Article initialement publié le 5 mars 2015 sur le blog Enfances en France
Les difficultés sexuelles sont répandues mais sont assez peu étudiées. Une étude australienne publiée en janvier 2015 aboutit à une conclusion contre-intuitive: la césarienne ne facilite pas la reprise de la sexualité.
Le mot est très peu connu des femmes et pourtant elles sont nombreuses à souffrir de ce trouble après un accouchement : la dyspareunie, à savoir les douleurs éprouvées lors des rapports sexuels. Une chercheuse australienne du Murdoch Childrens Research Institute, Ellie Mc Donald, a publié en janvier 2015, dans le BJOG (journal britannique de gynécologie et obstétrique) les conclusions d’une enquête menée auprès de 1244 parturientes, toutes primipares, interrogées à 3, 6, 12 et 18 mois après l’accouchement. L’objectif de cette recherche était le suivant : analyser le lien entre le mode d’accouchement et la souffrance éprouvée lors des rapports sexuels post-partum, question encore peu abordée dans la littérature médicale.
La césarienne ne préserve pas la sexualité
Parmi les patientes de la cohorte, 49% ont accouché par voie basse de façon spontanée (dont deux tiers ont subi une épisiotomie ou une déchirure naturelle suturée), 10,8% ont eu droit à la ventouse et 10,7% aux forceps. Pour 9,7% de ces femmes, une césarienne avait été programmée et pour 19,9% d’entre elles la césarienne a dû être pratiquée en urgence. 78% de la population étudiée avait repris les rapports sexuels dans les trois mois suivant l’accouchement, 94% dans les six mois.
Parmi les 97% de femmes ayant renoué avec la sexualité dans les 12 mois du post-partum, 85,7% ont fait état de douleurs au cours du premier rapport sexuel qui a suivi la naissance de leur enfant. Parmi les femmes qui avaient refait l’amour avec leur partenaire dans les six mois du post-partum, un tiers se plaignaient de douleurs persistantes à 18 mois.
Première conclusion : la dyspareunie est donc très répandue après un accouchement et visiblement assez persistante. Deuxième conclusion, surprenante: en comparaison avec les femmes ayant accouché par voie basse sans épisiotomie ou déchirure suturée, les femmes ayant subi une extraction par ventouse ou une césarienne (programmée ou en urgence) sont deux fois plus nombreuses à éprouver des douleurs lors des relations sexuelles 18 mois après la naissance. Que l’extraction instrumentale (qui induit un traumatisme supplémentaire de la zone génitale) puisse avoir une incidence sur la vie sexuelle, on pouvait le concevoir. L’impact de la césarienne est plus inattendu. C’est même un résultat « contre-intuitif » comme le note la chercheuse. « La plupart des gens ont tendance à affirmer que la césarienne va protéger le plancher pelvien et donc être associée à une moindre prévalence des problèmes génitaux après la naissance, nous explique-t-elle. Notre étude montre qu’une femme sur trois ayant accouché par césarienne se plaint d’une dyspareunie persistante dans les six mois qui suivent, et pour certaines d’entre elles la douleur perdure plus d’un an après la naissance. Il existe très peu de recherches nous permettant de comprendre pourquoi. La césarienne constitue une intervention chirurgicale importante et il est possible que la douleur éprouvée dans les mois qui suivent soit d’origine musculaire ou nerveuse.»
Xavier Fritel, professeur de gynécologie obstétrique au CHU de Poitiers et auteur d’une revue de littérature sur le sujet publiée en 2009 note de son côté que «les séquelles traumatiques ne sont pas rares même en l’absence de lésions anatomiques » mais il avance également une explication plus psychologique : « de nombreuses femmes rapportent que la césarienne leur a volé leur accouchement, et cela pourrait jouer sur la sexualité future ». Xavier Fritel juge l’étude d’Ellie Mc Donald « intéressante » mais incite à la relativiser dans la mesure où lors de sa propre recension il n’avait pour sa part pas mis en évidence la moindre incidence du mode d’accouchement sur les difficultés sexuelles ultérieures. A tout le moins, les travaux dont il faisait la synthèse battaient-ils déjà en brèche l’idée que la césarienne pouvait présenter davantage de bénéfices pour la sexualité des femmes qu’un accouchement par voie basse.
Abus dans l’intimité, abus cachés
L’étude d’Ellie Mc Donald met en exergue, ou plutôt confirme, un autre phénomène. Quelque 16% des femmes de la cohorte ont expliqué être victimes de violences, physiques ou psychologiques, de la part de leur partenaire. Ces femmes étaient plus nombreuses que les autres (32,4% contre 20,7%), et ce n’est pas forcément une surprise, à faire état de douleurs lors des rapports sexuels 18 mois après la naissance. « Ces résultats sont cohérents avec ceux d’autres études utilisant des critères scientifiquement validés pour évaluer l’abus par un partenaire. Nous ne sommes donc pas étonnés. Malheureusement, les mauvais traitements au sein du couple sont encore une « problématique cachée » et la plupart des professionnels de santé n’évoquent pas ces questions pendant la grossesse. Il y a incontestablement un besoin d’écoute et de soutien pendant et après la grossesse pour les femmes victimes de maltraitances, physiques, psychologiques ou sexuelles.»
Les conseils des professionnels pourraient faciliter la reprise de la sexualité
Il est difficile d’établir des normes ou de formuler des recommandations sur un sujet qui traite de la sexualité. Tout au plus peut-on parler de « tendances » et de conseils de bon sens. L’enquête d’Ellie Mc Donald montre ainsi que près de 80% des femmes avaient repris leur activité sexuelle dans les trois mois du post-partum, ce qui correspond aux constats du corps médical français, et, toujours pour la France, à la période du congé post-natal de base (10 semaines), et au moment de la rééducation périnéale (10 séances censées commencer vers 6-8 semaines après l’accouchement). « Il s’agit clairement d’un sujet qui doit faire l’objet d’une négociation au sein du couple, estime la chercheuse. Une discussion ouverte, une approche progressive et en douceur constituent des conseils judicieux dans la mesure où, de fait, la plupart des femmes trouvent douloureux le premier rapport après la naissance.»
Au-delà des conseils d’ordre psychologique, il existe des facilitateurs sexuels très concrets : utilisation de lubrifiants, préliminaires prolongés, choix des positions (la cuillère plutôt que la levrette par exemple). En voici un autre, préconisé par un sexologue interviewé sur le sujet il y a quelques années : au moment de la pénétration, lutter contre la tendance naturelle à contracter le périnée sous l’effet de l’appréhension et essayer de pousser légèrement (exactement comme si on allait à la selle) pour amener le vagin à s’ouvrir vers l’extérieur. Autant de petites astuces pratiques qui pourraient faire partie de la panoplie des séances de suivi post-natal, optionnelles, ou de la consultation médicale obligatoire qui survient entre 6 et 8 semaines après la naissance. Et qui aideraient peut-être les nouveaux parents à redevenir des amants, en douceur et sans douleur.