Difficile d’avoir un panorama complet des enfants migrants en France étant donné la diversité des situations: mineurs isolés du camp de Calais, mineurs isolés pris en charge par l’Aide Sociale à l’Enfance, enfants arrivés avec leur famille. Mais quel que soit les cas de figure, les conditions de vie de ces jeunes en France se révèlent très précaires. Article actualisé le 03/03/2016
L’actualité autour du démantèlement de la partie sud du camp de Calais, demandée par la Préfecture du Nord Pas de Calais, combattue par les associations de soutien aux migrants, confirmée par le tribunal administratif de Lille, a mis en lumière la situation particulièrement préoccupante des mineurs isolés présents sur le camp. Le 34ème sommet franco-britannique qui a lieu ce jeudi 3 mars devrait permettre d’aborder la situation des enfants qui tentent de rallier l’Angleterre pour rejoindre une partie de leur famille déjà installée là-bas, et qui en sont aujourd’hui empêchés, au mépris du droit européen et international.
Il y avait à Calais avant le début du démantèlement, plus de 300 mineurs dont un quart a moins de quinze ans. Une quarantaine d’entre eux seraient hébergés dans le centre d’accueil provisoire installé par l’Etat à côté de la « jungle » mais ils n’y bénéficieraient pas d’une prise en charge spécifique permettant d’assurer notamment leur sécurité. Une quarantaine d’entre eux a été dirigée vers des centres d’accueil et d’orientation mais personne ne sait ce qu’ils vont devenir.
Les mineurs de Calais retenus en France malgré les textes européens
Quelques 90 autres cherchent en fait à rejoindre une partie de leur famille en Grande-Bretagne et en sont empêchés, de façon assez incompréhensible puisque le droit européen prône ce rapprochement familial. La situation calaisienne est déjà en elle-même difficile à appréhender en ce qui concerne les adultes. On sait que la plupart des migrants retenus à Calais veulent passer en Angleterre et absolument pas rester sur le territoire français. Ils en sont empêchés par les autorités françaises en vertu d’accords signés avec l’Angleterre qui contraignent la France à jouer les gardes-frontières pour le compte de l’Angleterre, et donc dans un sens peu usuel : il ne s’agit pas d’empêcher des individus d’entrer sur le territoire mais de les empêcher d’en partir.
Pour les enfants, la situation juridique est encore plus surprenante pour ne pas dire scandaleuse. Pascal Brice, le directeur de l’OFPRA, expliquait sur France Info que le but du jeu est d’amener les enfants du camp de Calais à déposer une demande d’asile car c’est une fois cette demande déposée que l’Angleterre pourra examiner leur souhait de rejoindre leur famille outre manche. C’est vrai et en même temps, un peu partiel. Les accords de Dublin III stipulent bien que les enfants doivent être pris en charge et demander l’asile dans le pays où ils ont des proches. Mais la disposition est dans les faits très peu appliquée.
Dans un monde idéal et dans un pays respectueux des accords européens, ces enfants devraient déposer une demande d’asile en France et s’entendre répondre que la France n’est pas concernée et que leur dossier est donc transmis au pays d’accueil où réside leur famille. Pour déposer un dossier, étant donné que ces enfants sont mineurs, ils doivent être représentés par un administrateur ad hoc. C’est là qu’en France, le bât blesse. Les refus de nommer un administrateur ad hoc sont fréquents. Ces enfants sont orientés vers l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) qui assure la tutelle et dépose le dossier pour leur compte. Mais dans ce cas la procédure est beaucoup plus longue. Et plus aléatoire. Du côté anglais, la mauvaise volonté, le refus de faciliter le transfert de ces enfants et donc le non respect des conventions européennes et internationales sont tout aussi patents. C’est en raison de cette inertie et des fortes réticences britanniques qu’un juge anglais a pris une décision radicale. Quatre jeunes Syriens, trois mineurs et un jeune homme handicapé de 26 ans, ont saisi directement le gouvernement britannique pour que soit examinée en Angleterre leur demande d’asile, sans passer par la procédure française.
Le Ministère des Affaires étrangères anglais a refusé mais un juge saisi de l’affaire leur a donné raison, au nom du droit à vivre en famille posé par la convention européenne des droits de l’homme et en vertu des accords de Dublin III qui permettent aux mineurs de formuler leur demande d’asile non pas dans le pays où ils sont arrivés mais dans celui où ils ont des proches. Les quatre jeunes gens ont pu passer en Angleterre. Dans son jugement, le magistrat anglais a acté le fait que la procédure française ne fonctionnait pas. Lors de son déplacement dans le camp le lundi 22 février, la défenseure des enfants, Geneviève Avenard a évoqué le regroupement familial pour ces mineurs et insisté : « conformément au droit européen, les services de l’Etat doivent mettre en œuvre ce projet dans le respect des droits fondamentaux des enfants. »
Près de 8000 mineurs isolés étrangers sur le sol français
Les mineurs du camp de Calais constituent un infime partie de l’ensemble des enfants migrants qui arrivent sur le territoire national. Les autres mineurs isolés, c’est à dire non accompagnés par un parent, qui sont parvenus à entrer sur le territoire, par voie terrestre, maritime ou aérienne, seraient aujourd’hui environ 8000 (un chiffre qui reste stable, un millier arrive chaque année, un millier repart). Ce sont dans leur grande majorité des garçons, âgés de plus de 15 ans. S’ils ont été repérés dans la rue par des associations organisant des maraudes ou s’ils sont passés par la zone d’attente de l’aéroport de Roissy (et ont ensuite été autorisés à entrer sur le territoire), ils sont en général orientés vers les services de l’ASE qui les prend en charge. Ils sont hébergés dans les structures de l’ASE ,plus rarement en foyer de jeunes travailleurs, et ils sont scolarisés. Mais cette scolarisation est difficile, en raison de la barrière de la langue, de possibles troubles psychologiques, d’un parcours antérieur douloureux. A l’âge de 18 ans, les jeunes migrants arrivés en France avant l’âge de 15 ans peuvent demander la nationalité française. Ceux arrivés avant 16 ans peuvent demander un titre de séjour pour vie privée et familiale. Pour les autres la régularisation est plus compromise.
Les enfants de migrants arrivés avec leurs parents
Quant aux enfants arrivés sur le territoire français avec leurs parents, il est très difficile d’avoir des données chiffrées exhaustives et fines. Sur 200.000 nouveaux immigrés chaque année, un quart vivent en couple avec enfant, soir environ 50.000. C’est notamment par le biais de l’éducation nationale que l’on a une approche, très globale, de cette problématique. On sait qu’aujourd’hui 52.500 enfants allophones, ne maîtrisant donc pas la langue française, sont scolarisés en France. Le nombre devrait être augmenté de 8000 à 10.000 enfants supplémentaires avec l’accueil sur les deux prochaines années de 24.000 migrants envoyés depuis l’Allemagne. Les mineurs actuellement scolarisés viennent essentiellement d’Amérique latine, du Maghreb, d’Afrique sub-saharienne, d’Europe centrale et un peu plus récemment du Proche Orient. Leur famille est venue en France au titre du regroupement familial ou pour des raisons économiques et les situations sont très diverses en terme de statut juridique. Certains parents possèdent un titre de séjour, d’autres sont en voie de régularisation, demandeurs d’asile, d’autres encore sont en situation irrégulière. Ces élèves sont en théorie pris en charge dans des UP2A, dispositifs leur permettant d’apprendre le français avec pour objectif d’être basculés le plus vite possible dans des classes ordinaires. Depuis plusieurs années l’opération « ouvrir l’école aux parents pour réussir l’intégration » offre aux parents d’élèves étrangers et immigrés des formations gratuites à la langue française dispensées dans les établissements scolaires fréquentés par leurs enfants.
Des conditions d’hébergement très précaires
Un autre document permet d’approcher, là encore de façon partielle, les conditions de vie de ces enfants qui migrent avec leur famille, ou naissent en France après que la famille a migré. Il s’agit de l’enquête ENFAMS publiée en 2013 par le Samu social sur les familles sans abri en région parisienne. Seules 7,4% de ces familles sont françaises. 34,9% proviennent d’Afrique subsaharienne, 17,1% de la Communauté des Etats Indépendants (anciennes républiques soviétiques), 15,7% d’Afrique (hors subsaharienne), 11,9% du Maghreb, 4% d’Asie. 51,7% sont considérées « en voie de régularisation », 19,5% ont un titre de séjour, 9,8% sont demandeuses d’asile, 11,8% sont « régularisées ». 78,1% de ces familles sont logées dans un hôtel social (type Formule 1), 13,9% dans un centre d’hébergement et de réinsertion sociale, 3,2% dans un centre d’hébergement d’urgence, 4,9% dans un Centre d’Accueil de Demandeur Asile (CADA). Elles ont quitté leur pays d’abord pour des raisons économiques, ensuite pour des raisons politiques ou pour fuir la guerre, pour rejoindre un conjoint. Les enfants de 6 à 12 ans qui vivent dans ces familles sont, plus que les autres, pauvres, entourés d’une fratrie nombreuse, élevés par une mère seule. Ils vivent dans des espaces très restreints qui obèrent la possibilité pour eux de jouer, de courir, de se socialiser, de faire leurs devoirs. Ajoutons à ces conclusions de l’enquête ENFAMS, pour l’avoir constaté nous-mêmes lors de reportages dans les hôtels sociaux, que dans ces chambres exiguës la télévision est, très souvent, allumée en permanence.
Pauvreté et mauvaise santé
Toujours d’après l’enquête du Samu Social, « début 2013, 10,2% des enfants sans logement (donc pour une grande partie d’entre eux des enfants de familles migrantes), âgés de 6 à 12 ans, ne sont pas scolarisés. Cette valeur atteint même trois points de plus pour les enfants habitant en hôtel social. » La situation de ces enfants est assez catastrophique sur le plan médical. Plus d’un quart d’entre eux sont en surpoids. Un trouble dépressif a été repéré chez 29% des mères. Quant aux enfants, « ces troubles suspectés de la santé mentale sont plus fréquents dans notre population d’étude (19%) qu’en population générale (8%). Ils ont été repérés chez 25% des garçons et 17% des filles. Ces troubles étaient des troubles émotionnels (27% des enfants), des troubles du comportement (24%), des troubles d’inattention/hyperactivité (18%) et des troubles relationnels (10%). » Etant donné ces résultats, les auteurs de cette enquête se montrent extrêmement pessimistes « Les conséquences en termes de santé publique sont d’autant plus alarmantes que ces conditions extrêmes auront sur le long terme un retentissement sur la santé de la mère elle-même mais probablement, comme l’ont largement montré les études nord-américaines, sur leurs enfants. » Les familles qui seront présentes parmi les 24.000 réfugiés attendus d’ici deux ans en France en provenance d’Allemagne bénéficieront-elles de meilleures conditions d’accueil ?