L’association Innocence en Danger lance une campagne destinée aux réseaux sociaux dont le message est clair : pour tuer un enfant, il faut les coups de ses parents, et le silence du reste du monde. Elle fait écho à la toute récente campagne de promotion du numéro vert dédié à l’enfance en danger, le 119, qui appelait elle aussi à préférer le risque du signalement à l’indifférence ou au déni.
Choc ? Oui, certainement. La campagne lancée aujourd’hui par l’association Innocence en danger (IED), créée par Homayra Sellier en partenariat avec l’agence de communication McCann, déjà visible depuis plusieurs jours dans le métro parisien, interpelle forcément. Intitulée « @GuiltyTags » (tags coupables) elle mise sur les réseaux sociaux, notamment Instagram, pour relayer l’idée que derrière chaque enfant mort sous les coups de ses parents, il y a tout un réseau de témoins qui ont vu, ont entendu, ont perçu les signes de la maltraitance et n’ont rien fait. Ce sont donc neuf histoires d’enfants inspirées de faits réels racontées sur Instagram grâce à plus de 1650 posts et 60 profils. Pour chaque enfant, des tags renvoient aux comptes instagram et aux profils des adultes de leur entourage, à leurs messages sur les réseaux sociaux, qui laissent entrevoir l’indifférence face à la violence ordinaire pourtant visible.
Le message ne s’embarrasse pas de nuances : vous saviez, vous n’avez pas dénoncé, vous êtes complice, vous êtes coupable. Sur le modèle des campagnes anglo-saxonnes, le blâme est porté en place publique (les adultes ici montrés du doigt sont des personnages fictifs). Chacun en prend pour son grade, l’entourage proche, les voisins, le directeur d’école, l’assistante sociale. L’association est parfois perçue comme trop “jusqu’au-boutiste”. Mais si elle opte pour une communication provocatrice, c’est qu’elle a de quoi nourrir sa position. Et sa colère.
Ne pas voir les bleus sur les joues d’un bébé
Partie civile dans de nombreuses affaires de violences graves ou d’homicides, Innocence en Danger a pu constater à quel point, à chaque fois, le même mécanisme se reproduit. « Très souvent nous arrivons à la même conclusion, assure l’association : tous les signes étaient là et ces issues dramatiques auraient pu être évitées si quelqu’un avait parlé.» Dans son dossier de presse, IED donne deux exemples. Ils sont saisissants. Celui de Loan, deux mois et demi, frappé à mort en 2014 par son père parce qu’il n’avait pas voulu boire son biberon. « Aucun des parents n’avait provoqué l’intervention des secours laissant agoniser leur bébé qui ne parvenait plus à respirer, et était devenu bleu, indique IED. (…) Au cours des débats, il est apparu que Loan était giflé, ses joues pincées si fort qu’elles étaient marquées par des bleus, qu’il était jeté dans son cosy lorsqu’il pleurait. Plusieurs membres de l’entourage confirmaient à la barre avoir constaté les marques bleues, violacées, marrons sur le visage et le corps de Loan, et indiquaient que « c’était bien dommage tout ce gâchis ». La mère reconnaissait avoir sacrifié Loan pour se protéger elle, ne pas avoir réagi au bruit des claques, avoir eu la force de dénoncer les violences dont elle était victime mais ne pas avoir su protéger son fils car elle voulait garder le père près d’elle. L’entourage et la mère de Loan savaient qu’il était en danger face à un père violent mais personne ne lui a porté assistance, ni dénoncé les violences qu’il subissait. Loan, 120 jours, a été sacrifié au bénéfice du doute et de la paix sociale. »
Tony, Marina, Bastien et tous les autres
Autre affaire, celle de Tony, 3 ans, décédé le 26 novembre 2016. Comme le rappelle IED, l’enfant souffrait d’une rupture de la rate et du pancréas antérieurs survenus après des coups portés à l’abdomen, et présentait de nombreux hématomes ainsi qu’une une fracture du nez. « Selon la mère de l’enfant, son compagnon se servait de son fils comme d’un « souffre-douleur » depuis plusieurs mois, assure l’association. Des voisins du couple ont reconnu avoir entendu régulièrement la nuit ou tôt le matin des cris et des coups. Mais ils ne sont pas intervenus. Ces personnes ont indiqué qu’elles n’avaient pas osé parler par peur des représailles. D’autres ont indiqué qu’elles auraient alerté le bailleur de l’immeuble qui aurait promis une enquête interne. Certains de ces témoins ont donné des interviews à des journalistes en direct à la télé sans même avoir conscience qu’ils reconnaissaient devant la France entière être les auteurs d’une infraction pénale en n’ayant pas dénoncé les faits de maltraitance dont était victime le garçonnet. Le Procureur de la République de Reims avait déploré publiquement le silence de la mère et du voisinage affirmant que si la police avait été appelée, cet enfant aurait pu fêter Noël cette année. »
Avant ces affaires, il y en eut d’autres, tellement d’autres. Dont l’une des plus emblématiques, celle de la petite Marina Sabatier. Dans cette histoire aussi sidérante que bouleversante, des adultes, pourtant, avaient vu, compris et parlé. Les institutrices de la fillette avait plusieurs fois lancé l’alerte. Mais en vain, et c’est peut-être encore plus rageant, puisqu’aucune mesure de protection n’avait été déclenchée. Ce qui avait conduit la Défenseure des enfants de l’époque, Marie Derain, à demander un rapport -édifiant- pour comprendre les mécanismes ayant abouti à cet insupportable échec. Nous avions rappelé ces dysfonctionnements et surtout l’incapacité des services concernés à manifester des regrets dans une note de blog.
Face à la réalité crue de ces histoires d’enfants tués par les coups et le silence, IED a donc décidé de frapper fort, prenant le risque de peut-être susciter la réaction indignée des professionnels de la protection de l’enfance en accusant par exemple une assistante sociale de «passer plus de temps à se plaindre de son travail qu’à le faire ». Mais on comprend bien que pour l’association confrontée au martyr de ces enfants, la susceptibilité des adultes ne constitue pas une priorité. Cette campagne survient quelques semaines après celle lancée par Laurence Rossignol et consacrée au 119, qui misait elle aussi sur la conscience citoyenne et la culpabilité, rappelait qu’en cas de doute il est impératif d’agir, et assurait que dénoncer une maltraitance n’a rien à voir avec de la délation.