Initiative originale du département du Calvados: organiser au sein de l’Université de Caen les premières “francophonies de l’attachement”. Les Québécois étaient à l’honneur ce lundi 11 juin. Parmi les têtes d’affiche il était aussi possible d’écouter Catherine Gueguen.
En ouverture de cette journée, le Président du Département, Jean Léons Dupont cite un adage brésilien -« L’enfance est le sol sur lequel nous marcherons toute notre vie écrivain brésilienne »- et rappelle la démarche menée par le Calvados depuis plusieurs années : création de l’ORCAN en 2004 pour favoriser projet d’adoption des enfants à besoins spéciaux, mise en oeuvre en 2012 d’un outil de sensibilisation à l’intérêt de l’enfant et à l’attachement, immersion au Québec sur le repérage des besoins de l’enfant, formation de 160 agents au repérage des liens d’attachement et à l’étayage des compétences parentales. Il évoque « l’écoute bienveillante, l’absence de jugement, l’empathie » et pose l’objectif de ces francophonies : « mettre en lumière l’importance de l’approche attachement ».
L’attachement, cette théorie qui prend ses distances avec la psychanalyse
Nadine Proia-Lelouey, professeur de psychopathologie, Directrice de laboratoire de Psychologie Caen Normandie propose en introduction un bref rappel théorique sur l’attachement, avec trois temps distincts. Elle évoque en premier lieu les travaux Bowlby sur la perte, le deuil et la séparation, « des questions issues du vaste courant psychanalytique consacré aux relations objectales dont Bowlby va progressivement se dégager pour ancrer sa théorie dans l’observation et l’éthologie ».
Les propositions de Bowlby sont les suivantes : l’enfant humain vient au monde avec une prédisposition à participer aux interactions sociales. Le bébé immature à la naissance a besoin d’attachement précoce. L’amour, loin de produire de la dépendance, permet de s’ouvrir au monde et de l’explorer sans en sentir le danger. Les interactions précoces sont soulignées comme fondamentales pour le développement de l’enfant. Un premier tournant décisif survient avec Mary Maine qui met au point « l’adulte attachement interview », entretien semi-directif qui permet d’interroger les traces des modalités d’attachement dans le discours. L’AAI a pour but de cerner l’état d’esprit actuel de la personne à l’égard des expériences relationnelles de l’enfance.
Puis Peter Conally élabore le concept de mentalisation. Les relations d’attachement seraient cruciales car elles façonneraient les relations ultérieures mais aussi et surtout parce qu’elles permettraient de construire des relations mentales de soi et de l’autre et des représentations des relations. Il s’agit là de la question de la symbolisation et de la capacité réflexive, enjeux de plus en plus cruciaux de la qualité de l’attachement. Enfin, Nadine Proia-Lelouey évoque Jean Laplanche :
« Certes Bowlby a souligné l’importance des liens primordiaux de protection et d’amour dans le développement de l’enfant mais il est important de garder à l’esprit que cette communication au niveau de l’attachement se trouve heureusement ou malheureusement compromise par l’intervention de l’inconscient de l’adulte. » Il s’agit de questions cruciales pour les enfants de l’ASE, qui pour la plupart, ont été « malmenés au cours des interactions précoces et soumis par la parole et les actes à des messages parentaux inconscients destructeurs ». Or, assure-t-elle, « nous aussi éducateurs et soignants avons un inconscient et devons être à l’écoute des messages contre transférentiels. »
L’enfant, cet être immature si dépendant de l’adulte
Jeanne Roy, travailleuse sociale québécoise spécialisée en petite enfance et parentalité, formatrice,auteure de « La trousse de voyage au cœur de l’attachement », présente de son côté les « fondamentaux de l’attachement », « ce lien affectif durable d’un enfant envers l’adulte qui en prend soin et qui permet à l’enfant, surtout dans les moments de détresse, d’interagir avec l’adulte.» Qu’est-ce qu’être enfant, interroge-t-elle. C’est être né pour se lier. C’est avoir un besoin vital de se lier à un adulte et que cet adulte s’occupe de lui en terme de protection et de réconfort. C’est être « vulnérable et authentique, petit, dépendant, exigeant, immature ». On oublie souvent que les enfants sont immatures, avec pléthore de comportements qui illustrent cette immaturité : comportement « égoïste, impulsif, irréfléchi, charmant, fragile, adorable, inattentif, curieux, joyeux, bruyant, imprévisible, attaché, généreux, résistant… » Autant de caractéristiques inhérentes à l’immaturité. « L’enfant a besoin de temps pour apprendre à maturer ». « Qu’est ce qu’un parent, un adulte qui prend soin ? » interroge-t-elle ensuite. C’est être disponible pour prendre soin des besoins quotidiens, c’est aussi une personne avec des droits, des limites, des besoins. « Un enfant n’a pas besoin de vivre avec un rôle ou une fonction mais avec une personne réelle et authentique ». L’adulte est responsable de la qualité de l’interaction du climat familial. Il doit être là pour assurer une sécurité physique et affective dont tous les bébés humains ont besoin.
Jeanne Roy décline les « comportements d’attachement » du bébé: la succion, les pleurs, l’agrippement, le contact visuel, la poursuite visuelle, l’orientation posturale, le sourire et les vocalises.
Les conséquences d’une réponse inadaptée pour le bébé
Le bébé vient au monde avec ces comportements qui font partie de sa trousse attachement.
« Les pleurs sont un appel empli d’espoir. Le bébé s’attend à une réponse. Quand il n’y en a pas il est désespéré. » Les pleurs sont innés. Malheureusement ils sont perçus comme suspects (caprice, manipulation, bébé à bras, il veut de l’attention, bébé gâté, il teste les limites, il fait son intéressant, il fait exprès il veut contrôler).
Qu’est ce que ça signifie sur plan de l’attachement ?
Si la réponse n’est pas adaptée ou ne vient pas, l’enfant se sent abandonné au moment où il appelle à l’aide. Cela engendre un stress incroyable, une sécrétion d’hormones dont le cortisol. Ses figures de consolation le laissent pleurer, il ne comprend pas. « Si cela se répète régulièrement, l’enfant va avoir la croyance qu’il ne vaut pas la peine d’être consolé, qu’il n’a pas de valeur. »
Jeanne Roy évoque un « besoin primaire ». « L’enfant est affamé de relations, de proximité. Ensuite il va explorer. La première saison de l’être humain c’est la dépendance. Si enfant est nourri il va s’aventurer dans le monde. » Il s’agit d’un instinct qui vise la proximité. Quand l’enfant perçoit la menace, l’inconfort, il est en détresse, il a besoin de cette proximité, c’est vital.
L’enfant s’attache « de toute façon ». Il n’y a pas de petit attachement. Mais parfois l’attachement se met en place de façon insécurisante. Seul l’enfant est attaché. C’est un lien dirigé du plus faible vers celui qui protège. L’adulte prodigue des soins. Le versant parental de l’attachement est un lien de soins. L’adulte priorise les besoins du petit, il répond à la détresse, il réconforte, il apaise, il détend l’enfant pour qu’il puisse explorer.
Quels sont ces comportements de soins ? S’approcher de lui, le coller sur soi, le regarder, lui parler, lui apporter du confort, lui offrir gentiment de l’aide, lui assurer un refuge paisible, cultiver sa confiance, le bercer, lui porter attention.
Quand on est petit, il est nécessaire de « capturer » l’adulte pour qu’il s’occupe de nous. Malheureusement tous les enfants ne sont pas attachés de façon sécurisante. Comment s’y prendre pour faire de l’accompagnement qui sécurise le grand qui va sécuriser le petit ?
Les différents types d’attachement
Jeanne Roy énumère les styles d’attachement, ces manières d’être quand on est en détresse, quand on est stressé, quand on est en relation avec nos enfants, avec notre partenaire de vie.
L’attachement insécurisé évitant : l’enfant n’a pas confiance en la sensibilité de sa figure d’attachement. Il met de côté ses émotions pour garder la proximité. C’est l’image de la tortue. Sous la carapace un corps mou attend d’être deviné, sécurisé.
L’attachement insécurisé résistant : enfant n’a pas confiance en la disponibilité de sa figure d’attachement. Par besoin de proximité il exagère ses émotions, sa méfiance entraîne de la résistance au réconfort. Il développe des stratégies pour garder la proximité avec cette figure peu disponible ou imprévisible dans sa disponibilité.
L’attachement désorganisé/désorienté : Il ne sait pas quoi faire quand il est en détresse. Il se rapproche et ne se sent pas bien, ou il s’éloigne et ne se sent pas bien. Il a peur de sa figure d’attachement. C’est une « peur sans solution » . Parmi les enfants en protection de l’enfance, ce profil revient régulièrement. Au Québec, 80% ont ce profil en protection de l’enfance.
L’enfant sécurisé : quand il a fait le plein de sécurité, il part à l’aventure, il peut explorer, n’a pas de crainte. S’il a peur, il est convaincu que le refuge est là. Quand la dépendance de l’enfant est reçue et accueillie il ne devient pas dépendant, il acquiert une autonomie relationnelle.
Le kangourou représente les deux fonctions de l’attachement.
« L’attachement, poursuit Jeanne Roy, est inscrit profondément dans le système nerveux central. L’attachement se fait, comme le développement, du bas vers le haut. L’enfant doit ressentir physiquement la sécurité, l’émotion. Si cette émotion se répète, dans son néo cortex, il va avoir la croyance profonde qu’il a une valeur, il va avoir un sentiment de sécurité, il va savoir qu’il est digne. »
Les connexions entre attachement et neurosciences affectives et sociales
Catherine Gueguen, pédiatre spécialisée dans le soutien à la parentalité, devenue célèbre pour son immense travail de vulgarisation sur l’apport des neurosciences dans les connaissances sur le développement de l’enfant, a elle aussi été invitée à participer à ces francophonies. Sa conférence porte sur les passerelles entre l’attachement et les neurosciences cognitives et sociales.
« En France nous sommes est très forts en neurosciences cognitives, commence-t-elle, moins sur les neurosciences affectives et sociales qui s’intéressent aux mécanismes cérébraux des émotions ».
Que se passe t il quand nous sommes avec d’autres humains et quand on éprouve des émotions ?
Nous avons tous besoin d’être écoutés, compris, soutenus et encouragés. Les neurosciences affectives et sociales le confirment au niveau scientifique. Ce qui aide le cerveau de l’enfant à se développer de façon optimale : une relation avec l’adulte empathique, soutenante et aimante.
Une grande partie de notre cerveau est dévolue aux relations sociales.
Chaque relation vécue par l’enfant modifie en profondeur son cerveau, la sécrétion des molécules cérébrales, la myélinisation, les synapses, la connexion entre les neurones, les structures cérébrales elles-mêmes, les télomères. Le cerveau de l’enfant est beaucoup plus vulnérable, immature et malléable que ce qu’on imaginait. Le stress abîme le cerveau. Quand le stress est important et prolongé, il diminue la neurogenèse, il atteint substance grise et blanche, diminue les dendrites, les connexions entre les neurones, la myélinisation, il peut même détruire les neurones. Mais la malléabilité permet la résilience.
Impact du stress et facteurs de résilience
Le cortex orbito-frontal (COF) qui apaise les émotions n’est pas encore développé chez l’enfant petit. Le COF nous différencie des grands singes. Il sert à la réflexion, au raisonnement, à planifier, à avoir conscience de nous mêmes, à l’empathie. Il permet l’affection.
Les enfants très stressés peuvent avoir une atteinte du cortex orbito frontal, plus tard des difficultés à aimer, à réguler les émotions, à développer un sens moral et éthique, à faire des choix. L’hippocampe peut lui aussi être abîmé par le stress. Il est surtout actif à partir de 3-5 ans et a une place centrale dans apprentissages. Quand l’enfant subit des humiliations verbales ou physiques, cela diminue le volume de l’hippocampe.
Quelles sont les grands périodes de fragilité ? La vie intra utérine d’abord. Ensuite le stress des premières années entraîne des troubles de l’humeur chez l’enfant, a des répercussions sur sa vie d’adulte (hypersensibilité au stress). Il faut permettre aux enfants de résilier le plus vite possible.
Le stress modifie l’expression des gènes. Le stress des mères retentit sur les enfants, se transmet de générations en générations cliniquement et génétiquement. Mais par la résilience on peut aussi modifier le mécanisme dans le bon sens.
Catherine Gueguen l’assure : les premières années de vie sont déterminantes. Les négligences entraînent des répercussions irréversibles (addictions, troubles du comportement, conduites antisociales, dépression, suicides). Les négligences et abandons précoces entraînent des troubles sévères de la régulation des émotions, peuvent faire émerger des maladies chroniques et auto immunes. Le médecin évoque la maltraitance émotionnelle, tout comportement ou parole qui rabaisse l’enfant, le critique. « Lui faire peur, lui procurer un sentiment d’isolement ou de honte, l’ignorer, ne pas réponde à ses besoins, le traiter de nul, irresponsable, paresseux ». Cette maltraitance diminue le COF. « Ce sont des paroles qu’on ne supporterait pas de notre conjoint, de nos collègue et amis. » Pour Catherine Gueguen, « il faut soustraire l’enfant le plus tôt possible de son milieu maltraitant. Plus il y reste plus risque de séquelles graves est important ». « Les magistrats me demandent de faire partie de leur formation continue. Je vais leur dire ça. » Ces derniers propos suscitent des applaudissements nourris dans la salle.
Elle poursuit : les effets sont réversibles si les enfants sont adoptés dans une famille empathique, aimante et soutenante avant l’âge de deux ans. Il faut agir le plus tôt possible.
Catherine Gueguen apporte une précision importante. Certes la maturation du COF dépend de l’entourage de l’enfant. Mais nous ne sommes pas égaux face à la résilience. Le facteur génétique compte. Le tempérament de l’enfant joue un très grand rôle.
Le tempérament c’est l’émotivité, le niveau d’énergie, la capacité d’attention, l’adaptabilité au changement, l’attirance ou non pour des personnes nouvelles.
Dans le monde quatre enfants sur cinq seraient soumis à une discipline violente verbale ou physique, d’après l’UNICEF. « Au départ les parents pensent bien faire. Je n’en veux pas aux adultes. Il y des parents en grande souffrance qui disjonctent. » Dans de nombreux pays (Maghreb, Afrique, certains pays d’Asie) les enfants sont battus, voire torturés, à l’école.
Elle évoque une trentaine d’études sur les éducations punitives et sévères et leurs effets : des enfants et adolescents qui deviennent insensibles, durs, sans empathie, anti sociaux, en proie aux addictions, porteur de troubles des apprentissages.
Les bienfaits de l’empathie
Puis elle cite les travaux de Jean Decety sur l’empathie et ses trois facettes. L’empathie affective : sentir, partager les émotions les sentiments d’autrui sans être dans la confusion entre soi et les autres. L’empathie cognitive : comprendre les émotions et pensées d’autrui. La sollicitude empathique qui nous incite à prendre soin du bien-être d’autrui. « L’empathie et l’attachement sécurisé pour moi, c’est la même chose, assure-t-elle. Empathie, attachement et émotions sont indissociables. »
Chaque fois qu’un adulte est empathique, il rassure, il console, il valorise, il donne sa confiance à l’enfant. Avec une présence douce, chaleureuse, un ton de voix calme compréhensif. Elle l’assure : la voix, le regard des familles d’accueil sont importants. Cela va faire maturer le cerveau et va permettre à l’enfant de résilier. « Si l’enfant est dans une famille d’accueil très tôt, et que cette famille est empathique, cela aura les mêmes effets que la mère biologique. » Elle en est persuadée : la parentalité positive (être empathique, chaleureux, soutenant, encourageant) préserve la substance blanche. « Les études sont faites ! Il faut relever nos manches et aider les familles d’accueil. Materner c’est très important, à tous les âges on en a besoin. »
Elle insiste : l’expression des émotions est très importante puisque c’est une façon de calmer l’amygdale cérébrale. Les émotions sont des réactions biologiques face à un événement extérieur. Il n’y a aucun jugement moral à avoir sur nos émotions. En revanche beaucoup d’entre nous n’ont pas appris à exprimer leurs émotions parce que petits, les adules nous ont dit « arrête ton cinéma », avons été empêchés d’exprimer des émotions.
Les compétences sociales et émotionnelles, qui recouvrent la connaissance de nos émotions (pouvoir les nommer, les exprimer sans culpabilité, savoir les réguler) et nos capacités relationnelles sont liées à la réussite scolaire. Permettre à un enfant de développer ces compétences facilite les apprentissages. A la fin de son intervention Catherine Gueguen parle de ce qui a changé sa vie, la communication non violente, mais aussi de la médiation pleine conscience. Elle cite l’économiste James Heckman, qui a démontré le bien-fondé de l’investissement social précoce.
Les échanges entre Québécois et Français se sont poursuivis tout au long de cette journée originale dédiée à cette approche devenue centrale, dans la recherche et dans les pratiques.