Rééduquer son périnée après un accouchement est une évidence pour la plupart des Françaises alors que c’est encore assez exotique dans de nombreux pays. Le collège des gynécologues-obstétriciens a néanmoins rappelé récemment que l’intérêt de cette rééducation périnéale pour des femmes sans symptôme était sujet à caution. Quant aux nombreuses méthodes utilisées, elles n’ont jamais été réellement évaluées.
Test de grossesse positif, prises de sang, échographies, dépistages divers et variés, accouchement, visite poste natale, rééducation périnéale. En très condensé, façon timelapse écrit, voici le parcours classique d’une femme lambda entre la découverte de sa grossesse et les cinq premiers mois de son bébé. En France en tous cas. Car la rééducation périnéale est une spécificité hexagonale, voire une fierté nationale. Et ce depuis les années 80, après qu’un kinésithérapeute français, Alain Bourcier, revenu d’un voyage aux Etats-Unis où il a été formé à la méthode inventée par le Dr Arnold Kegel, en a posé les bases en France en 1978.
La sangle pelvi-périnéale est l’ensemble des parties molles (essentiellement des muscles) qui soutiennent les organes pelviens, vessie, utérus, rectum. Lorsque cette sangle se relâche, notamment après une grossesse, des problèmes d’incontinence urinaire ou de prolapsus (descente d’organes) peuvent survenir. C’est pour prévenir ces dysfonctionnements que la rééducation périnéale est proposée aux femmes qui viennent d’accoucher. Plus que la pratique de la rééducation en tant que telle c’est sa délivrance quasi systématique en suite de couches qui fait de la France la reine du périnée. Toutes les accouchées ne bénéficient pas de ces séances mais quasiment toutes, quel que soit l’état de leur plancher pelvien, s’en voient offrir la possibilité, avec une prise en charge à 100% (depuis 1985).
Or, c’est cette exception française que le collège des gynécologues obstétriciens français (CNGOF) a écornée en décembre dernier avec ses dernières recommandations pour la pratique clinique. Parce qu’il n’existerait aucune preuve scientifique de son efficacité, le collège a décidé de ne pas recommander la rééducation périnéale « chez les femmes asymptomatiques dans un but de prévention de l’incontinence urinaire ». La rééducation pour traiter une incontinence avérée, OK, mais pour la prévenir, non. Ce qui revient à contester la prescription systématique, à remettre en cause 30 ans de suites de post partum très axés sur la problématique périnéo-pelvienne.
Au moins la moitié des Françaises rééduquent leur périnée après l’accouchement
Il est impossible de connaître le nombre exact de patientes qui effectuent ces séances en post natal car si l’acte est clairement codifié du côté des sages-femmes, il n’est en revanche pas traçant chez les kinésithérapeutes (la codification AMK/AMC 8 peut être facturée pour des actes de différente nature). Selon une étude de la CNAMTS de 2014, 54% des femmes ayant accouché par voix basse et 39% des femmes ayant accouché par césarienne ont suivi des séances de rééducation. Toujours selon les chiffres de la sécurité sociale, en 2014, 382.400 patientes ont bénéficié d’au moins une séance avec une sage-femme, soit, rapporté au nombre de naissances en 2014 (832.000) un taux de 46%, auquel il faut ajouter les femmes qui optent pour un kinésithérapeute. Le recours à cette rééducation concerne donc a minima la moitié des accouchements. C’est bien ce qui nous distingue du reste du monde. Et suscite à la fois une certaine perplexité chez les expatriées qui accouchent sur notre sol – une journaliste américaine a notamment raconté son expérience dans un article très drôle intitulé « comment les Français ont voulu rééduquer mon vagin» – et une réelle fascination hors de nos frontières.
En Angleterre, dans le secteur public, le périnée n’existe pas
Aux USA, il n’existe “rien d’équivalent à ce qui se fait chez vous”, assure le collège américain des gynécologues-obstétriciens. “Ce que nous avons de plus proche, ce sont les exercices de contraction musculaire de Kegel”. Ceux qui ont en effet été importés des USA et ont servi à définir la base de la rééducation périnéale française. Et qui sont aujourd’hui conseillés et expliqués dans une foire aux questions à destination des femmes sur le site du collège américain. Les patientes qui ne s’en débrouilleraient pas toutes seules peuvent toujours consulter un spécialiste, mais à leurs frais évidemment.
En Angleterre, pour le tout venant des patientes, c’est aussi le système D. Elodie Poissenot, kinésithérapeute française, exerce à Londres dans un cabinet uniquement composé de praticiens français (Mummy’s physio), lequel ne désemplit pas. On comprend pourquoi quand elle décrit le système de périnatalité anglais public, par lequel surviennent environ 80% des accouchements. “Après la sortie de la maternité, les jeunes mères ont droit à un check up à 6 ou 8 semaines avec un médecin généraliste, sans toucher vaginal, sans palpation abdominale. Rien n’est dit sur le périnée, la cicatrice, la sexualité. Si la femme en parle d’elle-même, on lui dit d’attendre un an avant de consulter. Si le tableau clinique est mauvais (déchirure anale ou incontinence) alors deux séances de rééducation à l’hôpital sont prescrites. La sage-femme pose des questions, donne des conseils, fait une échographie puis donne des exercices de contractions à faire à la maison. Et si le problème est vraiment important, on laisse à la femme une machine pour une rééducation seule à domicile.”
Rien à voir, effectivement, avec la pratique française et sa rééducation périnéale en quasi routine. Dans le secteur privé, en revanche, “c’est la France”. La femme a des touchers vaginaux pendant la grossesse, des cours sur le périnée, lequel est testé après l’accouchement. Et elle enchaîne éventuellement avec une rééducation dans le privé. Mais selon des méthodes pas vraiment actualisées. “Ici ils sont très friands d’électro-stimulation, comme la France il y a 20 ans, raconte encore Elodie Poissenot. Le biofeedback n’existe pas et ils n’ont pas intégré la rééducation abdominale, ils pratiquent encore les abdos hyperpressifs. Moi je ne me ferme sur rien, je fais un mix. Je pratique le biofeedback, j’oblige à une séance de rééducation posturale abdominale. En revanche je fais moins de touchers vaginaux que dans ma pratique française puisqu’ici beaucoup de femmes refusent le toucher vaginal.”
Cette “french touch” qui fait la spécificité de Mummy’s physio est bien connue à Londres. Les patientes sont dans leur majorité adressées par les médecins du privé. “Nous avons quand même 40% de nos patientes qui viennent du public, assure Elodie Poissenot. Il faut pourtant le vouloir pour arriver chez nous quand on a accouché dans le public. Il faut avoir cherché sur internet. Et ça a un coût, nous effectuons en moyenne trois séances et chaque séance coûte 110 euros, non pris en charge évidemment. Les femmes sont nombreuses à arriver dans une situation critique, avec par exemple une incontinence anale, et pour certaines c’est une question presque vitale.” Telle cette jeune maman de 28 ans qui ne pouvait plus sortir de chez elle à cause d’une incontinence anale et donc ne travaillait plus. “Elle a vu une sage-femme qui lui a dit de contracter son périnée et que si dans un an ça ne s’était pas amélioré, elle pourrait revenir. C’est comme ça. On vous laisse seule pendant un an et ensuite on opère. Cette jeune femme est constipée, mais personne ne lui avait posé la question, et ne lui avait expliqué par exemple qu’il fallait relever ses pieds lorsqu’elle va à la selle.”
Ailleurs dans le monde, mieux vaut être riche quand on explose son périnée
En Espagne la situation n’est pas beaucoup plus enviable. “La rééducation existe ici mais elle n’est pas systématique et pas prise en charge, déplore une kinésithérapeute espagnole, Bégonia Caldera. Certains hôpitaux commencent à ouvrir des services dédiés. Mais pour avoir droit à une rééducation il faut avoir eu des forceps, ou une rupture des sphincters, ou avoir des fuites. Ca n’existe pas à titre préventif. La consultation de suite de couche avec une sage-femme dure 15 à 20 minutes. Et les sages-femmes ne savent pas faire les bilans permettant de détecter un prolapsus.”
Aux Pays-Bas, le principe, en routine, est plutôt d’attendre au minimum trois mois après l’accouchement. Si au terme de ces trois mois la femme se plaint d’une incontinence persistante, son gynécologue l’adresse à un “physiothérapeute” (équivalent de nos kinésithérapeutes). Ce dernier va procéder à un examen et un bilan du périnée, et de son état fonctionnel, va délivrer des conseils pour le quotidien dans le cadre d’une éducation comportementale, et s’attacher à renforcer les muscles du plancher pelvien par des exercices de contraction, en s’assurant, selon le guide de bonnes pratiques néerlandais, que ces exercices peuvent s’intégrer dans la vie de tous les jours. Pour les femmes qui en ont besoin ces séances (en général 7 à 8) sont prises en charge par la sécurité sociale de base. En Australie, en routine, après un accouchement, les hôpitaux publics délivrent de l’information sur les exercices de contraction musculaire et plusieurs sites sont censés les expliquer dans le détail. Le Livre de poche de la grossesse (The pregnancy handbook) a développé une appli qui envoie des alertes par SMS aux femmes pour qu’elles pensent à faire leurs exercices. Celles qui se plaignent de problèmes d’incontinence ou autres troubles liés à la sphère périnéo-pelvienne sont orientées vers un physiothérapeute (les sages-femmes australiennes ne sont pas du tout formées pour la rééducation du périnée).
A Hong Kong, quelques rares centres de kinés dispensent des exercices autour du périnée, mais il ne s’agit que d’électro-stimulation, et mieux vaut être doté d’une bonne assurance puisqu’il faut débourser près de 150 euros pour 40 minutes. Seules deux sages-femmes proposent une rééducation manuelle,et elles sont … françaises. La Chine en revanche a décidé que la prise en charge de la rééducation périnéale était une priorité. Tous les grands hôpitaux doivent désormais avoir un centre de périnéologie. Et ils ont demandé à un kinésithérapeute français, Loïc Dabbadie, un des fondateurs de l‘Ecole Internationale de Rééducation du Plancher Pelvien (EIRPP), de les former. “Ce qu’on fait en France continue à bien s’exporter,” assure-t-il.
L’exemple québécois est assez proche de la situation espagnole: “Dans la plupart des cas, la rééducation périnéale au Québec n’est pas couverte par l’assurance maladie, explique Claudia Browne, physiothérapeute (l’équivalent de nos kinésithérapeutes), directrice de clinique et chargée de cours. Il faut aller dans le secteur privé et tout le monde ne peut pas se le permettre. Il y a tout de même de plus en plus de centres publics qui offrent de la rééducation. A Montréal deux ou trois hôpitaux font appel à des physiothérapeutes mais seules les patientes référées par un médecin, parce qu’elles ont un problème avéré, peuvent s’y rendre. Les patientes qui viennent me voir ont souvent entendu parler de la France. Pour nous, ce qui se pratique en France, la prescription de dix séances même pour quelqu’un qui n’a a priori pas de problème, est un luxe.”
C’est ce que rappelle d’ailleurs Bernadette de Gasquet, médecin français, professeur de Yoga, conceptrice de “l’approche posturo-respiratoire”, organisatrice d’un prochain colloque sur le thème de la féminité et de la maternité . Elle assure qu’à l’étranger, “quand on parle périnée, il y a une tour Eiffel qui apparaît”. “Nous sommes un modèle pour le Québec, le Japon, le Portugal, l’Espagne, l’Italie, entre autres. Nous sommes le seul pays à pratiquer la rééducation systématique du post partum, les autres pays ne font rien ou ne s’intéressent qu’à l’incontinence anale. Une femme qui urine dans sa culotte finalement ce n’est pas très grave. »
Une remise en cause de la prescription systématique pas nouvelle
Alors quoi? Pourquoi le collège des gynécos a-t-il attaqué ce bastion français de la santé des femmes que le monde entier nous envie en remettant en cause la prescription systématique?
D’abord, il faut préciser que ce n’est pas une première. Déjà, en 2002, l’ANAES (devenue depuis la Haute Autorité de Santé) notait dans ses recommandations: “l’indication de rééducation en post – partum n’est pas systématique. La prescription de séances de rééducation du post-partum découle des symptômes décrits par la patiente ou décelés lors de l’examen clinique effectué au cours de la consultation postnatale (6 à 8 semaines après accouchement)”. Dans son guide pour la pratique clinique des sages-femmes en rééducation périnéale, le collège national des sages-femmes (CNSF) note en page 8 que « la prescription de rééducation n’est pas systématique en post-partum » précisant qu’« une patiente ne présentant aucune symptomatologie périnéale, un examen clinique normal, sans aucune gêne, n’y trouvera aucun bénéfice ». Même si juste avant en page 3, le même guide assure que « la rééducation périnéale (selon les méthodes validées par l’Anaes en 2002) est quasiment toujours indispensable.”
Ensuite, le Collège des gynécologues obstétriciens ne déconseille pas la pratique, il se contente de remettre en cause son utilité sur le seul volet préventif, comme l’a tout de suite rappelé le CNSF. « Le fait que la rééducation périnéale post-natale ne soit pas recommandée à ce jour pour les femmes asymptomatiques veut simplement dire qu’il n’existe pas d’études, d’un niveau de preuve suffisant, prouvant son efficacité pour cette indication là, pose Sophie Crétinon, membre du groupe de travail sur la rééducation périnéale au sein du CNSF. Il ne faut pas en conclure pour autant que la pratique est délétère. A minima elle ne présente pas d’intérêt.”
De la difficulté de prouver une efficacité préventive
Certes. Mais c’est bien là la question voire le problème. Un acte paramédical est prescrit presque systématiquement à 800.000 femmes chaque année et pris en charge à 100% alors qu’il ne présente, peut-être, aucun intérêt pour une partie d’entre elles. C’est le “peut-être” qui est au coeur du débat. Car toute la difficulté réside dans la possibilité de prouver par des études validées l’impact préventif d’un dispositif de santé.
“Il me semble exagéré de dire que l’effet préventif n’a pas été démontré, estime Chantal Dumoulin, chercheure et directrice de laboratoire québécoise, en charge de plusieurs recherches internationales sur le sujet. Il existe des études qui appuient l’effet préventif d’une prise en charge pendant la grossesse, sur l’incontinence urinaire en post partum à court terme. L’incidence sur le long terme est en revanche très difficile à établir, c’est vrai, pour des raisons méthodologiques, à cause des biais qui ne manqueraient pas de survenir (grossesses subséquentes, prise de poids et constipation).”
Bary Berghmans, spécialiste néerlandais du plancher pelvien, internationalement reconnu, prône la prudence. “Je comprends les médecins français car il est vrai qu’il est difficile de tirer des conclusions des études concernant l’utilité de la prévention primaire. Cependant, on sait que la première grossesse est la plus forte cause de dysfonctions de la zone pelvienne. Pour 80% des femmes, après une première grossesse, il y a un impact sur le périnée. C’est une réalité. On sait aussi qu’il existe des facteurs de risques : l’incontinence pendant la grossesse, le poids du bébé (au-delà de 4kg), la circonférence de la tête du nouveau-né, le mode d’accouchement (utilisation de forceps par exemple).” Le praticien estime aussi que permettre aux femmes de reprendre possession de leur corps, de se centrer un peu sur elles, présente un réel intérêt.
Bernadette de Gasquet, elle, est un peu exaspérée par la question. “Ce qui me choque, en fait, c’est la façon dont on présente les choses. Comment veut-on prouver quoi que ce soit sur des personnes asymptomatiques ? Ce qui ne se fait pas dans les six premières semaines après l’accouchement, en ce qui concerne la taille de l’utérus, sa position, l’écartement des abdominaux, l’étirement des ligaments, ne se rattrape pas. A contrario, si on attend trois mois pour éventuellement constater qu’une femme est symptomatique, c’est déjà trop tard, la rééducation périnéale ne suffira pas.»
Le périnée est aussi un marché
Cela dit, si ces recommandations ont agacé, si leur angle d’attaque (dimension préventive pas étayée) est discutable, elles ont néanmoins le mérite d’avoir mis les pieds dans le plat. Depuis 30 ans que la rééducation périnatale est prise en charge et prescrite à tout va en France, elle est devenue un marché. Méthodes, livres, matériel et programmes de formation ont fleuri. En 2014, la rééducation périnéale était l’acte le plus fréquemment côté chez les sages-femmes : 2,9 millions d’actes pour un montant d’honoraires de 58,1M€1. La rééducation représente 36% de leurs actes et 26% de leurs honoraires. Pour 80% des sages-femmes, la rééducation périnéale constitue plus de 20% de leurs honoraires. En restreindre la prescription ne serait pas sans conséquences pour elles. C’est plus difficile à établir pour les kinésithérapeutes dans la mesure où la rééducation périnéale n’apparaît pas en tant que telle dans leurs cotations.
La sécurité sociale rembourse à 100% un nombre illimité (!) de séances (mais avec une entente préalable, quand même, au-delà de 30 séances). Or, s’il y a un sujet sur lequel l’ensemble des spécialistes français et internationaux sont d’accord c’est bien celui-ci: au-delà d’une dizaine de séances, en l’absence de résultats, il faut arrêter. “Mon quotidien ce sont des femmes qui ont enchaîné 40 à 60 séances de rééducation qui n’ont rien donné”, déplore Chantal Fabre-Clergue, coordonnatrice du groupe de travail sur la rééducation périnéale au sein du CNSF, elle-même conceptrice d’une méthode de rééducation. “Lorsque la rééducation est efficace, elle l’est de façon rapide, renchérit Bernadette de Gasquet. Et il ne faut pas promettre n’importe quoi. Tout ne peut pas se récupérer par la rééducation. Les organes descendus ne remontent pas de façon définitive. On ne peut pas retenir les prolapsus par une contraction active permanente!”
La sécurité sociale a calculé qu’en moyenne les femmes qui utilisent leur droit à la rééducation font 7,8 séances. Pour une partie d’entre elles c’est certainement déjà trop. “A titre personnel il me semble qu’il n’est pas nécessaire d’effectuer 10 séances sur une patiente asymptomatique pour laquelle on n’a pas de facteurs de risques”, concède Sophie Crétinon. “Peut-être y-a-t-il un juste milieu, propose Claudia Browne. Le modèle français c’est fantastique mais offrir d’emblée 10 séances à tout le monde, ça n’a pas de sens. Une ou deux séances pour toutes les femmes puis davantage pour celles qui en ont besoin, ce serait déjà très bien.” Histoire notamment de faire un peu d’éducation comportementale, essentielle, au-delà de la rééducation physique. Parce que c’est une réalité, la plupart des femmes ignorent où se trouve leur périnée et à quel point il joue un rôle fondamental dans leur vie de tous les jours et dans leur sexualité. Là-dessus, en France et ailleurs, les thérapeutes se rejoignent. Informer, éduquer, sensibiliser, est une réelle nécessité.
Des méthodes à ne plus savoir qu’en faire
Sur la question de la quantité, relatif consensus donc: tout le monde n’a pas besoin de dix séances mais toutes les femmes peuvent tirer profit d’au moins un rendez-vous avec un professionnel consacré à cette thématique. Sur la question de la qualité, du contenu, de la méthode, en revanche, ça se corse. Le collège des gynécologues y est allé sur la pointe des pieds en évoquant de “très nombreuses techniques et des pratiques très disparates tant sur l’indication que sur les modalités pratiques”. C’est un euphémisme. Le “guide pour la pratique des sages-femmes en rééducation pelvi périnéale”, publié par le Collège National des sages femmes, recense l’ensemble des méthodes existantes (certaines sont résumées dans notre article complémentaire) et ressemble à un inventaire à la Prévert. Des plus classiques, électro-stimulation, renforcement musculaire avec ou sans biofeedback, à toutes celles mises au point au cours de ces trente années du périnée roi: gymnastique abdominale hypopressive de Marcel Caufriez, concept abdo-périnéo MG de Luc Guillarme, méthode de rééducation proprioceptive de Chantal Fabre-Clergue, “Connaissance et Maîtrise du périnée” de Dominique Trinh Dinh… Et il y en a d’autres.
De plus en plus globales, plus ou moins axées sur le souffle, la posture, la contraction musculaire, elles ont toutes été inventées par des passionnés persuadés chacun de détenir la vérité sur le périnée (quand les autres font erreur évidemment). Ces praticiens-concepteurs, auteurs de livres, organisateurs de formations, sont régulièrement sollicités par les medias pour leur expertise (à commencer par nous, ici). Avec le risque d’être à la fois juge et partie quand il s’agit de répondre à la question de la qualité et du fondement scientifique des différentes méthodes pratiquées. Le collège des sages-femmes en a bien conscience puisqu’il écrit dans son guide: “Depuis les recommandations de l’ANAES en 2002, la connaissance du périnée s’est aiguisée, les méthodes de prise en charge se sont multipliées sans pour autant être passées au crible de l’évaluation des pratiques professionnelles. Le CNSF soucieux d’apporter des RPC aux sages-femmes, va entreprendre une démarche auprès de la HAS pour évaluer scientifiquement l’ensemble des méthodes pratiquées en France et conforter ces professionnelles dans leur pratique”. Sophie Crétinon assure d’ailleurs qu’une “grosse étude multicentrique” va bientôt commencer.
Des techniques pas validées scientifiquement
Il serait temps. Car si la France suscite l’admiration des autres pays pour son regard précurseur et pour la générosité de sa prise en charge périnéale en post partum, elle suscite aussi une certaine perplexité sur le plan scientifique. De la rééducation pour tout le monde, à tout le moins une ou deux séances, d’accord, mais pour en faire quoi? Les rares pays qui se préoccupent, même a minima, du périnée abîmé des femmes après l’accouchement, restent la plupart du temps sur du basique dans leurs préconisations officielles : un peu d’éducation comportementale pour le quotidien et des exercices de renforcement du plancher pelvien, façon Kegel. A pratiquer chez soi la plupart du temps après une brève explication. Parfois avec un professionnel, avec ou sans biofeedback, en individuel ou en groupe. C’est plus sommaire, moins foisonnant que chez nous. La raison est simple. Seuls les exercices de contraction des muscles du plancher pelvien, associés à de l’éducation comportementale, sont validés par la littérature internationale. Ce sont ces exercices qui sont recommandés par le Collège des gynécologues obstétriciens français.
“Que l’on agisse en préventif ou en curatif, il est très important de le faire à partir des données probantes, résume la Québécoise Chantale Dumoulin, qui a supervisé plusieurs études internationales. La vraie question pour moi est là, au-delà de savoir qui devrait avoir droit à la rééducation : les praticiens utilisent-ils des méthodes dont il a été démontré qu’elles étaient efficaces par des essais cliniques randomisés ? Fait-on le meilleur usage des fonds publics en offrant la prise en charge proposée ? Aujourd’hui, ce qui est recommandé dans la littérature, ce sont les programmes intensifs avec des exercices de renforcement du plancher pelvien.”
L’objectif de son propos n’est pas de jeter le discrédit sur les programmes alternatifs au renforcement intensif. “Je connais les autres méthodes, notamment celles des abdominaux hypopressifs ou celle du sifflet (ndlr: méthode de Luc Guillarme). Il ne s’agit absolument pas de dire qu’elles sont mauvaises, mais juste qu’elles ne sont pas étayées par des études randomisées, présentement. Car sur le papier, ce sont de bonnes idées, la biomécanique sur laquelle elles s’appuient fait sens. Quand il y a une incontinence à l’effort, c’est soit parce que le plancher pelvien est trop faible, soit parce qu’il subit trop de pression au-dessus de lui. L’idée d’évacuer la pression est donc intéressante. Simplement, si chacun a bien fait lui-même quelques tests concernant sa méthode, il n’y a pas encore d’essais cliniques randomisés sur le sujet. Je suis une scientifique et j’ai besoin des preuves qui appuient ces méthodes.”
Les Français ont du mal avec l’évaluation
Bernadette de Gasquet, qui a développé l’une de ces approches, ne cache pas, là non plus, son irritation. « Pendant des années, on a travaillé sur le muscle, dans la même position. De plus en plus on a ajouté la respiration, la posture, les pressions. Cette prise en charge globale est plus difficile à évaluer. Le test d’incontinence est humiliant et réducteur. Une femme est capable de dire si elle se sent mieux ou pas. Et puis on nous renvoie constamment au modèle québécois. Dans l’obstétrique québécoise, il n’y a pas de sages-femmes mais des infirmières. Elles sont là pour vérifier la dilatation. Lorsque celle-ci est complète, on demande à la femme de pousser. Elle pousse pendant deux heures. Dans les maisons de naissance on peut pousser pendant trois heures. Quand il y a une descente d’organe, on enlève l’utérus. Ils ne s’occupent pas du périnée. Il faut six mois de délai pour une consultation. C’est ça le modèle québécois.” Chantal Fabre-Clergue estime pour sa part que “certains conservent une vision dépassée de la rééducation, il faudrait par exemple cesser de dire qu’il faut uniquement contracter”.
Peut-être, mais apportez la preuve, répondent leurs homologues étrangers. Bary Berghmans a regardé attentivement le guide des sages-femmes françaises, ce qui l’a laissé assez songeur. « Il s’agit d’un catalogue des méthodes possibles. Pour chacune on voit une liste de références mais ce ne sont que des livres, en général écrits par les promoteurs de la méthode. Or un livre n’est pas une évaluation par les pairs, un livre ne présente aucune validité scientifique. Il ne s’agit pas de dire que ces méthodes sont fausses mais juste qu’elles ne présentent aucun niveau de preuve. Elles reposent sur trop d’hypothèses non confirmées, trop d’incertitudes.”
Pour le Néerlandais, les Français donnent ainsi l’impression d’être coupés du monde scientifique et de ne suivre que leurs propres règles. Une anecdote illustre ce sentiment. L’association internationale d’urogynécologie a organisé son 40ème congrès en juin 2015 en France, à Nice. “Sur 2000 professionnels, combien de kinésithérapeutes français?” interroge-t-il. Il lève la main et montre deux doigts. Un congrès scientifique international a lieu en France et deux Français représentent l’une des corporations les plus concernées par le thème (dont Loïc Dabbadie d’ailleurs, le formateur des Chinois).
Une seule technique ne peut traiter l’ensemble des situations
L’autre problème qui se pose avec ses approches aussi disparates que peu randomisées: le manque d’ajustement de la technique au besoin de la patiente. En l’absence d’études comparatives on ne peut pas écrire que “toutes les méthodes ne se valent pas”, on n’en sait fichtrement rien. On peut en revanche écrire que certaines méthodes seront totalement hors sujet pour certaines patientes. “L’électro-stimulation ne sert pas à renforcer le muscle mais agit au niveau neuronal, explique Bary Berghmans. Comme une sorte de biofeedback, elle permet de reprogrammer les circuits neuronaux. Elle a donc un sens pour les femmes dont le périnée semble intact mais qui pour autant ne parviennent pas à le contracter. Elle ne sert à rien en revanche pour une femme qui parvient à contracter son périnée et a juste besoin de le renforcer. Et je doute fort que l’électro-stimulation ait des vertus préventives.”
“On doit chercher le contenu optimal d’une séance au regard d’une indication précise”, approuve Sophie Crétinon, du CNSF. Pourtant, combien de kinésithérapeutes pratiquent l’électro-stimulation à la chaîne sur des patientes qui parviennent à contracter leur périnée? A contrario combien de femmes vont effectuer 20 séances de rééducation manuelle ou de CMP à grand renfort de visualisation de grottes alors qu’elles auraient besoin de quelques séances d’électro-stimulation au départ? Combien de professionnels sont aujourd’hui en mesure de mixer les approches pour s’adapter à la situation périnéale de la patiente? “Oui, reconnaît Chantal Fabre-Clergue, les dérives existent et certaines rééducations sont très mal conduites”.
Pas de spécialisation exigée pour s’occuper du périnée
C’est d’autant plus le flou artistique que la rééducation périnéale ne fait pas l’objet d’une spécialisation médicale, comme l’explique le kinésithérapeute Loïc Dabbadie: “Il n’y a pas d’obligation légale pour les kinés à suivre une formation spécialisée en rééducation périnéale en France. Oui il faudrait soumettre la pratique de cette spécialisation à l’obtention d’une reconnaissance et valider un diplôme.” Chez les sages-femmes, idem. Elles sont fortement incitées à suivre des formations complémentaires mais ne sont soumises à aucune obligation légale avant de dispenser de telles séances.
Les principaux protagonistes reconnaissent eux-mêmes que cette piqûre de rappel du collège des gynécologues en décembre dernier n’est pas sans intérêt. “Peut-être faut-il se saisir de cette occasion pour se remettre en question et réfléchir tous ensemble, avance Chantal Fabre-Clergue. Comme nous l’avons déjà fait lors des recommandations sur l’épisiotomie.” Sophie Crétinon estime elle aussi que “ces recommandations constituent une occasion de s’interroger sur les pratiques et de prendre de la distance”.
Depuis les Pays-Bas, Bary Berghmans exhorte les praticiens français à prendre le taureau par les cornes. “ C’est de la responsabilité des kinésithérapeutes et sages-femmes français de montrer l’utilité de leur pratique avec des preuves scientifiques. Sinon que va-t-il se passer? On commence par dire que l’effet préventif de la rééducation n’est pas prouvé, puis on finit par considérer que c’est l’ensemble de la rééducation qui n’a pas d’effet probant.» Ce serait vraiment dommage de jeter le bébé, et le périnée de sa mère, avec l’eau du bain.