Que savait-on jusqu’à présent de la Protection Maternelle et Infantile, cette honorable vieille dame de 70 ans ? Etonnamment, pas grand chose, en tous cas pas dans le détail. L’Agence des Nouvelles Interventions Sociales et de Santé (ANISS), en partenariat avec l’Université du Québec à Montréal, s’est lancée dans un travail d’enquête et de décryptage des pratiques, des référentiels, des modes de supervision mais aussi de communication de la PMI, et plus précisément de son activité de visites à domicile en pré et post natal.
C’est donc une première : au-delà des données quantitatives, comprendre un peu plus finement comment la PMI s’adresse aux familles (et à quelles familles) mais aussi comment les professionnels accompagnent concrètement les parents, via notamment les visites à domicile (VAD). Pourquoi ce focus sur les interventions à domicile ? Parce que, d’après l’ANISS, « quarante années de littérature scientifique internationale ont souligné que l’intervention à domicile est le moyen le plus efficace pour soutenir l’ensemble des parents, particulièrement ceux les plus en difficulté. » D’après les études répertoriées, plusieurs critères semblent requis pour garantir un minimum d’efficience : la précocité (débuter en pré natal), l’intensité, la durée, la régularité, la supervision, la qualification des professionnels (avec une ambivalence puisque les résultats de la recherche sont contrastés : les para professionnels apparaissent parfois plus efficaces).
Pour les besoins de cette enquête, les 102 services départementaux de PMI ont été contactés par téléphone et courrier. Soixante services ont répondu au questionnaire portant sur les moyens de communication à destination du public cible et les taux de contact, les critères de priorisation pour l’activité à domicile, le soutien offert aux professionnels pour intervenir à domicile les effets du Programme d’accompagnement du retour à domicile après accouchement (PRADO) sur l’activité des PMI.
Un universalisme de façade
Le premier grand enseignement de ce travail minutieux est le suivant : l’universalisme des services proposés par la PMI, constitutif de ses statuts, n’existe plus. D’après un rapport de l’IGAS de 2006, 18% des femmes enceintes et 20% des 0-6 ans sont suivis de près ou de loin par la PMI. Celle-ci, qui pourrait, devrait, constituer la porte d’entrée de la prévention précoce n’a pas les moyens logistiques de contacter toutes les familles lorsqu’une grossesse est déclarée. Cela peut sembler anecdotique mais c’est le nerf de la guerre : les personnels de PMI ne sont pas systématiquement informés d’une grossesse et n’ont pas la possibilité de joindre directement, par téléphone, les familles. C’est donc par l’écrit, notamment par des plaquettes, que les parents ou futurs parents sont informés des services offerts. « Pour ce qui relève des parents primipares, par exemple, l’accès à la PMI dépend de leur capacité à se servir de médias écrits, notent les auteurs de l’enquête. Il dépend également de la connaissance de la PMI dans leur entourage, ainsi que de l’information diffusée par les autres professionnels de santé et autres partenaires locaux. » Pour Thomas Saïas, fondateur de l’ANISS, aujourd’hui professeur à l’Université du Québec à Montréal, ces plaquettes de documentation (recensées sur le site de l’ANISS) témoignent globalement d’une « absence de prise en compte du niveau de littératie », avec le risque de laisser les parents éloignés de l’écrit à la porte de la PMI.
Deuxième accroc à l’universalisme : les familles qui vont bénéficier d’un service de visites à domicile sont elles-mêmes très ciblées, sur des critères de vulnérabilité. Or, ces critères sont très variables d’un département à l’autre (une centaine recensés par l’ANISS!), de la multiparité, à l’âge de la mère, en passant par le déni de grossesse ou les conduites addictives. Le risque est ici de passer à côté des familles qui ne répondraient pas à ces critères mais qui présenteraient néanmoins des besoins.
Trop de missions et pas assez de moyens
« Le ciblage ne nous pose pas de problème en tant que tel, précise Thomas Saïas. Mais lorsqu’on se base sur des critères, on crée forcément des effets de seuil. L’enjeu serait plutôt de passer d’un ciblage sur des critères à une réelle évaluation des besoins pour proposer une intensité de services ajustée à l’intensité de ces besoins.» Et de répondre ainsi à la définition d’un universalisme proportionné qui permettrait la quadrature du cercle : maintenir un accès universel fidèle au modèle républicain, tout en donnant plus à ceux qui auraient à la fois des besoins plus élevés et moins de moyens pour y faire face. Soit l’introduction d’un peu plus d’équité dans un principe d’égalité. Pour répondre à cette ambition d’une politique réellement préventive et réellement universelle, il faudrait pouvoir garantir la proposition systématique, à toutes les familles, de visites à domicile pendant la grossesse. Afin d’évaluer les besoins de la famille et déclencher ensuite -ou pas-, un suivi plus ou moins intensif. Ce n’est tout simplement pas possible aujourd’hui.
Seuls quelques départements proposent de la VAD en systématique à toutes les femmes enceintes. Et ce n’est pas possible pour la raison évoquée ci-dessus : les PMI n’ont pas accès à l’intégralité des déclarations de grossesse. Pas possible non plus pour des questions de moyens. Les missions qui leur incombent n’ont cessé d’augmenter (agrément pour les assistants maternels, protection de l’enfance…). « On peut ainsi constater, écrivent les auteurs de l’enquête, que la PMI, supposée être une plaque tournante en matière de prévention, est chargée de multiples missions l’entravant, selon les répondants, dans sa recherche d’universalisme et d’efficacité. » « Notre enquête montre un certain consensus sur ce qu’il faut faire, ajoute Thomas Saïas. Tout le monde s’accorde sur les préconisations. Mais les services sont tellement contraints dans leur budget, il y a une telle frilosité des investisseurs publics, que les décisions ne sont pas prises. Nous sommes au milieu du guet et l’eau monte. »
Des professionnelles pas assez outillées, sans supervision
L’autre sujet saillant de cette enquête renvoie au contenu de ces visites à domicile. Elles s’appuient rarement sur des outils validés. La professionnelle fait appel à son intuition, à son expérience, à l’interdisciplinarité dans les temps d’analyse des pratiques (quand ils existent). Seuls onze départements disent utiliser des référentiels, qui ne sont en fait que des grilles de critères. « Il n’y a pas en France cette culture des référentiels qui sont perçus comme une normalisation instantanée des pratiques, explique Thomas Saïas. Et quand bien même les professionnelles souhaiteraient s’appuyer sur de tels outils, il n’en existe tout simplement pas en français, avec une formation à leur disposition.» Pour le chercheur, il pourrait être intéressant de s’inspirer de certains programmes, comme le Early Head Start, qui misent sur la co-construction des besoins. Il faudrait en tous cas des outils orientés vers les professionnels. L’absence de supervision constitue l’autre limite de ces VAD telles qu’elles sont aujourd’hui pratiquées. Or la supervision apparaît dans la littérature comme l’un des critères d’efficacité.
PRADO et PMI : concurrents au lieu d’être complémentaires
Enfin, l’enquête de l’ANISS fait ressortir une mise en concurrence de la PMI avec le PRADO qui permet les sorties précoces de maternité. Parmi les professionnels de PMI, pas un seul répondant n’a fait part d’un effet positif de ce dispositif. Dans les faits, le conseiller de la CPAM qui se rend en maternité auprès des couples éligibles au Prado propose les services d’une sage-femme libérale mais évoque rarement la PMI (même si quelques départements commencent à développer un « PRADO-PMI »). « Pour une primipare, le PRADO rend la PMI invisible, assure Thomas Saïas. Dans les outils de communication précoce à destination des femmes qui viennent d’accoucher, la PMI n’apparaît pas comme la référence, ce qu’elle devrait être. On fait alors courir un risque massif au seul service censé suivre l’enfant jusqu’à ses six ans. Les témoignages qui remontent du terrain montrent les effets pervers de cette logique de mille-feuilles et de travail en silos.»
Les résultats de cette enquête viennent confirmer les intuitions initiales de l’équipe de l’ANISS qui propose aujourd’hui aux PMI mais aussi à l’ensemble des services publics en lien avec la petite enfance une série d’outils, rassemblés sous l’appellation « Petits Pas Grands Pas » (plus de détails dans cet article). L’objectif est notamment d’augmenter les capacités d’intervention précoce auprès de toutes les familles et d’évaluer les changements de pratique.
L’agence poursuit justement sa mission de documentation de ces pratiques avec un questionnaire adressé aux puéricultrices pour comprendre précisément les modalités de leurs interventions à domicile. «Ce travail de terrain nous aide à asseoir l’autorité de notre réflexion et à assurer une réelle co-construction, énonce Julie Bodard, directrice de l’ANISS. Pour les professionnels, cette sollicitation est valorisante. Si des projets naissent et que des outils sont créés, ils sont basés sur ce qu’elles ont bien voulu partager avec nous. »