Les hommes sont sur représentés dans la criminalité et parmi les populations adultes présentant des troubles du comportement et des tendances asociales. La revue Infant Medical Heath Journal s’interroge sur cette violence masculine en partant du principe qu’il faut aller chercher ses racines dans la toute petite enfance. C’est une approche globale qui est proposée, prenant en compte la piste biologique, psychologique et sociale. Les travaux présentés sont résumés dans un article d’introduction dont nous vous proposons une synthèse.
Cet article signé par Paul Golding et Hiram E.Fitzgerald* résume le numéro spécial de la revue Infant Medical Health Journal sorti en janvier dernier et consacré une fois de plus à la question des garçons (voir notre précédente recension). Il souligne que les textes présentés dans cette édition creusent deux axes de recherche :
1) le fait qu’une part significative des violences naissent dans l’environnement prénatal et dans les périodes de développement de la petite enfance, comme c’est le cas de l’échec scolaire ou des psychopathologies. Les données psychologiques et biologique uniques à chaque enfant et les systèmes de soins dont il bénéficie sont profondément intriqués, systèmes de soins eux-mêmes totalement corrélés à un réseau culturel et social. Ce sont les interactions entre ces différents éléments, micro et macro, qui contribuent à dessiner le développement de la personnalité, d’une façon soutenante et saine ou bien dans une direction négative et délétère.
2) le fait que les comportements problématiques sont très genrés, avec une prédominance des hommes, en lien avec un développement neurobiologique spécifique, qui se révèle encore plus déterminant quand les enfants sont élevés dans des conditions qui compromettent les soins et l’éducation qui leur sont donnés. Les auteurs relèvent que la plupart des crimes violents sont commis par des hommes. Aux Etats-Unis (c’est vrai chez nous aussi), les garçons sont plus susceptibles d’être punis pour des problèmes de conduite. A l’adolescence les taux d’arrestation pour crime violent sont quatre fois supérieurs chez les garçons par rapport aux filles, idem à l’âge adulte. Ce numéro spécial de IMHJ pose la question de la raison de cette prédominance des hommes, du point de vue de la santé mentale mais aussi dans une perspective d’écologie sociale.
« L’état actuel des connaissances ne permet pas de prédire qui va devenir violent au niveau individuel, prévient la revue, mais la science est en mesure de démontrer de manière probabiliste qu’il existe des susceptibilités individuelles spécifiques parmi lesquelles: les abus précoces, les négligences et autres « écologies relationnelles » immédiates et malsaines dans lesquelles certains garçons sont élevés, mais aussi des facteurs sociétaux plus larges qui peuvent affecter la stabilité et la santé de l’environnement familial le plus proche.»
Mais pourquoi les garçons seraient-ils plus fragiles ? La piste biologique
Parmi le noyau dur de population violente, il semble que les garçons font plus souvent l’expérience de cet effet épigénétique qui conjugue une vulnérabilité biologique avec des conditions environnementales précoces difficiles. Il existe des pistes d’explication biologiques : une plus faible fréquence cardiaque (fortement associée à davantage de comportements antisociaux, or les femmes sont moins nombreuses à avoir une faible fréquence cardiaque), des gènes spécifiques plus déterminants chez les hommes, l’exposition prénatale à la testostérone. Concernant la dimension génétique : un allèle spécifique (MAOA-L), associé à une plus faible expression de la protéine, et à une plus grande susceptibilité à la violence, est associé à des comportements anti-sociaux lorsqu’il est combiné avec des conditions environnementales délétères (abus ou négligences dans la petite enfance). Le gène MAOA est présent chez les femmes également mais les hommes semblent plus sensibles à la présence de l’allèle L. Peut-être parce que ce gène est situé sur le chromosome X et qu’il existe donc en deux exemplaires chez les femmes. Cette double présence pourrait neutraliser les effets de l’allèle MAOA-L.
La littérature considère depuis longtemps que les garçons sont plus fragiles dans la période de développement prénatale et périnatale. L’article cite Fizgerald (1977) : « Les petites filles sont des organismes plus forts. En général…elles sont moins sujettes aux maladies, moins susceptibles de mourir, moins irritables, moins agressives, plus en avance sur le plan socio-émotionnel et verbal. »
Selon l’OMS les garçons mettent plus de temps à atteindre les jalons de développement physiologiques (deux ans de décalage) et ils sont donc vulnérables sur une plus longue période aux éléments de stress de l’environnement social. Il se peut donc qu’ils aient plus de difficulté à s’auto-réguler lorsqu’ils ne sont pas accompagnés par un adulte suffisamment sensible.
Conclusion de Schore en 2017 : « La maturation plus lente expose le cerveau mâle en développement à des niveaux de testostérone et de corticostéroïdes altérés et stressants durant une période critique du développement du cerveau droit. Des traumas liés à l’attachement comme des abus ou négligences interfèrent avec, ou empêchent, une régulation interactive optimale du stress. Parce qu’ils surviennent lors d’une période critique pour le développement de l’hémisphère droit, ces traumas génèrent de façon épigénétique des dommages durables dans le système limbique et le HPA (axe hypothalamique pituitaire surrénalien), des déficits structurels qui sont réactivés à l’adolescence, une période de remodelage substantiel des circuits corticaux et limbiques. »
Beebe et Lachmann (toujours cités dans cet article d’introduction de l’IMHJ) ont montré, en étudiant des enfants de quatre mois, que les garçons sont sur représentés parmi les enfants développant un attachement désorganisé. Ce mode d’attachement amène à « de nombreuses formes de conflits intrapersonnels et interpersonnels, à des discordances ou contradictions intermodales, conduisant à de la confusion et des incohérences, avec des risques de détresse et d’incohérence émotionnelle, à la fois dans la représentation de soi et dans les relations aux autres ».
Il est possible aussi qu’en raison de ce développement plus lent, les garçons manifestent une plus grande vulnérabilité à la dépression maternelle que les filles.
L’augmentation des familles « fragiles », ou l’absence des pères
Dans cette édition de la revue, certains auteurs abordent la question sociétale et pointent les inégalités sociales, économiques et raciales de la société américaine et la façon dont ces inégalité viennent se combiner avec la monoparentalité. « En général, alors que la société américaine est devenue plus stratifiée sur le plan socioéconomique, cette inégalité croissante s’est également traduite par une augmentation du nombre de «familles fragiles» et une dégradation de la qualité des pratiques de soins des parents moins favorisés» (McLanahan & Jencks, 2015, Spring; Willcox & Wang, 2017). Précisions sur ce que les auteurs appellent une famille fragile : des parents non mariés, qui cohabitent ou non, un couple avec des liens qui apparaissent distendus. Aux USA, ces parents sont en général plus jeunes, plus pauvres, moins éduqués, non blancs. Cette image socio-démographique est peut-être spécifique à la société américaine. En France, on trouve des couples non mariés dans toutes les strates sociales. Mais il est vrai que les familles monoparentales au sens strict (effacement de l’un des deux parents, en général le père) sont statistiquement plus représentées dans les familles populaires, et le taux de monoparentalité, notamment chez les mères de très jeunes enfants, est plus élevé dans les familles d’origine étrangère.
D’où cette question des auteurs : quelle est la nature de l’association entre des inégalités économiques croissantes et l’augmentation de ces familles aux liens fragilisés ?
Ils avancent une hypothèse : les changements économiques avec la mondialisation ont conduit à une augmentation du niveau de qualification des employés dans l’industrie américaine et entraîné le déclin des cols bleus, ces emplois auparavant occupés par des hommes peu diplômés. Moins d’hommes sont aujourd’hui en capacité de percevoir le minimum standard de revenus stables qui en feraient des partenaires de vie désirables. A quoi il faut ajouter que les homes les plus pauvres ont aussi très souvent des antécédents carcéraux, des troubles de santé mentale, une mauvaise santé physique et plus de difficultés à prodiguer une stabilité émotionnelle à leur compagne et leurs enfants. Les auteurs évoquent aussi les changements de mœurs qui ont conduit à une déstigmatisation des enfants nés hors mariage et à une baisse générale du mariage. Ils notent qu’il ait possible que cette évolution des mœurs et des normes ait davantage impacté les milieux les moins aisés.
En tous cas de nombreuses études américaines mettent en avant que les enfants de ces familles « fragiles » se développent moins bien. Comment l’expliquer ? Ces familles sont financièrement moins dotées que les autres. Elles ont donc moins accès aux services de suivi médical et psychologique. Les parents sont davantage stressés par le conflit conjugal, la difficulté économique, la discrimination raciale ou économique et se montrent peut-être moins réceptifs aux besoins de leur enfant. Ces parents souffrent davantage de problèmes de santé mentale.
On relèvera ici que c’est bien l’association entre un plus faible statut socio-économique et la monoparentalité qui semble avoir un effet délétère sur les enfants, comme nous le relevions dans un précédent article.
Les effets de la monoparentalité sur les garçons
Les garçons vivant dans ces familles « fragiles » sont-ils davantage impactés ? Selon des recherches de Harpe et McLanahan (2004), cités par les auteurs de l’article, une fois contrôlés tous les autres facteurs, il apparaît que les garçons dans les familles où le père est absent, ont un risque significativement plus élevé d’incarcération que les autres. Des études montrent que les garçons qui grandissent dans des familles pauvres, monoparentales avaient moins de chances d’être en situation d’emploi à la vingtaine que les filles élevées dans les mêmes circonstances. Ou que parmi les enfants afro-américains, les garçons présentent une moins bonne mobilité économique comparés à des enfants blancs et aux filles afro-américaines et que ces différences de mobilité s’atténuent dans les communautés présentant de plus faibles taux de pauvreté, moins de biais raciaux, et davantage de présence paternelle. Une autre étude conclut que « les garçons nés d’une mère célibataire avec un faible niveau d’éducation ont un plus grand risque d’absentéisme scolaire et de problèmes de comportement en élémentaire et au collège ».
Ce sont tous ces angles, psychologiques, neurobiologiques, sociétaux qui sont abordés dans ce numéro de IMHJ. Et c’est vraiment très instructif.
* « The early biopsychosocial development of boys and the origins of violence in males », Paul Golding Hiram E. Fitzgerald, in Infant Metal Health Journal, Janvier 2019