Voici une sélection de sept contenus recensés au mois de novembre dans des revues scientifiques ou des sites spécialisés anglo-saxons, consacrés au développement de l’enfant, aux dispositifs de prévention précoce, à la lutte contre les inégalités scolaires. Il y est beaucoup question de « bonnes pratiques éducatives », de risques, d’évaluation et d’efficacité. Des notions qui suscitent beaucoup de réticences en France.
1) Stimuler le langage des enfants autour du toboggan
The Atlantic
C’est un parc pour enfants a priori semblable à n’importe quel autre : des toboggans, des tunnels, des bosses pour courir, escalader, se cacher. Mais de nombreux panneaux sont disséminés un peu partout, très accessibles et très visibles, invitant à « parler du soleil », « parler de la nourriture », « exprimer ses sentiments ». Des mots et des dessins, omniprésents. Parce que ce parc de jeux de la ville d’Oackland (Californie), a pour objectif d’inciter les parents à interagir verbalement avec leurs enfants. C’est un projet de l’association « Trop petit pour échouer », financé entre autres par la fondation Clinton. L’objectif est d’inciter les parents de milieu défavorisé à aller au-delà des traditionnels « ne va pas trop loin » ou « ne monte pas si haut » et à échanger de façon plus poussée avec leur progéniture pendant qu’elle joue.
Combler le fossé langagier qui sépare les enfants de milieux sociaux différents
Les études s’accumulent concernant le fossé langagier entre les enfants selon leur origine sociale. Les jeunes de milieu plus populaire bénéficient de moins de conversations « adressées », entendent moins de mots entre l’âge de 0 et 3 ans que les bébés de milieu aisé. D’où l’idée de cette association d’utiliser un espace usuel pour inciter les parents à faire la conversation à leur tout petit. Certains des panneaux sont en espagnol car une partie des habitants de la ville sont latino-américains. Or, ce n’est pas la langue utilisée qui compte pour le développement cognitif de l’enfant mais la quantité et la qualité des interactions entre l’enfant ses parents.
Inciter les parents à stimuler leur enfant presque malgré eux
Ce dispositif repose sur l’idée qu’il faut montrer aux parents comment favoriser le développement de leur enfant au quotidien, sans que cela ne leur demande un effort particulier ou du travail supplémentaire. Il s’agit aussi de sortir cette guidance parentale de la sphère médicale (elle repose aujourd’hui beaucoup sur les pédiatres américains) et de toucher les pères.
Pour les concepteurs du projet, passer par le jeu, « le meilleur égalisateur », permet d’envoyer des signaux positifs aux parents, de leur montrer à quel point ils sont importants et peuvent facilement changer la donne pour leur enfant, sans être moralisateur. De nombreuses initiatives se développent aux USA pour tenter de réduire le fossé langagier (et, in fine, réduire les inégalités) en dehors de programmes dédiés, au sein des services de petite enfance. Une opération menée dans les épiceries à ainsi consisté en la commercialisation de boîtes de lait portant la phrase « d’où vient le lait ? » pour inciter parents et enfants à engager la conversation.
2) Le niveau de langage à 3 ans prédictif des difficultés scolaires ultérieures
The Journal of Pediatrics
Une de plus. Cette nouvelle étude confirme que les résultats obtenus aux tests de langage par des enfants de 3 et 4 ans sont très prédictifs du risque de bénéficier plus tard d’un suivi personnalisé, d’une orientation vers un service éducatif spécialisé ou de subir un redoublement. Cette corrélation reste valable quels que soient le genre, l’origine ethnique, les troubles du comportement, l’éducation parentale ou les revenus de la famille. Les auteurs enjoignent donc les médecins de soins primaires (les pédiatres des PMI ou centres de santé par exemple) à établir un protocole de dépistage précoce et de prise en charge des retards du langage (à ce sujet voir notre article récent sur les PMI de l’Ain).
3) Le bilinguisme est une chance pour le cerveau de l’enfant
Dans cet article, la journaliste et auteure américaine Anya Kamenetz revient sur l’intérêt cognitif du bilinguisme. C’est l’une des grandes découvertes des neurosciences de ces dernières années, affirme-t-elle, le bilinguisme façonne le cerveau différemment, stimule les fonctions exécutives et le rend donc plus agile. Il faudrait ainsi cultiver le bilinguisme des enfants migrants à l’école plutôt que de poser comme une priorité l’apprentissage de l’anglais (ou du français chez nous).
Les enfants bilingues sont meilleurs y compris dans la langue non maternelle
Elle évoque les classes où sont délivrés des enseignements alternativement dans deux langues différentes, à des élèves à la fois « natifs » et allophones. L’ensemble de ces élèves semblent « surperformer » en lecture, moins en mathématiques. Ces résultats sont en apparence surprenants voire contre-intuitifs. Les compétences en lecture reposent essentiellement sur le bagage langagier, sur la quantité de vocabulaire détenue par l’élève. On pourrait donc attendre d’un élève allophone qui ne reçoit pas de cours intensif dans la langue étrangère qu’il soit moins bon aux tests de lecture et de compréhension dans cette langue non maternelle. Ce n’est pas le cas pour ces jeunes qui reçoivent un enseignement bilingue. Il semble que le développement des fonctions exécutives favorisé par le bilinguisme leur permette de compenser largement le manque de vocabulaire dans la deuxième langue. Comme si le fait de pratiquer deux langues leur permettait de mieux comprendre le fonctionnement intrinsèque de chaque langue, de développer une meilleure « métacognition ».
Des enfants d’origine étrangère qui sont pourtant davantage en difficulté
Mais alors pourquoi les enfants issus de l’immigration ont-ils plus que les autres des difficultés scolaires ? Parce que ce n’est pas le fait de ne pas parler la langue du pays qui les handicape mais leur appartenance, le plus souvent, à un milieu pauvre. Or, on sait aujourd’hui que les parents défavorisés interagissent moins avec leurs enfants. L’important n’est pas tant que les parents s’adressent à leur enfant dans la langue officielle du pays d’accueil mais juste qu’ils s’adressent à lui, souvent, au quotidien. Anya Kamenetz ajoute que le fait de valoriser la langue d’origine au sein de l’école a un effet positif auprès des parents qui se sentent respectés et gratifiés et vont alors davantage s’investir dans la scolarité de leur enfant, ce qui aura là aussi un impact positif sur ses apprentissages.
4) Comment la Caroline du Nord a modifié l’écosystème socio-éducatif des enfants
Les pays nord-américains développent depuis une cinquantaine d’années des programmes de prévention précoce des inégalités destinés aux familles d’enfants de moins de zéro à cinq ans. Ces programmes reposent sur l’accueil des jeunes enfants, notamment les plus défavorisés, dans des services pré-scolaires de grande qualité, avec du personnel bien formés et un soutien aux familles. Le premier et le plus connu de ces programmes est le Perry Preschool Program qui combinait des visites à domicile et un environnement extra-familial enrichi. Pour les pays initiateurs de ces dispositifs (essentiellement les USA et le Canada) mais aussi pour les instances internationales (OMS, OCDE) l’idée est de pouvoir développer ces programmes le plus souvent locaux à une plus large échelle. Pour cela, et notamment en raison du coût de ces dispositifs, les décideurs souhaitent de plus en plus faire reposer leurs orientations politiques sur des programmes scrupuleusement évalués. Or, les évaluations actuellement disponibles s’appuient sur des échantillons trop faibles et sur des programmes peu représentatifs de l’accueil proposé de façon générale.
Deux programmes pour une prévention grand angle
Les auteurs de cette étude avaient pour feuille de route d’évaluer la portée sur le long terme des programmes et politiques de prise en charge de la petite enfance en Caroline du Nord, implantés de façon massive et pas anecdotique. Les deux dispositifs analysés sont intéressants dans la mesure où ils ont été implantés à une large échelle. Le premier, appelé « Smart Start » (SS), programme universel proposé à tous les enfants de 0-4 ans (mais dans les faits plutôt aux enfants de milieux défavorisés) a pour objet de s’assurer que les petits présentent un état de santé et un état de développement compatible avec les apprentissages scolaires. Il vise le bien-être général de l’enfant, qu’il soit physique ou émotionnel.
Le deuxième programme, « More at Four » (MAF), cible spécifiquement les enfants de 4 ans « à risque », de familles très défavorisées, ne maîtrisant pas la langue, présentant une maladie chronique ou un retard de développement et est davantage axé sur le développement cognitif.
Autre objectif de cette étude: analyser les éventuels effets « tâche d’huile »de ces programmes, c’est à dire leur capacité à impacter le développement des enfants qui n’en ont pas bénéficié directement mais sont scolarisés avec des élèves ayant été accueillis dans ces dispositifs. Les auteurs posent que pour que « l’effet pairs » joue sur des enfants qui n’ont pas bénéficié d’un accueil précoce de qualité, il faut que les enfants de la classe qui en ont bénéficié soient assez nombreux pour permettre l’imprégnation. Le taux de pénétration des programmes doit être suffisamment élevé (on pourrait faire un parallèle avec la vaccination : pour que l’ensemble de la population soit protégée, il faut atteindre un taux minimal de couverture).
Des effets à long terme ou miroir aux alouettes ?
Les auteurs rappellent que même une expérience précoce de qualité qui assure à l’enfant une bonne préparation aux apprentissages scolaires ne constitue pas une immunisation contre les effets d’un environnement délétère. Dans un précédent article, les mêmes auteurs ont montré les effets positifs de ces programmes sur les compétences de ces enfants en littérature et en mathématiques à l’âge de 8 et 10 ans. Mais après ? C’était la grande question. Car il n’y a pas vraiment de consensus sur le sujet. Certaines études ont montré que malheureusement, le fait de rester dans un environnement familial et territorial économiquement pauvre et intellectuellement peu stimulant finissait par neutraliser les premiers effets positifs. Plus grave, on ne ferait en fait que retarder l’orientation vers des services d’éducation spécialisés. D’autres études développementales assurent au contraire que les effets des interventions précoces se fortifient avec les années,que ce qui est gagné dans la toute petite enfance, période charnière, fenêtre de tir, se démultiplie ensuite. Des chercheurs ont proposé trois facteurs qui peuvent assurer la pérennité des effets : la qualité des compétences acquises durant la toute petite enfance (les fondations pour le reste), l’effet « pied à l’étrier » (les impacts immédiats à un moment sensible du développement entraînent des effets positifs en cascade), la qualité de l’environnement (si un enfant arrive à l’école avec un bagage suffisant et qu’il bénéficie de la présence de « pairs » eux mêmes bien préparés aux apprentissages, alors les effets positifs perdurent, par un effet d’entraînement et de synergie).
Dans leurs conclusions, les auteurs, au terme de leur analyse, l’assurent : ils n’ont constaté aucune atténuation des effets positifs des programmes chez les enfants au-delà de l’âge de 11 ans. Au contraire, les effets non seulement se maintiennent mais en plus semblent croître. Il n’y a donc aucune fatalité à ce que les bons résultats finissent par disparaître.
La clé de la réussite : le déploiement massif
Les auteurs avancent une explication : le déploiement massif de ces deux programmes. Le MAF a ciblé tous les enfants pauvres de l’Etat, le SS s’est adressé à l’ensemble des familles. Les jardins d’enfants se sont donc retrouvés à accueillir des cohortes entières d’enfants prêts physiquement, psychiquement et cognitivement aux apprentissages pré-scolaires. Les auteurs estiment que l’Etat de Caroline du Nord a donc modifié l’écologie sociale générale de l’expérience éducative des enfants en agissant sur les ceux bénéficiant d’un accueil précoce mais aussi sur les autres, par ricochet.
Les chercheurs constatent également que les effets du MAF, le programme ciblant les enfants « à risque » et le développement cognitif, sont plus marqués que ceux du SS. Mais ils notent que le programme SS, plus holistique, a pu venir accroître ceux du MAF, et qu’il est difficile de comparer les deux dispositifs.
Un effet encore plus marqué sur les plus pauvres
L’autre question réside dans la façon dont ces programmes impactent les enfants selon le niveau d’éducation maternelle, le niveau de revenus et l’origine ethnique. L’hypothèse est en effet que ces programmes ont d’autant plus d’effets que les enfants sont pauvres mais que ces effets s’estompent avec le temps du fait de l’exposition permanente de ces enfants à un environnement défavorable.
Résultats : les deux programmes ont eu un impact positif pour tous les sous-groupes et plus particulièrement pour les enfants bénéficiaires des programmes de repas gratuits, donc les plus pauvres. Ce que les auteurs ne peuvent expliquer de façon définitive.
Surtout, ces programmes ont eu un réel effet de « débordement » sur les enfants non concernés. Là aussi, plusieurs explications possibles : les enseignants ont dû consacrer moins de temps à des élèves en difficulté ou à régler des problèmes de discipline et ont donc pu reporter leur attention sur l’ensemble de la classe. Les enfants de classe moyenne ont bénéficier du contact de ces enfants pauvres mais scolairement performants. Pour les auteurs il ne fait pas de doute que chacun des deux programmes mérite d’être diffusé mais que leur impact est corrélé a un effet de seuil. Il faut que l’implantation soit massive pour être effective.
5) L’impact du soutien parental sur le cerveau des enfants à l’âge adulte
Cette étude a cherché à mesurer les effets sur le développement cérébral à l’âge adulte d’un programme de soutien parental intensif auprès de familles afro-américaines pauvres. La recherche a en effet mis en évidence l’impact direct de la pauvreté sur le développement du cerveau (le volume de l’hippocampe et de l’amygdale gauche est plus petit chez les jeunes adultes ayant grandi en contexte de pauvreté). Les auteurs de ces travaux sont parvenus à montrer que le fait d’intervenir auprès des parents d’enfants de 11 ans permettait de limiter les effets négatifs de la pauvreté sur le cerveau de ces enfants à l’âge de 25 ans.
6) Les enfants confrontés à des expériences difficiles développent plus de maladies chroniques à l’âge adulte
Le Pays de Galles vient de publier une étude sur le lien entre les « expériences difficiles de l’enfance » (« adverse childhood Experiences » ou ACEs en anglais) et les maladies chroniques développées à l’âge adulte. Voici la liste de ces ACEs et la proportion d’adultes de moins de 69 ans y ayant été confrontés: abus verbal (23%), abus physique (17%), abus sexuel (10%), séparation parentale (20%), violence conjugale (16%), maladie mentale d’un parent (14%), alcoolisme parental (14%), toxicomanie parentale (5%), incarcération d’un des deux parents (5%). Selon ce document de l’organisme de santé publique du Pays de Galles, 53% des Gallois adultes ne déclarent aucun ACE, 13% en déclarent 2 à 3 et 14% plus de 4. Ces derniers sont deux fois plus nombreux à se voir diagnostiquer une maladie chronique que les adultes n’ayant enduré aucune expérience difficile. Plus précisément, ils sont quatre fois plus nombreux à souffrir de diabète, trois fois plus d’une maladie cardiaque ou d’une affection respiratoire.
Les tensions de l’enfance usent prématurément le corps
Les auteurs de cette étude rappellent que les traumatismes induits par les ACEs n’exposent pas seulement les enfants sur le court terme mais sont aussi associés avec des modifications neuronales, immunologiques et hormonales au cours de l’enfance. Le principe est le suivant : l’exposition prolongée à des facteurs de stress amène les enfants à rester en alerte maximale, en mode « survie », pour être prêts à répondre au danger. Ce processus d’adaptation conduirait à une inflammation des tissus et à une usure prématurée du corps. Les ACEs entravent également la capacité des enfants à réguler leurs émotions et leur comportement, ce qui les rend plus à risque face à la consommation de produits toxiques. Ils éprouvent également des difficultés à développer un attachement sécurisé et souffrent d’une faible estime de soi, avec pour conséquence un risque accru de troubles psychiatriques.
Former et informer tous les acteurs concernés
Face à ces constats (qui rejoignent ceux de la littérature internationale), l’office de santé publique ébauche des pistes de prévention. Il rappelle d’abord à quel point les 1000 premiers jours de la vie d’un enfant (de la période qui précède sa conception jusqu’à ses deux ans) sont « les plus importants ». Et enchaîne sur les programmes de prévention précoce et de lutte contre la pauvreté (posant au passage comme un implicite que les ACEs et la pauvreté sont liés). Ces programmes ont pour objectif d’identifier les enfants qui pourraient être victimes d’abus, de négligences ou qui vivraient dans un environnement difficile, de mieux doter les parents et soignants des compétences nécessaires pour éviter la survenue des ACEs au sein de la famille, d’encourager le développement d’un bien être social, émotionnel et des capacités de résilience des enfants, de s’assurer que les conséquences néfastes indirectes de la violence conjugale sont identifiées, prises en charge et que leur impact sur les enfants est réduit. Ces programmes visent à promouvoir des relations positives entre parents et enfants. Les autorités de santé galloises sont en train de préparer un support de prévention qui sera le pivot d’une grande action permettant à tous les acteurs de terrain d’être informés des effets de ces « expériences douloureuses pendant l’enfance », de leurs effets, et de l’absolue nécessité d’en réduire très tôt les impacts.
7) Les effets très positifs d’un programme de soutien axé sur la co-éducation familles-école
JAMA Pediatrics
JAMA Pediatrics
C’est ici le programme ParentCorps qui a été testé. Il s’agit d’interventions précoces centrées sur les familles très pauvres de New York mais effectuées en étroit partenariat avec les écoles. C’est même sa spécificité : grâce à un niveau sophistiqué de coordination, Parentcorps synchronise parfaitement les interventions au sein des familles et au sein des écoles, offrant un écosystème cohérent. C’est ce qui le rend d’ailleurs plus facilement duplicable : il peut s’insérer dans le projet pédagogique d’une école. Ce dispositif repose sur trois leviers : l’accueil durant 14 semaines d’enfants de 4 ans pour développer leurs compétences sociales, émotionnelles et leurs capacités à réguler leur comportement. Un programme de 14 semaines également destiné aux parents afin de leur transmettre les « bonnes pratiques » (validées scientifiquement) qui leur permettront d’accompagner le développement émotionnel, social et comportemental de leur enfant. Et enfin une formation pointue des enseignants et éducateurs de jardins d’enfants, des équipes de soutien à la parentalité, des professionnels en santé mentale pour leur permettre à tous de se baser sur des pratiques validées en matière de renforcement des compétences sus-citées mais aussi en matière de développement des connexions entre les écoles et les familles.
Les auteurs de cette étude concluent que le programme conduit à une nette amélioration de la santé mentale et des compétences académiques des enfants à l’âge de 7 ans. Ils estiment que ces dispositifs peuvent contribuer à réduire les inégalités qui affectent les enfants pauvres.