Cette méta analyse s’intéresse aux éléments qui, dans les programmes de guidance parentale, peuvent expliquer la légère réduction de la maltraitance ou de sa récidive. Les programmes passés en revue se concentrent sur l’amélioration des compétences éducatives des parents et sur la modification de leur attitude vis-à-vis de la violence éducative. La plupart de ces interventions proposent du soutien individuel ou en groupe.
C’est un sujet controversé de la littérature. Est-il possible de prévenir la maltraitance ou d’en limiter la récidive ? Cette méta analyse* parue dans le International Journal of Environmental Research and Public Health en juillet 2019 investigue les composants et les techniques utilisées par les programmes de soutien parental afin d’identifier ceux qui se révèlent les plus efficaces dans la prévention de la maltraitance et de la récidive. 51 études ont été passées au crible, 180 effets ont été repérés et 40 composants et techniques « codés ». 6670 participants ont été recrutés, dont 3340 dans le groupe intervention.
En général ces programmes s’adressent à des populations à risque et qui, soit ne sont pas considérées comme maltraitantes, soit ont déjà connu des épisodes de maltraitance. Les auteurs ont exclu de leur analyse les programmes de visites à domicile en prévention primaire et à visée universaliste. La maltraitance est définie dans cette étude comme tout acte de commission ou d’omission par un parent qui est préjudiciable à l’enfant, potentiellement préjudiciable ou en menace de l’être. Les abus physiques, sexuels et différentes formes de négligences sont donc pris en compte.
Les auteurs posent en introduction qu’en matière de prévention de la maltraitance ou de sa récidive, les programmes d’entraînement parental (qui visent à augmenter les compétences parentales, leur capacité à résoudre les problèmes, à stimuler les aptitudes pro sociales des enfants, à travers notamment des mises en situation avec un feedback direct) se révéleraient plus efficaces que la seule visite à domicile. Il veulent savoir pourquoi ces programmes produisent des effets.
Quels principes sous-tendent ces interventions ?
Les auteurs rappellent que la maltraitance est perçue comme la résultante d’interactions complexes entre plusieurs facteurs de risque. Ils citent Belsky, qui s’inspire du modèle écologique de Brofenbrenner, et qui évoque 4 différents niveaux de facteurs de risque : l’histoire des parents, les caractéristiques de l’enfant et de sa famille, les caractéristiques de la communauté dans laquelle vit la famille et le degré de soutien social, l’attitude de la société vis à vis de la maltraitance. Sachant que les facteurs de risque proximaux (les premiers) ont davantage d’influence. Les ressources psychologiques des parents sont considérées comme un élément crucial. Les facteurs de risques liés aux parents et à la famille apparaissent comme les plus prégnants. En toute logique, les parents constituent la cible des programmes de prévention ou de réduction.
Quels sont les composants et techniques de ces programmes?
Favoriser des interactions parents enfant positives, augmenter la connaissance des parents concernant le développement de l’enfant, améliorer les stratégies disciplinaires et de gestion du comportement, mais aussi les attitudes des parents en général vis à vis de leur enfant ou de la parentalité. La plupart des programmes comprennent un volet censé accroître le bien-être émotionnel des parents, par exemple en apprenant aux parents comment contrôler leur colère et leur stress. Dans l’article ici synthétisé, un tableau récapitule les sujets abordés dans ces programmes avec les parents. Près de 98% des interventions travaillent sur les compétences en matière de discipline, 88,8% apprennent aux parents à encourager les différentes compétences de leur enfant, 42% cherchent à augmenter le degré de connaissances des parents en matière de développement de l’enfant, 43% enseignent aux parents à avoir des attentes réalistes, 69,7% organisent des séances parent-enfant avec un retour immédiat, 47% recourent au « modelage » en montrant en direct des comportements appropriés.
Une efficacité similaire pour la plupart des ingrédients de ces programmes
L’effet global des programmes est considéré comme petit mais significatif. Il semble que ces effets ne soient liés ni aux facteurs contextuels (l’objectif du programme ou le lieu de délivrance), ni aux éléments structurels (la durée, le nombre de sessions, l’intervalle).
Concernant la composition même des programmes et les techniques utilisées, la plupart ne viennent pas, en eux-mêmes, modifier le résultat. Les auteurs concluent qu’ils sont équivalents en terme d’efficacité. Seuls certains composants de ces programmes ont un impact sur les effets, en diminuant légèrement leur intensité. C’est le cas par exemple du focus sur les compétences « personnelles » des parents, sur leur capacité à résoudre ces problèmes personnels (stress, santé), ou sur l’accent mis sur la stimulation du comportement prosocial de l’enfant. De la même façon, les programmes utilisant les exercices pratiques ont des effets moins marqués.
Le focus sur les problématiques personnelles des parents a des effets moins marqués
Le fait que l’accent mis sur les problèmes personnels des parents soit sans grand effet sur la prévention ou la réduction de la maltraitance est intéressant. Les chercheurs rappellent en effet que ces difficultés personnelles sont identifiées comme un facteur de risque important pour la maltraitance et qu’il peut donc sembler logique, a priori, de traiter cette problématique dans un objectif de prévention. Or, cette méta analyse n’est pas la première à mettre en évidence un plus faible effet des programmes d’entraînement centrés sur cette dimension. Les auteurs font l’hypothèse que la capacité à résoudre des difficultés personnelles est moins directement liée à la maltraitance que les compétences éducatives ou les aptitudes dans la relation avec l’enfant. Comme les interventions demeurent limitées dans la durée, il peut apparaître comme plus opportun de les consacrer aux strictes difficultés parentales. La question étant notamment : si on dispose de plus de temps (et donc de moyens financiers), peut-il être rentable d’intégrer cette dimension ?
Modifier le comportement de l’enfant a peu d’impact sur les attitudes parentales
Pour l’effet moins marqué des sessions consacrées au comportement de l’enfant lui-même (valorisation du comportement pro social), les auteurs précisent que là aussi c’est un résultat déjà apparu dans la littérature. Ils posent que finalement les troubles du comportement des enfants sont davantage une conséquence qu’une cause de la maltraitance et que chercher à les réduire n’a pas forcément d’impact sur la violence des parents (alors que l’inverse est vrai). Lorsque les interventions passent du temps sur ce sujet c’est au détriment de séances consacrées aux pratiques éducatives des parents (qui elles ont un effet), ce qui peut expliquer la réduction de l’effet.
Impact limité pour le modelage
Le moindre effet des techniques de « modelage » et d’exercice pratique est peut-être le plus inattendu des résultats. Les auteurs estiment qu’il peut être difficile de répliquer des exercices dans un contexte familial très complexe et que la différence de contexte entre la mise en situation et la réalité du quotidien peut expliquer la relative inefficacité de cette technique.
Les auteurs insistent en tous cas sur certains critères qui vont conditionner la réussite de l’intervention : un objectif clair et une forte alliance entre le parent et le professionnel.
*The Effectiveness of Parent Training Programs for Child Maltreatment and Their Components: A Meta-Analysis, Jeanne Gubbels,* Claudia E. van der Put, and Mark Assink, in International Journal of Environmental Research and Public Health, Juillet 2019