Article initialement publié le 3 avril 2015 sur le blog Enfances en France
Ils étaient le modèle à suivre, l’incarnation d’un système scolaire efficace et juste. Mais entre 2003 et 2012, les Finlandais sont passés de la 2ème à la 12ème place dans le classement PISA de l’OCDE. Le gouvernement a donc réagi et a décidé de réformer les programmes en profondeur, en commençant par les écoles de la capitale, Helsinki.
L’objectif est notamment de gommer les barrières entre les disciplines et de permettre aux élèves, de façon ponctuelle, de travailler sur des sujets transversaux de façon transdisciplinaire et collective, par petits groupes. Ce qui ressemble furieusement à la réforme française du collège annoncée par Najat Vallaud-Belkacem dont les détails seront connus le 10 avril prochain. On sait d’ores-et-déjà que les collégiens français devraient bénéficier chaque semaine de quatre à cinq heures d’enseignement interdisciplinaire autour de « projets collectifs concrets ».
Le monde (du travail) a changé, l’école doit s’adapter
En Finlande ce nouveau dispositif ne fait pas consensus et les débats dépassent les frontières, suscitant d’intenses réflexions au Royaume-Uni. Un article du journal The Independant donne la parole aux représentants de Helsinki. Par exemple Pasi Selander, en charge du développement de la capitale : « Ce dont nous avons besoin maintenant c’est d’une éducation différente pour préparer les gens au monde du travail. Les jeunes utilisent des ordinateurs puissants. Dans le passé les banques avaient des greffiers qui additionnaient des chiffres. Le monde a changé. »
Le quotidien anglais note que cette réforme finlandaise fait écho à une demande croissante en Grande-Bretagne pour une éducation s’appuyant davantage sur la personnalité des élèves et sur leurs compétences en communication, mais aussi pour un apprentissage davantage axé sur le plaisir et le jeu. Et de citer une institutrice finlandaise qui prône la « collaboration et la communication entre élèves pour leur permettre de développer leur créativité ». Cette philosophie est, entre autres, portée en France par François Taddéi et le Syn Lab, laboratoire d’action-recherche, évoqués dans un article du blog Enfances en France sur les pédagogies innovantes.
Une vision utilitariste de l’éducation
Ce souci de développer chez les enfants d’autres compétences que les seules aptitudes cognitives et académiques fait l’objet d’un engouement certain mais aussi d’une grande crispation. Dennis Hayes, directeur du centre de recherche sur l’éducation à l’Université de Derby (Royaume-Uni), a expliqué dans une tribune pourquoi cette réforme finnoise lui semble une grave erreur. « Les raisons données en Finlande sont connues : le changement serait nécessaire pour relever les défis de la vie professionnelle dans la société moderne. Cela signifie que l’éducation n’est plus valorisée pour elle-même mais est vue comme ayant une valeur instrumentale pour l’économie. Cette vision sous-tend les revendications pour une éducation moins ennuyeuse et plus pertinente à travers de nouvelles pratiques pédagogiques.(…) Les réformes constituent juste une tentative d’améliorer la capacité des enfants à devenir des travailleurs. »
Dennis Hayes estime qu’en cherchant à améliorer l’employabilité future des écoliers, on s’éloigne de l’ambition de détenir un savoir, une connaissance du monde. La même idée est développée par Marc Furoli, académicien, historien, essayiste (entre autres), dans un entretien publié le 31 mars dernier par le Figaro à l’occasion du débat sur l’enseignement du latin et du grec. Il y évoque « l’utilitarisme à courte vue du «tout économique». »
Pour un savoir gratuit et désintéressé, celui qui forme les citoyens
« Une éducation purement utilitaire serait pratiquement inutile, ce ne serait plus une éducation, mais une tautologie, explique l’historien. Sauf dans les formations professionnelles de haut niveau, tout ce qui est utile au monde hypernumérique dans lequel nous vivons s’apprend aujourd’hui très tôt et sur le tas, par l’expérience plus que par la théorie et le discours. Ce n’est pas en redoublant cette appropriation spontanée au monde numérique que l’école jouera son rôle d’éveilleur des esprits. En revanche, apprendre le latin et le grec, parvenir tôt à lire Virgile ou Platon dans le texte, à contre-courant des savoirs et savoir-faire communs, c’est le cas typique et le symbole de ce qu’il entre de gratuit et de gratifiant dans toute éducation digne de ce nom. »
Ce sujet avait précédemment été abordé dans un livre paru en 2011, « La nouvelle école capitaliste », signé par un sociologue et des enseignants chercheurs. « Nous tombons dans un écueil : celui de réduire la mission de l’école et de l’université aux débouchés professionnels, à partir d’une définition utilitariste des contenus d’enseignement,expliquait Christian Laval, l’un des auteurs, dans une interview accordée en octobre 2011 à Libération. Or une solide formation intellectuelle ne nuit pas à l’emploi, bien au contraire.» Dans une autre interview il complétait : « ces nouvelles orientations économicistes et utilitaristes de l’école attaquent au plus profond les fondements humanistes sur lesquels sont construits les systèmes éducatifs européens.»
Développer de nouvelles compétences chez les enfants (la communication, la coopération, la créativité, la capacité à interagir) sous prétexte que ce seraient là les aptitudes désormais requises dans le monde de l’entreprise, abandonner une partie du savoir académique, par matière, et lui préférer un apprentissage transdisciplinaire et ludique, est-ce vraiment un progrès ? La Finlande, l’ancienne première de la classe, s’est en tous cas jetée à l’eau.