C’est un dispositif au départ expérimental en passe de devenir un modèle national. Depuis 2004 le Centre Parental Estrelia accompagne les jeunes parents parisiens vulnérables en leur proposant une prise en charge globale qui ne perd jamais de vue l’enjeu principal : la sécurité et l’intérêt du tout petit.
« Sans le centre parental, on ne s’en serait pas sortis. On était seuls, mes parents m’avaient tourné le dos. Le centre nous a soutenus, motivés, il m’a permis de me projeter dans l’avenir pour mon enfant ». Les larmes d’émotion de Lila, 20 ans, maman d’un petit garçon de 15 mois, ne sont pas feintes, ce jeudi d’octobre, lorsque Marie Rechain, la responsable du Centre Parental Estrelia situé dans le 19ème arrondissement parisien, annonce son prochain départ en retraite aux jeunes parents réunis dans les locaux de la crèche attenante. Cette structure innovante, au fonctionnement précurseur (elle a toujours accueilli des couples et non exclusivement des mères), existe depuis 2004, n’a quitté son statut expérimental qu’en 2015 et propose aujourd’hui une vision et un mode opératoire stabilisés. « Le pari « insensé » mais réfléchi de ce dispositif est de considérer que ces jeunes parents ont des compétences à accueillir et élever cet enfant et que celui-ci a le droit de grandir avec ses deux parents auprès de lui, pose Marie Rechain. Le pari pourra durablement ou pas se relever, le temps partagé entre cet enfant et ces parents ne sera jamais perdu. Un formateur extérieur nous a fait remarquer à quel point nous étions « gonflés » de mener ce travail auprès de ces familles tant il est vrai que la question de la maternité, de la paternité sont des questions qui nous traversent toutes et tous, parents nous-mêmes ou pas. Cela nous a fait sourire, et a renforcé notre conviction de vouloir être à « cette » place auprès de « ces jeunes ».»
Equipe pluridisciplinaire pour accompagnement global
Pour entrer dans le dispositif, les couples doivent avoir entre 18 et 25 ans, être parisiens (pour l’un des deux partenaires au moins), attendre ou avoir donné naissance à un premier enfant. Autre condition sine qua non : adressés ou pas par une institution, ils doivent dans tous les cas exprimer eux-mêmes leur demande dans une lettre de motivation réceptionnée par l’Action départementale envers les Mères Isolées avec Enfant (ADEMIE), qui détermine la recevabilité ou non de la demande et son adéquation avec le projet du Centre Parental. Ces jeunes couples se voient proposer, jusqu’aux trois ans de leur enfant (ils peuvent évidemment quitter le Centre avant), un accompagnement global :
– Accompagnement à la périnatalité, soutien à la parentalité et à la conjugalité
– Prévention des troubles des interactions parents-enfants
– Soutien psychologique
– Education à la santé
– Consolidation des situations administratives, de la formation ou l’emploi
– Accompagnement vers le logement pérenne
Pour mener à bien ces missions, l’équipe est pluridisciplinaire : psychologue, éducateur de jeunes enfants, assistante sociale, conseillère en économie sociale et familiale, éducateurs spécialisés, agents d’accueil, agent administratif, sous la responsabilité de la responsable du service.
L’hébergement, pierre angulaire du dispositif
Les couples accompagnés sont hébergés dans deux types d’habitat:
L’un en appartement relais, dans lequel ils ne pourront rester durablement. Ils participent à hauteur de 15 % de leurs ressources mensuelles, ou paient le résiduel de loyer si celui est inférieur à ceux-ci.
L’autre en appartement en bail glissant : le bail est signé pour et avec une famille déterminée qui pourra, si sa situation le permet, devenir locataire en titre de cet appartement. Ce dispositif est évidemment à privilégier puisqu’il permet à la famille de confirmer son implantation dans un quartier connu, investi, où se trouve généralement la crèche de son enfant.
Pour l’une ou l’autre situation locative, les familles prennent une assurance habitation en leur nom ainsi que le contrat EDF/GDF. Elles sont donc en situation locative et expérimentent ainsi leur capacité à cette autonomie avec la présence du Centre Parental pour soutenir les « dérapages » inévitables. « On peut le comprendre, les anniversaires des enfants, la période de fin d’année sont propices à « oublier » le paiement des loyers », comme le relève l’équipe.
Paris Habitat et 3F sont les bailleurs sociaux avec lesquels le Centre parental a des conventions partenariales. Mais face à la pénurie de propositions, et l’obligation d’accueillir des familles pour répondre aux exigences du taux d’occupation, des bailleurs privés ont été sollicités. Le coût n’est évidemment pas le même mais cette alternative permet de répondre aux demandes de nouvelles familles.
L’attribution d’un logement est un élément essentiel, car, comme le fait remarquer Marie Rechain, « on peut difficilement accueillir un bébé dans de bonnes conditions sans un toit au-dessus de la tête ». La responsable du Centre parental insiste néanmoins sur le travail possible, « expérimenté, de façon tout à fait positive », avec ces familles, avant la disponibilité d’un logement, particulièrement durant la grossesse, ou dans les situations où la question du lien parents/enfant est à soutenir. Dans ce cas, l’accompagnement se fait au Centre Parental et sur le lieu où se trouve la famille (famille, hébergement d’urgence, hôtel, squat). Marie Rechain souligne « le gain incontestable de cet investissement précoce dans le travail d’accompagnement ultérieur ». Lorsque la question de l’hébergement passe ainsi au second plan, elle laisse la place à la mission principale du centre : soutenir et renforcer les compétences parentales.
Deux principaux financeurs soutiennent les actions du Centre Parental et permettent la pérennité des actions : la Direction de l’Action sociale, de l’Enfance et de la Santé (DASES) et la Direction Régionale et Interdépartementale de l’Hébergement et du Logement (DRIHL). D’autres sont sollicités sur des actions spécifiques (Ville de Paris, Agence Régionale de Santé (ARS), Fondation de France, OCIRP, Fondation MacDonald’s…
Des grossesses souvent inattendues ou non désirées
Qui sont ces couples, qui, à l’image de Lila et de son conjoint, auraient bien du mal à surmonter seuls leurs difficultés ?
Il s’agit de jeunes adultes (en 2017, 50% avaient moins de 21 ans) présentant avec des difficultés psychosociales avérées, qui ont relevé dans le passé, ou auraient dû relever, de la protection de l’enfance. Tous ont connu une enfance chaotique. Pour un grand nombre d’entre eux, il faut ajouter l’exil ou un parcours migratoire difficile, voire traumatique. Beaucoup sont orphelins d’un ou des deux parents, et pour la majorité la figure paternelle est en général absente ou défaillante.
Le temps de la grossesse correspond à un vécu précaire, une période d’errance, parfois à une rupture familiale. Le bébé ne peut pas être pensé comme il se devrait, par de futurs parents obnubilés par leur propre survie et la précarité du lendemain. La découverte de la grossesse est souvent tardive. Certains couples arrivent après avoir envisagé une interruption de grossesse ou un abandon. La plupart n’ont pas expérimenté la vie commune avant l’arrivée du bébé. Certains n’ont d’ailleurs même jamais vécu seuls. Ils doivent faire l’apprentissage du couple et de l’autonomie en même temps qu’ils deviennent parents. Les équipes doivent mener un travail déterminant avec les familles : leur permettre d’accueillir leur bébé dans de bonnes conditions, pas seulement matérielles mais aussi psychiques, et de l’investir comme un sujet à part entière. « Les remaniements psychiques à l’arrivée d’un enfant sont considérables pour chacun d’entre nous, venant convoquer l’enfant que nous avons été de ces parents qui ont été les nôtres, analyse Marie Rechain. Pour ces jeunes parents, dont l’adolescence est encore si présente, intégrer les besoins psychiques fondamentaux d’un jeune enfant est difficile, tant eux-mêmes ont été si peu considérés. Il s’agit pour nous d’être présents dans les difficultés qu’ils rencontrent, celles que leur infligent leur parcours, celles qu’ils s’infligent eux-mêmes, de leur restituer « quelque chose » de notre compréhension de celles-ci afin d’enrayer un tant soit peu les phénomènes de répétition dans lesquels ils sont pris à leur insu. »
Chaque famille est suivie par deux professionnels, co-référents, mais est aussi accompagnée par une éducatrice de jeunes enfants et une psychologue, dont les actions sont transversales. Cependant, chaque membre de l’équipe est attentif à accueillir, recevoir la famille, leur demande même s’il faut parfois en différer la réponse.
Soutenir le couple conjugal et parental
Il faut être sur tous les fronts, la périnatalité, la parentalité, la conjugalité mais aussi les nécessités du quotidien : inscrire le bébé dans un parcours de soins, accompagner un adulte à la préfecture, soutenir l’insertion professionnelle.
« Trois ans c’est à la fois long et court pour atteindre une autonomie psychique, physique, professionnelle » constate une des salariées du centre. « Le pari est complexe car on accueille un couple parental mais aussi un couple conjugal. Notre travail consiste à ce que chaque sujet ait sa propre place. On oscille tout le temps, entre prendre en compte le désir, la demande de ce couple parental et conjugal et en même temps ramener la question individuelle. Nous tentons qu’ils réalisent que c’est avant tout un enfant, avant d’être Leur enfant. C’est un exercice d’équilibriste. Dans cette configuration à trois, on est souvent médiateurs et conseillers.»
Le travail semble porter ses fruits. Comme avec Sophie, maman de deux enfants de 2 ans et demi et 6 mois. « Le centre nous permet de mettre un pied dans notre vie de parents, à faire face. Ils sont toujours là quand il faut, avec des propositions, des solutions aux problèmes. Au départ on m’avait proposé un centre maternel. Avec mon copain on a eu de la chance d’être pris ici. Ce qui nous a permis de fonder une famille. Ça a été très positif pour lui d’ailleurs car il a décroché un CDI. Aujourd’hui je suis triste parce que ça s’arrête pour nous. Mais nous avons obtenu notre appartement grâce au bail glissant. On va poursuivre comme des grands, sans s’inquiéter parce que nous avons été bien préparés. »
Même reconnaissance pour Alicia, 21 ans, maman d’un enfant de 28 mois.
« Nous avons été accueillis au moment où nous nous sommes retrouvés sans famille. L’équipe a comblé le manque. Je suis d’une nature paniquée, notamment pour la santé. Ils m’ont aidée, ils ont été très rassurants, ils sont venus avec moi aux rendez-vous. Ils nous ont même permis de renouer avec nos familles. »
Indispensable travail en réseau
Pour « réussir » des sorties satisfaisantes pour les familles (accès à un logement autonome, stabilisation de leur situation de couple, de parents, professionnelle, lieu d’accueil pour leur enfant) l’équipe s’appuie notamment sur les partenariats noués avec les crèches, d’autres associations, la PMI, l’hôpital de jour de l’Hôpital Mères Enfants de l’Est Parisien (HMEEP), l’UPB du 19ème (Unité Parents Bébés), les dispositifs de médiation familiale et conjugale, les missions locales, le Pôle Emploi.
« Il est utile de savoir que nous ne savons pas tout ni tout faire, nous avons besoin de travailler et réfléchir avec d’autres » martèle Marie Réchain
Ce qui n’empêche pas les déficits dans certains domaines, en particulier celui de la prise en charge psychique. Nombre de ces jeunes parents auraient besoin d’un suivi soutenu en CMP. « Il faut déjà pouvoir accéder à une demande de leur part, ce qui n’est pas évident, pose Marie Rechain. Mais même quand la demande existe, les réponses sont inadaptées faute de place ou de délai très longs». Avoir accès aux dispositifs de droits communs en matière de prise en charge psy, permet de poursuivre au-delà des 3 ans d’accompagnement au Centre Parental.
Enfin, l’équipe aimerait pouvoir intervenir bien plus en amont, pendant la grossesse et pouvoir engager un réel travail en périnatalité. Mais entre la demande initiale formulée par les parents auprès de l’ADEMIE, la procédure d’admission et la signature du contrat de séjour et d’accompagnement, il peut s’écouler plusieurs semaines et bien souvent celui-ci est signé après l’accouchement. L’équipe exprime aussi le regret que le Centre Parental soit encore trop peu connu par les autres professionnels du secteur psycho-social. Or la structure est le seul centre spécifiquement dédié à l’accueil de jeunes couples sur Paris. Dans les centres maternels, malgré une réelle évolution dans les pratiques, les pères ne peuvent être, si ce n’est accueilli, du moins accompagnés. Beaucoup de ces couples n’ont pas souhaité une orientation en Centre Maternel, refusant la séparation et souhaitant absolument accueillir leur bébé ensemble.
Cependant, même accueillis en Centre Parental, les couples ne sont pas à l’abri des ruptures, des séparations, de la violence conjugale. « Nous y faisons face avec les couples et les parents, précise Marie Rechain, en recentrant toujours la priorité autour du bien-être et la sécurité de l’enfant, préoccupations qui ont fondé leur démarche initiale vers le Centre Parental ».
L’information préoccupante, parfois inévitable
L’équipe n’élude pas non plus la question des Informations Préoccupantes. C’est « la menace » qui « flotte » du côté des familles et qui traverse les réflexions des professionnels étant donné la fragilité des adultes concernés. « La rédaction d’une IP est toujours très coûteuse pour l’enfant, les parents, l’équipe, même si certaines IP sont plus « simples » à écrire parce que la dangerosité est flagrante » résume un membre de l’équipe. « Et il y a des situations où l’on oscille entre le travail auprès des parents et l’observation de l’enfant. On fait le pari que… On voudrait que ça dure encore un peu. Ça donne lieu à des échanges difficiles. On essaie de réfléchir avec d’autres. On confronte nos avis. » Tous les quinze jours a lieu une supervision d’équipe avec un intervenant extérieur, psychanalyste. « Nous travaillons sur ce que nous font vivre ces familles, ce qu’elles projettent sur nous, ce que nous projetons sur elles, précise Marie Rechain. Comprendre les mécanismes, inconscients, qui nous agitent tous dans ces rencontres, permet de leur donner quelques clefs de compréhension en lien avec leur propre histoire et, peut-être, de mettre un peu à distance les phénomènes de répétition. »
La loi de mars 2016 sur la protection de l’enfance est venue accréditer l’action des premiers centres parentaux qui n’étaient jusque-là que des exceptions. Leur inscription désormais dans le Code de la famille permet d’envisager de nouveaux établissements identiques sur tout le territoire français. Marie Rechain a ainsi été sollicitée ces deux dernières années par de nombreux départements pour réfléchir conjointement à des projets de créations de places ou de centres parentaux. Les centres maternels s’ouvrent à une place plus importante des pères ou compagnons mais il est important que des couples aient l’opportunité et les conditions d’expérimenter leur statut de parents dès l’annonce de la grossesse. C’est le pari qu’a fait le centre Estrelia, sous une autre dénomination, dès 2004. C’est ce à quoi il s’engage pour demain, si les financeurs maintiennent leur soutien, si les bailleurs sociaux continuent de fournir les logements nécessaires au renouvellement des baux relais et glissants, si la demande est toujours active du côté des familles.