Plusieurs intervenants le relèveront au cours de ces deux journées nationales organisées par l’ANECAMSP les 22 et 23 mars derniers : le fait que des structures dédiées aux 0-6 ans consacrent un colloque national aux troubles des apprentissages, difficilement diagnostiquables avant l’école élémentaire, constitue en soi un message fort. Autant il ne faut pas se précipiter pour poser un diagnostic, autant il n’est jamais trop tôt pour agir. A noter aussi : il a beaucoup été question pendant ces deux jours de données probantes. Restitution des échanges, variés et très instructifs.
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Plan du compte-rendu :
*Les dys, qui sont-ils ?
– Pourquoi faut-il connaître la cause des troubles?
– Qui sont ces enfants ?
– Que montrent ces enfants précocement ?
– Quels outils dans le cerveau permettent les apprentissages ?
– Alors, que peut on faire ?
*Parcours de parents
*L’apport des neurosciences à la compréhension des Dys
– Le cervelet, superviseur en chef
– Intérêt limité de l’IRM dans le cadre des dys
*L’axe corporel comme point d’appui postural, représentatif et émotionnel
– L’organisme et le corps
-Aider le bébé à s’ajuster à la pesanteur
-Quand l’insécurité se manifeste par le corps
*Les dysfonctionnements exécutifs chez l’enfant d’âge préscolaire
-Les différentes fonctions exécutives
– Certains signes peuvent-ils être repérés précocement ?
*Les anomalies du fonctionnement neurovisuel
– Repérer précocement les troubles de l’oculo-motricité
* Epigenèse et dépistage précoce des troubles de l’oralité
-Quel est l’impact de la prématurité sur l’oralité?
*L’ergothérapie comme outil de prévention des troubles des apprentissages
– Agir dans et sur l’environnement naturel de l’enfant
– L’échange avec les enseignants : la clé du progrès
– Amener l’enfant à s’engager dans les activités
*Intervention précoce conjointe
– Ecouter les angoisses parentales
– Accordage relationnel et organisation corporelle de l’enfant
*NIDCAP, IBAIP : l’impact des programmes d’intervention précoce auprès des nouveaux-nés vulnérables
– Plaidoyer pour des interventions fondées sur des preuves
– L’impact des soins de développement
*Stimulation du langage à 3 ans chez les enfants à risque
*Les programmes de renforcement parental en cas de troubles externalisés de l’enfant
– Que sont les comportements externalisés ?
– Quels sont les facteurs de risque des trouble externalisés ?
– En quoi consistent ces programmes ?
*Paroles de parents sur le parcours de soins
– Se sentir moins seul avec le CAMSP
– Des délais trop longs
– Entendre la plainte des parents
*La place de la PMI dans le repérage, le dépistage et l’accompagnement des enfants avec des troubles précoces
– Savoir dépister les troubles
*Prévention des troubles des apprentissages : liens école-santé
– Intérêt de la remédiation pédagogique précoce
*Place des réseaux dans l’accompagnement à long terme
– Accompagner la complexité
– Faciliter la coordination autour de chaque situation
*Conclusion des deux journées
Face aux 600 personnes présentes ce 22 mars, Alain Pouhet, médecin de rééducation fonctionnelle, premier intervenant de ces deux journées organisées par l’ANECAMSP, commence par un constat en forme de bémol : « Il s’agit d’un thème qui relève d’un domaine de la médecine où les réponses sont le plus souvent personne-dépendantes et malheureusement aussi institution-dépendantes, ce qui pose un vrai problème pour les familles. »
Les dys, qui sont-ils ?
Quand on évoque les « dys », estime-t-il, certains y voient une mode, d’autres y voient des “feignants”. Pour ce spécialiste, la classification américaine (le DSM) se révèle très « insuffisante ». « Cette classification évoque les handicaps intellectuels, les troubles de la communication, les TSA, les TDAH, les troubles moteurs et les troubles des apprentissages seraient posés au milieu de tout un fatras ».
De quoi parle-t-on quand on évoque les troubles spécifiques des apprentissages ? Il s’agit de troubles développementaux spécifiques qui sont cognitifs. C’est une panne dans le cerveau des enfants qui impacte les apprentissages. La dyslexie ou la dysorthographie renvoient à la constatation d’un retard.
Pourquoi faut-il connaître la cause des troubles?
« Parce que ça permet d’anticiper, assure le médecin. Les enseignants de maternelle ont pour consigne de travailler la phonologie. Si on constate que les aptitudes phonologiques à 5 ans sont faibles, ça annonce quelque chose. Si en plus il y a des antécédents familiaux, le risque est majoré. Il est possible d’anticiper et de prendre en charge plus précocement. »
Il revient sur des mécanismes de base. L’ensemble des fonctions cognitives sont des outils avec lesquels « les enfants arrivent sur terre. » « Dans notre cerveau nous avons des outils et leur bon fonctionnement fait la puissance intellectuelle, l’intelligence, la capacité à s’adapter aux situations nouvelles ».
Il évoque les fonctions exécutives qui permettent de faire des choix, d’avoir un jugement sur la tâche, de montrer une flexibilité mentale, de savoir inhiber. La mémoire de travail, la mémoire à long terme, la maîtrise du langage élaboré sont des fonctions essentielles. Lorsqu’elles sont déficitaires, c’est une cause d’échec scolaire. Un enfant doit pouvoir à la fois reconnaître les sons, les lettres, les images et faire des traitements cognitifs. A l’école le raisonnement (une forme d’intelligence qui ne résume pas toute l’intelligence) est consubstantiel aux apprentissages. Quand le raisonnement est en panne alors il y a une déficience.
Les dyspraxies sont une difficulté de programmation, d’utilisation de ces outils.
Alain Pouhet insiste : « Les enfants n’ont pas toute leur vie pour se perfectionner dans les apprentissages fondamentaux. » Ces apprentissages fondamentaux constituent un préalable, ils doivent être automatisés pour permettre d’accéder à des tâches de plus en plus complexes. Quand ces apprentissages fondamentaux sont en panne, ils impactent gravement les apprentissages.
Qui sont ces enfants ?
Une publication de la Haute Autorité de Santé en janvier 2018 liste des éléments récurrents pouvant favoriser des difficultés d’apprentissage scolaire :
Antécédents familiaux (il y a des familles de dys)
Antécédents périnatals : ce qu’on appelait auparavant des « bébés à risque »
Développement : à la fois dissociations et hétérogénéité (il y a des domaine où ces enfants fonctionnent très bien)
Vulnérabilité psychosociale
Troubles de l’attachement
Stress : un haut niveau de cortisol n’est jamais bénéfique
Le bilinguisme : attention aux effets contrastés. Le bilinguisme est plutôt une chance sauf quand on a une dysphasie
Pour Alain Pouhet il faut « apprendre à observer et pas interpréter ». Par exemple : éviter de parler d’appétence de l’enfant. « L’histoire de l’enfant alimente les fantasmes des équipes ». Il insiste : « Il n’y a pas d’études internationales qui disent que le divorce fabrique des dys ! »
Que montrent ces enfants précocement ?
D’abord une période libre au cours de laquelle ils se développent normalement puis soudain l’apparition de troubles intenses. Il est alors important de différencier une simple difficulté passagère de troubles avérés. Avec un trouble, des tests étalonnés mettent en évidence des écarts par rapport à la moyenne d’au moins deux écarts-types. Ils permettent de constater que le problème de l’enfant relève (ou pas) d’une rareté, d’une atypie. En résumé, il existe peu d’enfants autant en difficulté que lui.
Concernant les critères d’inclusion, la gravité ne suffit pas, il faut aussi de la durabilité. La déficience intellectuelle (des enfants qui ne raisonnent pas, cela constitue a contrario un critère d’exclusion). Il faut également éliminer d’autres causes (ce n’est pas facile), sensorielles, neurologiques… Eliminer aussi des facteurs liés au contexte (s’assurer que l’enfant fréquente suffisamment l’école par exemple). Il est parfois difficile d’écarter les causes annexes.
Le DSM précise également dans ses premières pages, que les troubles doivent « interférer gravement ». Il faut constater une situation de handicap, une restriction de participation, une limitation de l’activité. Le médecin évoque des « éléments de pronostics scolaires » ou de « perspective scolaire », expression moins définitive.
« Quand on a mis en évidence les critères d’inclusion et d’exclusion, on a fait la moitié du boulot, prévient-il. Il faut montrer les causes cognitives ». Or, pour ces enfants, il existe une hétérogénéité entre les fonctions cognitives et même au sein des fonctions cognitives. Les performances peuvent varier d’un domaine à l’autre. Il faut donc analyser finement les performances de ces enfants dans les différentes fonctions cognitives. La sémiologie apportée par les enseignants et la famille sera utile. Il faut des informations qui viennent de la famille, de l’école, de la garderie. Des sub-tests bien choisis permettent de répondre à des questions précises. Il évoque le cas d’un garçon bilingue, en panne autant en français qu’en turc, pour lequel plusieurs diagnostics sont évoqués. L’enfant passe plusieurs tests qu’il réussit en un temps record. Il n’a aucun problème, tant sur le plan de l’attitude, du comportement, de la communication non verbale.
Les sub-tests sont donc très utiles pour éliminer certains diagnostics et n’empêchent pas d’aborder l’enfant dans sa globalité. « On évalue les capacités intrinsèques des enfants », résume Alain Pouhet.
Quels outils dans le cerveau permettent les apprentissages ?
La conséquence des troubles dys est toujours la même : une incapacité, une grande difficulté à accéder à une situation multi-tâche. Or, à l’école, l’enfant apprenant est confronté en permanence à des multi-tâches. Pour un enfant dyspraxique en maternelle, enlever son manteau et écouter des consignes c’est compliqué. Chaque tâche prise isolément est possible mais demandée en même temps, ce n’est plus possible. La double tâche est constamment sous-estimée.
Les apprentissages fondamentaux doivent être automatisés, ils sont essentiels pour la suite. Or, la situation de handicap pénalise cette automatisation. L’enfant progresse, certes, mais quand il se retrouve dans les classes supérieures, avec une nette augmentation de la difficulté, son niveau ne suffira pas. Par rapport aux exigences scolaires, le décalage s’est aggravé. Alain Pouhet cite un enseignant de français au sujet d’élèves de 5ème : « Ils ont fait 5 ans d’orthophonie mais le compte n’y est pas ! » Le progrès mesure l’évolution d’un individu par rapport à lui-même. Or ce qui compte c’est la fonctionnalité, la rentabilité de ce qui a été entraîné. On attend de l’élève qu’il s’approche de la norme pour répondre aux attentes légitimes des enseignants.
Alors, que peut-on faire ?
Bien avant que ne soit posé le diagnostic, il faut un consensus sur la situation de handicap. « On est capables de le voir, de le mesurer et de l’affirmer », pose le médecin.
Il faut également mesurer les enjeux scolaires : qu’est-ce qui se cache derrière la tâche instrumentale ? Quels sont les points forts de l’élève qui permettent d’imaginer un parcours de scolarisation fonctionnel en terme de professionnalisation ? Alain Pouhet cite l’exemple d’un jeune qui veut être restaurateur de meuble ancien parce que les meubles « ne me parleront pas et je n’aurai pas à leur répondre » : « il a tout compris ! »
Il préconise de produire des écrits, d’avoir un cahier de suivi d’élève avec des éléments très explicites pour que les enseignant aient des informations.
Anticiper, aussi. « Notre responsabilité dans la petite enfance c’est de concourir à la prise de conscience qu’on peut faciliter la vie scolaire des enfants. Il existe des méthodes facilitatrices et des postures inclusives ». Il propose d’utiliser en langage écrit la méthode Borel ou la méthode des Alphas pour les enfants qui ont du mal à reconnaître les lettres. Le code couleur marche bien. Pour les enfants porteurs d’un TSA et d’un TDAH, il est important d’avoir un menu du cours pour que l’enfant sache comment le cours va se dérouler. Le spécialiste évoque le nécessaire travail sur la confiance en soi et insiste sur les bilans d’évolution. S’il n’y a plus de problème c’est qu’il n’y avait pas de trouble. S’il y a une amélioration, elle soit être plus importante que celle d’un enfant ordinaire.
Il propose d’utiliser des palliatifs, des pictogrammes (ça n’empêchera jamais un enfant de parler), des gestes. Le recours à l’AVS permet d’augmenter la disponibilité de l’enfant
Parcours de parents
Après Alain Pouhet, Diane Cabouat, vice-présidente de la FFDYS, rappelle de son côté que cette fédération accueille des parents à partir du besoin qu’ils expriment. Elle l’assure : la plus grande médiatisation des troubles dys ne relève pas d’une mode mais d’une meilleure connaissance du phénomène. « On nous dit que les parents préfèrent qu’on dise troubles dys plutôt que déficience intellectuelle. C’est juste que c’est différent, ce n’est pas le même accompagnement. C’est une question de réponse. »
Elle évoque les caractéristiques à prendre en compte : le type de trouble, le profil du trouble, sa sévérité, les autres fonctions cognitives (elles peuvent être efficientes voire très efficientes). Il faut aussi prendre en compte la personnalité de l’enfant et son environnement (selon le milieu social les parents n’auront pas la même conception du problème et l’enfant pas les mêmes chances).
Au cours de son intervention elle lâche aussi : « Vous n’êtes jamais bien placé en tant que parent, vous êtes toujours sur protecteur ou sous protecteur ». Elle plaide pour le repérage précoce (le leitmotiv de cette journée ). « Il y a des signes précoces. Même si le diagnostic ne peut être posé qu’à partir d’un certain âge et des écarts types aux tests, on peut mettre en place des actions avant. On peut lui apprendre à nager avant le constat de la noyade. »
Diane Cabouat l’assure : « Les familles veulent être écoutées, crues, accompagnées, face à des possibles qu’on construit ensemble. C’est pourquoi nous n’aimons pas le pronostic. Ces enfants sont capables dès lors qu’on leur apporte les bonnes réponses. »
Dans la salle un pédopsychiatre du CAMSP de Grasse s’interroge sur les enfants de fin d’année qui présentent des difficultés qu’on pourrait assimiler à des troubles alors qu’il ne s’agit que d’un décalage dans le temps. Il s’interroge aussi sur le lien entre le placement des enfants et la survenue de troubles dys. Alain Pouhet lui répond : « Oui il faut prendre en compte l’hétérochronie. Donner du temps au temps ça existe. Mais perdre du temps ça existe aussi. Et oui, on connaît les effets du stress, du cortisol. On sait que les enfants adoptés sont très concernés par les troubles des apprentissages. Les circonstances de la vie abîment le cerveau. »
Les échanges permettront aussi d’aborder la question de l’aménagement des tiers temps, très difficiles dans certains départements (dans l’Essonne par exemple).
L’apport des neurosciences à la compréhension des Dys
Louis Vallée, neuropédiatre membre du réseau NEURODEV rappelle que l’épidémiologie des dys est stable quel que soit le pays. Il s’agit de difficultés cognitives, avec un « traitement du signal perturbé ». Les nombreuses publications sur le sujet abordent peu la question de l’éthiopathogénie (les causes sous-jacentes). Pour ce professeur de médecine, il est très difficile d’imaginer la prise en charge sans chef d’orchestre. Il faut faire collaborer plusieurs approches complémentaires. Concernant les conséquences des troubles, Louis Vallée insiste : « Il ne jamais oublier qu’il n’y a pas d’un côté du fonctionnel pur et de l’autre du psycho affectif qui se traite ailleurs. »
Les facteurs génétiques et environnementaux se mêlent. Pour les troubles de la lecture, la part génétique est évaluée à 43% et la part de l’environnement à 20%. Pour les mathématiques, la génétique compterait pour 47% et l’environnement pour 16%. Il faut également penser à « examiner, toucher des corps, analyser ». Il évoque ainsi une enfant venue pour des troubles dys mais qui avait un syndrome génétique.
Louis Vallée explique pourquoi la période 0-6 ans est tellement fondamentale, considérée comme une période critique. A la fin de la première année de vie la synaptogenèse (fabrication des synapses, c’est à dire des connexions) connaît un pic. Les expériences visuelles vécues par le nouveau-né vont impacter le traitement des messages. Un neurone non stimulé involue. Le cerveau sélectionne les connexions utiles, celles qui sont le plus stimulées. Les autres meurent (c’est l’apoptose). Ce processus est nécessaire aux apprentissages.
La synaptogenèse repart à l’adolescence. Les structures sous corticales qui gèrent le rapport signal-bruit continuent de maturer, de sélectionner de façon intense à l’adolescence. C’est un âge auquel on essaie de contrôler son impulsivité émotionnelle et affective.
Le cervelet, superviseur en chef
Louis Vallée partage également sa passion pour…le cervelet. C’est notre « microprocesseur ». Le cervelet éclaire le cerveau. 50% des cellules intra crâniennes sont dans le cervelet. Le faisceau qui en part contient beaucoup de fibres. Chez le fœtus il n’existe pas de liaisons entre les noyaux cérébelleux profonds et le cortex. Le cervelet se développe après la naissance et finalise sa maturation à 18 ans. Dans le cervelet un neurone égale 200.000 synapses. C’est énorme. Le cervelet permet de trier l’information, il joue les superviseurs. Le cervelet sert à la cognition. Il entre en ligne de compte dans la mémoire de travail, augmente la capacité de traitement. Dès qu’une compétence est acquise, il est moins impliqué. Lorsque le cervelet dysfonctionne, l’individu est plus lent. Un enfant avec une anomalie congénitale du cervelet présentera des difficultés d’automatisation, des déficits d’attention, une diminution des capacités conceptuelles.
Le neuropédiatre précise également que les dyspraxies, (diagnostic symptomatique, syndromique), viennent d’une pathologie frontale. La pathologie psychiatrique perturbe également la planification et les praxies. Il explique qu’il faut attendre 7 ans pour que dans le cerveau le faisceau arqué, qui impacte la syntaxe, soit mature. On ne peut donc pas poser de diagnostic trop tôt.
Le médecin s’est intéressé à une étude qui montre comment la motricité linguale et buccale a un effet sur la réception d’un message oral. Lorsqu’on donne à un bébé une tétine qui bloque sa langue il est moins en capacité de différencier, de discriminer les sons. Le médecin en déduit que « les troubles de l’oralité, ce n’est pas que l’alimentation. »
Concernant la prise en charge des enfants il explique que plus le signal a du sens plus l’activité du cerveau est intense. Donc plus ce qu’on envoie à un enfant est cohérent plus il va faire de la synaptogenèse. Lorsqu’on procède au bilan, si au bout de 6 mois on ne constate pas d’évolution, c’est qu’il y a un problème.
Intérêt limité de l’IRM dans le cadre des dys
Dans la salle une question est posée sur la période de l’adolescence et sur l’éventualité d’un ciblage spécifique. « Apprendre à gérer les émotions, l’impulsivité, à mener un raisonnement hypothético-déductif, c’est important pendant adolescence, confirme Louis Vallée. Le début de l’adolescence est compliqué. Il faut établir un âge pubertaire de l’adolescent pour voir où il en est dans son cerveau.»
Un autre médecin demande au professeur s’il prescrit de l’imagerie cérébrale pour les troubles dys quand rien ne ressort à l’anamnèse. « Il faut une hypothèse quand on prescrit un examen. Pour la majorité des dys je ne demande par d’IRM. Elle sera normale. Il n’y a pas de lésion. C’est le fonctionnement qui ne marche pas. » Un autre médecin invite les participants à penser bien à l’audiogramme et à un bilan vestibulaire, parce qu’elle reçoit des enfants malentendants diagnostiqués tardivement. « Je vois des enfants qui vont être dyspraxiques à cause d’un problème vestibulaire. »
L’après-midi sera consacrée aux aléas de développement observés en CAMSP, notamment des troubles de la construction de l’axe corporel, les dysfonctionnements exécutifs des enfants d’âge préscolaire, les troubles neurovisuels et les troubles de l’oralité, avec le questionnement sur leur impact potentiel sur les apprentissages scolaires, et sur les possibilités de prise en compte précoce.
L’axe corporel comme point d’appui postural, représentatif et émotionnel
Bernard Meurin, psychomotricien au CHRU Lille et au Centre Ressource Autisme, formé à l’approche sensori-motrice, propose une présentation sur « l’axe corporel » et sur « l’importance de la construction de l’axe corporel, non seulement comme soubassement postural et praxique, mais aussi comme point d’appui des fonctions représentatives, cognitives, réflexives », selon l’approche de Bullinger.
« Les vertébrés ont été d’abord un axe avant d’être pourvus de membres, expose Bernard Meurin. La genèse de l’axe corporel concerne l’histoire des vertébrés et parmi eux de l’homme. Le redressement entraîne une transformation profonde. L’homme ne se redresse pas parce que son cerveau le lui a permis mais c’est parce qu’il s’est redressé que son cerveau construit de nouvelles connexions. Le larynx descend, libère la voix, la préhension se libère. L’homme s’ouvre au monde. » Il cite André Bullinger : « Quand l’oeil et la main se parlent, leur langage c’est l’espace. »
Le psychomotricien précise que le redressement de l’enfant, processus délicat, ne relève pas d’une fonction uniquement biomécanique mais aussi psychique. « La stabilité ressentie sur le plan corporel sera covariante d’une stabilité psychique. »
L’organisme et le corps
Pour aborder la construction de l’axe corporel il faut distinguer deux notions, l’organisme et le corps. L’Organisme concerne la partie somatique, la réalité matérielle de ce que nous sommes. C’est l’objet matériel du milieu. Le processus de redressement n’est possible que grâce à la colonne vertébrale et il est contraint par la gravité. « Mais notre qualité d’être vivant fait qu’on ne peut être réduit à la seule part matérielle de notre existence», prévient Bernard Meurin. D’où cette autre notion de « corps ». « Le corps se réfère à un phénomène psychique, une représentation qui se développe simultanément au déploiement des capacités d’agir de notre organisme en interaction avec son milieu.»
Aider le bébé à s’ajuster à la pesanteur
Qu’est-ce que cela signifie pour le bébé ? A la naissance le bébé est confronté à la gravité, il éprouve la pesanteur, il ressent son poids. Livré à lui-même, il serait écrasé. Le milieu humain, par ses qualités de portage, permettent au bébé de s’ajuster progressivement aux effets de la pesanteur. Il cite les concepts de handling et de holding de Winnicott. Le sentiment de sécurité chez le bébé est essentiel à un développement harmonieux. Le portage permet à l’enfant d’éprouver différents points d’appui. « On n’apprend pas à un enfant à se redresser ou à marcher. On lui donne des points d’appui pour qu’il développe intuitivement le potentiel qui est en lui ». L’enfant, au travers de ses compétences motrices, parvient à comprendre comment agir sur son milieu. Maintien de la tête, mouvements d’extension et de flexion… la maîtrise de ces mouvements participe à l’élaboration d’un sentiment de solidité et de sécurité. Puis viennent la coordination bimanuelle et visio manuelle, la prise en compte de l’espace est associée à des coordinations. A ce processus s’associe la coordination entre la vision focale et la vision périphérique. Cette dernière joue un rôle non négligeable dans les équilibres posturaux. Ensuite l’enfant peut effectuer des rotations actives, le buste s’anime dans les différents plans de l’espace, les ceintures scapulaires et pelviennes se dissocient. Se produit une prise en compte de la charnière entre le bas et le haut du corps. Le bébé commence à pointer en direction des objets, d’abord de manière impérative puis déclarative.
Dans un contexte développemental normal, l’accès à la verticalité est cohérent et fluide, le processus intègre la pesanteur. Il n’y a pas d’effort exagéré. L’enfant est disponible à ce qui l’entoure. Il a développé une sécurité de base, un équilibre sensori-tonique. Un axe fort, souple et équilibré permet l’émergence d’un mouvement juste pour le bébé tel qu’il est individualisé. En conséquence il donnera une sensation d’harmonie et d’aisance, une sensation de force, de souplesse et de fluidité.
Quand l’insécurité se manifeste par le corps
Mais pour x raisons, l’accès à la verticalité peut être dominé par une tension excessive, une rigidité du buste. L’enfant lutte contre la pesanteur. Les bras se positionnent en écart avec une tendance à l’agrippement. La situation fragilise les liaisons main-bouche-regard. L’enfant éprouve un sentiment d’insécurité. Il est disposé à réagir émotionnellement, réactif aux informations provenant du monde. Ses mouvements peuvent être saccadés, allant dans tous les sens. Il a une tendance à l’éclatement.
Bernard Meurin travaille au Centre Ressource Autisme, dans l’équipe enfant et adulte. Il l’assure : « dans les fragilités de développement comme les TSA, on constate une sous-évaluation de l’importance de l’axe corporel comme soubassement d’un développement harmonieux. »Pour lui l’extension est trop souvent interprétée comme inhérente à la pathologie elle-même. « On a trop de visées éducatives et comportementales et une minimisation des aspects développementaux. Or parfois on voit des rétractations musculaires, une fragilité de toute l’organisation praxique, dans les praxies visuelles, les coordinations bi-manuelles. On peut avoir une impulsivité gestuelle perçue à tort comme de l’agressivité. Il faut une prise en charge de fond. Moduler l’hyper-extension en proposant l’enroulement, permettre de comprendre les effets de la pesanteur. Il ne s’agit pas d’installations à visée orthopédique mais d’installations ajustées pour enrichir l’ensemble du potentiel de la personne. »
Les dysfonctionnements exécutifs chez l’enfant d’âge préscolaire
Marie-Laure Beaussart enchaîne en évoquant les dysfonctionnements exécutifs précoces. Les fonctions exécutives (FE) représentent les processus de contrôle de haut niveau qui permettent de s’adapter à l’environnement et d’organiser son comportement dans la vie quotidienne. Les fonctions exécutives permettent d’ajuster son comportement en fonction de contingences internes et environnementales dès lors que les automatismes et routines ne permettent pas une réponse adaptée. En résumé ces fonctions sont nécessaires quand on fait face à une nouvelle situation. Or faire face à une nouvelle situation c’est le propre des apprentissages. Les FE sont donc essentielles pour la mise en place des apprentissages, pour la qualité de vie, pour la santé. Elles occupent une place centrale dans le développement cognitif, social, psychique. Elles sont au cœur du développement de l’être humain. « Aujourd’hui on sait qu’elles sont à l’interface du développement cognitif et socio-cognitif, assure Marie-Laure Beaussart. Il existe des liens entre les Fonctions exécutives et la théorie de l’esprit, entre les fonctions exécutives et les praxies. »
Les différentes fonctions exécutives
La spécialiste distingue le versant affectif (le chaud) – on le sollicite dans un contexte qui implique un effet affectif ou motivationnel- et le versant cognitif (le froid) qui sous-tend la logique abstraite et décontextualisée. Elle précise : dans la vie quotidienne, ce n’est bien sûr pas aussi tranché.
Elle cite plusieurs fonctions exécutives :
La planification permet d’élaborer des stratégies et d’organiser les comportements. Si l’enfant a des troubles à ce niveau, il aura des difficultés à se préparer pour aller à l’école, à ranger ses affaires, à structurer les activités de la vie quotidienne.
La flexibilité : s’adapter à une nouvelle activité, passer d’une activité à une autre en respectant les exigences de l’environnement. Une altération entraîne des difficultés à changer de routine, à s’adapter à une nouvelle situation, à se décentrer d’un point de vue.
L’inhibition permet de filtrer les informations de l’environnement qui sont source de distraction, de supprimer des informations qui ne sont plus utiles pour la tâche en cours, de bloquer des réflexes. Un problème à ce niveau peut se traduire par des difficultés à respecter le tour de parole, à rester concentré sur une même tâche, à rester assis à sa place.
La mémoire de travail permet à l’enfant et à l’adulte de maintenir actives des informations en mémoire pour réaliser une activité cognitive complexe. Une altération peut se traduire par des difficultés à poursuivre une activité jusqu’au bout.
Quel lien entre le développement des fonctions exécutives et les substrats cérébraux ?
« Il y a différentes boîtes, résume Marie-Laure Beaussart ? Dans chaque boîte on retrouve les fonctions exécutives. Jusqu’à 5 ans il y a une prévalence du modèle unitaire. Les fonctions exécutives sont indifférenciées. Ensuite se met en place une individualisation progressive.»
Le développement des fonctions exécutives est sous tendu par le développement long et prolongé des régions préfrontales. La maturation du cerveau se fait d’arrière en avant. Donc la maturation physiologique est longue. Il y a néanmoins une émergence précoce des fonctions exécutives. La longue maturation du cortex préfrontal et des FE est une période d’une grande fragilité avec un risque élevé de vulnérabilités précoces des FE. On sait qu’il existe une prévalence des troubles exécutifs, variable mais élevée, dans de nombreux troubles acquis ou neuro-développementaux.
La spécialiste incite à tenir compte de l’environnement. Ce sont des aspects qui ont longtemps été mis de côté. Différents facteurs viennent moduler le développement des fonctions exécutives : genre, bilinguisme, éducation des parents, culture…
Certains signes peuvent-ils être repérés précocement ?
Il existe, c’est vrai, une grande variabilité interindividuelle. Les outils psychométriques sont d’une grande pauvreté pour l’âge préscolaire. Certains outils n’ont pas été poursuivis par manque de sensibilité. Il y a donc une carence des outils pour évaluer les FE chez les jeunes enfants. On peut néanmoins se tourner vers des tâches expérimentales. Elle cite plusieurs supports, « Stroop soleil/lune », « Dimensional change card Sort ». « Ils sont très ludiques, appréciées de petits. »
En complément de ces tests, il existe des questionnaires (à vocation écologique) qui évaluent le comportement des enfants en lien avec les FE dans vie quotidienne. Par exemple le « Brief P », pour les 2-5 ans, outil étalonné et validé en français et auprès de plusieurs populations cliniques (plus d’informations sur le site hogrefe.fr). Attention, ce n’est pas parce qu’il y a des plaintes au questionnaire qu’il existe des troubles. Il faudrait des bilans à côté.
La neuropsychologue évoque un troisième outil : l’observation, la clinique. Elle permet de relever l’instabilité motrice, la durée d’attention, l’impulsivité. L’évaluation doit se faire avec prudence. Elle est délicate car l’enfant est en plein développement. Les fonctions exécutives sont médiatisées via le langage, la motricité, les aspects visuels. On peut avoir un échec à un test exécutif pour plein de raisons.
Quid de la prise en charge ? En général il s’agit de rééducation cognitive. « Ces prises en charge ont le mérite d’exister, note la spécialiste. Mais leur efficacité reste à démontrer. »
La guidance parentale et la psycho éducation sont aussi proposées mais le rôle de l’environnement familial reste à affiner. Pour Marie-Laure Beaussart il faut une sensibilisation des enseignants et des aménagements pédagogiques. L’objectif est d’éviter la survenue de troubles secondaires : la souffrance des familles, la détresse psychique, le décrochage scolaire.
Dans la salle un pédiatre du CAMSP de Castre demande si les troubles des FE se retrouvent dans certains troubles des apprentissages en particulier. Ils sont très fréquents dans les neurofibromatoses, spécialité de Marie-Laure Beaussart. Louis Vallée apporte une réponse : « On va plus souvent avoir globalement une anomalie des FE dans les pathologies de la substance blanche. La neurofibromatose est une pathologie de la myélose donc c’est logique de voir des troubles des FE associées. Dans la leuco malacie aussi. »
Un autre participant demande si les troubles des FE peuvent exister en dehors d’un contexte spécifique, ou dans les pathologies psychiatriques. « C’est soumis à l’environnement donc il peut y avoir un tas de causes qui expliquent un retard des FE, confirme Marie-Laure Beaussart. Par exemple un enfant pas sollicité. Je n’ai pas d’étude sur les enfants sans pathologie médicale. En psychiatrie les évaluations neuropsychiatriques se développent dans les structures qui prennent en charge des enfants avec une pathologie psychiatrique. On peut retrouver des troubles des FE. Elles contribuent à la qualité de vie, à la santé mentale. On retrouve des troubles des FE dans la dépression, dans les addictions. »
Un membre du public déplore les conseils trop standardisés des neuropsychogues, avec une systématisation des listes données aux enseignants. « Cela perd en crédibilité ».
« Je ne suis pas partisane des listes de conseils, répond Marie-Laure Beaussart. Je crois au cousu main. On identifie des troubles chez un enfant et en fonction de ses points forts et faibles, on donne les conseils les plus adaptés à cet enfant. Ce qui est intéressant pour l’enseignant c’est de comprendre quelle FE est sollicitée par quel jeu et quelle FE peut mettre en difficulté un enfant dans un jeu spécifique.»
Diane Cabouat, de la FF-dys, réagit : « Ce ne sont pas des listes. Ces outils ont été conçus comme des pistes. Pour donner un autre regard à l’enseignant. On ne prend pas toute la liste. »
Les anomalies du fonctionnement neurovisuel
Ce sont ensuite une ophtalmologue et une orthoptiste qui viennent évoquer les pathologies neurovisuelles.
Hélène Dalens, ophtalmologue, propose en introduction de considérer la vision autrement que ce qu’on peut en dire habituellement. « On ne parle pas en dixièmes. La vision est un acte neuronal. Il n’existe aucune prothèse pour remplacer un cerveau. Plus de 50% du corps cérébral est impliqué dans le message visuel. »
Il y a plusieurs facteurs à prendre en compte quand on fait un bilan : la stimulation, les récepteurs, les fonction gnosiques et les praxies oculomotrices. Plus un enfant est neurologique plus il a un risque d’avoir une pathologie visuelle. Les polyhandicapés présentent toujours des pathologies neurovisuelles. On en trouve chez les enfants avec une paralysie cérébrale. Les troubles des apprentissages peuvent s’accompagner de telles pathologies qui vont d’une cécité cérébrale et à ses séquelles à une discrète atteinte de la voie dorsale chez un enfant dyspraxique.
L’ophtalmologue énumère les causes possibles de ces lésions cérébrales (malformations secondaires aux atteintes des 2 premiers trimestres, leuco malacie périventriculaire secondaire aux atteintes de 20 à 34 semaines, traumatismes crâniens…). Des retards de maturation de la fonction visuelle, des pathologies de l’oculomotricité (comme un strabisme précoce en particulier divergent, un nystagmus). L’interrogatoire familial est capital. Comment l’enfant se comporte dans des milieux vastes et inconnus ? En voiture ? Face à de petits animaux se déplaçant rapidement ? L’évaluation doit être faite au calme. Le plus difficile est de penser à ce type de pathologies devant des enfants qui ne sont pas malvoyants, pas dans le polyhandicap, ou qui ont peu de troubles moteurs.
Repérer précocement les troubles de l’oculomotricité
Marie-France Clenet, orthoptiste, propose de « présenter des enfants qui ont fait leurs preuves, ont pu mener leur route. »
Elle énumère en introduction les 5 compétences-socle décrites par Hubert Montagner:
La capacité d’attention visuelle soutenue
La faim d’interaction : certains enfants ne sont pas perçus comme regardants
Les comportements affiliatifs : le rééducateur pourrait aggraver les choses
L’ajustement ciblé du geste : dès qu’il y a des troubles de l’oculomotricité il y a une difficulté du calibrage du geste
L’imitation : des enfants incapables de reproduire une formule ou une construction
L’action précoce est nécessaire car les troubles de l’oculomotricité vont avoir une incidence sur la relation vision/communication. Comment ces troubles perturbent-ils l’organisation perceptive ?
La saccade oculaire est souvent perturbée voire toujours, tout comme les répercussions perceptivo-motrices. Elle liste les points d’attention concernant l’oculomotricité : la fixation (doit être stable, précise, ajustée au besoin), la poursuite (lisse, adaptée à la vitesse de la mire et synchrone), les saccades (calibrées avec la trajectoire, fixation finale stable et précise, synchrone), les
vergences (mouvements opposés des yeux, lisses et sans viscosité, symétriques), les mouvements oculaires conjugués (sont-ce les yeux qui entraînent la tête ou le contraire ?)
Elle cite une petite fille au regard divergent : « Ma tête fait attention mais mes yeux ne peuvent pas te regarder. »
Un autre petit garçon, avec un nystagmus, se met en mouvement d’excentration pour regarder son interlocuteur. Un autre enfant, jumeau né très grand prématuré, avec une hémiparalysie droite, en difficulté, est très refermé. « On a cherché à l’intéresser à son hémi champ droit avec le toucher. Quand ses saccades ont pu se calibrer, il a pu explorer son espace droit. Il a fait une scolarité normale. Il entre en école d’ingénieur. »
Marie-France Clenet livre d’autres exemples. « Avec leur déficience et leurs compétences ces enfants ont pu faire leur chemin, assure-t-elle. Il faut une approche humaniste. L’enfant doit être acteur du développement de ses moyens. On est là pour les accompagner et non pour les guider. On est derrière et pas devant. »
Epigenèse et dépistage précoce des troubles de l’oralité
Pour clore la journée Benoît Chevalier, kinésithérapeute spécialisé en périnatalité, avec une formation sensori-motrice, présente les troubles de l’oralité.
« L’oralité est le fondement de l’être », pose-t-il en introduction. Chez un jeune enfant on parle d’oralité primaire (la succion lactée) chez les plus grands, d’oralité secondaire (stratégie de mastication et aspiration). L’oralité est caractéristique d’une vie communautaire (vie sociale, normes sociales, habitudes). Chez les mammifères, l’apparition de la succion entraîne un comportement d’attachement.
Sur le plan neuro fonctionnel, vers 13 à 15 semaines, le fœtus a un réflexe d’ouverture de la bouche avec sortie de la langue, et le contact face-mains-pieds commence. La succion est déjà le fruit d’un apprentissage. Pour le bébé in utéro entre 15 et 41 semaine, une routine neuro-gnoso-praxique s’installe, il tête tout. La coordination succion-déglutition-ventilation va maturer progressivement. La maturation de l’oralité a lieu entre 34 et 37 semaines SA chez un enfant qui va bien.
Survient ensuite un continuum postanal sensorimoteur. L’oralité est très liée à la triade succion/déglutition/respiration, avec un rôle précoce de l’organisation neuromotrice. Le bébé respire par le nez, donc des lavages de bonne qualité sont essentiels.
Quel est l’impact de la prématurité sur l’oralité ?
C’est une perte du contenant, de la rétroversion du bassin. L’environnement n’est plus filtrant, les contacts main bouche ne peuvent pas se faire, les flux gravitaires sont très délétères.
Les soins agressifs peuvent destabiliser l’espace oral (un des premiers espaces investis par le bébé qui se développe de manière cranio-caudale (du haut vers bas). La capacité de déglutition est diminuée par certains traitements, les coordinations orofaciales altérées en post intubation.
Le kinésithérapeute insiste : « le forçage alimentaire est un drame absolu ». Ce enfants n’auront pas d’exploration orale car la bouche est le site de la douleur.
Quels troubles de l’oralité retrouve-t-on chez ces enfants ?
Un réflexe nauséeux très invalidant avec un impact au long court : impossibilité d’ingérer des morceaux, risque d’explosion des troubles avec la période de néophobie. Benoît Chevalier évoque les nauséeux épigénétiques, des enfants nés à terme mais qui ont un trouble de l’oralité. Chez un enfant qui connaît deux semaines de troubles alimentaires pendant la période néonatale, que se passe-t-il ? « Une altération des signaux d’inhibition sur les neurones présynaptiques du noyau du tractus solitaire ». Pour quelles conséquences ? Absences d’expériences gnoso-praxiques, accès à une alimentation lisse uniquement, irritabilités précoces et persistantes de la sphère orale mais aussi des mains et des pieds, échec de l’alimentation diversifiée.
Le kinésithérapeute sort du discours technique. « En regardant les enfants, on se rend compte que les magasins de puériculture nous offrent un milieu appauvri. Les cosys altèrent les contacts œil main bouche, la tétine diminue les activités sensorimotrices spontanées. Les obstacle aux expériences gnosopraxiques sont nombreux. On devrait aussi faire un Koh-Lanta des directeurs d’hôpitaux. On les met sur une île avec la nourriture qu’ils servent ! Quand on fait valoir que ce serait bien que papa et maman mangent avec l’enfant, parce que ça active les neurones miroirs, on nous dit non pour raisons d’hygiène. »
Quelle est la boîte à outils épigénétique qui permet de préserver la sphère orale précocement ?
La bienveillance et l’empathie, respecter une filière oro-digestive, une découverte gnoso-praxique adaptée, une sédation pendant les actes agressifs oro-faciaux. Le spécialiste propose aussi un « tuilage progressif entre oralité primaire et secondaire ». Et une boite à outil sensorimotrice : limiter expériences désagréables, développer précocement les explorations gnoso-praxiques. Les thérapies cognitives permettant le déconditionnement sont intéressantes. Benoît Chevalier plaide pour des interventions précoces et une pluridisciplinarité. Et, assure-t-il, « les soins de développement restent une priorité ».
La deuxième journée s’ouvre avec le docteur Claire De Baracé qui appuie elle aussi sur l’apparent paradoxe pour des CAMSP de traiter de la problématique dys. « Oui, c’est vrai, les enfants dys ne passent pas tous par les CAMSP. Et on ne pose pas de diagnostic si tôt. Néanmoins, nous voyons beaucoup d’enfants qui ont des vulnérabilités ou des particularités qui vont évoluer vers des difficultés d’apprentissage. La méthode CAMSP c’est un melting pot. A l’âge où nous voyons les enfants, ils ont besoin de cousu main, de suivi individualisé. Mais nous avons aussi besoin d’évaluer ce qui marche le mieux, et donc de développer des programmes de recherche en action précoce.»
L’ergothérapie comme outil de prévention des troubles des apprentissages
Deux ergothérapeutes viennent parler de leur pratique en CAMSP.
Jannick Lavigne, du CAMSP de Boulogne Billancourt se livre à des temps d’observation en classe en collaboration avec les enseignants pour prévenir ou accompagner les troubles des apprentissages.
Agir dans et sur l’environnement naturel de l’enfant
Pourquoi intervenir directement à l’école ? Elle évoque l’approche bio psycho sociale qui amène à prendre en compte l’influence des facteurs environnementaux, personnels et des habitudes de vie. D’où l’intérêt du modèle « Processus de production du handicap » (PPH) qui permet d’analyser la situation d’une personne et l’influence de l’ensemble des éléments. Janick Lavigne donne la définition de son activité : « L’objectif de l’ergothérapie est de maintenir, de restaurer et de permettre les activités humaines de manières sécurisées, autonome et efficace. Elle prévient, réduit ou supprime les situations de handicap en tenant compte des habitudes de vie des personnes et de leur environnement ».
Elle illustre son propos avec l’exemple de Violine, 3 ans. C’est une ancienne prématurée (30 SA) avec une paralysie cérébrale. Elle est en petite section de maternelle. La classe se trouve au premier étage. Un siège moulé est laissé à l’école, mais peu utilisé sur le temps de classe. Violine éprouve des difficultés à participer aux ateliers avec des manipulations fines. Elle a besoin d’être accompagnée par ses parents le matin. Elle n’est pas en pleine possibilités de participation sociale.
L’objectif de l’ergothérapie est de considérer l’environnement naturel dans lequel les activités sont réalisées. Les séances au CAMSP relèvent d’une conception « Bottom up » : on se penche directement sur les composantes de la fonction considérée comme le pré requis d’une bonne performance occupationnelle, dans un environnement protégé.On cherche à améliorer les habiletés.
Les Observations en classe sont plus « top down ». Il s’agit d’une évaluation des habitudes de vie dans l’environnement réel. On cherche à améliorer le fonctionnement en classe. La combinaison des deux approches a beaucoup de sens. Pour Violine les manipulations fines sont travaillées en séances individuelles au CAMSP. Une collaboration s’instaure avec l’enseignante
Quand et comment repère-t-on ces enfants ? Lors de leur entrée en maternelle. Ils ne participent pas autant que leurs camarades. Un bilan est effectué, l’ergothérapeute appelle l’enseignante. Une observation a lieu en classe en parallèle pour comprendre les restrictions de participation.
Jannick Lavigne passe le micro à son binôme, Virginie Vagny, ergothérapeute au CAMSP de Châtillon Montrouge.
L’échange avec les enseignants : la clé du progrès
Elle commence par une vignette clinique. Kérian, 5 ans, est maladroit, mange avec les doigts, ne pédale pas. Il parle peu mais répond, bouge beaucoup, est impulsif, sensible aux bruits extérieurs. Il n’a pas de difficulté d’interaction, son attention est de courte durée. Il a un retard au niveau de la motricité fine, n’est pas latéralisé, a des difficultés de coordination. Pour le graphisme il n’a pas de préhension mature et stable, il change de main. Ses coloriages sont imprécis.
L’entretien avec l’enseignante l’informe que les temps de regroupement sont difficiles, l’enfant participe peu aux activités, il est maladroit,désorganisé, mais gentil et a une très bonne mémoire.
L’observation en classe montre l’utilité de tester le casque anti bruit et les objets vibrants. Virginie Vagny propose l’utilisation des couleurs, pour décomposer les lettres avec des couleurs différentes, la diminution de la quantité demandée pour finir sur une réussite, l’utilisation de lettres mobiles pour s’appuyer sur le point fort de l’enfant (un intérêt pour les lettres), la position debout. Le bilan montre que le casque et le coussin vibrant fonctionnent bien. Kérian prend plaisir à dessiner, il fait les lettres de son prénom, la latéralisation se met en place à gauche pour le graphisme. Il reste plus longtemps assis avec le coussin. Les progrès sont lents mais réguliers. Il passe en CP avec une AVS. La collaboration avec l’enseignante a permis d’améliorer ses performances scolaires.
Amener l’enfant à s’engager dans les activités
Alban a un trouble du langage, un retard psychomoteur. Il a du mal à investir les apprentissages scolaires. Il bénéficie d’un suivi en ergothérapie et avec une psychologue. En classe il ne fait pas grand chose. L’enseignante le laisse libre de jouer. Elle ne lui propose plus de venir, de répondre aux attentes de l’adulte. Il est calme, il joue dans le même espace. L’objectif: le remettre en activité, qu’il vienne s’asseoir à table, qu’il soit valorisé. Se pose donc la question des activités pour qu’il soit en réussite. Par exemple le dessin du bonhomme, enfiler des perles (même si ces activités sont décalées par rapport au niveau de classe). L’idée est qu’il vienne s’asseoir avec les autres. Cet enfant a besoin d’étayage pour expérimenter autre chose. L’enseignante découvre qu’il peut développer de nouvelles compétences, qu’il peut progresser. Elle a mieux compris le fonctionnement d’Alban. Pour la soutenir, Virginie envoie des mails pour lui faire un retour sur les séances. Elle propose les mêmes jeux en séances et dans la classe. Elle scanne ses dessins, décrit l’accompagnement qui lui semble le plus indiqué.
Une AVS est nommée. Virginie Vagny retourne en classe. Elle constate un grand niveau d’exigence pour Alban, beaucoup de sollicitations. « On est passé de pas grand-chose à beaucoup ». Alban peut être en opposition. Il est important de limiter la quantité de travail, de lui permettre d’anticiper que la tâche demandée sera d’une courte durée.
Un mois plus tard une réunion montre que la difficulté à réaliser des activités à table persiste. Mais Alban vient plus régulièrement pour faire des petites choses. Il peut reconnaître des étiquettes avec l’AVS. Il peut faire des colliers de perles, il essaie d’écrire son prénom. Un projet d’Ulis se construit pour l’année suivante.
Pour le thérapeute, sortir de sa zone de confort
Jannick Lavigne complète : l’Inclusion s’inscrit dans le travail de l’ergothérapeute. Il s’agit de soutenir le développement d’une relation saine et positive de l’enfant envers l’école et les apprentissages pour lui permettre d’être engagé et participatif. La collaboration permet la généralisation des acquis et le soutien des apprentissages au quotidien, elle permet aux enseignants de comprendre le fonctionnement de l’enfant et de s’adapter à ses spécificités. Tout cela demande une grande souplesse pour l’enseignant et le thérapeute. Le thérapeute doit sortir de sa zone de confort et s’ajuster pour faire des propositions qui font sens pour l’enseignant. « Chacun doit comprendre le rôle de l’autre. Il faut éviter les zones grises d’incompréhension. »
Il est impératif que les séances hebdomadaires en CAMSP trouvent un écho dans les 24 heures que l’enfant passe en classe, en situation écologique d’apprentissage (d’après une citation de Michèle Mazeau).
La littérature montre que les enfants avec un diagnostic de troubles présentent une moins bonne participation aux activités scolaires et périscolaires. Or les enfants engagés apprennent plus facilement. Pour les enfants qui ont des troubles des acquisitions il existe peu de preuves quant au transfert des acquis. D’où l’intérêt de combiner les approches top down et bottom up afin d’avoir une vision holistique.
Lors des échanges avec la salle, un pédiatre du CAMSP de Vierzon revient sur le cas d’Alban, présenté par Virginie Vagny. « Vous nous parlez d’intervention holistique. Je me dis que si cet enfant n’a pas d’antécédents particuliers, a-t-il un appareil psychique ? Un vécu ? Comment les parents ont-ils interprété ces problèmes ? Ca me semble très technique mais je reste sur ma faim.» La salle réagit et fait savoir son désaccord sur cette analyse. La jeune femme répond : « C’était un choix d’avoir ciblé la présentation sur le travail avec l’école. Cet enfant est par ailleurs suivi par un neuropédiatre. On travaille beaucoup avec les parents. Le bien être psychique de cet enfant est mon objectif ». « On n’a pas eu l’impression ! » tâcle son interlocuteur. Qui ne semble néanmoins pas refléter l’avis général quant à la présentation très claire de Virginie Vagny.
Intervention précoce conjointe
Nathalie Bousquet Jacq, pédopsychiatre, et Lima Mondin, psychomotricienne, détaillent les consultations conjointes proposées au CAMSP de Montpellier.
Il s’agit de consultations pour des bébés adressés par la néonatologie. Lors de la première consultation avec le pédiatre et un psy ou pédopsy, une anamnèse conjointe est menée, avec un recueil des attentes et des demandes de la famille. Sont observés le somatique, le développement neurosensoriel et psychomoteur, le comportement de l’enfant, les compétences relationnelles, les interactions parents-enfants.
Ecouter les angoisses parentales
Nathalie Bousquet Jacq raconte comment les parents expriment leur vécu, leurs émotions, leur préoccupation. Il faut alors les aider à surmonter le stress, soutenir les compétences du parent et du bébé. Les parents peuvent arriver dans un état de fatigue, de stress, de dépression voir de syndrome de stress post traumatique. Ils peuvent avoir du mal à décoder et interpréter les signaux de l’enfant, ils interprètent les pleurs du bébé comme pathologiques. Le schème d’extension (une difficulté d’ajustement tonico-postural) est mal interprété, ils ont des angoisses de mort, une anticipation négative du développement, une impossibilité de se représenter de façon positive le développement de l’enfant. Dans les préoccupations des parents arrivent d’abord le risque vital, le nursing, l’alimentation, ensuite le développement moteur, enfin le comportement, la vie relationnelle, puis le développement cognitif.
La consultation conjointe a pour but de favoriser les interactions et l’attachement. Les parents arrivent à exprimer leurs angoisses quand l’enfant peut montrer ses compétences. Il est capital de soutenir leur sensibilité aux signaux de l’enfant, de soutenir les comportements de rapprochement (consolabilité sélective), d’accroître leur sentiment de compétence.
Accordage relationnel et organisation corporelle de l’enfant
Cette consultation conjointe est un « espace commun d’accueil pour l’enfant et le parent », explique Lima Mondin, la psychomotricienne, de son côté. C’est le premier espace de séparation où l’enfant peut avoir une relation exclusive avec le thérapeute. « Je peux avoir une disponibilité entière à l’enfant, son jeu, sou mouvement, son expression. »
La précocité de cette prise en charge est importante pour établir un relais avec la prise en charge en psychomotricité en néonatologie. « On ajuste les conseils et recommandations donnés en néonatologie, précise Lima Mondin. On soutient l’adaptation de l’enfant très tôt pour éviter l’installation de schémas pathologiques. Il s’agit de donner des points d’appui pour la construction de l’axe de l’enfant. C’est aussi un soutien de la relation parent-enfant. L’accordage relationnel est un socle pour l’organisation corporelle de l’enfant. »
Les deux intervenantes illustreront ensuite leurs propos avec le suivi d’un bébé, vidéos à l’appui.
NIDCAP, IBAIP : l’impact des programmes d’intervention précoce auprès des nouveaux-nés vulnérables
La parole est ensuite donnée à Jacques Sizun, professeur de pédiatrie au CHU de Brest, importateur des soins de développement en néonatologie.
Quelle est la problématique avec les enfants prématurés ? D’après la cohorte Epipage, on sait que beaucoup de progrès en terme de survie, de diminution des handicaps sévères, ont été réalisés. Mais on sait aussi que chez les enfants sans trouble moteur ni sensoriel, un enfant sur 2 né à moins de 26 SA et un sur trois chez les 32-34 SA, est à risque d’avoir un trouble de développement. Il faut donc optimiser le développement neuro-comportemental et neuro-cognitif.
Le cerveau est sous une double influence génétique (« nature »), et environnementale (« nurture »). Cette double influence influe sur la synaptogenèse qui dure jusqu’à l’âge de deux ans, suivie de la mort cellulaire programmée, une destruction normale physiologique des connexions qui ne servent à rien (apoptose, phénomène expliqué précédemment par Louis Vallée). Si les connexions ne se sont pas faites dans le bon sens l’avenir fonctionnel de l’enfant ne sera pas bon.
Jacques Sizun reprend les fondements de la psychologie du développement : l’attachement, le bonding, bases du développement humain, des capacités sociales et d’apprentissage. Ces facteurs sont médiés par des phénomènes hormonaux et sensoriels, par le climat psychologique.
L’attachement et le bonding nécessitent la proximité, des réactions adaptées des parents, la compréhension du comportement du bébé. Ce qui est évidemment complexe avec un bébé prématuré en raison de la séparation et des comportements étranges du bébé. La prématurité complique le bonding et l’attachement. Or, depuis Brazelton on sait que le bébé, même prématuré a des compétences et que le séjour en néonatologie est le moment idéal pour des interventions personnalisées basées sur les parents.
Plaidoyer pour des interventions fondées sur des preuves
Jacques Sizun est un fervent partisan de l’evidence-based. Pourquoi ? Les données probantes sont nécessaires pour améliorer le pronostic, pour une utilisation rationnelle des ressources humaines et financières (il faut financer ce qui marche), elles facilitent une meilleure sélection des patients candidats potentiels à l’intervention (exemple de l’hypothermie thérapeutique : on sait que ça ne marche pas sur les asphyxies très sévères ou très modérées, il faut un degré de gravité très précis, dans les 6 premières heures), elles permettent d’adapter les formations des professionnels, d’échanger au niveau européen (il est fondamental d’être dans le concert européen, on doit être à la même hauteur). Jacques Sizun cite un confrère étranger : « Dans les congrès les Français présentent des vignettes, les autres équipes présentent des cohortes et des études randomisées. » Or, la vignette illustre, elle ne prouve pas.
Les données probantes constituent enfin une voie de dialogue entre les disciplines. « Tonus pneumatique, œdipe, mobiliser les os du crâne, épigénétique… comment on se met d’accord ? Interroge le médecin. Le regard pluridisciplinaire est intéressant sur le plan théorique. Pas en pratique. La seule façon de se mettre d’accord c’est: qu’est ce qui est prouvé ? » Face à des professionnels qui, pour la plupart, présentent des vignettes cliniques et vantent la pluridisciplinarité, ce positionnement de Jacques Sizun ne manque pas de panache.
Le médecin passe en revue les différentes techniques pratiquées et leur niveau de preuves concernant les « Techniques simples ». La succion non nutritive ? Elle diminue les stades agités, permet un meilleur sommeil (élément majeur du développement cérébral), et diminue la durée de séjour. Posturer le bébé en flexion, le peau à peau, l’enveloppement : très haut niveau de preuve à court terme. Concernant le soutien à l’allaitement maternel : il y a un impact direct de la durée de l’allaitement. « La seule intervention précoce très validée, lâche Jacques Sizun, c’est peut-être le soutien à l’allaitement maternel. Or, en France, nous sommes très mal classés ».
L’impact des soins de développement
Qu’en est-il des soins de développement ? Le médecin passe en revue plusieurs programmes (NIDCAP, IBAIP, sensorimoteur (Bullinger)). La plupart des programmes inspirés de Brazelton ont été évalués, avec différents niveaux de preuve, à plus ou moins long terme. Pour le programme sensori moteur (Bullinger) il n’existe en revanche aucun essai randomisé. Il n’existe aucun essai qui montre que cette approche a un impact à court terme.
Les interventions précoces après la sortie peuvent-elles améliorer le pronostic des enfants à haut risque de paralysie cérébrale ? D’après une méta analyse de 2017, les interventions avant l’âge d’un an ont des résultats très limités. On n’a pas de preuve. « L’absence de preuve n’est pas une absence d’efficacité, note Jacques Sizun, mais on ne peut pas affirmer aux autorités de tutelle qu’on aura un impact. »
Les interventions précoces avant la sortie peuvent-elles améliorer le pronostic moteur et cognitif des enfants nés avant terme ?
Le NIDCAP améliore le développement à 9 et 12 mois, diminue la durée de séjour, améliore la prise de poids. C’est un des programmes les plus efficaces. L’impact est net à l’âge pré scolaire, moins net à l’âge scolaire. Ces programmes fonctionnent davantage sur le développement cognitif que sur le développement moteur. Pour le développement psychomoteur il n’existe pas de données probantes, ni pour les praxies.
Améliore-t-on la relation parent-enfant ? C’est difficile à dire en raison d’une grande hétérogénéité des approches et des évaluations.
Ce qu’on retrouve dans les programmes efficaces (tels que NIDCAP, MITP, IBAIP, et trois autres programmes pas connus en Europe): l’observation du comportement, aider le bébé dans ses stratégies d’auto régulation, promouvoir une parentalité adaptée et sensible. C’est très inspiré de Brazelton. A Brest l’équipe de Jacques Sizun a choisi le NIDCAP car ce programme « correspondait à notre approche philosophique mais il était aussi fondé ce qui permettait de justifier les frais ».
Le programme hollandais IBAIP (NIDAP mais après la sortie) consiste en une intervention précoce, intense, à domicile. Il s’agit d’une observation du bébé dans son environnement écologique (la famille). L’impact positif du programme sur le développement moteur est réel, d’autant plus fort que l’enfant est soumis à une double vulnérabilité (développementale et sociale). Un essai va être mené en France, dans huit centre. Le développement des enfants à deux ans sera évalué.
Stimulation du langage à 3 ans chez les enfants à risque
Aude Charollais, neuropédiatre, coordonne le dispositif LAMOPRESCO (pour LAngage MOtricité PREmaturité préSCOlaire). Il s’agit d’une étude multicentrique randomisée menée auprès d’enfant avec un terrain de vulnérabilité du langage à 3 ans avec une prise en compte de l’ensemble de l’histoire des enfants (données psycho dynamiques, psycho sociales).
Elle livre des éléments contextuels : des enfants de 8 ans qui n’avaient pas de paralysie cérébrale avaient néanmoins de fortes difficultés scolaires. Ils avaient une évaluation cognitive a priori normale avec néanmoins une sur représentation de cotations dans la norme faible. Il existe beaucoup de publications sur les troubles qui pouvaient les gêner dans les apprentissages scolaires explicites et apprentissages implicites pré scolaires mais peu d’éléments sur le langage. Quand l’enfant a un trouble du langage est-ce un trouble global ou l’environnement social est-il majeur ?
Le rapport Inserm de 2007 rappelait l’importance du langage oral pour savoir lire et écrire.
Les hypothèses :Les troubles sensorimoteurs mineurs ont-ils une corrélation avec la phonologie ?
C’est la théorie de la perception motrice de la parole, théorie séduisante pour comprendre l’impact moteur. L’idée était donc de tester un protocole de stimulation spécifique, court, précoce sur des enfants sans pathologie mais avec une vulnérabilité, pour affiner le langage en réception et en production avant la fin de la fenêtre développementale ?
Une étude randomisée a été élaborée avec des enfants nés à moins de 33 SA. A l’âge de trois ans ils ont été évalués avec un bilan informatisé de langage oral (phonologie, lexique, syntaxe, compréhension). Si l’enfant était considéré comme « vulnérable », alors il se voyait proposé de la rééducation ou une simple guidance. Les enfants sans difficulté et les enfants pathologiques étaient exclus de l’essai.
Le But : mettre en évidence dans ces 2 bras des différences de compétence phonologique et voir s’il est possible d’évaluer tous ces enfants plus systématiquement pour savoir ceux qui ont vraiment besoin d’une rééducation.
Quand l’enfant était vulnérable, il passait la batterie COSMO (épreuve de praxies bucco faciales, épreuves d’attention visuelle, transfert de modalités sensorielles, épreuves de graphisme, discrimination tactile)
La remédiation s’appuyait sur l’outil « Dire et faire » qui permet de travailler progressivement la phonologie et le lexique. 87 enfants ont été rééduqués, 78 ont eu une guidance. Au bout de 22 semaines, on a refait les évaluations. Certains enfants ne sont pas revenus. Les résultats ont été non significatifs. A cause des données manquantes, les chercheurs ont eu le droit de faire une imputabilité. Les résultats de sont révélés plus intéressants. « On n’est pas significatifs mais on s’en approche », résume Aude Charollais. Les scores de phonologie s’améliorent si les enfant n’ont pas d’autres atteintes motrices. Les enfants avec de faibles résultats ont de petites difficultés motrices ailleurs. Ce qui se passe dans la bouche, la proprioception rapide dans la bouche, entre en ligne de compte.
Le critère de jugement principal était la phonologie puis le lexique en production. « On est très significatifs en lexique en production. L’enfant stimulé sait dire beaucoup plus de mots. »
L’essai va se poursuivre. Les enfants randomisés seront réévalués en CE1 et CE2.
Les programmes de renforcement parental en cas de troubles externalisés de l’enfant
Diane Purper Ouakil, pédopsychiatre, évoque de son côté le renforcement des compétences parentales pour les jeunes enfants présentant des troubles externalisés.
Elle estime que concernant la place des familles dans le soin psychiatrique on a assisté à un vrai changement de paradigme. Les familles sont plus informées, elles prennent une place plus active dans la participation thérapeutique. Les programme se développent (psycho éducation, interventions qui ciblent le fonctionnement familial, traitements destinés aux parents).
Elle regrette que les programmes spécifiques soient de très faible diffusion et que peu de parents y aient accès. Elle note aussi que ces programmes nécessitent un fort investissement parental.
Elle cite l’existence de programmes d’entrainement aux habiletés parentales destinés aux familles vulnérables (contexte de précarité, troubles psy, prématurité, maladie somatique…)
L’indication centrale de ces programmes: les troubles externalisés de l’enfant. La littérature n’est pas développée pour les enfants avec des troubles des apprentissages.
Que sont les comportements externalisés ?
L’impulsivité, l’agitation, l’hyperactivité, l’opposition, la désobéissance, l’agressivité, les crises de colère…
Le comportement agressif fait partie du répertoire comportemental humain. Il est fréquent chez le jeune enfant. Il connaît un pic dans la seconde année, est plus fréquent chez le garçon. Les contacts agressifs physiques entre pairs diminuent avec le temps quand se développent les compétences de communication. Pour l’opposition et la colère, l’âge d’or est entre 18 et 30 mois. Il s’agit de situations de conflit pour l’enfant entre ses capacités en développement et les limites posées par l’adulte. Chez le jeune enfant la colère est une réaction habituelle. Son répertoire d’autorégulation est limité. Il existe aussi une variabilité interindividuelle avec des différences importantes dans le registre comportemental. Les parents constituent les premiers agents de régulation. Ils manifestent des capacités de contenance, de validation et de verbalisation des émotions.
Quelle est l’évolution des comportements difficiles chez enfant de moins de six ans ?
On ne peut pas forcément parler de troubles. Mais 5 à 10% d’enfants restent à un niveau élevé de comportements agressifs. Ce sont ceux-là qui nécessitent une prise en charge. Les difficultés deviennent des troubles si elles dépassent l’ajustement transitoire, si l’intensité est importante, s’il y a un retentissement dans différents environnements, si elles entravent la socialisation et les apprentissages. On constate souvent une relative stabilité développementale. 50% des enfants identifiés à 3 ans auront des troubles à l’adolescence.
On retrouve les difficultés externalisées dans les troubles du neuro-développement, dans les troubles disruptifs (Troubles oppositionnels), troubles des conduites, trouble disruptif avec dysrégulation émotionnelle (récent, a été classé dans les troubles de l’humeur).
Ces difficultés sont souvent associées à des troubles anxieux (peur de la séparation, retrait relationnel), à des troubles des apprentissages, du développement du langage, des TSA, à des troubles intellectuels.
En consultation spécialisée, c’est le premier motif de recours pour les pré-scolaires.
Quels sont les facteurs de risque des trouble externalisés ?
Les perturbations de l’environnement relationnel (liens d’attachement, qualité de la relation parent-enfant), les attitudes éducatives dysfonctionnelles, les
violences familiales, la discorde familiale, la précarité, la psychopathologie parentale, les caractéristiques individuelles (sexe, tempérament, fonctionnement cognitif, hérédité).
Il existe des styles éducatifs à risque : devant des comportements indésirables de l’enfant si les réponses sont imprévisibles, incohérentes, variables, cela met à mal ses capacités de régulation.
L’attention du parent sur le comportement négatif est un renforçateur très puissant : c’est un mécanisme de maintien pernicieux. Le mécanisme contraire, tout céder, est délétère aussi.
Les attitudes coercitives des parents sont renforcées par leur succès partiel initial mais elles entraînent une dégradation des relations et une difficulté de construction de l’estime de soi.
Le Traitement vise à diminuer les facteurs de risque modifiables avec des modifications comportementales, à augmenter les facteurs de protection (empathie, régulation sociale, compétences physiques et cognitives…). Les programmes parentaux proposent de modifier la réponse parentale pour changer le comportement de l’enfant.
Ne rien proposer à l’environnement de vie de l’enfant c’est sans impact sur lui. Cela ne sert à rien. Il n’y a pas de transfert, pas de généralisation possible.
En quoi consistent ces programmes ?
Travailler avec les parents signifie renforcer positivement les comportements souhaitables plutôt que renforcer les comportements négatifs. Les intervenants stimulent, boostent les parents. Diane Purper Ouakil a recours à une litote : « On ne le pratique pas de cette façon là en France. »
Sur quoi reposent ces Programmes d’ entraînement aux habiletés parentales (PEHP) : les thérapies cognitivo-comportementales, la théorie de l’apprentissage social, la théorie de l’attachement, entre autres. On propose souvent des stages intensifs, une dynamique de groupe avec un renforcement à distance. L’efficacité est évaluée par la mesure des progrès.
On part d’un contexte global, de l’antécédent du comportement, on améliore le contexte (en donnant des instructions, en faisant du « modeling ») puis ensuite on procède au renforcement.
Ces programmes insistent beaucoup sur le renforcement des comportements positifs (renforcement qui doit être contingent, immédiat, systématique).
Ces programmes ont pour beaucoup d’entre eux été évalués. Diane Purper Ouakil cite une étude Cochrane de 2011 qui fait ressortir chez l’enfant une réduction des comportements oppositionnels, des effets possibles sur les troubles internalisés, une amélioration globale du fonctionnement parental, du sentiment de compétence, de l’état psychique parental.
Quels sont les modérateurs ? Plus l’enfant est jeune, mieux ça fonctionne, plus il y a de facteurs de risque (la précarité notamment) plus c’est compliqué.
Il existe beaucoup de programmes de renforcement des habiletés parentales. Certains sont destinés aux parents d’enfants ayant eu un diagnostic. L’un des plus connu, Incredible years est très utilisé avant la phase de diagnostic. Il a fait l’objet de beaucoup de publications, est utilisé dans 24 pays, a pour objectif de prévenir les troubles externalisés et les troubles des conduites. Il va être implanté à Montpellier. « Nous visons la sensibilité parentale et le répertoire comportemental adapté, précise le médecin. On apprend à récompenser, à féliciter, à aider à la résolution de problème, autour des jeux. On utilise des vignettes filmées. Nous nous ciblons sur la cognitions, nous aidons les parents à avoir des attentes adaptées, à prêter attention aux comportements positifs. Nous prêtons attention aux émotions, une composante pour le parent lui-même. On travaille autour du jeu, sur l’entraînement des compétences de l’enfant, sur la motivation. Quand on a bien appliqué tout ça, on a moins besoin de poser des limites. »
Paroles de parents sur le parcours de soins
La journée est bien évidemment l’occasion de donner la parole aux parents.
Sophie Desort, maman d’Enzo, 9 ans, et de Mathilde, 4 ans, raconte son parcours.
Son fils est un jeune « dyspraxique visio constructif » qui se manifeste notamment par une forte dysgraphie. En petite section, l’institutrice dit à la maman « il est le seul à ne pas avoir trouvé sa main. » En fin de grande section, Sophie Desort convient avec l’enseignante qu’un rendez-vous avec une psychomotricienne en libéral est nécessaire. La professionnelle consultée conseille de rencontrer un orthoptiste. Enzo fait quelques séances de rééducation avec l’orthoptiste. Il est entré dans le réseau Arc en ciel. Il voit une ergothérapeute et bénéficie d’un soutien psychologique car comme beaucoup d’enfants dys il a peu d’estime de lui même. C’est un enfant très anxieux qui a peur de l’échec. Un aménagement scolaire est préconisé. L’année prochaine, en CM1 il aura un ordinateur.
Se sentir moins seul avec le CAMSP
Sa petite sœur, Mathilde, va avoir 4 ans. C’est sur la préconisation du pédiatre qu’elle est entrée au CAMSP, en raison d’un retard moteur (elle a marché à 26 mois). Un suivi avec un kiné et une psychomotricienne se met en place Mathilde a des difficultés à faire des tours et des puzzles. Elle n’a aucun souci de langage, au contraire. Il s’agit plutôt de fragilités sensorimotrices et des praxies, d’un schéma corporel pas très développé. Mathilde a tendance à ne pas utiliser le bas de son corps. Elle ne sait pas quelle main elle doit utiliser. Sur le plan auditif, elle est hyper sensible, en état de panique par rapport au bruit, elle éprouve des difficultés à savoir d’où vient le bruit. Elle participera bientôt à un atelier « la cabane à sons », une pose de drain s’impose, ainsi qu’une opération des végétations. Un bilan orthophonique va suivre. La maman s’interroge évidemment sur d’éventuelles prédispositions familiales. Elle parle de l’intérêt du CAMSP : le repérage précoce. « En tant que parent on n’est pas seul. Pour Enzo jusqu’au CP on était un peu seuls. On avait les observations des enseignants. Mais qu’en faire ? On a eu des réponses adaptées du CAMSP. J’avais des questionnements, besoin d’être guidée en tant que maman. Mathilde avait du mal à gérer ses émotions. C’est important d’être associé. Le projet doit être co-construit. »
Des délais trop longs
Nathalie Groh, Présidente de la Fédération Française des dys, raconte à son tour : « J’ai un enfant de 16 ans. J’ai bénéficié de la loi de 2005, et du plan langage. D’année en année le parcours s’améliore ». Elle le rappelle : entre 6 et 8% de la population est concernée. Dans le parcours de soin la problématique n’est pas axée uniquement sur le soin. Il y a le soin et l’école, le soin et la vie familiale, le soin et la vie sociale. « Il faut tout gérer en même temps. »
Elle énumère les spécialités, les professionnels, la complexité du système. Il n’y a pas de parcours type. Repérage, dépistage, diagnostic et prise en charge : dans la vraie vie, ça ne se passe pas comme ça. Repérage puis adressage, parfois retour en arrière.
Elle l’assure : un seul professionnel ne peut pas faire tout ! Les délais sont trop longs. Or, une année scolaire ça passe très vite. Pour la prise en charge, six fois sur dix, il n’y a pas de professionnel à proximité.
C’est pourquoi il est important de raisonner en niveaux de complexité comme l’ont préconisé la commission de la naissance (CNNSE) et la Haute Autorité de Santé. La HAS, dans ses recommandations de 2018 aborde aussi de nouvelles notions : pédagogie différenciée, travail avec les enseignants, coordination. La HAS propose aussi une formation de tous les professionnels, la prise en compte des temps médicaux et paramédicaux, la valorisation des temps de synthèse, l’accès facilité aux libéraux non conventionnés (ergothérapeutes par exemple). Il faut aussi un répertoire, un annuaire opérationnel des ressources. « Car aujourd’hui, c’est au bonheur la chance. »
Entendre la plainte des parents
Nathalie Groh invite les parents à ne pas perdre de temps et les professionnels écouter leur plainte.
Les parents entendent encore « laissez lui le temps de grandir, vous êtes angoissée, il ne peut pas tout faire en même temps ». Il ne faut pas non plus s’arrêter aux conséquences visibles (il s’agite, il perturbe mais en fait il ne parle pas). Elle plaide pour une formation des pédiatres et des médecins généralistes, des enseignants aussi, avec des outils de repérage dès la maternelle.
Concernant l’annonce du diagnostic, elle fait quelques suggestions : avoir un vocabulaire simple, mettre les parents en garde sur la diversité des témoignages sur internet, hiérarchiser les troubles et prioriser les prises en charge. » Ensuite, elle plaide pour une bonne fréquence des bilans, la transmissions des comptes-rendus. Et elle le demande : « Ne présagez pas de l’avenir. Ces enfants ont des capacités étonnantes, des ressources imprévisibles. Ne donnez pas de pronostic. »
La place de la PMI dans le repérage, le dépistage et l’accompagnement des enfants avec des troubles précoces
Maryse Bonnefoy, médecin de PMI, est invitée à parler de la place de la PMI dans le repérage et l’accompagnement. La PMI, précise-t-elle, est le service universel où il est fait attention à certains enfants à risque (prémas, hospitalisations longues, grande précarité). Il faut penser à l’universalisme proportionné. Le repérage de troubles a lieu pendant les consultations des médecins de PMI, des visites médicales à l’école, ou des visites à domicile. Le travail dans l’intimité des familles a une validité écologique, on observe l’enfant chez lui. « On a une attention très particulière portée aux observations des parents, des professionnels de la petite enfance et de l’école. » Le repérage des difficultés et vulnérabilités est complexe chez les jeunes enfants en raison de la frontière très incertaine entre le normal et le pathologique. C’est l’accompagnement de la famille, la socialisation et la rééducation qui vont permettre de dire si ce n’est qu’un écart à la norme ou s’il s’agit d’un trouble. Il s’agit de créer les conditions favorables à la meilleure évolution possible de l’enfant.
Maryse Bonnefoy évoque le dispositif PERL en Lorraine, une évaluation du travail au quotidien de la PMI dans le Lunevillois. L’étude a porté sur 60 enfants. Cet accompagnement à la parentalité doublé d’une observation du bébé a permis l’amélioration du vécu de la parentalité, du développement de l’enfant, un recul des retards de développement et du langage à 3 ans.
Le médecin incite à prendre en compte les difficultés parentales, matérielles d’abord mais aussi somatiques, psychiques, sensorielles. « Il faut être vigilants avec les parents malentendants : que l’enfant soit dans bain de langage très vite. »
Elle évoque le travail de proximité en équipe. L’équipe va observer l’autonomie de l’enfant, son comportement social, sa coordination oculomotrice, ses difficultés de communication, de comportement, comment il entre dans apprentissages.
Savoir dépister les troubles
« Face à un développement atypique, on se repose sur les 20 examens obligatoires, sur les dépistages des troubles sensoriels, le bilan de santé à l’école maternelle, le relais avec le médecin de l’éducation nationale. »
Le médecin énumère les outils utilisés pour les dépistages des troubles : ERTL 4 pour le langage, le test de Denver, les dessins, la reproduction d’image graphique, l’encastrement, le puzzle, le dépistage des troubles des apprentissages (BREV, EDA et bientôt BMT). L’outil le plus utile reste néanmoins l’interrogatoire des parents.
Elle évoque le langage, entre difficultés et troubles spécifiques. Le langage est corrélé au statut socio-économique quelle que soit l’origine sociale ou ethnique, le trouble dys existe. Le bilinguisme est une richesse, oui, mais parfois, aussi, un enjeu de pouvoir. Et puis il y a d’authentiques troubles. Elle cite l’exemple d’un enfant qu’elle suit. Sa famille est d’Inde du sud, il est gardé par sa grand-mère qui parle tamoul, ses parents lui parlent en anglais car c’est la langue de la réussite. « Quand je le vois en petite section, je ne comprends rien. Je prescris de l’orthophonie. Il a 2 séances par semaine. C’est une situation complexe. » Elle raconte la création d’un groupe des petits parleurs. Mais face à la phobie institutionnelle de certains parents, il est parfois préférable de passer par les associations, mieux acceptées.
Prévention des troubles des apprentissages : liens école-santé
Le docteur Frédérique Barbe parle ensuite du dispositif « Paris Santé réussite » pour la prévention des troubles des apprentissages, à travers le lien école-santé. Elle évoque un «état des lieux inquiétant et qui va en s’aggravant ». Au niveau national 15 à 20% d’enfants arrivent au collège avec une lecture pas fonctionnelle (lente, pas précise, bourrée d’erreur) ou avec une écriture totalement illisible. Or, ces enfants en difficulté en 6ème avaient des difficultés au CP. Les écarts se creusent de plus en plus entre bons et mauvais lecteurs. Les mauvais lecteurs viennent de milieux défavorisés.
En 2005, une étude collaborative menée à Paris par le docteur Billard sur des classes de CE1 (1061 enfants) montrait que 12,7% des enfants avaient un an de retard de lecture. Selon la zone d’éducation le taux était de 5 ou de 25%. Parmi ces enfants repérés en difficulté d’apprentissage, 30% avaient une prise en charge en orthophonie, et parmi ces 30%, 18% n’en avaient en fait pas besoin. « Pour aider les enfants en difficulté de lecture il y a une étape pédagogique, assure Frédérique Barbe. Avec un entraînement 2 fois par semaine en lecture, on fait progresser les enfants. »
Intérêt de la remédiation pédagogique précoce
Une recherche action a été mise en place entre 2011 et 2014, PTA-PSR (prévention des troubles des apprentissages-Paris Santé Réussite). L’objectif : acquérir une lecture suffisante, diminuer la fréquence des troubles des apprentissages, proposer des réponses adaptées pour les difficultés sévères. 60% des enfants faibles lecteurs ayant été entraînés comme étant en difficulté ont récupéré la norme. 50% des enfants identifiés en grande difficulté avaient un trouble spécifique en lecture et en orthographe et 30% nécessitaient des soins adaptés jamais mis en place.
Aujourd’hui le dispositif s’est étendu au nord est parisien. Il repose sur le volontariat (« c’est dommage, estime Frédérique Barbe puisqu’on sait que ça marche »). Le turn over des équipes est un problème, à chaque fois il faut reformer les enseignants. Depuis 2017 le dispositif a été élargi aux mathématiques. Devenu centre d’expertise niveau 2, Paris Santé Réussite a un financement pérenne et propose des consultations gratuites pour tous les enfants du nord est parisien (écoles privées et publiques). Les enfants sont adressés à 60% par des médecins scolaires, des orthophonistes, des familles qui appellent directement, des médecins, des pédiatres, CMP, CMPP, SESSAD, CAPP.
Place des réseaux dans l’accompagnement à long terme
Pour conclure ces deux journées extrêmement denses, Ann Claude Quero Le Jean et Dominique Juzeau présentent les réseaux Réseau NEURODEV et Arc en ciel.
A quoi servent-ils ? A prévenir les risques de rupture de soin, de renoncement (si une maman téléphone et qu’on lui dit « dans un an »), d’errance diagnostique, de décrochage scolaire, d’orientation inadaptée. A éviter aussi les problèmes de harcèlement, les risques de négligence, de violences (chez l’enfant, chez les parents, à l’école), le burn out parental.
Accompagner la complexité
Dominique Juzeau présente le réseau NEURODEV dans les Hauts de France, animé sur les 15 territoires par des Coordinatrices associatives locales (CAL). Il s’agit d’une professionnelle issue des associations locales, au service des familles d’un territoire, en lien étroit avec l’ensemble des professionnels. Elles ont déjà un premier réseau. Elles peuvent traiter de la complexité d’une situation particulière. Elles constituent une sorte de hotline pour les familles. La complexité à gérer peut être due à la maladie (difficulté de diagnostic, de prise en charge), au fait que tous les professionnels ne sont pas toujours disponibles, à la complexité sociale, à la situation familiale, au dossier MDPH.
Ann Claude Quero Le Jean du réseau Arc en Ciel complète. « Ces dispositifs interviennent à différents niveaux : en appui aux professionnels de premier niveau, en appui aux familles. La complexité ce n’est pas la sévérité. Les enfants avec des troubles sévères sont plutôt bien pris en charge. Les autres ont des parcours plus chaotiques. On peut intervenir comme relais après le CAMSP. Mais on ne fera jamais ce que vous faites. Les délais d’attente en SESSAD sont très longs donc on les soutient en attendant. » La spécificité du Réseau Arc En ciel c’est la pédiatrie ambulatoire. « L’organisation est graduée, précise-t-elle. On est saturés de demandes. Si on ne répond pas à la famille là, on prend le risque que 6 mois après la situation se sera détériorée et complexifiée. Quand tout est en place on passe en veille. Pour les situations complexes il y a le module d’appui pour vérifier que les préconisations et les prises en charge sont bien mises en place ».
Faciliter la coordination autour de chaque situation
Dominique Juzeau explique de son côté qu’il existe deux niveaux de coordination : une coordination des parcours autour d’un enfant, de ses troubles, des ressources du territoire (on vérifie que rouages tournent bien autour de l’enfant), une coordination des acteurs permanente, globale (créer des systèmes de formation, de rencontre, de sollicitation pour une élévation du niveau de tout le monde).
Dans la salle une orthophoniste partage son irritation : « Il y a eu des RASED qui fonctionnaient très bien et ont été détricotés. Maintenant on met des réseaux et des AVS pas pérennes. C’est une politique globale qui fonctionne à l’envers. »
Ann Claude quero Le Jean répond : « RASED versus réseaux, c’est un vieux débat. Les réseaux ont besoin des RASED, c’est sûr. Nos réseaux ont émergé de professionnels de terrain. Ne vous dites pas que l’argent qui nous est donné serait revenu à d’autres. Ce sont des filières de financement différentes. Si ce n’était pas nous, ce serait un réseau diabète. Pas de confusion des genres ! »
« On fait de la coordination de parcours, les ARS ont reconnu que cette coordination est importante »
Conclusion des deux journées
La parole est à Michel Arcelain, directeur de CAMSP, pour la conclusion. « Les aléas de développement vont avoir des conséquences sur la vie quotidienne, sur la vie scolaire, sur la vie d’adulte, pose-t-il. Nous concernant nous les CAMSP, nous devons éviter que les enfants ne se retrouvent précocement dans une situation d’échec scolaire. Normalement les enfants arrivent au CP avec des outils à peu près opérationnels. Ceux que nous voyons n’auront pas ces outils si on ne fait rien avant. La précocité de l’intervention est nécessaire.» En matière de diagnostic, la prudence doit être absolue. « Néanmoins nous devons repérer. Les parents nous amènent des symptômes pertinents qu’il ne faut pas louper. Il faut se mettre à tout le moins en alerte ».
Pour Diane Cabouat, la vice-présidente de la FF-dys, « le fait que l’Anecamsp organise ces journées est un signe d’espoir. On s’occupe des dys dans la petite enfance. » Elle le répète :
« Quand un enfant a des difficultés, que ce soit pathologique ou pas, nous n’avons rien à perdre à l’aider. Cela peut éviter un sur handicap.» Certainement le meilleur résumé du message martelé au cours de ces deux formidables journées.