Dans un gouvernement resserré, le choix des intitulés des différents ministères constitue autant de messages politiques. Autant dire que la disparition d’un portefeuille dédié aux familles et à l’enfance suscite des remous. D’autant plus peut-être que la dernière Ministre en charge de ces domaines, Laurence Rossignol, a initié un travail de fond et une réelle dynamique. Mais qu’il reste quelques dossiers brûlants à traiter.
Ce n’est pas la première fois mais ce n’est pas cet argument qui va rasséréner les acteurs concernés : le Ministère de la famille, et celui de l’enfance, ont disparu. Ces deux domaines pas totalement anecdotiques n’ont même pas droit à un secrétariat d’état. Certainement les grandes (et nombreuses) problématiques qui leur sont rattachées tomberont-elles dans l’escarcelle du ministre des Solidarités et de la Santé. Même si ces thématiques sont aussi susceptibles de concerner Marlène Schiappa, la secrétaire d’Etat en charge de l’égalité entre les femmes et les hommes.
Qui pour relancer la politique familiale?
En tous cas, l’Union Nationale des Associations Familiales (UNAF) salue la nomination d’Agnès Buzyn au Ministère des Solidarités et de la Santé mais déplore « que ce premier gouvernement, et plus particulièrement ce ministère des Solidarités, ne mentionne pas explicitement le mot « familles ». » « Les 18 millions de familles qui vivent en France ont besoin d’être pleinement reconnues et soutenues par les pouvoirs publics. » L’UNAF poursuit : « La baisse spectaculaire de la natalité alors que le désir d’enfant reste fort, les pertes de pouvoir d’achat spécifiquement subies par les familles… sont autant de signaux d’alerte qui démontrent la nécessité de relancer la politique familiale. L’UNAF va prendre attache avec la nouvelle Ministre des Solidarités et de la Santé pour voir, avec elle, comment prendre en compte les inquiétudes des familles, leurs aspirations et leurs besoins ». L’UNAF réclame donc que les familles soient mentionnées en clair dans l’intitulé du Ministère des Solidarités et de la Santé et qu’un secrétariat d’Etat leur soit rattaché.
Du côté des professionnels de la petite enfance, le mécontentement s’exprime aussi. Pour l’UFNAFAAM, le mouvement représentatif des assistants maternels et familiaux, cette absence de secrétariat dédié aux familles est d’autant plus problématique que les cinq années qui viennent de s’écouler ont laissé des dossiers urgents en suspend et que la situation est critique. Le secteur connaît une grave crise, entre un chômage croissant des professionnelles, la baisse du nombre d’heures déclarées et de prochains départs en retraite massifs. “D’ici quelques années, on risque d’être confronté à une importante pénurie de professionnels, avertit Sandra Onyszko, porte-parole de l’UFNAFAAM. Comme les assistantes maternelles ont du mal à gagner leur vie, elles arrêtent. Le nombre de demandes d’agrément diminue, y compris à Paris, ce qui constitue une réelle alerte. Lorsque les départs en retraite vont se multiplier, on va vraiment manquer de places d’accueil. Ca va venir très vite, et quand les décideurs vont s’en rendre compte, il sera trop tard. La colère est en train de gronder parmi les professionnels. Il faut agir. Or, en l’absence d’un ministère dédié aux familles et à l’enfance, nous avons des doutes sur ce qui peut être impulsé.”
Des décisions pas conformes aux signaux envoyés
D’autres associations et personnalités ont manifesté leur déception, voire leur colère. Lyes Louffok, membre du Conseil National de la Protection de l’Enfance, ancien enfant placé auteur du livre « Dans l’enfer des foyers » affirme « être tombé de sa chaise ». Il vient de publier une lettre ouverte. « Je n’en reviens pas, notamment pour deux raisons, nous a-t-il expliqué. D’abord Emmanuel Macron s’était engagé dans un courrier au Cofrade à faire de l’enfance une priorité. Ensuite, Marlène Schiappa, l’actuelle Ministre de l’égalité des droits entre les femmes et les hommes est passée par le cabinet de Laurence Rossignol, elle était très sensibilisée à la protection de l’enfance, elle a rencontré des enfants victimes de violence et juste avant sa nomination elle avait encore donné des gages. Ce qui est mis en place est totalement contradictoire avec les signaux qui ont été envoyés. »
Lyes Louffok est particulièrement inquiet du fait que non seulement les Ministères, puisque resserrés, ont des compétences « hypra-élargies »mais qu’en plus les cabinets ont eux aussi été réduits. « Comment un Ministère aussi large que les Affaires sociales va-t-il tourner avec dix conseillers ? Les Ministère sociaux sont de gros ministères. Si je découvre que pas un seul conseiller n’est dédié à la question de la protection de l’enfance je risque d’être très en colère. » Lyes Louffok soulève un autre problème : quid du fonctionnement du Conseil National de la Protection de l’Enfance (CNPE), tout juste mis en place avec la loi de juillet 2016 et qui est censé être présidé par le Ministre en charge de la Famille ? Qui en récupérera la présidence ?
Des sujets aussi politiques que techniques
La déception est aussi de mise du côté de l’ancien président du Tribunal pour enfants de Bobigny, le juge Jean-Pierre Rosenscveig, lui aussi membre du CNPE. Sur son blog il écrit : « le gouvernement Philippe trahit bien que la famille, l’enfance, la jeunesse ne sont plus des objets – et des soucis – de politiques publiques prioritaires. L’erreur est ici majeure. On régresse plus qu’on avance! Les enjeux économiques ne doivent pas faire oublier les conditions de vie concrètes de chacun… dans l’intérêt même de la société. (…) A l’expérience enfance, famille, jeunesse ne se réduisent pas à des dossiers techniques. Les mesures qui s’imposent doivent avoir du sens politique et suppose un(e) ministre battant. Sur ce point, on est donc aujourd’hui déçu. Cette carence dans écriture et donc dans la conception du gouvernement trahit-elle inconsciemment un défaut d’analyse majeur ? Plus inquiétant, ceux qui arrivent au pouvoir n’ont-ils pas conscience des termes de la fracture sociale et culturelle ? » Pour Jean-Pierre Rosenscveig la désillusion doit être d’autant plus grande qu’il a publiquement apporté son soutien à Emmanuel Macron pendant la campagne.
Réel décalage avec le travail accompli précédemment
Michelle Meunier, la sénatrice PS qui a porté la loi de juillet 2016 réformant la protection de l’enfance, manifeste elle aussi son étonnement. « A ce jour, l’absence de ministère consacré à l’enfance et à la famille suscite de l’étonnement auprès des réseaux associatifs. D’ailleurs, ce choix fait écho à l’absence de propositions du candidat Emmanuel Macron durant la campagne présidentielle concernant l’enfance. Pour l’heure, je pense qu’il est sage d’attendre la feuille de route des différents ministères et la répartition de leurs attributions avant de crier au loup. Néanmoins, je ne comprendrais pas que le travail ambitieux déjà engagé durant le quinquennat précédent puisse rester lettre morte. Je veillerai notamment à l’application concrète du plan de lutte contre les violences faites aux enfants. Comme parlementaire chargée du contrôle de l’action gouvernementale, j’y prendrai toute ma place.»
Autre membre du CNPE à exprimer son incompréhension : l’association Enfance et Famille d’Adoption. « Nous nous interrogeons vraiment, confie Nathalie Parent, la présidente. Ce n’est pas la première fois que des gouvernements sont très réduits lors des nominations et qu’ensuite les Ministères sont déclinés, peut-être en sera-t-il autrement après les législatives. Mais nous sommes inquiets, évidemment. Cela dit, concernant l’adoption, Emmanuel Macron n’a de toute façon jamais répondu à nos sollicitations pendant la campagne. Le signe adressé n’est pas bon. C’est assez décourageant. Et il faut bien en avoir conscience: si on ne poursuit pas le travail mené sous le Ministère de Laurence Rossignol, nous allons vers la disparition de l’adoption. »
Pour nombre d’interlocuteurs, passer de Laurence Rossignol à rien, c’est décidément un peu abrupt.