Dans une société très policée où le respect et l’obéissance constituent des valeurs cardinales, les enfants japonais souffrant de troubles de l’attention avec hyperactivité, et leurs parents, suscitent l’opprobre. Une équipe de chercheurs a entrepris d’adapter une intervention britannique axée sur le renforcement des compétences parentales pour aider ces parents à gérer le comportement de leur enfant. Après de nombreux ajustements, et malgré le fossé culturel, les résultats sont probants.
Un programme solidement évalué dans un pays peut ne pas produire les mêmes effets dans un autre contexte culturel et perdre de son efficacité. Dans une toute récente étude publiée par le journal de la « Japanese psychological association », une équipe de chercheurs anglais et japonais a adapté un dispositif britannique de soutien parental pour les familles d’enfants porteurs de troubles de l’attention avec hyperactivité (TDAH) pour le rendre opérationnel auprès des parents japonais.
Des comportements qui viennent heurter une culture de l’obéissance
Comme le notent les auteurs, le Japon propose peu de prises en charge non médicamenteuses pour ces enfants et leurs familles. « Bien qu’étant un pays très avancé, les services de santé mentale sont peu développés, précise David Daley, l’un des co-auteurs, par mail. Le fait d’avoir un enfant porteur d’un TDAH est considéré comme honteux et les parents sont peu aidés. Il est attendu des enfants japonais qu’ils écoutent, qu’ils apprennent, qu’ils suivent les instructions, autant de comportements avec lesquels ces enfants éprouvent de fortes difficultés. En raison de l’importance culturelle accordée à la notion de respect, les parents ont du mal à faire face au comportement de leur enfant. Ils assimilent sa désobéissance à une forme d’irrespect et y répondent avec une discipline très restrictive et des punitions. Ces parents ne parviennent pas à comprendre que si les enfants ne se conforment pas aux attentes c’est parce qu’ils ne le peuvent pas.»
Des interventions comportementales en appui du traitement médicamenteux
En introduction les auteurs rappellent que les effets des TDAH ne se limitent pas aux enfants eux-mêmes mais impactent aussi le bien-être émotionnel des parents, leurs pratiques éducatives et les relations parents-enfants. Dans une brève revue de littérature ils rappellent que les recommandations internationales prônent le recours aux traitements médicamenteux et/ou les thérapies comportementales incluant une formation des parents à la gestion des problématiques liées aux TDAH. La médication obtient un haut niveau de preuves quant à son efficacité. Cependant, elle n’est pas toujours la seule stratégie à mettre en place ou la plus appropriée (effets variables selon les enfants, effets secondaires fréquents, discontinuité dans la prise du traitement notamment à l’adolescence). Les preuves émergent de plus en plus quant à l’efficacité des interventions comportementales. Leurs effets sur les symptômes directs des TDAH (inattention, hyperactivité et impulsivité) sont limités mais beaucoup plus probants sur d’autres domaines relatifs au comportement de l’enfant, sur les pratiques parentales et le « concept de soi » des mères (image de soi et estime de soi). La plupart des études menées sur ces interventions ont été conduites en Amérique du Nord, en Europe et d’autres pays occidentaux. Que peuvent-elles donner dans un contexte culturel différent ?
Transposer les principes de la parentalité positive
Au Japon, les troubles de l’attention sont de mieux en mieux reconnus depuis 2005, le taux de prévalence reste très imprécis, compris entre 2,5 et 10%. L’accessibilité à des traitements médicamenteux et des interventions psychosociales est limitée. Les spécialistes formés aux interventions psychosociales basées sur des preuves sont peu nombreux. L’objectif de l’équipe dirigée de David Daley et Shizuka Shimabukuro était donc de tester l’adaptabilité et l’efficacité d’un programme britannique (le New Forest Parent Training), dispensé auprès de mères japonaises, censé les aider à gérer le comportement de leur enfant. Le NFPP original a été développé pour des interventions auprès d’enfant de moins de cinq ans porteurs de TDAH. Il est axé sur l’amélioration de la relation parent-enfant afin de renforcer la « parentalité positive ». Il utilise une approche comportementale standard qui cible les difficultés de se plier à la règle et les comportements d’opposition et a été validé par trois études randomisées. Le programme insiste sur la façon de maintenir l’attention de l’enfant, sur la nécessité de le féliciter, de lui donner des consignes claires, ou de mettre en place des routines, sur les concepts de zone proximale de développement et d’étayage (comment identifier les compétences de l’enfant et l’aider à atteindre de nouveaux buts), sur l’utilisation du « nous ». Il aborde la gestion des colères, l’importance du jeu, la nécessité des temps calmes et temps morts.
Seules des mères ont été recrutées pour l’expérience car l’étude pilote a fait ressortir que les participantes se sentaient plus à l’aise dans un groupe féminin. « La vision des rôles parentaux est encore très traditionnelle au Japon, et ce sont les mères qui s’occupent des enfants»,précise David Daley. Pour l’expérimentation, 17 mères d’enfants de 6 à 13 ans ont été mobilisées.
Des mères japonaises débordées par leur stress
Après l’étude pilote, le programme initial a été modifié pour coller davantage aux attentes et aux besoins des mères japonaises. Les chercheurs ont conservé six séances du NFPP dédiées exclusivement à la problématique des TDAH auxquelles ils ont ajouté cinq séances axées sur la gestion du stress maternel. Car, selon David Daley, « avoir un enfant porteur de ces troubles est tellement stigmatisant et angoissant au Japon que même les mères volontaires pour participer à ce programme avaient besoin d’être aidées sur la gestion de leur stress avant d’être ensuite en capacité d’aider leur enfant ». La version japonaise a aussi dû insister sur les notions de félicitations et d’encouragements, peu présentes dans les principes éducatifs des parents nippons et il a fallu renforcer la partie dédiée à l’estime de soi, les mères ayant une très piètre opinion de leurs habiletés parentales.
Diminution des symptômes et réactions plus ajustées des mères
A l’issue des 11 séances de formation, les mères ont rapporté une nette diminution de la sévérité des symptômes de leur enfant. Elles ont aussi estimé qu’elles sur réagissaient beaucoup moins et en conséquence ont noté une amélioration de la relation avec leur enfant. David Daley ne s’attendaient pas à ces résultats. « Quand nous étions en train de mener l’étude pilote pour ajuster le programme, les différences culturelles étaient si fortes que je n’étais pas certain d de pouvoir mettre en place le programme ». Les mères participantes ont estimé que de nombreuses stratégies proposées dans l’intervention étaient totalement nouvelles pour elles et constituaient un véritable défi (instauration de temps calmes, modulation de la voix dans les moments de contrariété, l’utilisation du « nous », le recours aux félicitations). Elles ont expliqué que ces méthodes étaient éloignées des pratiques parentales japonaises et nécessitaient des explications supplémentaires, de la répétition, pour qu’elles deviennent plus familières.
L’équipe de chercheurs est en train d’adapter l’intervention pour la Chine et l’Afrique du sud. Courant 2017 elle doit aussi publier les résultats (positifs) d’une étude randomisée menée au Danemark.