Lors des 21èmes Rencontres de pédiatrie Pratique, sous la coordination scientifique de Georges Picherot, une table-ronde a permis de revenir sur le harcèlement scolaire, avec l’éclairage d’une pédopsychiatre qui avait défriché ce sujet bien avant qu’il ne devienne une priorité ministérielle.
Le docteur Nicole Catheline, pédopsychiatre, praticien hospitalier à Poitiers, l’une des premières à s’être intéressée au phénomène en France, rappelle que c’est en 2011 que le sujet a été considéré comme un problème de santé publique, à l’initiative d’Eric Debarbieux, ancien délégué ministériel à la prévention de la violence scolaire. Depuis, le harcèlement a vraiment été porté par le Ministère de l’Education Nationale, au risque que sa définition soit perdue de vue. Trois critères doivent être réunis pour constituer un harcèlement : il s’agit d’une conduite intentionnellement agressive visant à humilier et à mettre l’autre en situation de domination, conduite qui se répète et qui dure. Le phénomène est difficile à quantifier dans la mesure où il repose sur des auto-déclarations.
Les chiffres vont de 15 à 30%, avec une diminution récente. Un chiffre reste inchangé, celui du harcèlement sévère : 6% des enfants en souffrent. On distingue le harcèlement direct (coups, dégradation de matériel, insultes, contrainte à des jeux de non oxygénation, attaques à caractère sexuel) du harcèlement indirect (rumeurs, cyber-harcèlement, d’une ampleur « inquiétante » depuis 2010).
Les filles harcèlent différemment
Des différences apparaissent selon le sexe et l’âge. Plus on avance en âge, plus on est harceleur et moins on est victime. Les garçons sont plus impliqués car à la fois plus auteurs et plus victimes. Ils harcèlent à la fois les filles et les garçons alors que les filles harcèlement essentiellement les filles. Les garçons ont tendance à utiliser la force physique alors que les filles ont davantage recours à l’ostracisme et à la rumeur (ce que confirme Richard E.Tremblay, spécialiste canadien de la violence des jeunes dans une interview récente). Le lien est de plus en plus net entre le harcèlement en face à face et le cyber harcèlement.
Comment le harcèlement se met en place et pourquoi il dure
On parle de harcèlement pour des jeunes entre 7 et 16 ans. « Après 16 ans, il s’agit de personnalités plus pathologiques » précise Nicole Catheline. Elle évoque la genèse du harcèlement, les raisons de son installation. L’enfance et l’adolescence constituent une période de vulnérabilités de l’individu. Le groupe assure une protection et une identité provisoire et pousse au conformisme. S’il existe une différence, elle peut être perçue comme quelque chose qui met à mal l’harmonie du groupe. L’intolérance majeure d’une personne du groupe va fédérer les autres. Les autres jeunes se disent « il vaut mieux être de son côté ». A quoi s’ajoute la peur de se retrouver victime, l’envie de se défouler. La spirale qui se met en place conduit à l’isolement de la victime.
Pourquoi le harcèlement dure-t-il ? Parce que les enfants n’ont pas idée de la gravité des conséquences. « C’était pour rire, on s’amuse ». Ils ont du mal à réguler leurs émotions. L’empathie a plusieurs composantes : émotionnelle, cognitive (comprendre comment l’autre fonctionne) et motivationnelle (aider l’autre). Il existe vraisemblablement des étapes dans le développement de l’empathie, et de la sympathie. Le Dr Catheline insiste : Il est indispensable que les adultes accompagnent enfant dans l’intégration dans le groupe. Trop longtemps on a dit que ces situations étaient normales, qu’il fallait se confronter à la difficulté.
Les harceleurs, issus de familles plus enclines à la violence ou à l’abandon
Elle parle, pour les harcelés, de « profil de situation » plutôt que d’un profil de personne. Certains enfants portent en eux une différence « absolue » qui existera, quel que soit le groupe (un trouble de la personnalité, un handicap, une caractéristique physique). Il existe aussi des situations relatives qui fragilisent l’enfant : déménagement, perte d’animal familier, conflits familiaux, maladie des parents, chômage parental. Dans une étude sur 1000 enfants de collège, le seul point commun qui a été trouvé entre harceleur et harcelé c’est le divorce ou la séparation parentale. Les parents ont un rôle clé. Certains aident leur enfant à savoir comment réagir, d’autres bottent en touche en disant « t’as qu’à te défendre, ou laisse tomber », ce qui est problématique. Le vécu intra familial demeure un facteur prépondérant. Les familles agressives ou abandonniques produisent plutôt des agresseurs quand les parents très anxieux produisent plutôt des victimes.
Des conséquences à très long terme
Les conséquences du harcèlement apparaissent dès la première année : perte de l’estime de soi, repli dépressif. Le harcèlement subi entre 8 et 12 ans est à plus grand risque. Le cyber-harcèlement a aussi un impact plus sévère (impossibilité de se cacher, permanence des images utilisées).
A moyen terme (sur les 2-3 années qui suivent le harcèlement) : il s’agit de l’un des stresseurs les plus associé au risque suicidaire, surtout chez les filles. Le rique de décrochage scolaire est notable ainsi que la survenue de troubles des conduites alimentaires.
A très long terme : un enfant harcelé en primaire a un risque nettement accru de faire une tentative de suicide au collège. Le harcèlement multiplie par deux le risque de dépression ou de symptômes psychotiques à l’âge adulte. Les filles victimes développent des troubles internalisés et en plus des troubles des conduites anti-sociales. Le harcèlement reste le principal facteur prédictif de délinquance chez les garçons. Le harcèlement agi qui débute en fin d’adolescence signe une personnalité pathologique. Les auteurs ont du mal à développer des relations positives à l’âge adulte, ils sont susceptibles de maltraiter leur compagnon et d’utiliser des punitions corporelles et des violences sur leurs enfants. Quant aux parents anciennes victimes, ils ont tendance à surprotéger leurs enfants ce qui les prédisposent à devenir…victimes.
Comment prévenir le harcèlement et le gérer
Il faut penser à poser ou reposer la question du harcèlement devant tout changement de comportement. Mais éviter de demander « Tu n’es pas harcelé au moins ? ». Plutôt formuler ainsi : « Je te pose la question car ça arrive. Si c’est le cas on va voir ensemble quelles décisions il faut prendre. » Il est préférable d’éviter de régler le problème seul, mieux vaut faire appel à une médiation. Et attention à ne pas éluder ou sous-estimer le problème. Pour le Dr Catheline il ne s’agit pas seulement de violence scolaire mais aussi d’une butée développementale. Elle estime que la sanction est importante mais pas suffisante. « Il faut s’occuper des harceleurs. On dit un peu trop vite « la victime chez le psy car elle est fragile, le harceleur chez l’éducateur ou le juge ».
Imanne Agha, représentante de l’Education nationale rappelle ensuite les quatre axes de la politique ministérielle : sensibiliser, informer les adultes comme les jeunes, prévenir, prendre en charge. Elle reconnaît que prise en charge demeure complexe. « On fait bien le distingo entre la gestion d’un conflit et la prise en charge d’un harcèlement. Il est difficile de faire parler à la fois victime et l’agresseur. » Elle évoque la plateforme nationale et son numéro, le « 30 20 » ainsi que les référents académiques, « des relais qui centralisent les signalements remontés par la plateforme nationale, qui accompagnent équipes à la résolution ». Il existe des protocoles rédigés de dispositifs d’accompagnement qui sont désormais obligatoires.
Des pédiatres souvent confrontés au problème, et démunis
Dans la salle plusieurs pédiatres confient leur pessimisme et leur désarroi.
« Moi je ne vois pas de diminution. J’ai vu des parents qui sont allés voir le proviseur, ça n’a rien donné, ils ont dû faire venir forces de l’ordre, porter plainte. » Ou encore: «Récemment, j’ai vu un cas de harcèlement chez une petite fille de 6 ans. Elle a développé une phobie scolaire. La maman a informé équipe éducative, rien n’a été fait. Devant la fin de non recevoir de l’équipe éducative, elle a écrit un mail au président de la République, et immédiatement l’éducation nationale a été au courant, il y a immédiatement eu une réunion, la situation s’est décoincée. Faut-il en arriver là ? On attend la gravité ou l’urgence pour régler un problème ».
En cas de situation bloquée ou d’urgence, André Canvel, le nouveau délégué ministériel, conseille de prendre contact avec le médecin scolaire. Il prévient : « Parfois les parents ont le sentiment que ça ne va pas vite, ça ne veut pas dire que rien n’est fait ». Un autre pédiatre répond : « Pour un enfant de ma patientèle ça a été tellement long qu’il a fini avec des fractures. Pour un autre ça a bougé quand l’enfant a menacé de sauter par la fenêtre. » Un autre médecin prend le micro : « Mais en pratique, quand on a l’enfant devant soi, la question c’est : demain va-t-il à l’école ? OK on peut appeler le médecin scolaire. Mais moi je ne peux pas leur dire d’aller à l’école le lendemain. »
Que les adultes ne se défaussent pas
Le Dr Catheline estime que certains enseignants restent encore « avec l’ idée que ce sont des affaires de gosses ». « Tout ça prend du temps, il faut tenir compte des ratés. Un nouveau corps de psy de l’éducation nationale va être réuni pour travailler auprès des professionnels. » André Candel rebondit : « L’enfant a besoin qu’un adulte prenne en charge la situation. On a plein d’adultes supposés s’occuper d’un enfant mais peu qui le font dans les actes. On voit remonter des faits graves avec une dilution des responsabilités. On est toujours persuadés que quelqu’un d’autre va faire. Il faut la capacité d’un adulte à dire « c’est moi qui vais m’occuper de cette affaire là ». Il appelle à ne pas trop charger la barque de l’Education nationale : Les maux de l’école sont les maux de la société.
“La prise de conscience de ce qu’est l’enseignement de masse, c’est quelque chose. Vous, pédiatre, vous avez un enfant dans votre cabinet, les enseignants en ont 25 à 30. C’est très difficile d’être à la fois sur le lire-écrire et le reste. On a un travail à faire avec eux pour reconnaître les signaux faibles, et être capables de repérer. Les enseignants sont trop centrés sur leurs savoirs, sur ce qu’ils ont à transmettre. »
Un peu plus tard Nicole Catheline livrera des réflexions plus globales sur l’évolution de la société et de la parentalité :
« On assiste à un vrai changement de société. Les emplois les moins qualifiés vont disparaître. On ne peut pas reprocher aux parents de s’inquiéter pour le devenir scolaire de leur enfant. Nous, pedopsychiatres, on ne peut plus donner des conseils, on ne peut pas dire que les parents éduquent mal. Or, il y a un travail d’accompagnement parental à faire. Maintenant on élève les enfants comme des poulets en batterie. On les garde à la maison pour les garder au meilleur de leur forme. On parle des bébés, des ados, mais plus des enfants. Il faut une réflexion au niveau sociétal. Il faut accompagner les parents. Leur vie est devenue très difficile. Beaucoup de familles sont monoparentales. Les enfants ont de moins en moins l’occasion d’entendre les adultes parler entre eux, notamment de sujets sérieux. Il faudrait des relais à l’intérieur de la société pour pallier ces manques. L’avantage des nouvelles technologies, c’est qu’elles nous obligent à avoir vraie réflexion sur l’éducation. »