Le 29 juin prochain signera l’arrimage officiel de la classe inversée au grand courant des pédagogies actives. L’édition 2018 du CLIC (du 29 juin au 1er juillet à l’Université Paris Descartes), organisée par l’association Inversons La Classe ! déclinera le thème du changement de posture, propice aux échanges avec les acteurs des pédagogies dites actives, qui proposeront une centaine d’ateliers pendant ces trois journées.
L’expression « classe inversée » est de plus en plus connue des enseignants voire du grand public mais génère encore son lot d’idées reçues. Pas étonnant dans la mesure où il n’est pas si aisé de définir cette…méthode ? Approche ? Philosophie ? On peut commencer par poser ce qu’elle n’est pas. « Ce n’est pas un protocole, explique ainsi Héloïse Dufour, présidente d’Inversons La Classe ! Il y a plusieurs pratiques. Pour nous la classe inversée c’est une porte d’entrée, un escalator, un accélérateur de changement. » « Ce n’est pas un courant pédagogique, prévient en écho Adrien Arrous, professeur de lettres-histoire dans une structure de retour à l’école pour des jeunes avec un parcours de décrochage scolaire, membre de l’association. C’est plutôt une décision de praticien. » Si cette appellation générique recouvre des pratiques très différentes, les deux interlocuteurs proposent néanmoins quelques critères qui sont autant d’invariants : des activités en autonomie – notamment pour les tâches cognitives simples, afin de dégager du temps pour les activités plus complexes-, du travail en collaboration et en coopération.
“Cours à la maison, exercices en classe”, un résumé trop réducteur de la classe inversée
Il faut en tous cas en finir avec une vision très simpliste réduisant la classe inversée aux cours à la maison via des capsules vidéo et aux exercices faits en classe. Adrien Arrous précise par exemple qu’en ce qui le concerne, les apprentissages sont réalisés uniquement en classe, avec une succession de temps strictement limités (ce qui serait plus efficace pour la productivité). « J’ai supprimé tous les apports magistraux. Tout se fait au sein de la classe. Les élèves ont un plan de travail. Ils choisissent leurs activités. Il y a une alternance de moments où ils regardent le plan de travail et où je les convoque de façon obligatoire. Le cours n’est pas moins structuré.» Les maîtres mots ? Autonomie des élèves et rétroaction. « C’est parce qu’on a libéré du temps en supprimant les apports magistraux que nous avons du temps pour être à côté de l’élève et lui faire un retour immédiat ». C’est aussi cette organisation, et, souvent, le recours au numérique, qui permet la différenciation pédagogique et le soutien aux élèves les plus en difficultés.
La réduction des inégalités scolaires dans la ligne de mire des “inverseurs”
« Certains inverseurs construisent les parcours différenciés a priori, d’autres repèrent les difficultés et, a posteriori, différencient », précise Adrien Arrous. Une façon de répondre à l’une critiques les plus souvent formulées à l’encontre de cette pratique : parce qu’elle reposerait sur davantage de travail à la maison elle augmenterait les inégalités. « Pour les enseignants qui se lancent, la question des élèves en difficulté est majeure, assure Héloïse Dufour. C’est une des principales motivations. Les études internationales, essentiellement anglo-saxonnes montrent une réduction des inégalités, une meilleure progression des élèves les plus en difficulté. Notre enquête de 2017 auprès de 200 enseignants vient corréler les résultats de la littérature sur ce sujet. D’abord ce dispositif ne se réduit pas à demander aux élèves d’acquérir des notions en dehors de la classe. Ensuite, il ne faut pas oublier d’où on part. S’il s’agissait d’augmenter le travail à la maison, alors oui, on accroîtrait les inégalités. Mais aujourd’hui le travail à la maison fait de toute façon partie de l’école. »
Sur la question du travail en classe et hors la classe, Marcel Lebrun, grand spécialiste de la classe inversée, assurait, lors d’une récente conférence de consensus du CNESCO : « Il faut translater la classe au sein de l’école. Ne pas hésiter à abattre des cloisons pour créer des médiathèques, learning centers où ces élèves peuvent aller travailler. Les leçons ont lieu à l’école, les devoirs en classe.»
Des données probantes émergentes
Qu’en est-il des données de la littérature scientifique ? Dans une revue de littérature effectuée en 2016, Inversons La Classe! avait retenu 20 études (sur 200 passées au crible) pour leurs données chiffrées sur les résultats des élèves. La classe inversée améliorerait les résultats des élèves de 17,3% en moyenne. Treize autres études ont été retenues pour leurs résultats sur la réduction de l’échec scolaire. La classe inversée réduirait ce taux d’échec de 34%. Une revue de littérature publiée en 2016 par des chercheurs de l’Université de Hong-Kong ( et enfin consacrée aux élèves de l’élémentaire et du secondaire (les 6-18 ans), a retenu 15 études menées aux USA, à Taiwan, au Canada, en Angleterre, surtout dans les matières scientifiques. Cinq études montrent que les élèves des classes inversées ont de bien meilleurs résultats que les autres, ou des résultats meilleurs dans certaines dimensions. Quatre études n’ont pas trouvé de différences significatives. Aucune étude recensée ici n’a noté de moins bons résultats ou un effet délétère.
L’intérêt de cette publication est notamment de proposer des préconisations pour une mise en pratique plus efficace :
– permettre un temps de communication élève-professeur avant de se lancer pour bien expliquer l’intérêt, les objectifs, les enjeux, la méthode
– Montrer explicitement aux étudiants comment on apprend à travers la classe inversée
– Utiliser la théorie cognitive de l’apprentissage multimedia pour rendre les vidéos vraiment adaptées à l’apprentissage (plusieurs séquences filmées plutôt qu’une longue vidéo). Le temps de concentration moyen d’un étudiant sur une vidéo est de 6 minutes.
– Bien minuter la charge de travail à la maison. Créer une plateforme d’échanges entre pairs pour – permettre les interactions pendant le travail à la maison.
-Améliorer la connaissance des enseignants concernant ce principe. Préparer le matériel progressivement (expérimenter petit à petit).
-Se préoccuper des élèves qui n’auraient pas d’accès à internet.
-Avoir recours à la gamification pour motiver les élèves.
-Prodiguer un soutien institutionnel aux enseignants
On peut noter également que la rétroaction est au cœur de la classe inversée et que c’est également un des éléments mis en avant pour la réussite des élèves par John Hattie dans sa méta analyse de 2008. Néanmoins, d’autres travaux de recherche sont encore plus que nécessaires. D’abord parce que nombre de ces expérimentations portent plutôt sur les élèves du supérieur et que ces études, souvent anglo-saxonnes, ont une acception plus stricte de la classe inversée que celle des Français.
Des Français qui s’y mettent, de plus en plus, même si le démarrage a été lent. « Sur les cinq dernières années il y a une explosion, assure Héloïse Dufour. En 2013, quand on a commencé à recenser les gens qui s’identifiaient à cette pratique on en a trouvé quelques dizaines. Aujourd’hui, à la mi 2017 ils étaient environ 40.000 enseignants, soit un million d’élèves. Notre travail à Inversons la classe ! A notamment été de fédérer les pionniers. Les gens découvrent qu’ils ne sont pas seuls. Une dynamique a pris. » Pourquoi cette pratique a-t-elle si peu essaimé dans le système scolaire ? Comme piste d’explication, la jeune femme cite un enseignant aujourd’hui convaincu : « Avant les pédagogies actives je voyais ça comme une carte postale de Tahiti : c’est très beau, j’adorerais y aller mais ce n’est pas dans mes moyens. » « Or, poursuit-elle, on n’est pas obligé de modifier toute la classe tout de suite. Il ne s’agit pas d’une déstructuration totale. L’enseignant reste l’architecte des apprentissages.»
C’est ce que montreront, notamment, les intervenants du CLIC du 29 juin au 1er juillet prochain.