Ces crèches qui accueillent tous les enfants
Date
11 mars, 2015
Catégorie
Enfance
Auteur
Gaëlle Guernalec-Levy
Photo/Illustration
Francine Bajande

Article initialement mis en ligne le 11 mars 2015 sur le blog Enfances en France

Les modes d’accueil du jeune enfant constituent un instrument efficace de conciliation entre la vie privée et la vie professionnelle. Mais ils apparaissent aussi, de plus en plus, comme un instrument de lutte contre les inégalités. Accueillir des enfants pour permettre la réinsertion professionnelle de leurs parents est une priorité pour certaines structures, ainsi que l’accompagnement à la parentalité.

 

Des bébés qui rampent, pleurent, rient, font la sieste, du mobilier coloré, des locaux sécurisés, des règles d’hygiène, des rituels… A priori une crèche comme les autres. Sauf que cette structure là, « l’Arche de Noé » à Pierrefitte (93), est gérée par la fondation des Apprentis d’Auteuil. Si l’association fondée en 1866 est un acteur bien connu de la protection de l’enfance, elle est moins attendue dans le secteur des modes de garde. L’occasion a, en quelque sorte, fait le larron. « Il s’agit d’une conjonction d’opportunités, explique Marie de Saint-Laurent, directrice d’Auteuil petite enfance. Nous avions d’abord repris une grosse association à Marseille qui gérait notamment une crèche, puis nous avons été sollicités par une autre municipalité. Accompagner les parents dès la petite enfance cela fait de toute façon  totalement sens pour nous

Les modes de garde au service de la conciliation vie pro/vie perso et de l’égalité sociale

Ce nouveau positionnement des Apprentis d’Auteuil est intéressant car il rejoint l’évolution du regard porté sur les modes d’accueil depuis quelques années. La prise en charge des moins de trois ans apparaît de plus en plus comme relevant au moins autant de la politique sociale que de la politique familiale stricto sensu. Le développement quantitatif des solutions d’accueil a toujours pour but de permettre la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle des parents actifs mais une nouvelle mission des modes d’accueil prend de plus en plus d’ampleur: contribuer à réduire les inégalités qui se creusent très tôt, en prenant en charge les enfants des familles les plus démunies, qu’elles soient en activité ou pas (et la plupart du temps elles ne le sont pas).

Deux objectifs sont poursuivis : favoriser l’insertion professionnelle de la mère et offrir à l’enfant un environnement stimulant. Cette volonté de rendre accessibles les modes d’accueil aux ménages les moins aisés repose en grande partie sur les crèches. Dans un rapport rendu public en novembre 2013, la Cour des Comptes avait montré que 64% des enfants de ménages aisés étaient gardés à l’extérieur de la famille contre 8% des familles les plus modestes et le même rapport l’expliquait de la façon suivante : les aides à la garde d’enfant et les dispositions fiscales, en ce qui concerne la garde à domicile et le recours aux assistantes maternelles, favorisent davantage les plus riches. Des dispositifs comme l’instauration d’un tiers payant lors du recours à une assistante maternelle sont en cours d’expérimentation.

 Objectif : 10% d’enfants pauvres en crèches

Mais pour le moment, ce sont bien les établissements d’accueil du jeune enfant (EAJE) qui sont en première ligne sur le front social. Ce qui s’est notamment traduit par le fameux « 10% d’enfants pauvres dans les crèches » annoncé en son temps par Jean-Marc Ayrault. Avec ce pourcentage, le premier ministre de l’époque doublait l’objectif fixé par la loi. L’article L. 214-7 du code de l’action sociale et des familles impose en effet déjà aux EAJE de prévoir l’accueil «des enfants à la charge des personnes engagées dans un parcours d’insertion sociale et professionnelle, pour leur permettre de prendre un emploi, de créer une activité ou de participer aux actions d’accompagnement professionnel qui leur sont proposées ». Et l’article D. 214-7 du même code précise que le nombre de places ainsi garanties ne peut être inférieur à une place par tranche de 20 places d’accueil, soit 5% des enfants accueillis.

Cette prise en compte des ménages les plus pauvres a été réaffirmée en avril 2014 dans un document mis en ligne sur le site caf.fr et qui stipule : « Les Caf doivent veiller à ce que toutes les « crèches de quartier » bénéficiant de la Psu s’assurent que les enfants de parents engagés dans un parcours d’insertion sociale et professionnelle, dont les ressources sont inférieures au montant forfaitaire du Rsa puissent aisément accéder à une place d’accueil. (…)les gestionnaires doivent veiller à ce que la mixité sociale soit garantie et que les enfants de familles en situation de pauvreté puissent être effectivement accueillis au sein des Eaje.»

Dans son rapport de 2013, La Cour des Comptes notait que peu d’établissements étaient capables de faire la preuve qu’ils réservaient bien un quota de places aux familles précaires ou en réinsertion et que les municipalités étaient finalement peu nombreuses à avoir adopté un système d’attribution de places clair, transparent et affichant des critères de priorité à caractère social.

Pourtant, une publication de l’INED en septembre 2014 montrait une surreprésentation dans les EAJE des enfants dont la mère est au chômage et notait également que « les enfants de mères de nationalité étrangère, non gardés par la famille, sont plus fréquemment en crèche que ceux nés de parents français ». Dans l’un des graphiques de ce document, il apparaît par exemple que parmi les enfants dont les parents ont recours à un mode d’accueil extérieur, ceux dont les mères sont au chômage pour une durée de moins d’un an ont 42% de chance d’être accueillis en crèche, contre 29% pour les enfants dont les mères sont salariées du secteur public et 25% lorsque la mère est salariée du privé. Le même document relevait en revanche que la monoparentalité ne faisait pas l’objet d’une attention particulière, malgré les alertes régulières sur la fragilité des mères isolées.

Les Apprentis d’Auteuil en phase avec les nouvelles missions de la petite enfance

Pour les Apprentis d’Auteuil en tous cas, le principe est revendiqué. S’il ne s’agit pas explicitement de cibler les bébés des familles en difficulté, l’idée est bien de s’implanter « là où les difficultés sont les plus marquées ». Ce qui revient donc souvent au même, comme à Marseille où l’une des crèches, installée au cœur d‘une cité sensible, recrute la plupart des familles dans l’environnement immédiat. Pour la plupart il s’agit de foyers en difficulté, où seul l’un des parents travaille.

Pour l’arche de Noé, à Pierrefitte, dans le 93, la situation est particulière, la population accueillie moins vulnérable. Pour une raison simple : pour une bonne part des places, la structure ne procède pas elle-même aux inscriptions des parents, et ça change tout. Les attributions passent par la mairie qui a mis en place un guichet unique pour l’ensemble des crèches de la ville. Les demandes des familles sont examinées par une commission. L’avantage : un processus plus transparent et plus simple pour l’ensemble des parents. L’inconvénient : la difficulté pour l’unique crèche associative de la ville de faire prévaloir la spécificité de son projet éducatif, notamment lorsque celui-ci repose en partie sur le profil des familles accueillies.

« Aujourd’hui 65% des familles que nous recevons sont bi-actives, nous avons une maman en réinsertion, quatre mamans seules, détaille Christelle Dias, la directrice de l’Arche de Noé. Il y a un ou deux ans encore, quand nous choisissions nous-mêmes toutes les familles, les chiffres étaient différents. Ca se ressent d’ailleurs dans les sections. Chez les « grands » il y a davantage de parents en situation de précarité que chez les « petits ». En commission j’essaie de faire vivre mon projet en défendant l’accueil des familles en réinsertion

« Les crèches où on n’accepte pas les dossiers des parents qui ne travaillent pas sont encore nombreuses, assure Céline, EJE à l’Arche de Noé. Or, un parent qui cherche du travail a aussi besoin de cette place. Lorsque l’un d’entre eux vient nous voir et nous dit « j’ai trouvé un poste », on se dit que ça vaut vraiment la peine de se battre pour ce principe»

La mixité, une question d’équilibre

Pour autant, bien qu’attachée à la philosophie des Apprentis d’Auteuil axée sur l’accompagnement des jeunes et des familles fragilisés, Christelle Dias (photo ci-dessous) tient à ouvrir ses portes aux couples bi-actifs  pas particulièrement précaires. « Les places à temps plein leur sont réservées. Car refuser une place à une femme qui travaille et qui va se retrouver sans mode de garde c’est l’inciter à prendre un congé parental par défaut. Ce qui n’est pas bon pour son évolution professionnelle, pas bon pour l’égalité homme/femme

 

Comme pour l’école ou le logement social, la mixité est une question d’équilibre et de seuils. Ce que confirme Florence Mennillo, directrice d’une des crèches Apprentis d’Auteuil de Marseille. « Dans ma section de « moyens » où je peux accueillir de 7 à 10 enfants, si j’en ai 7 dont un seul parent travaille avec en plus des problèmes annexes, je vais accepter derrière une famille dont je peux supposer qu’elle n’a pas trop de difficultés. Ne serait-ce que parce qu’une de mes premières missions est de protéger mon équipe. »

Le soutien à la parentalité au cœur des crèches des Apprentis d’Auteuil

A Marseille comme à Pierrefitte, l’idée est en tous cas d’accueillir les parents autant que les enfants, de la façon la plus individualisée possible (sur le sujet, lire aussi notre compte-rendu du colloque Zoeki sur l’accompagnement des parents. A l’Arche de Noé les arrivées sont échelonnées jusqu’à 10h30 le matin pour s’adapter aux familles non actives ou avec des horaires atypiques. Il faut se mettre au diapason d’un public (encore) mixte et de la diversité de ses attentes.

Certains parents sont très demandeurs de conseils, d’autres ne veulent au contraire pas d’intrusion. Néanmoins, pour Christelle Dias, le soutien à la parentalité fait bien partie de ses missions. « Tous n’ont pas les mêmes capacités à répondre aux besoins de leurs enfants, nous sommes là à côté d’eux, sans les infantiliser, en nous ajustant en permanence, en développant la confiance des parents dans leurs propres compétences, nous veillons à ce que ça ne chancelle pas trop» Café des parents, temps de rencontre autour de la santé de l’enfant, sorties en présence des familles… la structure multiplie les moments d’échange et de partage. « Cette attention portée aux parents, je n’ai pas vu ça ailleurs », témoigne Laurence, CAP petite enfance, salariée à l’Arche de Noé.. « C’est pour ça aussi que nous nous limitons à 20 places, remarque Christelle Dias. A un moment il faut choisir sa priorité : accueillir beaucoup d’enfants ou réussir à créer un lien

Comment concilier l’accueil de qualité avec la pression des taux de remplissage ?

Une réflexion qui renvoie notamment à la question du taux de remplissage qui a beaucoup agité l’univers de la petite enfance ces dernières années. Les pressions institutionnelles et politiques ont en effet été de plus en plus fortes pour contraindre les EAJE à accueillir davantage d’enfants pour répondre aux besoins de garde des familles, au risque de la surcharge (le fameux décret Morano toujours pas abrogé). La Cour des comptes en a rajouté une couche en 2013 en pointant le trop faible taux de remplissage des crèches alors qu’existent un peu partout des listes d’attente de parents désemparés voire désespérés.

Dans le privé fleurissent des sociétés spécialisées dans la réservation de places de dernière minute, pour remplir les trous laissés par des enfants absents, et permettre de rentabiliser la place pendant deux heures, une matinée ou une journée entière. Quand on fait de la dentelle, en tissant patiemment un lien de confiance avec une famille et en garantissant un accueil securisé pour l’enfant, cette pression économique est forcément mal vécue. D’où la constitution en 2009 du collectif « pas de bébés à la consigne » pour dénoncer cette obsession de la rentabilité incompatible avec des modes d’accueil de qualité.

« Une structure de 30 berceaux est plus rentable qu’une structure de 20 berceaux parce qu’on va accueillir davantage d’enfants avec la même quantité de personnel, pose Christelle Dias. Mais pour être au plus près de l’enfant, pour être précis dans ce qu’on fait, mieux vaut se limiter à 20. »

Individualiser la relation à l’enfant au sein du groupe, une priorité

Surtout quand le vrai défi au quotidien c’est « l’accompagnement individuel de l’enfant dans le collectif ». Or, en crèche le groupe est très présent et miser sur la prise en charge individualisée requiert une vraie réflexion.

A Marseille, dans la structure gérée par Florence Menillo pour les Apprentis d’Auteuil, c’est un sujet central. Là aussi on estime que le nombre d’enfants accueillis doit d’autant plus être limité que l’environnement familial parfois très lourd de ces bébés impacte considérablement leur comportement et leur capacité, ou leur envie, à exister au sein d’un groupe. « Nous mettons à leur libre disposition des coins multiples partout dans la crèche, avec des jeux en petites quantités à leur libre portée, explique la directrice. Ainsi, un enfant dont les émotions « débordent » un matin a la possibilité de s’extraire du groupe le temps qu’il faut et de se concentrer sur un puzzle, des perles ou des legos jusqu’à ce qu’il se sente à nouveau en capacité de communiquer. De même, si la charge émotionnelle se fait trop lourde à un moment ou à un autre de la journée, chacun peut se retirer sur le tapis de rassemblement avec un livre, un coussin et son doudou. Des petites tables sont disséminées dans la structure pour que chacun puisse s’y retrouver seul si nécessaire, ou en petits comités pour faciliter une communication en nombre restreint par exemple

A Pierrefitte aussi les ateliers en petits groupes, à raison de deux enfants pour un adulte, dans une pièce fermée pour permettre un réel isolement, sont privilégiés. Cette attention portée à l’individualisation risque d’étonner les parents. Tous, quasiment, plébiscitent en effet les modes d’accueil collectif, notamment parce qu’ils sont supposés être bien plus propices au développement de la… socialisation.

Merci à Christelle Dias et à toute son l’équipe de l’Arche de Noé de nous avoir accueillies. Merci aux enfants et à leurs parents. Et mes chaleureux remerciements à Francine Bajande, auteure du reportage photo, pour sa très précieuse collaboration.