Loin de la recommandation du “pas d’écran pour les moins de trois ans”, 45% des 0-3 ans utilisent un écran tactile et 20% des 0-6 ans y ont été exposés pour la première fois entre un et deux ans. Ce sont les résultats d’une étude qui sera officiellement présentée le lundi 5 novembre à l’occasion du colloque organisé par la Fondation pour l’Enfance.
Dans le cadre de la réflexion stratégique globale sur le chantier petite enfance et numérique qu’elle mène depuis 2016, la Fondation pour l’Enfance a commandé une étude détaillée au cabinet Séquence Marketing sur le sujet. Plus de 500 entretiens ont été effectués en ligne auprès de parents d’enfants de 0 à 5 ans complétés par six entretiens qualitatifs d’une heure et demie. Les résultats seront officiellement présentés ce lundi 5 novembre à l’occasion d’un colloque national qui rassemblera professionnels de l’enfance et experts du numérique.
Il ressort de cette étude inédite que 58% des enfants de moins de 6 ans utilisent un (ou des) écrans numériques mobiles. C’est le cas de 45% des enfants âgés de moins de trois ans. Ce dernier chiffre corrobore les résultats de l’INED issus de la cohorte Elfe et rendus publics en septembre dernier. Ces travaux montraient en effet que 30% des moins de 2 ans utilisent un ordinateur ou une tablette de temps en temps, 20% au moins une fois par semaine ou par jour, 20% occasionnellement un smartphone, 10% tous les jours un smartphone. Soit 40% des enfants de deux ans de la cohorte Elfe qui seraient exposés à un écran autre que la télévision. Il est intéressant que cette nouvelle étude réalisée à l’occasion de ce colloque produise des résultats équivalents, car les données de la cohorte Elfe ont été collectées il y a cinq ans, ce qui a pu amener certains observateurs à les nuancer. Dans un domaine aussi mouvant, les tendances de fond auraient en effet pu évoluer considérablement. Cela n’a apparemment pas été le cas.
20% des enfants exposés entre un et deux ans
Autres résultats obtenus par l’étude de la Fondation pour l’Enfance : 41% des enfants de moins de six ans utilisent leurs écrans numériques au moins une fois par semaine, 6% utilisent le smartphone tous les jours (9% pour la tablette). L’utilisation est plus fréquente le week-end (48%) que la semaine (30%). Quelques 20% des enfants utilisent les écrans numériques le week-end et la semaine, 28% exclusivement la semaine et 10% exclusivement le week-end. L’âge moyen de démarrage est de 5,3 ans mais 20% des parents ont des enfants qui ont démarré à 1 ou 2 ans. Ici le résultat est plus faible que celui qui ressortait des données de l’INED (40% des enfants déjà exposés à deux ans). Dans plus de 2/3 des cas (68%) l’enfant est ou sera accompagné lors de l’utilisation d’écrans numériques. De manière logique l’enfant est plus souvent accompagné quand il est plus petit (62% chez les enfants de 3-5 ans versus 73% des tout petits).
Les parents ne perçoivent pas les mêmes risques que les experts
33% des parents d’enfants de 0-5 ans se disent favorables à l’utilisation d’écrans par les enfants de 5 ans et moins. Ce résultat ne dépend pas du sexe, de l’âge ni de la catégorie socio-professionnelle du parent. C’est là une nette différence avec les données Elfe où le gradient socio-économique (notamment le diplôme maternel) apparaissait nettement. On retrouve en revanche le marqueur socio-économique pour la télévision. Les parents y sont globalement plus favorables que pour les écrans numériques ( 51% contre 33%) et les parents plus aisés sont moins enthousiastes (43%) que les inactifs (71%). On trouve ici un premier fossé entre les parents et le monde de l’expertise. Certains spécialistes estiment que les effets de la télévision, écran « passif », sont plus forts que ceux des supports mobiles, écrans « actifs » nécessitant l’interactivité. Du côté de la littérature l’impact négatif de la télévision est davantage prouvé que celui des écrans (par manque de recul et donc d’études, notamment).
Pourquoi les parents se montrent-ils plus tolérants vis à vis de la télévision ? Pour les auteurs de l’étude, « l’argument de la convivialité s’impose de manière très majoritaire comme avantage de la TV par rapport aux écrans numériques ». 44% des parents jugent également qu’elle est moins nocive car elle fascine moins les enfants. Seuls un tiers des parents l’estiment plus nocive car plus passive. 68% des parents (quel que soit l’âge de l’enfant) trouvent un avantage aux écrans numériques. Ils citent en majorité leur apport pour l’éveil et l’apprentissage, pour la préparation des études, de la vie future, pour la capacité de concentration (18%). 57% des parents citent la détente et le plaisir de l’enfant. L’avantage du temps libre pour le parent est évoqué par 21% d’entre eux parents.
Quelles sont leurs craintes vis à vis des écrans ? Quatre inconvénients majeurs sont évoqués : Addiction, Isolement, Diminution des activités extérieures et Hyperactivité (on retrouve cette crainte de l’addiction dans le micro-trottoir réalisé par la Fondation pour l’Enfance et qui sera diffusé lors du colloque).
Les auteurs notent, à juste titre, que « certains points, mis en avant par les professionnels (perte de contact avec la réalité, carences de développement /langage, comportements violents), le sont beaucoup moins par les parents.»
Des familles globalement sensibilisées mais qui se jugent mal informées
En tous cas les parents s’entendent quasiment tous (96%) pour considérer que les risques ne sont pas inexistants. Environ un tiers les considèrent même comme majeurs. Pour autant, un tiers des parents fixent des règles qu’ils n’envisagent pas de respecter tout le temps et 16% fixent des “règles très souples”. Ils sont assez nombreux à percevoir les « bonnes pratiques » : pour contre-balancer les effets indésirables des écrans, 70% d’entre eux citent l’attention portée par les parents, 64% les activités physiques, 63% les activités manuelles, 59% l’interdiction avant le coucher. Retrouve-t-on à chaque fois les mêmes parents dans ces différents items ? Peut-on ainsi identifier une majorité de parents qui a bien intégré les enjeux relatifs aux écrans et a contrario une minorité pour laquelle un travail de sensibilisation et d’accompagnement serait encore nécessaire ?
Et si c’est le cas, comment procéder ? Car il ressort de cette étude une grande insatisfaction et une forte ambivalence vis à vis des messages d’information. D’après l’étude, « les messages sont jugés avec sévérité : insuffisamment démontrés, trop généraux (pas adaptés à mon enfant) et pas assez nuancés. » Ils apparaissent à la fois « éloignés de la réalité de la vie d’aujourd’hui, dont le numérique est partie prenante et, en même temps, n’alertant pas assez sur ses dangers », ce qui peut sembler paradoxal. On voit bien, avec les usages, que la préconisation du zéro écran avant trois ans peut paraître très irréaliste. L’Académie Américaine de Pédiatrie est d’ailleurs elle-même revenue sur cette recommandation puisqu’elle préconise désormais l’absence d’écran avant 1,5 ans (sauf chat vidéos) et une utilisation avec accompagnement d’un adulte jusqu’à cinq ans, à raison d’une heure maximum par jour.
Les parents se montrent plus sensibles au message portant sur le risque de l’utilisation des tablettes et/ou smartphones concernant les relations de l’enfant et son développement physique (51% d’adhésion) qu’au point de vue plus favorable de l’Education nationale (33%) ou à celui plus alarmiste du Dr Ducanda qui ne rassemble que 16% des parents (dont un tiers de parents inactifs).
Ces résultats seront présentés officiellement en ouverture du colloque dédié au numérique des jeunes enfants, organisé par la Fondation pour l’enfance, qui donnera ensuite, toute la journée, la parole à différents intervenants pour aborder la question des pratiques, de l’information des familles, du juridique ou de l’offre numérique.