Comme pour l’école ou le logement social, la mixité est une question d’équilibre et de seuils. Ce que confirme Florence Mennillo, directrice d’une des crèches Apprentis d’Auteuil de Marseille. « Dans ma section de « moyens » où je peux accueillir de 7 à 10 enfants, si j’en ai 7 dont un seul parent travaille avec en plus des problèmes annexes, je vais accepter derrière une famille dont je peux supposer qu’elle n’a pas trop de difficultés. Ne serait-ce que parce qu’une de mes premières missions est de protéger mon équipe. »
Le soutien à la parentalité au cœur des crèches des Apprentis d’Auteuil
A Marseille comme à Pierrefitte, l’idée est en tous cas d’accueillir les parents autant que les enfants, de la façon la plus individualisée possible (sur le sujet, lire aussi notre compte-rendu du colloque Zoeki sur l’accompagnement des parents. A l’Arche de Noé les arrivées sont échelonnées jusqu’à 10h30 le matin pour s’adapter aux familles non actives ou avec des horaires atypiques. Il faut se mettre au diapason d’un public (encore) mixte et de la diversité de ses attentes.
Certains parents sont très demandeurs de conseils, d’autres ne veulent au contraire pas d’intrusion. Néanmoins, pour Christelle Dias, le soutien à la parentalité fait bien partie de ses missions. « Tous n’ont pas les mêmes capacités à répondre aux besoins de leurs enfants, nous sommes là à côté d’eux, sans les infantiliser, en nous ajustant en permanence, en développant la confiance des parents dans leurs propres compétences, nous veillons à ce que ça ne chancelle pas trop. » Café des parents, temps de rencontre autour de la santé de l’enfant, sorties en présence des familles… la structure multiplie les moments d’échange et de partage. « Cette attention portée aux parents, je n’ai pas vu ça ailleurs », témoigne Laurence, CAP petite enfance, salariée à l’Arche de Noé.. « C’est pour ça aussi que nous nous limitons à 20 places, remarque Christelle Dias. A un moment il faut choisir sa priorité : accueillir beaucoup d’enfants ou réussir à créer un lien.»
Comment concilier l’accueil de qualité avec la pression des taux de remplissage ?
Une réflexion qui renvoie notamment à la question du taux de remplissage qui a beaucoup agité l’univers de la petite enfance ces dernières années. Les pressions institutionnelles et politiques ont en effet été de plus en plus fortes pour contraindre les EAJE à accueillir davantage d’enfants pour répondre aux besoins de garde des familles, au risque de la surcharge (le fameux décret Morano toujours pas abrogé). La Cour des comptes en a rajouté une couche en 2013 en pointant le trop faible taux de remplissage des crèches alors qu’existent un peu partout des listes d’attente de parents désemparés voire désespérés.
Dans le privé fleurissent des sociétés spécialisées dans la réservation de places de dernière minute, pour remplir les trous laissés par des enfants absents, et permettre de rentabiliser la place pendant deux heures, une matinée ou une journée entière. Quand on fait de la dentelle, en tissant patiemment un lien de confiance avec une famille et en garantissant un accueil securisé pour l’enfant, cette pression économique est forcément mal vécue. D’où la constitution en 2009 du collectif « pas de bébés à la consigne » pour dénoncer cette obsession de la rentabilité incompatible avec des modes d’accueil de qualité.
« Une structure de 30 berceaux est plus rentable qu’une structure de 20 berceaux parce qu’on va accueillir davantage d’enfants avec la même quantité de personnel, pose Christelle Dias. Mais pour être au plus près de l’enfant, pour être précis dans ce qu’on fait, mieux vaut se limiter à 20. »
Individualiser la relation à l’enfant au sein du groupe, une priorité
Surtout quand le vrai défi au quotidien c’est « l’accompagnement individuel de l’enfant dans le collectif ». Or, en crèche le groupe est très présent et miser sur la prise en charge individualisée requiert une vraie réflexion.
A Marseille, dans la structure gérée par Florence Menillo pour les Apprentis d’Auteuil, c’est un sujet central. Là aussi on estime que le nombre d’enfants accueillis doit d’autant plus être limité que l’environnement familial parfois très lourd de ces bébés impacte considérablement leur comportement et leur capacité, ou leur envie, à exister au sein d’un groupe. « Nous mettons à leur libre disposition des coins multiples partout dans la crèche, avec des jeux en petites quantités à leur libre portée, explique la directrice. Ainsi, un enfant dont les émotions « débordent » un matin a la possibilité de s’extraire du groupe le temps qu’il faut et de se concentrer sur un puzzle, des perles ou des legos jusqu’à ce qu’il se sente à nouveau en capacité de communiquer. De même, si la charge émotionnelle se fait trop lourde à un moment ou à un autre de la journée, chacun peut se retirer sur le tapis de rassemblement avec un livre, un coussin et son doudou. Des petites tables sont disséminées dans la structure pour que chacun puisse s’y retrouver seul si nécessaire, ou en petits comités pour faciliter une communication en nombre restreint par exemple.»
A Pierrefitte aussi les ateliers en petits groupes, à raison de deux enfants pour un adulte, dans une pièce fermée pour permettre un réel isolement, sont privilégiés. Cette attention portée à l’individualisation risque d’étonner les parents. Tous, quasiment, plébiscitent en effet les modes d’accueil collectif, notamment parce qu’ils sont supposés être bien plus propices au développement de la… socialisation.
Merci à Christelle Dias et à toute son l’équipe de l’Arche de Noé de nous avoir accueillies. Merci aux enfants et à leurs parents. Et mes chaleureux remerciements à Francine Bajande, auteure du reportage photo, pour sa très précieuse collaboration.