Le sujet est aussi central qu’épineux. Après deux jours d’auditions d’une vingtaine d’experts de champs disciplinaires variés consacrées à la différenciation pédagogique, le jury de la conférence de consensus présidé par Marie TOULLEC-THÉRY, maître de conférences en didactique comparée à l’université de Nantes, a synthétisé ses travaux en 22 recommandations.
Après la conférence de consensus qui s’est tenue les 7 et 8 mars derniers au Lycée Diderot à Paris, le jury, composé d’enseignants, de personnels de direction, de conseillers pédagogiques ou de formateurs, a rendu ses conclusions. Il propose quatre principes généraux et 22 recommandations.
De l’égalité de traitement à l’équité
La tâche de ce jury n’était pas aisée dans la mesure où, comme le note le rapport du CNESCO, « l’expression « différenciation pédagogique » renvoie à un univers sémantique varié qui en atténue la lisibilité : adaptation, diversification, personnalisation, individualisation.» Le sujet n’en est pas moins passionnant et essentiel : « En rupture avec la tradition d’égalité de traitement (donner la même chose à tous), cette injonction de différenciation pédagogique place la question de l’équité au cœur de la réflexion de l’enseignement (donner plus ou donner autrement à ceux qui ont moins).»
En effet, « la recherche, d’une part, montre qu’une indifférenciation, c’est-à-dire un enseignement identique (de la même chose, de la même manière, en même temps) pour tous les élèves, a des effets différenciateurs. » Les questions soulevées sont elles aussi fondamentales: « Quelle est la nature précise des difficultés d’apprentissage que rencontrent les élèves ? Les obstacles sont-ils liés à la construction du savoir lui-même ? Quelle est la part du cognitif, des compétences langagières, du contexte socio-culturel ? »
Les travaux du jury posent qu’il n’existe bien évidemment pas de règle absolue ou de recette magique. « Ni l’enseignement « tout collectif », exclusivement en classe entière, ni l’enseignement « tout individualisé » n’est efficace pour faire réussir tous les élèves » est-il écrit. Mais il est néanmoins possible d’identifier quelques axiomes : « il est nécessaire de maintenir un niveau d’exigence élevé pour tous les élèves », « les élèves apprennent parce qu’ils sont confrontés à ce qu’ils ne savent pas (le nouveau), mais avec un appui suffisant sur des connaissances déjà là (de l’ancien) ». Autre certitude : « la différenciation structurelle (le redoublement et les filières, ainsi que la ségrégation socio-spatiale) n’est pas efficace par sa rigidité. C’est une réponse qui intervient trop tard, sur la base de constats qui ne ciblent pas les difficultés spécifiques rencontrées par les élèves. Elle est aussi stigmatisante et désocialisante. » Enfin, « la recherche a montré que les approches pédagogiques qui contiennent trop d’exigences scolaires implicites sont défavorables aux élèves qui viennent d’un milieu socialement défavorisé. » « Les enseignants efficaces adoptent plutôt un enseignement de type « instructionniste », appelé souvent « enseignement explicite ». »
Enseignement explicite et métacognition
Le jury a souhaité mettre en exergue quatre grands principes : les élèves doivent être accompagnés pour construire un rapport adéquat aux situations et aux savoirs scolaires, ils tirent profit d’un environnement structuré où des aides et des repères leur sont proposés, parce qu’ils ont des connaissances hétérogènes, ils doivent disposer d’un temps d’apprentissage ajusté, ils tirent profit à ne pas être confrontés trop souvent à des situations d’apprentissage qui comportent trop d’informations ou des sous-tâches inutiles.
Viennent ensuite les 22 recommandations. Parmi les lesquelles : garantir des objectifs ambitieux communs à tous, agencer les différentes phases d’apprentissage pour viser un enseignement cohérent ou penser un étayage (guidage) des activités des élèves, mais aussi un désétayage progressif dès que possible. A ce sujet, le jury note que « c’est par la construction d’outils intellectuels internes (via la métacognition et l’auto-régulation) qui se substituent aux aides externes (guidage de l’enseignant) que les élèves seront capables de mobiliser d’eux-mêmes les connaissances et compétences nécessaires pour accomplir une tâche, dans son intégralité et dans sa complexité. »
La recommandation numéro 7 pose qu’il faut « faire expliciter par les élèves les visées de l’apprentissage et les comportements souhaités ». « Rompre avec une école différenciatrice (qui crée des différences), c’est rendre visibles et explicites les processus qui sous-tendent les apprentissages, mais aussi donner les moyens aux élèves d’agir sur ce qu’ils font. » La 9ème préconisation incite à « identifier les obstacles que peuvent présenter des supports numériques pour ajuster le guidage et l’accompagnement des élèves ». « Utiliser un document numérique requiert une palette de compétences insoupçonnées : parcourir, naviguer, sélectionner un lien pertinent, construire des parcours de navigation cohérents. Ces compétences relèvent de stratégies complexes dont ne disposent pas d’emblée tous les élèves, parce que la lecture linéaire d’un texte « papier » est d’un autre ordre. Multiplier les documents, aux sources ou formats d’informations très hétérogènes a un coût cognitif important et peut désorienter des élèves car ils doivent prendre des décisions, organiser leur parcours, se représenter le document. »
Différencier via l’organisation au sein de la classe
Autre recommandation : « varier l’organisation des modalités de travail pour mieux accompagner les élèves ». « Par exemple, à un moment de la journée, après un temps collectif, un dispositif de consolidation des apprentissages tel que le « plan de travail », offre à l’enseignant la possibilité de mener un atelier dirigé auprès d’un petit groupe d’élèves dont il a perçu des difficultés pendant la séance. » Le jury prévient cependant que « laisser aux élèves le choix du degré de difficulté de la tâche n’est pas efficace pour l’apprentissage. » « Le temps accordé à cette organisation atelier dirigé/plan de travail doit être court, d’autant que certains élèves sont seuls face à la tâche. » Le jury recommande également le co-enseignement pour « accorder une attention plus fine à tous les élèves » ainsi que la coopération entre élèves « pour favoriser l’acquisition de savoirs et de compétences relationnelles ». « Mais, précise-t-il, pour qu’un travail coopératif existe, la tâche réalisée par le groupe doit résulter d’un apport de chaque individu dans le collectif. L’efficacité de cette forme de travail repose sur une organisation structurée, avec des responsabilités fonctionnelles, sociales et cognitives partagées. »
Oui aux groupes de niveau, mais de façon temporaire
La constitution de groupes de niveaux homogène au sien d’une classe est abordée. La recommandation 14 propose de « regrouper temporairement un petit nombre d’élèves autour d’un même besoin ». « Le groupement doit être flexible et réévalué en fonction des progrès des élèves, pour éviter la stigmatisation et la démotivation. » Le jury s’est appuyé sur la littérature scientifique disponible : « La recherche a montré que la constitution de groupes homogènes au sein de la classe ou entre plusieurs classes peut permettre d’améliorer les résultats des élèves en difficulté. Ces groupes permettent tout d’abord de rompre avec les pratiques négatives de classes de niveau. Pour autant, cette organisation de la classe pour être bénéfique doit réunir certaines conditions : ces regroupements doivent poursuivre un objectif d’apprentissage très précis, reposant sur une évaluation préalable et ils doivent être limités dans le temps, en étant exclusivement réservé à l’objectif d’apprentissage défini.»
D’autres recommandations concernent le « pilotage pédagogique des établissements, des circonscriptions, des écoles » et les dernières portent sur la formation des enseignants « à des principes et des actions relevant de la différenciation pédagogique ».