Le placement est-il en soi délétère pour la santé mentale des enfants ? Non, conclut cette étude qui a comparé des enfants placés, des enfants revenus dans leur famille et des enfants suivis par les services sociaux mais jamais éloignés de leur foyer.
Le but de cette recherche britannique parue dans Child Abuse and Neglect* est de comprendre la part des effets du placement sur les problèmes de santé mentale des enfants. Les mineurs qui font l’objet d’une mesure d’éloignement familial ont en effet davantage de troubles psychiques que les enfants suivis par les services sociaux mais non placés. Il est néanmoins difficile de savoir si leurs difficultés proviennent du placement lui-même ou des maltraitances ou négligences subies avant. Les enfants placés sont en effet ceux qui ont dû affronter les situations familiales les plus délétères. Pour y voir plus clair, les chercheurs ont comparé trois groupes d’enfants sous mesure de protection : 122 placés en dehors du domicile, 82 ayant été placés puis remis à leur famille et 159 n’ayant jamais été placés.
En introduction, les auteurs rappellent qu’il s’agit d’une constante dans la littérature : des taux de troubles mentaux beaucoup plus élevés chez les enfants placés que dans la population générale, avec une forte prévalence de stress post-traumatique et d’hyperactivité. Cette mauvaise santé mentale a souvent été attribuée au système de placement lui-même, sans tenir compte du fait que c’était la maltraitance survenue avant le placement qui pouvait expliquer ces problèmes. Savoir dans quelle mesure le système peut compenser le handicap antérieur et améliorer la santé mentale est capital pour les politiques et les pratiques professionnelles. Les études qui ont jusqu’ici tenté de démêler les effets du placement des effets de la maltraitance antérieure, essentiellement américaines, ont montré des résultats contradictoires ou inconsistants. La présente étude essaie de limiter les biais.
Plus de problèmes mentaux chez les enfants placés
Parmi les 363 enfants de l’échantillon, 52,3% étaient des garçons, 66,1% étaient blancs et 33,6% avaient un handicap ou une maladie. Les enfants du groupe « actuellement placés » présentaient des spécificités : ils étaient plus âgés que les autres, les enfants blancs étaient plus représentés et ils présentaient davantage de troubles des apprentissages ou de retards de développement. Les donneurs de soin de ce groupe (essentiellement des familles d’accueil) étaient significativement plus diplômés, vivaient davantage en couple et manifestaient une bien moindre « chaleur parentale » que dans les deux autres groupes. Ces enfants présentaient un taux de troubles psychiques bien plus élevé, 41% contre 25,6% pour ceux qui étaient retournés vivre dans leur famille et 24,5% pour ceux qui n’avaient jamais été placés.
Six facteurs ont été associés, pour l’ensemble des enfants, au fait de souffrir d’un problème mental : l’origine ethnique, un handicap physique ou une maladie chez l’enfant, un trouble des apprentissages ou retard de développement, un handicap physique ou une maladie chez le parent, l’accumulation des différents types de maltraitances et des difficultés familiales, la chaleur parentale. Avec une régression multivariée, seuls le trouble des apprentissages/retard de développement et le nombre total de types de maltraitances et de difficultés familiales restaient significativement associés à un trouble mental. Pour les enfants placés (et pas revenus dans leur famille) uniquement, les facteurs associés à des troubles mentaux sont les troubles des apprentissages/retards de développement, une suspicion de troubles des apprentissages chez les parents, et de faibles scores concernant la cohésion familiale.
Concernant le trouble réactionnel de l’attachement, il était là aussi beaucoup plus présent chez les enfants placés (38,1%) que chez les enfants revenus dans leur famille (24,4%) et les enfants jamais placés (18,5%). Les troubles des apprentissages et retards de développement sont les facteurs associés à ce trouble réactionnel de l’attachement pour l’ensemble des enfants. Trois facteurs sont associés à ce trouble dans l’échantillon « enfants actuellement placés » : être un garçon (c’est un fait déjà mis en évidence : les garçons sont plus susceptibles de développer des troubles précoces et les filles des troubles à l’adolescence), un score élevé du caregiver au GHQ (questionnaire général de santé, un score élevé est un indicateur d’un trouble psychique) et un niveau élevé de rejet de l’enfant.
Mais des effets davantage dus aux facteurs associés qu’au placement lui-même
Les auteurs relèvent qu’une fois pris en compte les facteurs associés aux troubles mentaux des enfants, l’association entre le fait d’être placé et une plus forte prévalence d’un problème mental diminue. Ce qui indique que cette plus forte prévalence est davantage due aux facteurs associés qu’au placement lui-même. En revanche, le trouble réactionnel de l’attachement demeure plus élevé chez les enfants placés, même lorsqu’on prend en compte les facteurs associés.
Les auteurs notent également, pour les enfants placés, les liens entre la cohésion familiale (celle de la famille d’accueil), le rejet de l’enfant, la santé mentale du caregiver et la santé mentale de l’enfant lui-même. Ils estiment que cette relation peut être bidirectionnelle. D’un côté l’incapacité d’un assistant familial à intégrer un enfant dans sa famille, ou sa propre fragilité psychologique, peuvent contribuer au développement de troubles psychiques chez l’enfant. De l’autre côté, les problèmes pré existants de l’enfant peuvent aussi constituer un défi qui va affecter la capacité d’un professionnel à intégrer cet enfant dans sa famille et à rester parfaitement équilibré. On sait par ailleurs que le placement des enfants chez un parent favorise le bien être de cet enfant.
A noter : le type de maltraitance ne semble pas avoir d’incidence sur la santé mentale de l’ensemble des enfants. En revanche, pour les enfants du groupe « actuellement placés », il existe un lien entre les maltraitances physiques et une moins bonne santé mentale.
Cette étude souligne donc que ce n’est pas le système de placement en lui-même qui induit des problèmes de santé mentale chez les enfants. « Bien qu’il soit évident qu’un enfant ne doive jamais être séparé de ses parents sans une bonne raison, les données de cette étude suggèrent que les approches politiques basées sur l’idée que le placement est en lui même forcément nocif pour l’enfant apparaissent non fondées. » En ce qui concerne l’attachement en revanche, la conclusion est moins tranchée. Le trouble identifié chez les enfants peut indiquer des problèmes de la relation parents-enfant qui ont justement conduit au placement. Mais il est aussi possible que pour certains enfants les troubles de l’attachement se soient développés ou aggravés pendant le placement. D’où l’importance cruciale pour les auteurs de mettre en place des interventions axées sur l’attachement, comme des thérapies interactives basées sur le jeu.
Cette recherche met aussi l’accent sur l’attention qui doit être portée au bien être et à la santé mentale des familles d’accueil et au soutien qu’elles reçoivent. Enfin, le constat est fait d’une association entre d’un côté une maladie, un handicap physique, ou un trouble des apprentissages, un retard de développement et de l’autre un trouble mental. Pour les auteurs, cela signifie qu’une liaison est absolument nécessaire entre les services de santé et les services sociaux et que des actions de soin intégrées doivent permettre de prendre en charge les besoins complexes de ces enfants.
*Disentangling the effect of out-of-home care on child mental health
Author links open overlay panel, Helen Baldwin, Nina Biehl,Linda Cusworth,Jim Wade,Victori Allgar, Panos Vostanisc, in Child Abuse and Neglect, Vol 88, Fevrier 2019