Accessibilité des modes d’accueil, attention portée au développement langagier des tout-petits les plus fragiles, réduction du nombre d’enfants à la rue, renforcement des missions de la PMI, discussions sur l’entretien prénatal précoce mais aussi lutte contre le décrochage scolaire et soutien aux jeunes majeurs de l’ASE : le Plan pauvreté a été livré aujourd’hui dans le détail et le pilier « enfance » couvre un champ très large.
Les enfants sont bien revenus au cœur de la Stratégie pauvreté. Le Président de la République a consacré la première partie de son discours à la prévention de la pauvreté et donc à l’enfance en déplorant «le déterminisme social et territorial et l’assignation à résidence ». A deux reprises, il le dira : il faut six génération, 180 ans, pour que les descendants d’un enfant né pauvre accèdent à la classe moyenne. Il évoque cette jeune femme rencontrée récemment, ex enfant placée, elle même mère de trois enfants tous placés. « De fait, assure Emmanuel Macron, nous décidons collectivement qu’il n’y a aucune chance que certains enfants soient chefs d’orchestre, chirurgiens ou un hauts fonctionnaires. La pauvreté ne doit plus se transmettre en héritage ». Il évoque les inégalités de maîtrise du vocabulaire chez les enfants de quatre ans, la concentration dans les quartiers pauvres d’élèves ne maîtrisant pas en CM2 les savoirs fondamentaux. Manifestement, «notre modèle, s’il corrige un peu et permet de mieux vivre, ne permet pas suffisamment de prévenir et d’éradiquer la pauvreté. » Trop d’énergie a été réservée à « corriger des imperfections à la marge ».Il est donc temps de « penser davantage prévention que traitement des conséquences ». Notamment parce que, selon Agnès Buzyn, la Ministre des Solidarités et de la Santé, pour ces enfants « le temps perdu ne se rattrape pas ».
60 millions pour mieux former les professionnels au développement global de l’enfant
Du côté de la petite enfance, la Stratégie reprend des éléments de la toute dernière Convention d’Objectifs et de Gestion de la CNAF et met en avant l’idée d’un continuum éducatif des 0-6 ans. Emmanuel Macron promet une « réforme profonde des modes de garde » avec une accessibilité qui doit être développée et une qualité qui doit être « massivement améliorée ». Le coût de la construction des nouvelles crèches pour les villes pauvres sera limité à un reste à charge de 10% du montant total pour les communes fragiles. Un bonus « mixité sociale » aura pour objectif d’inciter les villes à créer 90.000 places prioritaires. Les crèches à vocation d’insertion professionnelle passeront de 40 à 300. Les aides pour la garde d’enfant seront versées immédiatement pour éviter l’avance des frais, soit la généralisation du tiers payant pour le complément mode de garde. La formation des professionnels doit être complétée pour que le développement du langage, de l’empathie, de la confiance en soi « irrigue tous les modes de garde », selon les mots du Président.
Un fonds d’innovation sociale de 100 millions d’euros devra permettre, en plus de l’actuelle refonte des diplômes, « de diffuser sur tous les territoires de nouvelles méthodes d’apprentissage ». « Il faut mieux former les 600.000 professionnels, sur les compétence cognitives et comportementales essentielles » martèle Emmanuel Macron. C’est dans cet objectif qu’un référentiel insistant sur le développement du langage concernera à la fois les professionnels de la petite enfance et les enseignants de maternelle. 60 millions d’euros seront dédiés à l’amélioration de la formation. « On peut imaginer d’avoir des temps croisés, propose Olivier Noblecourt, le délégué interministériel à la prévention et à la lutte contre la pauvreté. Que les enseignants de maternelle se spécialisent, et que des formations partagées entre professionnels petite enfance et éducation nationale soient organisées ». Olivier Noblecourt insiste : l’enjeu est bien le développement global de l’enfant et il ne s’agit pas de se limiter aux compétences langagières. Tout comme il n’est pas envisagé d’imposer un dispositif précis (en l’occurrence Parler Bambin). En maternelle, dans 60 quartiers prioritaires, l’enseignant sera systématiquement accompagné d’une ATSEM.
La PMI et l’entretien prénatal précoce également abordés
Cette stratégie comporte également un « nouveau parcours pour les parents dès le 4ème mois ». Les discussions sont en cours. « Dès le 4ème mois il faut expliquer aux mères et aux pères ce que sera avoir un enfant, estime le Président, expliquer par exemple la bonne alimentation. On apprend à devenir mère et père. On n’a peut être pas suffisamment accompagné les futures mères assez tôt ». Il n’est pas certain que tous les spécialistes du soutien à la parentalité, notamment ceux qui ont participé à la récente Stratégie sur le sujet, souscrivent à cette approche, qui pourrait leur apparaître comme trop prescriptrice ou trop normative… Agnès Buzyn insiste : « Nous étions soucieux de commencer avant la naissance. Il est indispensable de repérer tôt les femmes les plus précaires pour les accompagner ». A notre question sur l’accessibilité de cet entretien prénatal aux plus fragiles, elle lâche LE mot : « systématique ». Ces propositions et échanges font écho à l’analyse développée ce mardi par la pédopsychiatre Anne-Marie Sutter lors de la journée scientifique de la cohorte Elfe. Elle a notamment rappelé que les femmes ayant le plus accès à l’entretien prénatal précoce étaient certainement celles qui en avaient le moins besoin et plaidé pour le repérage des facteurs de risque et la mise en place de programmes préventifs ciblés. Lors des très houleux débats qui ont précédé l’instauration de cet entretien, nombre de spécialistes et d’acteurs de terrain s’étaient battus pour que celui-ci ne présente aucun caractère obligatoire ni « psychosocial ». Ils avaient obtenu gain de cause. Et aujourd’hui le constat est sans appel: les femmes les plus fragiles bénéficient beaucoup moins de cet entretien que les autres. Le vif intérêt de la Ministre pour ce dispositif promet donc des débats relancés.
La création de 300 centres sociaux supplémentaires devra appuyer une rénovation de la politique de soutien à la parentalité (qui vient elle aussi de faire l’objet d’une nouvelle stratégie). Un renforcement du rôle de la PMI dans le parcours santé des 0-6 ans a également été annoncé. « Nous voulons que tous les enfants bénéficient d’une évaluation complète avant six ans et nous travaillons actuellement sur le sujet avec Jean-Michel Blanquer » explique Olivier Nolecourt. Les données de la cohorte Elfe montrent là aussi la pertinence de ce questionnement.
Réduire le nombre d’enfants à la rue et prévenir le décrochage scolaire
Le Plan Pauvreté s’attelle à un autre sujet d’actualité : les familles à la rue. Résorption des bidonvilles, rénovation du logement insalubre, lutte contre les marchands de sommeil sont au programme dans le but de lutter contre la présence d’enfants à la rue. Au 1er janvier 2019 débutera la mise en place de 7500 places supplémentaires pour héberger les familles sans logement. Le plan prévoit également une mesure innovante, des maraudes mixtes Etat/aide sociale à l’enfance pour aller vers les familles avec enfants dans la rue et prévenir la mendicité. Autres mesures : des incitations financières permettront aux communes les plus pauvres de proposer des repas à la cantine à 1 euro et des petits déjeuners seront offerts aux collégiens des établissements REP. Les parents solos font l’objet d’une attention particulière avec une «offre de répit parental ».
Les décrocheurs scolaires, « ceux qui lâchent la corde tout doucement et sortent des statistiques » selon Emmanuel Macron, ont eux aussi droit à une attention spécifique. Le Plan pose une « obligation de formation ». Tous les jeunes de moins de 18 ans en risque de décrochage devront se voir proposer une solution, scolarisation ou formation, avec un repérage massif et une prise de contact systématique par les missions locales. La garantie jeune sera généralisée. Des fonds seront dédiés à la formation des conseillers d’orientation. Enfin, concernant le sujet très sensible des jeunes majeurs de la protection de l’enfance, la Stratégie prévoit un engagement contractualisé de l’Etat avec les départements pour les 18-21 ans pour « empêcher que des jeunes ne se retrouvent sans solution d’accompagnement à la sortie de l’Aide Sociale à l’Enfance ».
En conclusion de son discours, Emmanuel Macron affirme vouloir « éradiquer la pauvreté à l’échelle d’une génération ». « Si ce n’est pas la France qui mène cette bataille, personne ne la mènera. Alors nous allons le faire. »