En matière de régulation du comportement au sein de la classe, il existe des données fiables et des méthodes plus efficaces que d’autres. C’est ce qu’a développé Franck Ramus, Professeur au laboratoire de Sciences Cognitives et Psycholinguistique à l’Ecole normale supérieure, Directeur de recherche au CNRS. Cette conférence, intitulée « De la perturbation à l’implication : comment faire adhérer les élèves ? », était organisée mercredi 22 mai par l’Institut Catholique de Paris. Nous y étions, en voici une transcription.
Pour être en capacité de réguler un comportement problématique encore faut-il connaître les mécanismes qui sous-tendent le comportement humain. Celui-ci est complexe et pourtant ses déterminants sont aujourd’hui bien connus de la recherche en psychologie. « Mais ces connaissances sont très peu utilisées, notamment dans les ESPE où sont formés les enseignants», déplore Franck Ramus.
Résultat : la réponse apportée aux problèmes de comportements par les parents ou les enseignants est généralement punitive. Or, la recherche montre que les punitions ne constituent pas l’approche la plus efficace.
Comprendre les bases du comportement
Le comportement est l’ensemble des réactions observables chez un individu.
De façon très schématique, on peut identifier les antécédents (qui précèdent immédiatement le comportement) et les conséquences (qui le suivent), avec une boucle selon laquelle certaines conséquences peuvent entraîner la répétition du comportement. Il existe plusieurs explications à la réaction précise d’un individu, notamment d’un élève. Les explications proximales, qui constituent une causalité directe, et les explications distales, qui renvoient à une causalité plus indirecte. Par exemple, si on se demande pourquoi Roméo est mort, on peut répondre qu’il a ingéré du poison, ce qui relève d’une explication proximale, ou dire qu’il s’est suicidé parce qu’il croyait que Juliette était morte, explication distale.
Face à un enfant difficile, l’adulte, en tous cas, s’interroge : « pourquoi se comporte-t-il comme ça ? »
« On peut chercher des explications dans l’environnement familial, dans les gènes, dans ce qui s’est passé dans la petite enfance, pose Franck Ramus. Mais on aura du mal à vérifier si ces hypothèses sont correctes. Et même si on a de bonnes hypothèses, quel sera notre levier pour agir ? On ne pourra pas toucher aux gènes ou à l’environnement familial. Il peut être plus productif de se focaliser sur les causes immédiates.»
Le comportement est très largement appris par observation, par imitation, par renforcement (on acquiert un comportement parce que dans le passé ce comportement a été suivi de conséquences positives). Le renforcement est un déterminant majeur de nos habitudes, de notre personnalité.
Notre comportement a toujours une fonction : obtenir quelque chose, acquérir un bien matériel, un statut social, attirer l’attention, établir un rapport de forces en sa faveur, éviter un événement perçu comme désagréable, par exemple des activités qui comportent un risque d’échec ou qui paraissent ennuyeuses. Un enseignant confronté à un comportement perturbateur devrait toujours se demander quelle fonction ce comportement joue pour l’élève.
Antécédents et conséquences : comprendre ce qui déclenche et renforce un comportement perturbateur
Pour obtenir un changement de comportement, il existe deux leviers majeurs : les antécédents et les conséquences. En classe, parmi les antécédents, notamment ceux qui sont susceptibles d’entraîner des comportements perturbateurs, on va trouver les instructions données par l’enseignant, le comportement de celui-ci, l’intonation de sa voix, s’il sourit ou pas, un événement extérieur, une insulte, des moqueries, des provocations, une injustice subie ou perçue, le fait pour l’élève de se voir refuser quelque chose, le stress, une sensation externe ou interne à l’élève.
Les conséquences, c’est à dire ce qui se passe après le comportement, englobent le retour d’information de l’enseignant sur ce que fait l’élève. Une conséquence peut être positive ou négative.
Dans la recherche en psychologie, on entend par « récompense » toute conséquence qui augmente la probabilité du comportement. Les récompenses typiques sont l’obtention de nourriture, de bien matériel, d’argent, les récompenses « sociales » (le rire, le toucher, l’attention, l’affection), les privilèges (avoir le droit de), le fait de faire cesser des stimuli aversifs.
Une punition est a contrario toute conséquence qui diminue la probabilité du comportement : la douleur, la faim, la soif, la perte ou privation d’un bien ou d’un privilège, la désapprobation, le reproche, la réprimande, l’ostracisme…
En général les comportements perturbateurs existent car ils ont déjà été renforcés. Une crise peut ainsi survenir car elle permet à l’élève d’échapper à une tache pénible (lorsqu’il est mis à la porte du cours par exemple). Le fait de ne pas avoir à faire l’exercice renforce le comportement perturbateur. La conséquence positive peut venir du côté des camarades, lorsqu’ils rient par exemple. Attirer l’attention (de l’enseignant ou des autres élèves) est en soi un renforcement. L’être humain est social, nous avons tous besoin que les autres fassent attention à nous. C’est donc important de le noter: l’attention de l’enseignant sur le comportement perturbateur renforce ce comportement.
La règle du 5 pour 1
Comment modifier les comportements en jouant sur ces deux leviers que sont les antécédents et les conséquences ? Si on actionne le deuxième levier, les conséquences, alors il existe deux options : les récompenses et les punitions.
Franck Ramus évoque « la règle des cinq pour un ». Elle a été formalisée par Gottman en 1993 dans une étude sur le mariage avant d’être généralisée, notamment dans le domaine de l’entreprise puis de la parentalité. Gottman a ainsi observé dans son étude originelle que les couples les plus stables sont ceux qui se font cinq fois plus de commentaires positifs que négatifs.
Ce constat a été retrouvé dans la fameuse étude de Hart et Risley de 1995 sur le développement langagier, dans laquelle la proportion de commentaires positifs et négatifs adressés à l’enfant varie beaucoup selon le milieu social. Il apparaît que dans les classes les comportements perturbateurs et les périodes d’inattention dépendent aussi de ce rapport de 5 pour 1. « Il ne s’agit pas d’être des bisounours, et il ne s’agit pas d’un nombre magique, prévient le chercheur. C’est une règle essentiellement empirique qui permet de donner l’intuition de ce qu’on veut viser. L ‘idée est qu’on a tous besoin d’information sur notre performance, de positif et de négatif. L’effet du négatif peut être dévastateur et il faut du positif en face pour maintenir la motivation. Dans les classes l’environnement est principalement répressif. On est souvent très loin de ce ratio de 5 pour 1.»
Les inconvénients des punitions
En quoi les punitions peuvent-elles se révéler délétères voire contre-productives ?
Elles engendrent de la souffrance et des émotions négatives mais aussi des comportements indésirables (la volonté d’y échapper, l’agression), elles peuvent susciter une aversion acquise pour l’enseignant et pour l’école. Certaines punitions renforcent les associations contre productives : les
heures de colle impliquent qu’être à l’école est en soi une punition. Recevoir du travail en plus implique que travailler est négatif en soi. L’enfant peu à peu s’habitue à la punition et se désensibilise (l’enseignant est obligé d’augmenter la sévérité, c’est l’escalade, il n’y a pas d’issue heureuse).
Si encore elles étaient efficaces, on pourrait accepter ces inconvénients, avance Franck Ramus. Mais les punitions sont rarement efficaces pour une raison très simple, l’erreur d’attribution de la cause, qu’on peut résumer ainsi : quand quelque chose de positif arrive, on s’en attribue le mérite, quand quelque chose de négatif survient, c’est la faute des autres. L’élève pense que s’il est puni, c’est la faute de l’enseignant, pas la sienne. La vertu pédagogique est quasi nulle.
A noter : les adolescents en particulier ont des modes d’apprentissage qui diffèrent de ceux des adultes. Les adolescents apprennent autant que les adultes des récompenses mais apprennent moins que les adultes des punitions. Ils sont aussi moins sensibles aux promesses et aux menaces.
Identifier et renforcer le comportement positif opposé au comportement perturbateur
Et puis, et c’est certainement le point fondamental à retenir : on n’enseigne pas assez les comportements positifs à mettre à la place du comportement négatif. La punition n’enseigne pas à agir autrement. Or, et c’est capital, on ne doit pas juste chercher à faire disparaître un comportement perturbateur, on doit aussi enseigner les bons comportements et récompenser ces comportements positifs à chaque fois qu’ils surviennent.
Ce qui signifie que l’enseignant doit pouvoir se rendre compte du moment où l’élève perturbateur est calme et prêter attention à ce que les élèves font de bien. L’adulte doit chercher à identifier le comportement positif opposé qu’on voudrait que l’élève adopte. Il doit expliciter ce comportement.
La connaissance du bon comportement par l’élève ne suffit pas à le lui faire adopter. Il faut pratiquer le comportement positif opposé pour le renforcer. Si le comportement positif identifié ne fait pas partie de répertoire comportemental de l’enfant, il peut être enseigné. Plusieurs techniques existent :
– décomposer le comportement
– modeler : l’enfant possède des bribes du comportement opposé positif, on récompense ces ébauches, on tire vers le haut en ayant commencé au niveau où se situe l’élève
– simuler : on guide le comportement de l’élève
Il faut commencer par renforcer les comportements les moins indésirables, puis, de proche en proche, on ramène l’élève vers un comportement acceptable et on augmente progressivement les exigences. Le piège serait d’exiger une réalisation parfaite. Il faut savoir se satisfaire de réalisations imparfaites, sans vouloir aller trop vite. Au début, on demande à l’élève d’être calme un quart d’heure et on renforce ce quart d’heure.
Agir sur les antécédents du comportement négatif
Autre façon de modifier un comportement perturbateur : agir sur les antécédents. C’est à dire sur les mots, gestes, regards, expressions faciales et symboles. Ces effets sont souvent inconscients, donc négligés. Certains antécédents augmentent le risque de désobéissance : donner un ordre et ne laisser aucun choix, être en perte de contrôle, crier, s’énerver, recourir aux menaces et aux ultimatums, formuler des demandes répétées qui deviennent aversives, recourir à des arguments d’autorité.
Il est donc intéressant de détecter des contextes favorables. Quels sont les antécédents qui augmentent la probabilité des comportements désirés :
– La politesse (dire « s’il te plaît »)
– Ton aimable, calme, sourire
– Lorsque le démarrage est difficile, aider à commencer plutôt qu’ordonner
– être clair et spécifique sur la nature du comportement demandé
– Etre le plus proche possible du comportement souhaité
– Etre physiquement proche (plutôt avec les jeunes élèves, une main sur l’épaule peut beaucoup aider)
– Offrir des choix (ne serait-ce qu’apparents)
– Faire précéder les demandes à faible probabilité par des demandes à haute probabilité
– Lancer des défis
Les récompenses : très efficaces à certaines conditions
Le pouvoir des récompenses est indéniable. Mais lesquelles ? Dans quelles conditions ?
Il est important de bien choisir les récompenses :
Tout ce qui augmente la probabilité d’un comportement. Pas seulement des biens matériels, et pas besoin de récompenses coûteuses (une récompense matérielle peu chère, un privilège, les activités, les jeux, la récréation, un système de points, des jetons). Il est préférable de donner de petites récompenses fréquentes et immédiates que de grandes récompenses rares et lointaines. Pourquoi ? Parce qu’on renforce les comportements d’étude qui aboutissent au bon bulletin, pas le bon bulletin en lui même.
Ce qu’on oublie souvent : l’attention positive fonctionne mais l’attention négative renforce aussi le comportement perturbateur. Les compliments fonctionnent s’ils sont sincères et plausibles. La manière compte !
« Parfois on peut échouer pour du détail », prévient Franck Ramus. La récompense n’est pas suffisamment immédiate, le comportement attendu n’a pas été suffisamment explicité, l’adulte est resté trop distant. Le renforcement doit aussi être systématique. Mais lorsque le comportement positif est bien installé, alors il faut moduler la fréquence du renforcement et à un moment, passer en mode atténuation et/ou on peut augmenter progressivement les exigences.
Il est aussi nécessaire d’être flexible.
Apprendre à ne pas renforcer les comportements négatifs ou l’art délicat de l’extinction
On peut prendre la question par l’autre bout en se demandant comment ne pas renforcer des comportements perturbateurs. Car souvent ces comportements reçoivent un renforcement positif sans que l’adulte ne s’en rende compte. Il s’agit de priver le comportement de son renforcement positif, s’abstenir de donner du renforcement positif (ce qu’on appelle « l’extinction »).
L’extinction est un art difficile car cela revient à s’abstenir de réagir, ce qui est très difficile. L’extinction seule peut être efficace mais aussi absolument pas gérable. Il est préférable de la combiner avec un renforcement du comportement positif.
Au début de la mise en pratique de l’extinction, on voit généralement apparaître une recrudescence du comportement indésirable. Par exemple, si dans sa voiture, on tourne la clé et que la voiture ne démarre pas, on va recommencer, plus longtemps. L’élève perturbateur fait pareil. Il recommence, un peu plus fort. Il faut le savoir et être prêt à résister. On peut faire diversion, interpeller un autre élève, lancer une autre activité, on oriente l’attention des élèves dont celui là sur autre chose.
Même quand l’extinction marche, il y a toujours des moments où le comportement réapparaît, il faut y être préparé. Souvent le comportement est renforcé par les camarades. L’attention des autres renforce le comportement. On peut alors proposer des récompenses collectives.
En résumé, pour diminuer un comportement indésirable, il est nécessaire de :
– identifier les antécédents et les conséquences qui ont renforcé ce comportement, les réduire et les éliminer
– Identifier et expliciter les comportements opposés positifs, les récompenser
– Utiliser les antécédents positifs pour augmenter la probabilité des comportements désirés
Au niveau de la classe : on peut travailler le climat de classe de façon préventive, développer la meta cognition, l’auto-régulation. Pour être efficaces, il est préférable que ces méthodes soient développées à l’échelle de l’établissement. Il est nécessaire d’avoir un plan et de s’y tenir.
Ces méthodes découlent d’un siècle de recherche scientifique en psychologie, elles engendrent des progrès scolaires. Pour Franck Ramus, tous les personnels de l’Education Nationale devraient avoir une formation de base sur le comportement, une partie des personnels devrait recevoir une formation renforcée et il faudrait une personne spécialisée dans chaque établissement.
Evidemment les méthodes que le chercheur présente suscite des questionnements et des controverses. Il les énumère : Est-il éthique de conditionner les élèves ? Est-ce de la manipulation ? Est-ce déloyal d’utiliser des moyens efficaces pour influencer les comportements des élèves ?
« Le conditionnement est un simple apprentissage d’associations entre des antécédents, des comportements et des conséquences, objecte-t-il. C’est universel et cela fait partie du comportement humain. »
Les objectifs qu’on se fixe sont-ils légitimes ? « De manière générale, pour les enseignants, oui, puisqu’il s’agit d’obtenir le calme pour faciliter les apprentissages, répond Franck Ramus à la question qu’il a lui-même soulevée. Poursuivre des buts légitimes de façon inefficace, voilà ce qui ne serait pas éthique. »
A la fin de sa présentation il précise que sa source principale est Alan Kazdin, psychologue américain auteur de nombreux ouvrages de référence malheureusement non disponibles en français. Il propose plusieurs autres sources (à la fin de cet article). Dans la salle, une participante cite un programme de psycho éducation, les 4 P, pour « Renforcement positif sur petits points précis ». Une autre demande si ces méthodes peuvent fonctionner en classe quand elles ne sont pas appliquées dans la famille. Le chercheur répond que le comportement des enfants en classe est souvent très spécifique et qu’il n’est pas indispensable de les mettre en place au domicile.
Combien d’enseignants français ont aujourd’hui accès, en formation initiale, à ces connaissances aujourd’hui bien consolidées ? A cette question on peut sans doute répondre sans trop de risque : très peu.
Le diaporama de Frank Ramus est téléchargeable (un enregistrement audio sera bientôt disponible)
Sources proposées par Franck Ramus:
- Alberto, P., & Troutman, A. C. (2009).
Applied behavior analysis for teachers
Upper Saddler River, NJ: Pearson Education. - Bissonnette, S., Gauthier, C., & Castonguay, M. (2017).
L’enseignement explicite des comportements: Pour une gestion efficace des élèves en classe et dans l’école. Montréal, Québec, Canada: Chenelière Education. - Direction de l’éducation française, Alberta. (2008a).
Renforcer le comportement positif dans les écoles albertaines. Une méthode appliquée à l’échelle de la classe. Edmonton: Alberta Education. Consulté à l’adresse https://education.alberta.ca/media/482221/renforcerclasse.pdf - Direction de l’éducation française, Alberta. (2008c). Renforcer le comportement positif dans les écoles albertaines. Une méthode intensive et personnalisée. Edmonton: Alberta Education. Consulté à l’adresse https://education.alberta.ca/media/482224/renforcerpersonnalise.pdf
- Kazdin, A. (2012). Behavior Modification in Applied Settings (Seventh). Long Grove, Illinois: Waveland Press.
- Kazdin, A. E., & Rotella, C. (2013). The Everyday Parenting Toolkit: The
Kazdin Method for Easy, Step by Step, Lasting Change for You and Your
Child. Houghton Mifflin Harcourt. - Blog http://www.scilogs.fr/ramus meninges/vers education fondee preuves/
- EEF
https://educationendowmentfoundation.org.uk/