Oui les enfants de moins de 3 ans regardent la télévision (un enfant sur deux à 18 mois) et utilisent un écran tactile. Certains (8% des enfants de deux ans) de façon trop massive. Avoir des parents d’origine étrangère ou peu diplômés constitue le facteur majeur d’exposition précoce. Ce sont les principaux résultats, provisoires, concernant la problématique des écrans, présentés ce jour lors d’une journée scientifique dédiée à la cohorte Elfe. D’autres thématiques ont été abordées que nous détaillerons très prochainement. Les publications scientifiques issues de cette cohorte sont de plus en plus nombreuses, essentielles à la compréhension du développement de l’enfant, et permettent à la France de rattraper son retard en matière de données longitudinales. D’où l’importance capitale de maintenir le financement de ces recherches.
Ecrire que ces résultats étaient attendus relève de la litote. Lors de la 2ème journée scientifique de la cohorte Elfe (Etude Longitudinale Française depuis l’Enfance) organisée ce mardi, Jonathan Bernard, chercheur à l’INSERM, a présenté les données relatives à l’utilisation des écrans chez les jeunes enfants, soit des enfants de 2 ans nés en 2011. « Vous connaissez les recommandations ? lance le chercheur à la salle en introduction. Pas d’écran avant trois ans. En réalité ce n’est pas si simple.»
Peu de certitudes issues de la littérature
Il passe en revue les grandes évolutions des usages depuis la télévision regardée en famille aux USA dans les années 50 jusqu’à la pratique individuelle sur le smartphone, évoque les écrans de télévision qui s’agrandissent et les téléphones qui se miniaturisent. Jonathan Bernard énumèrent les effets sur la santé. Ce qui est bien montré pour la télévision: l’activité est sédentaire, va souvent avec le grignotage, et remplace un temps d’activité physique. « Ce n’est pas si simple avec les autres écrans (on peut par exemple regarder son smartphone en marchant) ». Ce qui se dessine : les problèmes de posture prolongée avec la nuque en tension et les troubles musculo-squelettique, les stimulations sensorielles avec des problèmes d’endormissement, les stimulation cognitives, plus ou moins actives ou passives. Il fait référence aux questions, retours du terrain, inquiétudes relatifs aux conduites extrêmes chez de très jeunes enfants associées avec des troubles du neuro développement, rappelle que la littérature « n’est pas certaine », notamment sur « les effets positifs d’une exposition modérée ». Et appelle donc à la « prudence ».
Que sait-on des précédentes études réalisées sur le sujet ? Que les 3-6 ans, en France, seraient exposés aux écrans 1h47 par jour. D’autres travaux étrangers montrent que les enfants de moins de deux ans peuvent être amenés à regarder la télévision ou manipuler un écran. On sait également, note Jonathan Bernard, qu’il existe un « tracking important » : les habitudes acquises tôt persistent dans le temps. Des « facteurs consistants » émergent de ces travaux : les enfants des minorités ethniques seraient davantage exposés. Parmi les facteurs moins consistants (car leur variabilité est grande d’un étude à l’autre) on trouve les revenus du foyer, la dépression maternelle, l’IMC de l’enfant, le temps d’écran des deux parents, l’éducation maternelle. En revanche, avant 5 ans, on ne note pas de corrélation entre le sexe de l’enfant et le temps d’exposition. Le problème des recherches existantes, précise Jonathan Bernard est qu’elles portent sur des études rarement longitudinales, souvent de petite taille, anciennes, et pas françaises.
Près de deux tiers des enfants de deux ans regardent la télévision tous les jours
D’où le très grand intérêt de la cohorte Elfe qui suit plus de 18.000 enfants nés en 2011. L’étude présentée ce jour (non encore publiée, les résultats sont provisoires) concerne 13.495 enfants âgés de deux ans. Les résultats constituent une description des pratiques et pas une analyse des corrélations entre exposition et développement de l’enfant.
Elle met en exergue que la télévision est l’écran le plus regardé par les enfants de deux ans et que deux tiers d’entre eux la regardent tous les jours. L’utilisation de consoles de jeux est quasi inexistante. Concernant les ordinateurs et tablettes, 30% de ces enfants y accèdent de temps en temps, 20% tous les jours ou au moins toutes les semaines. Pour les smartphones, 20% y sont exposés de façon occasionnelle, 10% tous les jours.
Lorsque les enfants regardent la télévision, elle a été introduite à 91% avant 18 mois. La durée médiane est de 30 minutes par jour en semaine, 90 minutes le week end. 8% des enfants de deux ans la regardent plus de deux heures par jour.
Aucune différence n’apparaît selon le sexe. Les différences régionales, elles, sont fortes. Concernant l’usage de la tablette, en Ile de France, un enfant de deux ans sur deux n’est jamais sur une tablette, contre 75,6% dans le grand ouest.
Des différences sociales très fortes
Pour la télévision les enfants dont les deux parents sont nés à l’étranger sont exposés plus fréquemment. La taille d’effet est encore plus forte pour le smartphone et l’ordinateur, avec un différentiel de 20% entre les parents d’origine étrangère et les autres.
Le niveau d’étude maternelle est un facteur majeur des différences d’exposition à la télévision. Les enfants dont la mère a un Bac +2 sont 50% à la regarder tous les jours pour quatre enfants sur cinq chez les mères qui n’ont pas de diplôme après le bac. Le fossé est moins fort pour les autres appareils. On a là une courbe en U : les enfants qui sont le moins exposés au smartphone se retrouvent chez les familles les plus aisées (parce que plus sensibilisées) et chez les plus pauvres (parce que moins équipées).
Jonathan Bernard insiste : « les facteurs sociodémographiques constituent un élément majeur ».
En conclusion il se prononce pour des recommandations unifiées. « Aujourd’hui elles sont floues, viennent de plusieurs sources, pas forcément des instances officielles ministérielles. Il faut réfléchir à avoir un message plus clair avec des limites maximales, comme les recommandations américaines et canadiennes ». L’ Association Américaine de Pédiatrie préconise le « pas d’écran » avant 1,5 ans (sauf chat vidéo) et une heure par jour maximum avec des contenu de qualité et un accompagnement entre 1,5 et 5 ans. Dans la salle, des pédiatres, dont une membre du collectif COSE, qui précise exercer en Seine Saint Denis, plaident pour que soient pris en compte les constats « du terrain ». Elle reconnaît que la population qu’elle reçoit présente ds caractéristiques sociales. « Les parents étrangers pensent vraiment que c’est bon pour les enfants. La Fracture sociale est importante. » « On n’ignore pas les messages qui viennent du terrain, assure le chercheur. La population représentative et la population que vous voyez ne sont pas forcément les mêmes. Il ne faudrait pas affoler les parents qui ont montré 5 minutes de vidéo à leur enfant une fois par semaine. L’une des questions c’est « que remplace le temps d’écran ? » Est-ce de l’activité physique, de la motricité fine ? Ce qui est sûr c’est qu’il y a une limite au delà de laquelle on rentre dans l’addiction. Une exposition modérée, elle, pourrait avoir des effets bénéfiques pour certains enfants.»
Un rapport établi à partir de ces données doit en tous cas être remis à la Direction Générale de la Santé avant la fin 2018.