute. Il faut privilégier la congruence entre vos mots et vos émotions. Etre authentique. On a été conditionnés pour refréner nos émotions et faire semblant. Ca ne marche pas avec les enfants. Il doit recevoir des signaux en harmonie. On ne peut pas laisser les émotions au vestiaire. Ce qui ne veut pas dire pour autant qu’on prend l’enfant pour le psy ».

Second cas de figure : « vous êtes excédée par le comportement d’un enfant. Il vous est difficile de gérer la répétition et l’impulsivité. Nous ne sommes pas tous égaux, nous adultes, face aux émotions. Pourquoi ? Ca tient à notre éducation, notre vécu, tempérament, histoire personnelle, fatigue, taux de glycémie (notre humeur fluctue en fonction du taux de glycémie). Il faut passer le relais, pouvoir dire qu’on n’en peut plus. »

Pourquoi nos émotions sont-elles notre pire ennemi ?
Il ne faut jamais réagir sous l’emprise des émotions. Le cerveau primitif se réactive, le raisonnement est court-circuité. Comment éviter que les émotions prennent le dessus ? Passer le relais, ce n’est pas toujours facile. Quelques astuces : trois cycles de respiration abdominale (une main sur le ventre, on sort le ventre en inspirant, on le rentre en expirant doucement, lèvres serrées ), aérer (renouveler l’air fait du bien), manger du chocolat, sourire (l’outil le plus puissant pour susciter des émotions positives selon la « rétroaction faciale », phénomène selon lequel le sourire dupe le cerveau et libère des hormones de plaisir). En raison des «neurones miroir », les autres se mettent à sourire eux aussi.

Posez vous les bonnes questions, insiste Héloïse Junier : pourquoi suis-je en colère?Quel(s) besoin(s) cet enfant vient-il manifester avec ce comportement ?”

Elle rappelle ce qui se produit dans la tête d’un enfant lorsqu’un adulte lui crie dessus : l’émotion prédomine, le raisonnement est bloqué. Au niveau cérébral c’est un mécanisme de sidération. Le cerveau disjoncte. Il réinvestit totalement le primitif. L’enfant va être figé. L’adulte peut penser que son sermon a marché. Mais il n’a aucune lignée pédagogique puisque l’enfant est incapable de raisonner dans de telles conditions.

Troisième conseil : privilégier le « stop » au « non »
Héloïse Junier propose un petit jeu de rôle pour souligner la différence de portée entre le « non » et le « stop ». Le « non » a tout de suite une connotation très négative, le visage est fermé, le doigt pointé. Quand on dit « stop » on interrompt l’action, sourcils levés, main ouverte. Le stop laisse plus de marge de manœuvre, il interrompt l’action de façon plus neutre. Le non est plus agressif. Les enfants entendent le « non » à longueur de journée. « Ils nous le ressortent à 24 mois, nous l’avons bien cherché », plaisante la psychologue.

Quatrième conseil : Privilégier les requêtes positives
Elle tente une seconde expérience et place sur son bureau un portable, une télécommande, un crayon, un bonbon. Dans le premier essai, elle dit au témoin : « prenez l’objet qui n’est ni un portable ni une télécommande ni un bonbon ». Dans le deuxième essai, elle dit simplement : « prenez la télécommande ». Que cherche-t-elle à illustrer ? Que le temps de réaction est beaucoup plus lent dans le premier cas car il nécessite une gymnastique intellectuelle. Avec un enfant, il faut privilégier les requêtes positives plutôt que les requêtes négatives. Si on lui dit « ne monte pas sur le fauteuil », lui comprend « monte sur le fauteuil ». Il va avoir du mal à traiter la négation qui demande un traitement plus complexe.

Cinquième conseil : atténuer le stress du lieu de vie
Héloïse soumet deux photographies : une femme sur une plage, seule, avec un livre, le quai du métro parisien bondé. Ce qui est stressant avec le métro : la promiscuité, le niveau sonore, l’odorat agressé, la chaleur, la vue (aucun horizon, lumière artificielle). « Dans une crèche on est plus proche du métro que de la plage. Le bruit, le monde, les odeurs, la promiscuité, le lieu clos, la lumière artificielle, des enfants qui n’ont pas choisi d’être là.”
Comment limiter le stress sur le contexte humain de la section ? Ne pas tous se regrouper dans un coin de la pièce, séparer les enfants en petits groupes, limiter le nombre de jouets, ranger au fur et à mesure, éviter les lumières trop artificielles.

5) Quelques ateliers à proposer aux enfants

Les professionnels présents racontent ce qu’ils mettent en place pour aider les enfants à décharger leurs émotions négatives. « Nous on avait des problèmes d’agressivité, on a mis en place un coussin de la colère. Mais je n’ai pas l’impression qu’ils se tapent moins les uns les autres. Ceux qui se tapent ne vont pas d’eux mêmes taper le coussin de la colère. Tous les matins on fait l’humeur du jour avec un pictogramme. Je me demande s’ils reconnaissent les humeurs

Une autre : « Avec le temps, le coussin, ça marche. Il y a six ans on a mis un pusching ball en tissus, ils peuvent le mordre. On a fait un panneaux avec des pictogrammes avec des codes couleurs. Ca leur permet de déconnecter, de mettre des mots dessus. »

Une dernière : « On est partis d’un livre sur la couleur des émotions avec quatre émotions de base représentées par quatre monstres. Quand les enfants arrivent le matin, ils mettent leur étiquette là où ils pensent être. Les plus grands le font d’eux mêmes. On a le coin des émotions avec un sablier, une balle toute douce, une grenouille en tissus. On a fait la même chose avec les parents : il y a une roue des émotions. En fonction de ce qu’ils affichent, on transmet ou pas une information. On demande aux parents comment ils vont. Et s’ils disent « je suis fatigué », on répond « ce n’est pas une émotion ! »».

«C’est un très beau projet, très intéressant, commente Héloïse. Il faut que les parents soient réceptifs. Le risque est que les parents déchargent sur vous. Et en effet il ne sert à rien de transmettre l’information si le parent n’est pas réceptif. »
Une participante s’interroge : « Une psy m’a dit que le coussin est une façon de construire une réaction face à l’émotion qui passe par la violence ». « C’est plutôt un coussin des émotions, précise Héloïse. Ils peuvent s’y blottir. Le tonus musculaire s’assouplit au contact du coussin moëlleux, du coup l’émotion retombe. Le phénomène de décharge motrice est plus important pour l’enfant. »

« Nous on lui explique qu’il a d’autres possibilité d’expliquer sa colère que les coups, complète l’une des précédentes intervenantes. Notre travail est de les accompagner et de dire qu’il y a d’autres façons acceptables pour la société d’exprimer ses émotions. Mais dans un premier temps ils ont besoin d’en passer par là

Héloïse propose d’autres astuces, à base de « sophrologie ludique » 
Par exemple, le jeu du « bol de chocolat chaud ». On parle à l’enfant d’un bol imaginaire entre les mains, on lui demande de souffler dessus longtemps et lentement pour refroidir son lait. Ce petit jeu encourage l’enfant à avoir un cycle de respiration ample pour qu’il s’oxygène et se distancie de ses émotions. Idem avec le jeu de la paille : on lui demande de faire beaucoup de bulles. Ou encore des plumes de couleurs disposées sur une table basse et qu’il s’agit de soulever par la respiration, mains dans le dos.

Dans sa boîte à outils de la décharge motrice, elle propose elle aussi le pushing ball ou encore la boule d’émotion. Une feuille déchirée et roulée en boule doit être associée à une émotion et lancée le plus loin possible pour toucher le mur d’en face.
Il faut aussi permettre la réassurance, encourager l’enfant à se détendre. Le familles-rurales-yogacoussin des émotions y aide, ainsi que l’enroulement (rassembler les membres inférieurs de l’enfant vers le ventre, main sur le front pour le recentrer). Le yoga  est un outil précieux pour les plus grands. Il existe de nombreuses postures (illustration ci-contre avec le site mon p’tit yoga). Parfois les enfants emmènent leur doudou et lui font faire les postures.

 6) Decrypter et accompagner les pleurs

« Plein d’enfants qui pleurent tous ensemble dans un espace clos, c’est dur » commence Héloïse. Mais au fait, pourquoi un enfant pleure-t-il ?

Parce qu’à la différence d’un girafon capable de marcher 30 minutes après sa naissance, un bébé ne peut pas se déplacer pour aller trouver sa mère. C’est une question de survie. Le petit d’homme est dans une dépendance extrême. Il lui faut trouver un moyen de faire venir l’adulte. A ce sujet voir l’article « un autre regard sur les pleurs du nourrisson » de Gisèle Gremmo-Geger. Héloïse Junier cite une étude de 1974  sur des bébés masaï au Kenya. Les éthnologues ont observé deux groupes  de bébés : les bébés « difficiles » qui pleuraient beaucoup et les bébés « faciles » qui pleuraient très peu. Une grande sécheresse est survenue, suivie d’une famine. Les chercheurs sont revenus. Les bébés qui ont le plus survécu étaient les « difficiles ». Les bébés qui pleurent moins sont plus facilement oubliés. Mais attention, les pleurs peuvent aussi être un frein à la survie de l’enfant, comme c’est le cas avec le « syndrome du bébé secoué ». Tout besoin insatisfait place l’enfant en état d’alerte et les pleurs constituent un signal d’alarme.

Lorsqu’un enfant est avec une professionnelle et qu’elle s’éloigne pour répondre au téléphone, des réactions en cascade se produisent. Le bébé se met à pleurer. Il est envahi d’un sentiment d’insécurité, il se met en état d’alerte, son système d’attachement s’active, il recherche la proximité avec l’adulte dont il est dépendant. L’adulte le prend dans ses bras. Ses pleurs se désactivent. Ce sont des réactions en chaîne pour lesquelles il est pré câblé.
Dans la salle, une psychologue responsable de RAM remarque qu’on atténue la réaction si on prévient l’enfant.
Héloïse insiste : un enfant ne peut pas pleurer sur commande. Le fait qu’il se mette à pleurer au moment où ses parents entrent dans la pièce s’interprète autrement. Il décharge tout le stress accumulé dans la journée auprès de ses figures d’attachement. Elle évoque la métaphore du porte-avion, formulée par Nicole Guedeney. Pour prendre de la distance, un avion doit sentir que son porte avion est disponible en cas de danger pour pouvoir revenir et être secure. L’enfant vient de temps en temps faire le plein d’essence avec un câlin, sur le porte-avion, sa référente. Si un enfant voit un autre enfant dans les bras de sa référente, il revient à sa base pour récupérer sa place. Il ne s’agit pas forcément de jalousie. Il est compliqué de parler de jalousie. Il n’y a pas l’altérité construite à cet âge. C’est plus rudimentaire : un porte avion est fait pour un avion, pas pour 5 avions.
Quel est le point commun entre uriner, transpirer, et pleurer ? On élimine les toxines. Il faut qu’un enfant pleure pour se décharger des toxines.

Que faut-il penser de la tétine pour stopper les pleurs ?
Dans un cabinet de psy, répond Héloïse, si le patient pleure, le psy ne cherche pas à faire diversion en proposant une tétine, il ne chante pas une comptine. Il est content de voir que son patient laisse sortir ses émotions. On passe notre temps à vouloir stopper les pleurs, à vouloir boucher, mais ça leur fait du bien de pleurer. Il ne faut pas laisser pleurer un enfant mais l’autoriser à pleurer. On met trop vite la tétine dans la bouche, ça le bloque dans son processus de décharge. De la même façon, il y a une confusion entre un enfant qui s’endort en pleurant et laisser l’enfant pleurer jusqu’à ce qu’il s’endorme. Ca ce n’est pas un accompagnement au sommeil. On le laisse se débrouiller tout seul et c’est très maltraitant.

Face aux pleurs, que faire concrètement ?
Dans la salle, les réponses fusent :
Le prendre dans les bras, accompagner les pleurs, s’isoler, se mettre à part avec lui (mais comment faire quand on est en collectivité), faire des groupes, chanter. Une professionnelle propose le portage. Devant l’étonnement de la psychologue, elles sont plusieurs à dire qu’elles portent des bébés en écharpe. Héloïse y est favorable mais s’interroge sur le ressenti des parents. « On explique que c’est un outil de travail, lui répond son interlocutrice. Les parents ne se sentent pas dépossédés. »
Héloïse pose plusieurs règles face aux pleurs :
– on ne laisse pas pleurer un enfant, on l’accompagne par la voix, par le geste.
– on maintient un lien invisible avec l’enfant. On le regarde régulièrement. Quand on quitte la section, on passe concrètement le relais à quelqu’un
– On multiplie les temps de câlins, les contacts physiques bienveillants
– On veille à assurer un accueil chaleureux individuel le matin, à son arrivée. Qu’il se sente accueilli en tant qu’être humain. Il y a des enfants avec des besoins imminents d’individualité. Ca change vraiment la donne.
– La tétine avec modération ! La tétine est un outil utile quand il y a 5 avions pour un porte avion !
– On limite le stress de la section en limitant le déplacement des adultes.

7) Comprendre les manifestations d’agressivité

Pourquoi un enfant en vient à taper, griffer, mordre un autre enfant ?
Que met-on en place concrètement pour limiter la fréquence de ces manifestations au quotidien ?
C’est la théorie de la « frustration agression » : un être humain frustré a tendance à devenir agressif. L’agressivité de l’enfant n’est pas voulue. Elle relève de la Pulsionalité et de la spontanéité. Ce n’est pas de la violence ! L’enfant n’a pas conscience que l’autre souffre. Il ne peut pas contrôler ses pulsions. Il ne peut pas se refréner. Le corps est un moyen de communication. Cet enfant qui mord a sans doute besoin de plus d’attention individuelle et souriante. Souvent, au bout d’un moment, ces enfants mordeurs n’ont plus de contact bienveillant avec l’adulte. « Notre réflexe doit toujours être de se demander : de quoi cet enfant a besoin ? Pour tenter de répondre à un besoin ».
Mais « comment protéger l’ensemble du groupe de l’enfant mordeur ? » « Redoubler d’attention sur l’enfant mordeur sera favorable au reste du groupe » assure Héloïse Junier.
Il ne faut pas se contenter d’un « Ah il a encore mordu !» mais se livrer à une véritable enquête :
« Dans quel contexte ? Quelle activité ? Combien de personnes ? Avait-il mangé ? » Et toujours se demander à quel stade de développement il en est, et ce qu’il traverse à la maison. Quel est le contexte d’apparition à la crèche ? Neuf fois sur dix, ces situations se présentent pendant les transitions et les jeux libres.
L’agressivité n’est pas visible seulement chez les enfants. En raison des « neurones miroirs » elle se révèle très contagieuse. On peut comprendre à vue de nez l’état de l’équipe en voyant l’état des enfants.

Comment réagir en cas d’agressivité ?
Une des participantes, Sabine, propose : « on fait des petits box pour que l’enfant puisse se recharger, se ressourcer tout seul. Quand il est prêt il ressort. »
« C’est une super idée, applaudit Héloïse. Une directrice m’avait dit non car on ne peut pas surveiller les enfants. Encore une fois la sécurité physique prime sur lasécurité psychique ».

« Nous on décloisonne les activités, raconte une autre professionnelle, ils vont et viennent d’une activité à l’autre. » « Mais ces espaces ouverts avec du mouvement ne créent-ils pas du stress ? s’interroge la psychologue. Ca peut être à double tranchant. » Elle incite à travailler sur les temps de transition « puisque c’est là que ça dégénère ».

L’enfant mordeur suscite toutes les attentions. Il a autant besoin d’être consolé, si ce n’est plus, que l’enfant mordu. Il est nécessaire de conserver vis à vis de lui une attitude ferme mais bienveillante.
Et au moment des transmissions, son anonymat doit être respecté pour ne pas le stigmatiser (ce qui ne fonctionne plus quand les enfants ont la parole). Un enfant sur lequel on pose une étiquette risque de souffrir de l’effet pygmalion : se conformer au regard qu’on porte sur lui.

Autres conseils : anticiper et repérer les signes d’inconfort et/ou de nervosité. Accorder à l’enfant une attention visuelle positive et souriante, lui confier des petites missions (il va se concentrer sur une tache, mettre son cerveau primitif en veilleuse et être fier d’être valorisé), réaliser une observation fine de l’enfant dans différents contextes.

A l’issue de la journée, Héloïse Junier a proposé un test permettant de récapituler les connaissances passées en revue. Vous pouvez vous amuser à y répondre, pour voir ce que avez retenu de cet article.
-Quelles sont les deux grandes familles de besoins fondamentaux ?
-Quel est le meilleur anxiolytique naturel pour l’enfant ?
-Quelle est l’hormone sécrétée qui favorise l’empathie ?
-Le besoin d’affection est-il aussi vital que celui de manger ? Comment le sait-on ?
-Quelles expériences en psychologie permettent de savoir si un enfant est décentré et capable de se mettre à la place de l’autre ?
-Un enfant risque- t-il de s’habituer aux bras ? Qui nous a permis de le savoir ?
-Comment appelle-ton notre tendance à plaquer sur l’enfant des caractéristiques propres à l’adulte ?
-Un enfant est-il en capacité de réguler ses émotions ?Pourquoi ?
-Que signifie l’acronyme COF ?
-Pourquoi privilégier le stop au non ?
-Pourquoi le girafon ne pleure-t-il pas ?
-Que signifie la métaphore du porte avion ?
-Quel est le point commun entre transpirer, uriner et pleurer ?
-Pourquoi les morsures et griffures ne sont-elles pas vraiment de la violence ?
-Quelles sont les 3 questions qu’on peut se poser face à un enfant mordeur ?
-Dans quels contextes apparaissent le plus souvent ces manifestations de violence ?
-Comment s’appellent les neurones qui font que le stress est contagieux ?
-Quel enfant a le plus besoin d’affection, celui qui mord ou celui qui a mordu?
-Pourquoi confier une mission à enfant quand on le sent nerveux ?
-Pourquoi sourire est-il un bon anti-stress ?