A l’occasion de la semaine de la parentalité organisée par la ville du Havre, Catherine Sellenet, Docteur en sociologie, psychologue clinicienne, professeur à l’Université de Nantes, a proposé le 29 novembre aux professionnels de l’enfance et de la famille une conférence intitulée « La parentalité aujourd’hui, être parents aujourd’hui, où en est-on ? ». Cette intervention a permis un passage en revue synthétique mais dense de l’histoire contemporaine de la famille et de la parentalité.
En introduction de sa présentation, Catherine Sellenet rappelle que pour certains auteurs contemporains, comme le pédiatre Aldo Naouri, il existe un regret de ces années 50 où tout semblait plus certain, plus stable. « On savait toujours qui étaient les parents du bébé qui venait de naître car la plupart des enfants naissaient dans le mariage. Aujourd’hui les repères se brouillent. Il y a 60 ans, 42% des enfants étaient inattendus. La famille était très stable puisqu’on comptait un divorce pour 10 mariages. Mais celles qui transgressent la norme le paient cher. On emploie une terminologie stigmatisante pour désigner les enfants hors mariage qu’on appelle les bâtards (5 à 6% des naissances). L’âge du mariage est de 21 ans pour les femmes. Les grandes familles sont courantes, avec des enfants éduqués aussi par les frères et sœurs. Cet âge d’or de la famille distribue les places de façon très précise. L’image de la femme est une image maternelle. Les ouvrages de puériculture de l’époque soulignent toujours la tension entre le travail à l’extérieur et le maternage. On parle aux mères de retour à la maison. Les femmes sont culpabilisées. La mère est dans le domicile. On a des croyances sur la grossesse, on la cache. Devenir mère apparaît comme un risque de dérapage psychologique. La future mère est vue comme vulnérable. Elle a des envies. On l’imagine très régressive. »
Comment est apparu le vocable « parentalité »
« Le concept de parentalité est très ancien. Il a été inventé à la fin des années 50 par la psychiatre Thérèse Benedek qui travaillait en périnatalité. Elle est confrontée au baby-blues, aux psychoses puerpérales. Elle invente ce concept pour rendre compte de ces moments difficiles. A l’époque la parentalité se définit par ce « mouvement qui vous fait passer de l’être femme à l’être mère », c’est un mouvement à risque. On l’aborde sous l’angle du risque, pas du plaisir. La parentalité ne s’intéresse alors pas au passage de l’être homme à l’être père. Ce n’est pas la préoccupation des années 50. Mais peut être pas non plus la préoccupation des années 2019. Il y a un vide au niveau de la recherche, avec peu de préoccupation sur la paternalité. A cette époque, on s’interroge sur l’instinct maternel. Peut-être faut-il les éduquer à être mère ? Après guerre naît la PMI avec cette idée que les puéricultrices pourraient étayer les mères. On met en place un suivi notamment ciblé. Une professionnalisation s’impose autour du devenir mère. Le père ne fait lui l’objet d’aucun suivi.
Le savoir des grand mères se trouve discrédité, elles doivent laisser place aux puéricultrices. Aujourd’hui, au contraire, nombre de livres sont consacrés à la grand parentalité. »
Le long chemin vers les droits des femmes…et des enfants
« Ces années d’après-guerre constituent-elles vraiment un âge d’or ? Personnellement je dirais que non. Cette famille idéale cache des inégalités. Notamment du côté des femmes qui n’ont pas les mêmes droits. Elles votent en 45, il faut attendre 65 pour qu’elles ouvrent un compte bancaire, 1970 pour que les deux parents accèdent à l’autorité parentale. A partir des années 70, il y a une baisse de la démographie, on les incite à faire des enfants. On leur annonce que mettre un enfant au monde est une béatitude, et plus un fardeau. La grossesse est valorisée et non plus cachée. Mais les prescriptions sont de plus en plus fortes, de plus en plus normées sur la façon d’élever un enfant. Tous les domaines sont passés au crible : portage, alimentation, nettoyage. Sont attendus des bébés standards et des parents standards qui intériorisent les normes du faire et du bien faire. Dans les années 70 la posture des professionnels est simple. Ils sont convaincus de leur savoirs et ils transmettent la bonne parole. Aujourd’hui les savoirs sont contestés, les courants polémiques. L’enfant prend une place de plus en plus forte, officialisée. En 1959 est publiée la charte des droits de l’enfant qui pose des droits de protection et d’expression puis en 1989 naît la Convention Internationale Droits de l’Enfant. »
Cet enfant du désir qui change tout… et questionne les experts
« La structure familiale bouge progressivement. Entre les années 50 et 80 la famille reste assez stable. Ce n’est pas une métamorphose. Celle-ci survient à partir des années 80. La temporalité d’entrée dans la parentalité change, avec un net recul de l’âge moyen du mariage. A partir des années 2010 la progression de la démographie est due aux femmes de plus de 30 ans voire de plus de 35 ans. La barre symbolique des 30 ans est l’âge moyen du premier enfant depuis 2010. Cela laisse le temps de réfléchir à ce qu’on va faire. Le mariage n’est plus une obligation.
La place de l’enfant a changé, la capacité de gérer la procréation a bougé. On est passé à l’enfant du désir. Au milieu des années 90, 82% des enfants nés ont été désirés à ce moment là. Quelques 10,5% ont été désirés mais sont arrivés plus tôt que prévu, 7,4% n’ont pas été désirés du tout. Mais attention, le désir n’égale pas la réussite et le non désir n’égale pas l’échec.
La notion de parentalité était un néologisme qui restait confidentiel. A partir de 1982 le mot réapparaît avec le premier bébé éprouvette. Le désir questionne les psys et les sociologues.
Ces enfants auront-ils des problèmes de comportements ou pas ? Auront-ils des problèmes avec leurs parents ? Est-ce pareil d’être parent PMA ou pas ? Ce désir est-il inépuisable ? Doit-il être sans obstacle ? Le gynécologue René Frydman dit que ce n’est plus « l’homme réparé mais augmenté qu’il s’agit d’envisager ». On repousse l’âge maternel de la procréation, on peut choisir l’embryon selon le sexe. Il n’est plus question de s’en remettre au sort, aux probabilités.
La parentalité est un concept qui réapparaît au niveau du questionnement psychanalytique (avec Lebovici). Le sociologue Jean Kellerhals s’inquiète aussi du point de vue de la démographie. Ce désir risque t il de chuter ? Certains pays ont un taux de natalité très bas. »
Des séparations conjugales qui réinterrogent la parentalité
« Depuis les années 2000, une bascule s’est opérée. Ce n’est plus le mariage qui fait la famille mais l’enfant. 56% des enfants naissent hors mariage. La famille se défait beaucoup plus. C’est ce qui questionne beaucoup. Et explique l’émergence du soutien.
Les taux de divorces sont parlants : 10% en 65, 20% en 80, 30% en 90, 40% en 95, 50% en 2013.
En 2009 la durée du mariage des personnes divorcées était de 12,3 années. Il y a des zones où on divorce plus. Dans le sud par exemple. Il y a un lien entre maintien du couple et pratiques religieuses. Sommes nous devenus inconstants amoureusement ? Il faut savoir qu’à une certain époque, quand on se mariait, on vivait 15-17 ans ensemble car on mourait jeune. Aujourd’hui on a 45 ans devant soi. Ce qui peut aussi expliquer le tôt de divorce.
L’une des questions qui se pose est désormais : « que devient le couple parental quand il y a séparation » ? Notre société n’aime pas le vide et l’incertitude. On a donc inventé terme de co parentalité (qui vient d’Irène Théry). Le couple parental survit au couple conjugal. C’est l’idée de la bonne entente. D’où une injonction à être bien avec son ex. Mais la coparentalité est difficile dans les cas de violences, dans les divorces conflictuels, dans les divorces ordinaires. Seuls 29% des couples arrivent à mettre en oeuvre cette coparentalité. Les autres sont dans des parentalités parallèles ou dans la monoparentalité (avec une disparition des pères de la scène éducative et affective). La coparentalité est un idéal type qui ne fonctionne pas si bien.
Les couples créent des bricolages, font ce qu’ils peuvent. Des couples qui partagent par exemple le même appartement. C’est plus ou moins voulu, plus ou moins harmonieux. La médiation familiale est arrivée. Mais elle ne fonctionne pas aussi bien qu’on le voudrait. Nous sommes dans une culture judéo-chrétienne, une culture de la faute. Les couples ne sont pas dans la posture de la négociation mais de « c’est de sa faute ». Elle n’est pas imposée en France. Au Canada c’est une obligation. »
Famille monoparentale, recomposée : avec qui et comment créer du lien
« Aujourd’hui quand un psychologue demande à un enfant de dessiner sa famille, ce ne sont plus les mêmes dessins qu’il y a 20 ans. La variété des familles s’impose. Il y a toujours la famille traditionnelle, mais aussi, de plus en plus, la famille monoparentale. Les familles monoparentales représentent 20% des ménages. Ont-elles plus besoin que d’autres d’un étayage ? Dans quel registre ? Est-ce un soutien économique ? Quel est le maintien des liens avec l’autre parent, c’est à dire le père ? Quand la monoparentalité est masculine, l’homme recompose facilement, l’enfant est une plus-value. Ensuite sont apparues les familles homoparentales. Le terme d’homoparentalité a été créé en 1996 par l’association AGPL. Autre évolution : une fois qu’on est entré dans la parentalité cela dure. Elle est de plus en plus longue. Les garçons restent au domicile parental jusqu’à 24 ans, 23 ans pour les filles. D’autres pays font aussi tard, voire plus tard que nous. On parle d’adulescence.
Nous sommes passés à la recomposition avec les figures additionnelles. Cela pose la question des liens d’attachement multiples. On parle des « quasi frères et sœurs ». Mais parce qu’on recompose un couple, recompose t-on de fait une famille ? Quelle place allons nous donner à ces figures additionnelles ? On a inventé le concept de pluri parentalité. Les jeunes ne sont pas d’accord pour qu’on donne des droits au beau parent, ils n’ont pas envie d’un découpage d’autorité parentale. On compte 1,6 millions d’enfants en famille recomposée. Comment voyage-t-on d’un univers à l’autre ?
Quelles stratégies développent ces enfants ? Quels obstacles doivent-ils surmonter ? »
La naissance du soutien à la parentalité
« Il y a eu une inquiétude des pouvoirs publics. « Qu’est ce que c’est que tous ces couples qui composent, recomposent, décomposent ? » La crainte a été que les couples ne soient plus en capacité de construire les adultes de demain. On a demandé aux professionnels de faire du soutien. Des actions de soutien à la parentalité ont été initiées sans trop savoir de quoi il s’agissait. En 1995 un groupe constitué par Myriam David a été lancé pour travailler cette question. Le séminaire était très conflictuel. Chacun avait sa définition. Il y avait un malentendu, on ne parlait pas de la même chose. Alors nous avons travaillé sur des situations cliniques. Et trois axes ont été définis (Didier Houzel) : l’exercice de la parentalité (axe juridique, droits et devoirs), l’expérience de la parentalité (axe de la subjectivité, quels affects est-ce que j’éprouve pour cet enfant ? Positifs, négatifs, ambivalents, de rejet, d’extase, de plaisir ?), la pratique de la parentalité (ce que l’on fait pour l’enfant).
Ces trois aspects ne se déroulent pas dans une bulle, la parentalité se vit, s’expérimente. Il faut la remettre dans le contexte socio économique et culturel de chaque parent. Etre parent c’est encore plus difficile en squat. Des parents migrants n’ont pas les mêmes repères éducatifs. Le réseau socio- affectif compte. Le contexte juridique joue aussi. Tous ces axes ont été modifiés. L’axe des affects par exemple : l’enfant construit la famille, il est un enfant pygmalion, source d’épanouissement parental. L’axe éducatif est revu à l’aune des neurosciences. On repense le soutien à l’éducation. Quelle éducation donner aux enfants hyper connectés ?
Il s’agit aujourd’hui de revisiter les rôles dans l’éducation des enfants. Pères et mères tous les deux dans l’éducation et dans l’attachement. Même si les 39 heures hebdomadaires de temps parental domestique n’est pas équitablement réparti : 2/3 pour la femme et 1/3 pour l’homme. La co parentalité ne veut pas dire une stricte égalité. Le psychologue Jean Le Camus rappelle que le père a ses propres compétences. Il transmet par exemple le vocabulaire élaboré. C’est un interlocuteur didactique exigeant. Les pères aussi sont une figure d’attachement ! »
Inquiétudes contemporaines, relativité des normes et risque de surenchère
« Quelles sont les grandes peurs contemporaines ? Certaines métamorphoses inquiètent dans le champ de la filiation avec les PMA, les GPA: qui est vraiment le parent ? Faut-il revoir le livret de famille ? On ferait apparaître filiation génétique et la filiation d’intention. Avec les recompositions se pose aussi la question du maintien des liens d’attachement.
Dans le champ de l’autorité on s’inquiète de la démission parentale. La démission apparente est récurrente à travers les siècles. Comment doit-on éduquer les enfants d’aujourd’hui ? Nous mettons en place de façon préventive des stages. La réponse est-elle bonne si on n’a pas interrogé au préalable ce qu’on entend par éduquer ? Nous savons quels sont les besoins fondamentaux des enfants. Comment répondre à ces besoins ? Le problème est que même sur le besoin de sommeil nous ne sommes pas d’accord. Ceux qui sont pour coucher les bébés séparément s’opposent aux pro cododo. Qui entendre ? Qui suivre ? Le doudou est-il un objet de sécurité ou un danger ? On est passé du parent suffisamment bon (c’était accessible) au parent compétent. Le risque c’est que de la compétence on passe à la performance. La définition du parent compétent est très exigeante. C’est une posture d’équilibre, ni trop prêt, ni trop loin. On a inventé le coaching parental. Il y a des hotlines qui donnent des astuces. Ne sommes nous pas dans surenchères ? Il y a beaucoup d’actions parmi les professionnels. Faut-il cibler des populations ? S’occupe t-on plutôt des parents ? De l’enfant ? A quoi sert le soutien ? Beaucoup de dispositifs sont mis en place (REAAP, CLAS, LAEP, espaces rencontres…) Certains pensent que cet arsenal constitue une nouvelle police des familles (Donzelot). »
Comment répondre aux besoins et attentes des parents
« Qu’en disent les parents ? Quels sont leurs besoins et leurs attentes ?
D’après une enquête de la CNAF de 2016, plus de 2 parents sur 5 jugent difficile l’exercice de leur rôle. L’inquiétude porte plutôt sur les ados et préados. La question de l’équilibre père/mère est peu présente. Leurs inquiétudes portent sur la santé, la scolarité, le comportement des enfants, les risques de violence verbale.
On peut noter un décalage entre les préoccupations parentales et les inquiétudes des professionnels par rapport aux nouvelles technologies par exemple. Il faut interroger le décalage entre ce que nous proposons et les attentes des parents. Des actions pour « défusionner » la mère et l’enfant ont été mises en place. De mon point de vue ce n’est pas cette question le cœur du problème mais la question du maintien des liens d’attachement. On est très centrés sur la petite enfance et sur la défusion et trop lights pour l’adolescence à laquelle ne sont consacrés sur 8% des actions.
D’après cette enquête de la CNAF, comment les parents veulent-ils être aidés ? Par l’entourage, les professionnels de santé mais aussi sur internet, les forums, les magazines. Il faut interroger ces dimensions. Les parents attendent qu’on les aide à résoudre leurs difficultés. Ils ne sont pas encore sur du collectif, ils veulent des réponses individualisées avec un professionnel. Ils veulent une action collective limitée dans le temps. »
En conclusion : « Nous avons de grands chantiers à ouvrir sur les façon de faire famille. Cela nous oblige à comprendre l’univers de l’autre. Comment les enfants circulent-ils et grandissent-ils dans ces nouvelles configurations familiales ?Quels sont les besoins des enfants d’aujourd’hui ? Nous sommes très nombreux autour de ces enfants. Comment nous articulons-nous ? Il faut avoir une lecture plus transversale. C’est une page passionnante qui s’ouvre. »