Voici, pour la période mai-août 2017, notre sélection d’études et contenus sélectionnés pour la plupart dans des revues scientifiques (en anglais donc), et portant sur la maltraitance. Vous trouverez, pour chaque focus, un titre de notre composition, le lien vers la ou les source(s) puis un résumé traduit du ou des article(s) mis en ligne sur le sujet.
Identifier les altérations neurocognitives précoces dans un contexte de maltraitances pour mieux prévenir les troubles psychiques
Journal of Child Psychology and Psychiatry
La maltraitance subie pendant l’enfance peut impacter les fonctions neurocognitives (analysées par IRM) des individus exposés et créer un terrain de vulnérabilité latente face aux troubles psychiques. Cette méta analyse montre en tous cas une réponse neuronale particulière des enfants et adolescents ayant été victimes de mauvais traitements dans quatre domaines : l’adaptation à la menace, le circuit de la récompense, la régulation des émotions et le contrôle exécutif. Pour les auteurs, il apparaît que la maltraitance altère le fonctionnement neurocognitif, même en l’absence d’une psychopathologie déclarée. Ils estiment que l’identification précoce de ces altérations neurocognitives permettrait de détecter les enfants les plus à risque de développer une pathologie mentale et de mettre en place des interventions préventives. Les auteurs insistent : les indicateurs qui traduisent une vulnérabilité sur le plan psychique ne constituent pas en eux-mêmes les symptômes d’un trouble avéré. Ils s’apparentent à des débuts de processus dont on sait qu’ils sont retrouvés dans la pathogenèse d’un trouble (par exemple une réponse altérée du circuit de la récompense constitue un risque augmenté de dépression). Et c’est l’interaction entre cette vulnérabilité latente et des facteurs génétiques ou environnementaux (exposition à un facteur de stress par exemple) qui conduira éventuellement à l’apparition d’un désordre psychique. Enfin, les auteurs précisent que les modifications neurocognitives observées sont aussi une réponse fonctionnelle, une façon pour le cerveau des enfants exposés à la violence de s’adapter à ce contexte spécifique.
Maltraitance et troubles neurodéveloppementaux : quels liens de causalité ?
Journal of Child Psychology and Psychiatry
Passionnante étude sur les liens entre maltraitance et troubles neurodéveloppementaux (autisme, TDAH) à partir d’une cohorte de jumeaux suédois. Les chercheurs analysent la nature de ces liens, en se demandant si la maltraitance est associée à un risque accru de troubles neurodéveloppementaux. Deuxième interrogation : la maltraitance est-elle la cause de ce risque accru, ou bien est-ce la génétique ou encore l’environnement familial délétère en général associé à la maltraitance plus que la maltraitance elle-même qui peuvent expliquer cette plus forte prévalence ? 8192 enfants ont fait partie de la cohorte. 4,6% d’entre eux ont été considérés comme ayant subi des maltraitances (émotionnelles, physiques ou sexuelles). La prévalence était la même parmi les monozygotes et les dizygotes. 58% ont été maltraités au sein de la cellule familiale, 36% par une personne proche de la famille et 5% à la fois à l’intérieur et à l’extérieur de la famille. La prévalence d’un trouble neurodéveloppemental était de 6,3% dans la cohorte avec six fois plus de risque pour les enfants maltraités de souffrir d’un trouble du développement que les enfants non maltraités. Chez les monozygotes, il n’y avait pas de différence de prévalence pour ces troubles au sein d’une même paire entre l’enfant ayant été maltraité et l’autre. Le jumeau maltraité n’était pas plus souvent atteint d’un trouble neurodéveloppemental que l’autre. Il semble donc que ce soit bien des facteurs « familiaux » (la génétique et l’environnement familial) qui expliquent la survenue des troubles du développement même en situation de maltraitance. Pour les chercheurs les facteurs génétiques sous-tendent l’association entre maltraitance et troubles neurodéveloppementaux. D’autre part, si la maltraitance n’est pas la cause des troubles, elle est néanmoins corrélée à une augmentation des symptômes pour les TDAH comme pour l’autisme (les jumeaux monozygotes maltraités semblaient plus atteints que l’autre enfant de la même paire). Ce qui peut conduire à deux hypothèses : la maltraitance accroît l’intensité des symptômes ou les enfants plus atteints sont plus susceptibles d’être maltraités.
Les auteurs estiment qu’il faut faire attention à ne pas mettre les problèmes de comportement des enfants maltraités uniquement sur le compte de la maltraitance. Ils peuvent souffrir de troubles neurodéveloppementaux avérés (statistiquement ils sont même plus à risque) et doivent faire l’objet d’un dépistage spécifique de ces troubles. De l’autre côté il faut garder en tête que les enfants porteurs de ces troubles et diagnostiqués comme tels sont peut-être plus à risque d’être maltraités. Pour les anglophones, les deux auteurs expliquent leurs résultats dans une très instructive vidéo.
Modifier la perception des professionnels de l’enfance, trop timorés face au signalement
Les auteurs de cette étude américaine sont partis d’un constat assez simple: alors que les professionnels de la petite enfance sont en contact direct et quasi quotidiens avec les jeunes enfants et alors que les moins de 5 ans représentent 47% des victimes de maltraitances ou de négligences, ces professionnels ne représentent que 1% des auteurs de signalements. Or, une identification précoce de la maltraitance constitue un enjeu de taille puisqu’elle permet de faire cesser les abus et de proposer aux familles un accompagnement. Et même lorsque les signalements ne donnent finalement pas lieu à une mesure, notent les chercheurs, ils offrent néanmoins l’opportunité de proposer un soutien aux familles concernées. D’abord parce qu’il n’est pas toujours facile d’étayer les suspicions d’abus, ensuite parce que l’absence d’abus ne signifie pas que la famille n’est pas à risque. On comprend donc en creux que les professionnels ne devraient pas craindre de signaler à tort.
Les auteurs posent que ces professionnels, et notamment ceux qui peuvent être spécifiquement mandatés pour assumer ce travail de signalement (comme c’est le cas dans plusieurs états américains), doivent donc être bien formés à la maltraitance et ses symptômes mais aussi bien familiarisés avec les textes de loi, les obligations légales et les procédures. Il apparaît important d’augmenter la connaissance et les compétences des professionnels mais aussi de modifier leurs attitudes (pour leur permettre d’avoir une vision plus positive du signalement).
Répercussions des mauvais traitements à l’âge adulte selon les types d’abus et selon le sexe
Voir le verre à moitié vide ou à moitié plein…Cette recherche souligne que le fait d’avoir subi des maltraitances sévères durant l’enfance augmente fortement le risque de souffrir de dépression ou d’une addiction à l’alcool à l’âge adulte. Mais les auteurs insistent également sur le fait que 72% des participants n’avaient pas de troubles dépressifs et que 93% d’entre eux ne présentaient pas de consommation d’alcool excessive. La majorité des personnes suivies présentent donc de bonnes capacités de résilience. Les auteurs notent que dans toutes les catégories de maltraitances (abus émotionnels, physiques sexuels et négligences), la part des femmes est plus importante.
Pour les hommes comme pour les femmes, tous les types d’abus et de négligences entraînent un risque plus élevé de dépression et d’alcoolisme. Pour les hommes ce sont les abus physiques et émotionnels ainsi que les négligences physiques qui semblent associés au risque de dépression et d’anxiété (cette association n’est pas observée pour les abus sexuels). Chez les femmes toutes les formes sévères d’abus semblent associées à un risque accru de dépression et d’anxiété. Pour les deux sexes ce sont les abus physiques sévères qui semblent le plus associés au risque d’alcoolisme. Mais des différences entre les genres apparaissent néanmoins. Le risque d’alcoolisme chez les hommes est davantage associé aux abus émotionnels pendant l’enfance. Les auteurs avancent une hypothèse : les garçons, davantage impliqués dans des jeux physiques et des bagarres seraient moins sensibles que les femmes à la violence.
Prévention de la maltraitance : s’intéresser aux enfants qui manquent les rendez-vous médicaux
Quelles sont les caractéristiques des enfants qui ne se présentent pas (avec leurs parents) aux rendez-vous médicaux en milieu hospitalier ? C’est l’objet de cette étude qui montre que ces enfants sont plus souvent issus de quartiers très défavorisés, et ont plus souvent fait l’objet d’un signalement auprès des services sociaux. Les auteurs soulignent aussi que cette non présentation aux rendez-vous médicaux est rarement communiquée au médecin, et rarement reportée dans le dossier médical. Ce sujet est en fait très peu traité. Or ces rendez-vous manqués peuvent constituer une alerte quant à la situation de l’enfant et ne devraient donc pas être pris à la légère.
Très fortes disparités dans les mesures de placement entre le nord et le sud de l’Angleterre
Le système de protection de l’enfance anglais obéit à une philosophie très différente de la nôtre (voir la présentation de Harriet Ward lors des 10èmes Assises de la protection de l’enfance) : le curseur penche beaucoup plus du côté des besoins fondamentaux de l’enfant que des droits des familles et les placements définitifs en vue d’adoption y sont beaucoup plus nombreux (les Anglais adoptent très peu à l’international). Cette vision très éloignée de l’approche familialiste française suscite de nombreux débats puisque les travailleurs sociaux sont régulièrement accusés de « voler les enfants des plus pauvres ». Une recherche publiée en juillet souligne la différence marquée sur le sujet entre le nord de l’Angleterre et Londres et sa région, soit entre des territoires plus pauvres et des zones plus aisées. Les enfants vulnérables du nord du pays ont ainsi 70 fois plus de risques de faire l’objet d’un placement que ceux habitant Londres et le sud. L’attitude des juges et des autorités locales face au risque potentiel présenté par la famille varie également beaucoup d’un territoire à l’autre. Les enfants vivant à Londres sont trois fois plus susceptibles de retourner vivre chez eux après un placement. Les auteurs de ce rapport pointent donc un système inéquitable (cela dit, l’hypothèse que les enfants du nord, parce que vivant davantage dans des familles défavorisées, sont peut-être plus exposés aux négligences et maltraitances, ou que les violences subies y sont plus massives, n’est pas avancée). L’article pointe aussi que les retraits d’enfants à la naissance ont beaucoup augmenté (en général parce qu’il y avait déjà un enfant placé dans la famille), ce qui montrerait que les travailleurs sociaux se prononcent trop selon l’historique de la famille, sans lui laisser une seconde chance. L’auteur note encore que les placements auprès d’un tiers digne de confiance ont augmenté alors que les adoptions plénières, elles, ont diminué. Le système n’en demeure pas moins au bord de l’asphyxie.