Le 5 novembre prochain la Fondation pour l’Enfance organise un colloque sur le thème « petite enfance et numérique », avec comme fil conducteur une sensibilisation sans dramatisation. Cette journée sera notamment l’occasion de revenir sur les fondamentaux du développement de l’enfant, d’aborder les questions juridique, la protection des données et l’état du marché concernant l’offre pour les plus jeunes. Lucie Burgat, infirmière puéricultrice, coordinatrice Ile de France pour la société de crèches Les Petits Chaperons Rouges, participera à la première table-ronde de cet événement, dédiée aux pratiques parentales et professionnelles (voir le programme complet). Elle nous fait part de ses constats et de l’accompagnement mis en œuvre pour les parents.
Vous allez intervenir lors du colloque organisé par la Fondation pour l’Enfance le 5 novembre prochain. En quoi ce sujet constitue-t-il une source de réflexion au sein des crèches de votre groupe ?
Lucie Burgat. Nous avons d’une part créé un format de réunions pour les parents il y a 3 ou 4 ans. Le sujet n’était pas encore tellement à la mode mais nous sentions qu’il se passait quelque chose. Notamment parce que des parents avec un premier enfant en avait un deuxième et se trouvaient embêtés : le petit voulait suivre ce que faisait le grand. Nous sommes donc entrés dans le sujet par les fratries. Le cadet a accès aux contenus de l’aîné, cela décale tout en permanence sur la question de l’âge et cela nécessite de faire du tri. D’autre part, en crèche, les professionnelles observent les enfants et en fonction de ce qu’ils font, elles voient très vite si l’enfant a l’habitude de jouer avec un téléphone ou de regarder beaucoup la télévision.
Et que constatez-vous pour ces enfants ?
L.B. Les répercussions se voient sur les enfants au niveau du dessin, du jeu, de la capacité à s’inventer des histoires. Chez ces enfants nous pouvons voir dès lors qu’il y a une consommation excessive des écrans, des troubles du comportement avec une perte de créativité, une incapacité à se créer des jeux, des variations de motricité étonnantes avec des petits qui passent de l’apathie lié au côté hypnotique des écrans au déchaînement moteur.
A quoi ces enfants sont-ils exposés exactement ?
L.B. Dans une de nos sections de 20 enfants, nous avons sept enfants « accros » aux Avengers et Marvel. C’est une catégorie de films pas du tout adaptés à leur âge avec des références à la mort, un rapport distendu à la réalité, du second degré. Et puis des enfants qui passent de nombreuses heures devant un écran, sans début ni fin, dans une continuité absolue. Pour certains les enfants ont accès à la télévision comme ils veulent à la maison, à la télécommande et ils zappent. Une maman m’a expliqué que son enfant s’endormait seul devant la télévision alors qu’elle était déjà partie se coucher.
Ces enfants de moins de trois ans peuvent aussi avoir accès à des contenus à caractère sexuel sans que l’adulte ne s’en rende compte. Ils ne filtrent pas et ils reproduisent. J’ai vu une fillette qui voulait « embrasser les fesses » et qui m’a clairement dit qu’elle faisait « comme à la télé ». Donc à mon sens, c’est un sujet qui deviendra un sujet de santé publique si nous n’agissons pas.
Dans ce que vous décrivez, nous sommes sur une problématique d’éducation, de pratique parentale pas adaptée, plus que d’écrans, non ?
L.B. L’éducation et les écrans ont de mon point de vue un lien. La grande majorité des familles françaises ont au moins une télévision chez eux. Les rares familles n’en ayant pas, ont fait ce choix en parallèle de leurs choix éducatifs. La manière que nous avons d’utiliser la télévision va définir comment nous prenons nos repas, l’heure à laquelle nous nous couchons… Les écrans ont donc un impact sur l’éducation que nous proposons à nos enfants.
Les pratiques et usages sont-ils les mêmes selon le milieu social ?
L.B. Les usages sont plutôt différenciés selon le milieu socio-économique. Dans les milieux plus aisés les parents sont en général assez sensibilisés et les enfants vont, par exemple, plutôt être initiés aux dessins animés bilingues. Dans les quartiers prioritaires, les parents pensent que l’écran est une nécessité. J’ai vu un papa se braquer quand nous avons abordé le sujet parce que pour lui cet usage des écrans allait aider son enfant à s’insérer socialement. C’est davantage dans les milieux économiquement faibles que les enfants sont orientés vers des contenus inadaptés à leur âge.
Quel message essayez-vous de transmettre ?
L.B. Nous essayons d’avoir une position pragmatique. C’est difficile d’échapper à cette réalité des écrans. Nous sensibilisons les parents au fait que l’enfant ne peut pas filtrer ce qu’il voit et qu’il a besoin de son parent. La difficulté c’est que la notion d’écran chez le tout petit vient faire écho au besoin d’écran du parent. Il faut donc surtout réguler le parent qui doit d’abord être au clair avec son propre fonctionnement. Certains parents arrivent à la crèche avec leur téléphone et ne le quittent pas. L’équipe de professionnels est obligée de leur rappeler que c’est interdit. Ce constat est valable pour tous les parents, cadres ou non. Dans nos réunions avec les familles nous essayions de leur donner des éléments de réflexion afin qu’ils puissent les adapter à leur quotidien. La télévision peut être utile quand on prépare le repas du soir et le téléphone portable très pratique dans la salle d’attente du médecin, il ne s’agit donc pas d’être dogmatique.
Les parents culpabilisent vite. Il faut donc être prudent dans la manière d’aborder le sujet, leur proposer des solutions alternatives comme l’utilisation de dvd plutôt que les chaînes pour enfants dont le contenu n’est pas contrôlable et les encourager à être dans la communication et l’échange. Nous leur proposons aussi de passer du temps avec leur enfant devant la télévision pour vérifier ce qu’il regarde et en discuter avec lui. Nous insistons surtout sur le fait que c’est l’alternance qui compte : des puzzles virtuels et des puzzles réels.
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