Grâce à l’organisation d’une semaine de vacances, projet qui a nécessité un engagement fort des familles, ce centre socioculturel du Nord a réussi à gagner la confiance de ces parents et à mener à bien un travail sur la parentalité.
Stéphane Evrard est Référent Familles au Centre Socioculturel DULCIE SEPTEMBER à Loon-Plage, dans le Nord. Comme beaucoup de travailleurs sociaux, il est confronté à une difficulté précise (parmi d’autres) : réussir à faire venir les familles qui auraient le plus besoin des services proposés par son association. L’information auprès de ces parents demeure une gageure.
« Il y a tellement de monde qui gravite autour des familles, elles s’y perdent, constate Stéphane Evrard. Entre l’assistante sociale, les centres sociaux, les CCAS, le suivi scolaire, elles sont déboussolées. On est tous un peu à faire la même chose sans se concerter et en oubliant le but. Donc je tisse un réseau pour recentrer les débats. »
Des familles sur la réserve qui fréquentent peu les centres socioculturels
L’arrière plan socio-économique est assez catastrophique et rend la tâche aussi ardue qu’urgente. « Nous n’avons pas une famille qui n’est pas touchée par un licenciement. Les usines ferment les unes après les autres. Les gens essaient de s’investir dans leur rôle de parents mais ils sont perdus. On a de plus en plus de mères seules et de familles recomposées. Les familles s’isolent, fréquentent moins les structures, essaient de gérer en interne. Certaines institutions font peur. Les gens gardent à l’esprit qu’il y a un risque, ils ne savent pas qui aller voir ni pourquoi. »
Et puis il y a cette idée pour les familles les plus précaires que les centres sociaux et les centres de loisirs sont pour « les gens qui travaillent ». Et certainement pas pour elles. « Avant je n’allais jamais au centre social, témoigne Jessica, 32 ans, maman de trois enfants. C’était très difficile d’y entrer. Pour moi c’était un endroit pour les dames, les gens aisés, hauts placés. Des gens plus mûrs que moi, ça me bloquait. »
Mais ça, c’était avant. Avant que Jessica ne soit sollicitée par le centre social pour préparer un séjour vacances avec ses enfants. Le dispositif VACAF de la CAF permet deux types d’aides : un soutien aux vacances versé directement aux familles ou un soutien aux vacances sociales via des organismes accompagnant ces familles. La prise en charge est comprise entre 50% et 80% de l’hébergement. L’objectif est de permettre à des foyers jamais parties en vacances de pouvoir le faire.
Une préparation intense et une forte assiduité des familles
Le centre socioculturel a regroupé six familles qui se connaissaient peu pour leur proposer de préparer ensemble une semaine de vacances. L’objectif était de faire venir ces familles sur la structure et de travailler avec elles l’axe « parentalité » faisant partie intégrante du Projet Social de la structure. « Leur faire comprendre également que le centre c’est aussi pour elles, que le centre de loisirs c’est bien pour leurs enfants », ajoute Stéphane Evrard.
Les six foyers ont été sélectionnés en croisant les listings des centres sociaux, des assistantes sociales de secteur et des CCAS. Trois lieux de vacances étaient possibles. Les familles ont choisi un VVF à Forges les Eaux. Elles se sont ensuite retrouvées pour une vingtaine de séances de préparation entre janvier et fin juin 2016. Ces séances permettaient de travailler sur différentes notions : l’hygiène corporelle, la protection solaire, l’alimentation, l’économie d’eau, le système d’épargne, les relations intra et inter familiales. Et derrière, toujours, l’idée de leur faire découvrir le centre social. Il a ensuite fallu rechercher un financement pour le transport et les activités.
Pour l’auto financement elles ont organisé un loto avec une buvette. Elles ont pu récolter 1500 euros. L’ANCV a été sollicité et a fourni des chèques vacances.
Au début du projet, les six familles ont signé un contrat d’engagement et elles devaient émarger à chaque séance. Le groupe s’est révélé très assidu. Avant le départ, les courses pour la semaine ont été effectuées sur internet et récupérées dans un drive. Chaque famille est partie avec une enveloppe issue de l’auto financement.
Une semaine en semi autonomie
« On les a accompagnées au départ pour les aider à s’installer et partager ce moment avec elles, raconte Stéphane Evrard. Après on les la laissées tranquilles. Certains centres sociaux préfèrent passer la totalité du temps avec les familles. Nous voulions leur laisser de l’autonomie, c’était leurs vacances. Je crois que ça ne rend pas service aux familles d’être là 24h/24. Il ne faut pas infantiliser les gens, être tout le temps sur leur dos. Nous sommes repassés en milieu de semaine pour organiser quelques jeux et un goûter. » Et puis tout avait été bien préparé en amont avec les familles donc nous étions confiants. Pour lui, le bilan se révèle très positif. « Tout s’est bien passé. Les familles étaient très contentes. C’était la première fois qu’elles partaient en vacances. Ca a apaisé certaines tensions. Elles se sont dit qu’elles étaient capables de faire des choses. Elles nous disaient « merci de ce que vous faites ». On répondait « c’est vous ». Elles n’ont pas touché à l’épargne, ont demandé des factures pour tout. Elles se sont entraidées. »
Des relations familiales métamorphosées
Jessica confirme le succès de l’opération. « Ca nous a fait du bien d’être en dehors de la ville, de notre maison, de sortir un peu, ça change tout. Parce que c’est certain que quand vous entendez tout le temps les autres parler de leurs vacances à tel endroit ou tel endroit, ça met un coup. Mes enfants ne réclamaient même pas de partir puisque de toute façon ils ne connaissaient pas les vacances en dehors de la maison.» Elle a pu constater l’impact de cette semaine hors du quotidien sur sa relation avec ses enfants : « Je crois que j’ai enfin réussi à couper le cordon. J’ai pris confiance en moi et eux ils étaient libres. Je les ai trouvés beaucoup plus épanouis, beaucoup plus calmes. Je n’avais plus besoin de crier ou de punir. C’était des relations totalement différentes ». Jessica a aussi apprécié le travail de préparation. « J’ai eu beaucoup de plaisir à assister aux réunions, à me lancer dans des actions ».
Un objectif totalement atteint
Ce qui fait dire à Stéphane Evrard que même avant le départ, l’objectif était atteint. « Les familles mettaient les enfants au centre de loisirs. L’une a inscrit son enfant à l’accompagnement scolaire, une autre vient à l’atelier cuisine. Et ça c’était avant qu’on parte. L’idée maintenant c’est qu’elles parrainent d’autres familles. On ne voulait pas juste vendre du rêve sur une année. » A travers ce projet, Stéphane Evrard s’est rendu compte qu’il fallait débloquer les leviers de financements auprès des usagers eux-mêmes. Ces financements existent mais les familles ne sollicitent pas. « Elles recevaient déjà les notifications vacaf mais elles les jetaient. Or les gamins pourraient partir en colo. » Le référent Familles du centre social le dit sans ambage : « on n’a eu que du plaisir à monter ce dossier. On s’est tous éclatés. Et on a le sentiment de travailler sur du concret, sur le fond. »
Tout au long de l’année, des échanges entre parents
Sur le reste de l’année, le centre social organise, dans le cadre du REAAP, des groupes de parole intitulés « les parents en action ». « Neuf parents viennent régulièrement ce qui est pas mal sur un petit territoire». Parmi les thématiques abordées, choisies par les familles : les dangers des écrans et réseaux sociaux,l’alimentation, l’autorité, le stress des parents et celui des enfants. Brigitte commence sa deuxième année de fréquentation du centre social dans le cadre de « parents en action ». « J’essaie de ne pas rater le jeudi où ça a lieu. J’ai besoin d’échanger avec les autres, ça me soulage. C’est un moment convivial autour d’un café ». Le budget ne permet pas de faire venir un intervenant extérieur. « On s’auto forme et s’auto informe, explique Stéphane Evrard. C’est du fait maison. On bricole. On a pas mal de partenaires avec lesquels on travaille. On cherche des techniques d’information. » Les parents d’adolescents sont particulièrement présents. « On fait des débats avec les parents mais maintenant on aimerait avoir les ados pour entendre leur parole. Les gens ne communiquent pas. Ils sont dans la carotte et le bâton mais n’échangent pas. »
Favoriser la communication entre les parents et leurs ados
Or, une action récente ayant bien fonctionné laisse entrevoir des possibilités intéressantes. Le centre social a fait venir un artiste auto-entrepreneur pour travailler sur une toile commune parents/enfants à base de graff. « Les gens se sont éclatés, raconte Stéphane Evrard. C’était une occasion pour nous de valoriser les adolescents, de les mettre à l’aise. Chacun est reparti avec sa toile. Dans cinq ans ils pourront dire « on l’a fait ensemble ». » Brigitte a participé à cet atelier avec ses deux filles adolescentes. « Ma grande est un peu dessinatrice, c’est elle qui nous a aidées. C’était un temps d’échange super avec elles et ce n’est pas si fréquent. » Brigitte se dit partante pour renouveler l’expérience et multiplier les activités avec ses filles.