Dès le départ Laurence Imbert Germain souhaitait donc que soient réunies peinture et musique et que l’échange artistique avec l’enfant, échange essentiellement non-verbal, intègre le parent. « C’est dans les bras de ses parents qu’un bébé est le plus en sécurité, qu’il est le plus à même de faire des découvertes ».
Les artistes sont sélectionnés sur la qualité et l’originalité de leur univers et pas sur leurs connaissances en puériculture ou leur répertoire de comptines. « Ce qui m’importe c’est l’ouverture d’esprit, avance Laurence Imbert Germain. Je préfère quelqu’un qui ne connaît pas la petite enfance plutôt qu’un intervenant plein d’a-priori qui vont l’enfermer. Je préfère quelqu’un qui écrit le livre à partir des enfants qu’il voit plutôt qu’un artiste qui ramène les enfants à ce qui est écrit dans les livres.»
Accueillir les parents sans étiquette
Mille et Une Couleurs s’inscrit-elle pleinement dans des actions d’accompagnement à la parentalité ? Oui, totalement, même si Laurence Imbert Germain en a pris conscience après coup. « Quand j’ai créée l’association, l’expression n’était pas encore à la mode, on ne verbalisait pas les choses comme ça ». Elle se méfie des expressions consacrées qui parfois peuvent enfermer. « Rompre l’isolement », par exemple.
« Evidemment, quand un bébé arrive, les repères sont chamboulés et si on ne fait pas partie d’un réseau, si la famille est éloignée, ça peut être difficile. Le bus permet de rencontrer d’autres personnes. Nous participons pleinement à la création du lien. Mais je ne passe pas mon temps à chercher des problèmes chez les gens, au contraire, nous cherchons à mettre en avant leurs compétences.»
Les parents ne viennent pas pour parler de leurs difficultés, ils viennent pour partager un moment hors du temps avec leur bébé. L’équipe sait peu de choses de leur vie, ces voyageurs de l’après-midi ne portent ni bagage ni étiquette.
« A l’arrière du bus, on peut s’imaginer que tout le monde va bien, les familles vivent un moment d’évasion qui ne les ramène pas à leurs difficultés », explique Laurence Imbert Germaine qui ne se voit clairement pas comme un travailleur social. Sa mission n’est pas là.
« Nous travaillons en toute conscience du monde dans lequel nous vivons et des difficultés que peuvent rencontrer les parents, précise-t-elle. Nous ne posons pas de diagnostic sur les familles que nous accueillons, nous ne leur donnons pas de conseils (mais nous pouvons éventuellement leur donner les coordonnées d’autres lieux s’ils en expriment le besoin). Notre travail est de leur offrir des temps, des espaces, des outils, pour se retrouver, et trouver leurs propres réponses (être créatif, pouvoir poser un regard personnel sur soi, sur son enfant, et sur le monde). Nous avons choisi de mettre la loupe sur ce qui est trop rarement mis en avant, les compétences de chacun, et de participer à les arroser, nourrir, pour qu’elles puissent s’épanouir, pour que chaque parent puisse rester vivant auprès de son enfant. »
En cela finalement, le Bus des Mille et Une couleurs s’inscrit parfaitement dans la philosophie de l’accompagnement à la parentalité à la française, mise en exergue par la plupart des grands acteurs de ce champ, et rappelée dans le récent rapport du Haut Conseil à la Famille ou celui de Sylviane Giampino remis à Laurence Rossignol en juin dernier : cet accompagnement se veut universaliste plutôt que ciblé, offert à toutes les familles quelles que soient leurs conditions de vie, non prescriptif, non dogmatique. La mise en valeur des compétences des parents et leur réassurance est privilégiée plutôt que l’imposition d’une norme qui définirait une « bonne parentalité ».
Les parents changent, ou pas, la magie reste
La fondatrice et responsable de l’association ne se pose pas non plus en sociologue de la parentalité, ne cherche pas les différences entre les parents des villes et des champs, « un parent reste un parent », rechigne à dresser des constats sentencieux. Même si, bien sûr, certains réflexes ont pu la laisser interloquée. Comme ce jour où le parent d’un bébé d’un an et demi a donné son smartphone à l’enfant de peur que celui-ci ne s’ennuie. Pour autant, elle ne saurait dire si les parents d’aujourd’hui ont tellement changé, s’ils sont plus inquiets, plus sous pression.
Ce qu’elle continue de voir, ce sont des parents parfois désarçonnés par l’expérience à laquelle ils participent puis qui se laissent porter. Ce sont les réactions saisissantes, toujours inattendues, des tout-petits. C’est une danseuse et un bébé de deux mois capables d’improviser pendant de longues minutes une « danse des pieds » en miroir, sous le regard subjugué de la mère.