Les interventions précoces auprès des mères dans le but de renforcer l’attachement ou de prévenir des troubles du développement ou du comportement se multiplient à travers le monde. Pour apprécier leur réelle efficacité il semble qu’il faudrait davantage prendre en compte le patrimoine génétique des enfants. Sujet aussi captivant que délicat.
Dans notre dernier Pueriscope nous avons sélectionné une étude publiée dans la revue Plus réalisée en Afrique du sud qui montre à quel point les effets d’une intervention psycho-sociale auprès de mères et de leur très jeune bébé dépendent en grande partie de données génétiques. Le programme mené initialement entre 1999 et 2003 auprès de futures mères d’une communauté noire de la ville de Khayelitsha, suivies à partir du troisième trimestre de grossesse jusqu’aux six mois de l’enfant, portait sur le renforcement de l’attachement (programme similaire au dispositif PANJO implanté en France via la PMI). Les enfants étaient ensuite observés à l’âge de 18 mois. Ce dispositif avait déçu les chercheurs de l’époque. Les résultats n’étaient pas probants. La deuxième équipe qui vient de ré analyser les résultats a fait une découverte assez stupéfiante. L’intervention a en fait très bien fonctionné mais pour une partie des enfants seulement, ceux qui étaient porteurs de la forme courte d’une partie du gène transporteur de la sérotonine. Ces bébés avaient un bien meilleur niveau d’attachement après l’intervention que les enfants du groupe contrôle. L’un des auteurs sud-africains de l’étude, Barak Morgan, nous en dit un peu plus sur cette recherche et ses implications. Entretien.
Pourquoi avez-vous décidé de reprendre les résultats d’une ancienne étude et pourquoi vous êtes vous focalisés sur ce gène transporteur de la sérotonine ?
Barak Morgan. Nous étudiions de nouveau les enfants de cette cohorte dans le cadre d’un important suivi de long terme prenant en compte différentes mesures. Contrairement à la plupart des études de ce genre, nous avons cette fois inclus des investigations comportementales et biologiques. Nous avons collecté l’ADN car, comme décrit dans l’article publié par Plos, il y a des preuves que les gènes et l’environnement interagissent, ces preuves portent en particulier sur une partie très spécifique du gène transporteur de la sérotonine, la partie appelée 5HTTLPR. Nous avons ré analysé les données sur l’attachement des enfants à 18 mois parce que c’était le premier résultat de l’intervention originelle et nous voulions voir s’il y avait une interaction cachée avec le gène 5HTTLPR dans les résultats initialement publiés en 2009.
Ces résultats sont-ils surprenants ?
B.M. Ils ne le sont pas complètement parce que nous avions prédit que ce type de données pourraient être trouvées sur la base de preuves précédentes. Mais ces preuves sont peu nombreuses, même rares en fait, donc notre recherche apporte une information importante dans le domaine. Le plus surprenant a été l’intensité de l’effet découvert. D’abord, le fait d’avoir la version longue du gène rendait les enfants totalement non réceptifs à l’intervention en comparaison avec le groupe contrôle qui n’avait pas reçu l’intervention (il n’y avait pas de différences entre ces deux groupes). L’inverse est également vrai : ne pas bénéficier de l’intervention n’a pas été préjudiciable aux enfants porteurs d’un gène long par rapport aux enfants qui ont bénéficié de l’intervention. D’un autre côté, le fait d’avoir la forme courte du gène a énormément bénéficié aux enfants qui ont reçu l’intervention par rapport aux enfants porteurs du gène court qui faisaient partie du groupe contrôle. La qualité de l’attachement de ces enfants était quatre fois supérieure. Pour ces porteurs du gène court la taille de l’effet de l’intervention était de 0,75, ce qui est élevé alors que pour les enfants avec le gène long, la taille de l’effet était proche de zéro (0,03).
Peut-on prendre la question à l’envers et dire que si les enfants porteurs du gène long n’ont pas bénéficié de l’intervention (ou que l’absence d’intervention ne leur a pas été préjudiciable), c’est peut-être parce que ces enfants avaient au départ un meilleur attachement ?
B.M. Non. Sur la base de la théorie et presque par définition, on pense que la forme non-susceptible du gène (la forme longue) amène le cerveau à se développer de façon plus « câblée », c’est à dire en suivant davantage des règles internes, en étant davantage influencé par les interactions internes et moins par l’environnement extérieur. La forme susceptible du gène (la forme courte) rend le développement du cerveau plus sensible à l’expérience du monde extérieur (il a une plus forte neuroplasticité). On ne peut donc pas dire que les enfants porteurs du gène long ont un meilleur attachement au départ. Meilleur que qui en fait ? C’est un des points importants de notre recherche, il n’y a rien de « naturel » en soi (ou de totalement inné, ou de totalement génétique). Tout est une question d’interaction entre les gènes et l’environnement. Le gène long met en œuvre une interaction différente du gène court, c’est tout.
Quelles sont les implications de ces résultats ?
B.M. Si d’autres études à l’avenir montre que l’effet de l’interaction entre la génétique et l’intervention est fréquent, je pense qu’il y aura deux implications : d’abord cela suggère que les résultats de n’importe quelle étude portant sur une intervention comportementale dans n’importe quel domaine (parentalité, safe sexe, dépistage du cancer…) pour n’importe quelle population, dans le passé ou à venir, peuvent sembler tout à fait différents si cette interaction n’est pas testée. L’intervention peut sembler ne pas du tout fonctionner ou avoir de faibles effets. Prendre en compte des informations génétiques pourrait montrer qu’en fait l’intervention a très bien fonctionné pour une sous-population avec un génotype et pas du tout dans une autre population avec un autre génotype. C’est donc un principe général. Selon que les chercheurs investiguent ou non les données génétiques, ce type de différence dans les réponses pourrait perdurer la plupart du temps sans que nous en ayons conscience. Sans ces données, il est donc difficile de décider de la valeur d’une intervention et de son intérêt économique. Ensuite, qu’est-ce que ça signifie pour les individus porteurs du gène non réceptif ? Que peut-on faire pour que l’intervention fonctionne pour eux aussi ?
Ces résultats posent des questions éthiques. Signifient-ils qu’à l’avenir il faudra tester génétiquement les enfants avant de décider s’ils peuvent bénéficier d’une intervention ?
B.M. Non, parce qu’il y aura toujours d’autres données qui viendront interférer dans cette interaction entre un gène particulier et une intervention psycho-sociale. L’action d’un facteur environnemental sur un autre gène que celui étudié peut changer de nouveau la donne. Par exemple, l’abus de substances toxiques peut venir interférer, et cet abus aura un impact variable selon la forme du gène récepteur de la dopamine. La même version de cet autre gène peut être présente à la fois chez les enfants porteurs ou non porteurs de la version courte du gène transporteur de la sérotonine. Il serait donc inutile de sélectionner des enfants sur la base d’un gène spécifique pour un résultat en particulier. On ne peut pas être sûr qu’il n’existe pas d’autres gènes entrant en ligne de compte pour une même intervention. Donc personnellement, je pense qu’il est peu probable que la science en arrive un jour à amener les gens à prendre cette question au sérieux ou à s’en inquiéter. Traiter les individus différemment selon leurs caractéristiques biologiques s’avère toujours problématique. En fait, dans notre article nous avons comparé cette interaction gène/intervention avec la pharmacogénétique (ndlr l’étude de l’influence du génotype sur la variabilité de la réponse à un traitement médicamenteux) mais finalement c’était un erreur. La pharmacogénétique peut être utilisée pour décider quel médicament un patient en particulier qui présente une maladie spécifique devrait recevoir. C’est une décision bien plus simple. Le patient doit être traité, personne ne discute ça. Les individus pas malades ne doivent pas être soignés, personne ne le discute non plus. Le fait de s’interroger sur le bon médicament selon le patient n’affecte personne d’autre. Ce n’était pas un bon élément de comparaison.