Le Pérou a adopté un nouveau programme national de soutien aux familles les plus pauvres, avec pour objectif d’améliorer précocement le développement des enfants. Les premières évaluations menées par une équipe de chercheurs suisses se révèlent très positives.
Le Pérou, les Andes et des chercheurs suisses. De ce cocktail insolite est née une étude aux résultats très prometteurs. Une étude qui montre comment il est possible de changer concrètement la vie des familles les plus défavorisées et, au moins à court terme, d’améliorer le développement de leurs enfants. L’équipe de Daniel Mäusezahl, de l’Institut Tropical et de Santé Publique suisse, a évalué le programme national péruvien, « Cuna Mas ». Porté par le Ministère du développement et de l’inclusion sociale, ce dispositif (national, donc) vise à améliorer le développement cognitif, social, physique et affectif des enfants pauvres de moins de trois ans.
Deux programmes distincts pour améliorer la santé globale des enfants
L’équipe suisse a mené une expérience auprès de deux cohortes d’environ 250 enfants chacune, âgés de 6 à 35 mois. Les résultats ont été publiés dans le “International Journal of Epidemiology” et le Journal of Epidemiology and Community Health Les familles recrutées appartiennent à 50 communautés rurales vivant dans les Andes. La première cohorte a bénéficié du programme IHIP (pour « integrated Household intervention package » soit « pack d’intervention intégrée au domicile »). Son objectif est d’agir sur l’hygiène et la sécurité intérieure pour améliorer les indicateurs de santé. Le deuxième programme, ECD (pour « Early child Development », soit développement précoce de l’enfant) visait plutôt à stimuler les interactions parents-enfants pour permettre un meilleur développement psycho-moteur des petits. Chaque cohorte constituait le groupe contrôle de l’autre.
Au début de l’évaluation tous les enfants présentaient un état de santé, des compétences et un stade de développement équivalent (selon l’âge). Dans le cadre du programme IHIP, les maisons ont été équipées de poêles sécurisés et d’éviers (construits localement pour pouvoir être réparés par la communauté), de dispositifs solaires pour désinfecter l’eau et d’une éducation à l’hygiène axée sur le lavage des mains et l’hygiène de la cuisine. Les mères ont notamment appris à se laver les mains et à laver les mains de leurs enfants après la défécation, le changement de couches, avant la préparation du repas, et avant le repas. Elles ont également été sensibilisées au fait de bien séparer les animaux et leurs déjections de l’environnement de la cuisine.
Un impact fort sur la diarrhée, moins marqué sur la santé respiratoire
Les chercheurs ont analysé l’impact de cette intervention globale sur les données sanitaires : toux, pneumonie, santé respiratoire en général, diarrhée infantile, mais aussi douleurs dorsales chez les adultes, nez qui coule chez les parents et les enfants, conjonctivite (« tout ce qui arrive quand on cuisine au feu de bois », note Daniel Maüsezahl). A l’issue de l’expérience, seule la prévalence de diarrhée a diminué d’une façon « statistiquement significative ».
« En tant que scientifique, on s’attarde sur ce qui est significatif d’un point de vue statistique, précise Daniel Mäusezahl (photo ci-contre). De ce point de vue, pour la santé, nous n’avons pu mettre en évidence une incidence statistique que sur la diarrhée. On a pu noter 20% de réduction pour les données respiratoires mais ce n’est pas probant. On n’a pas réduit de façon significative la toux, la pneumonie, ça aurait été formidable car ces affections tuent beaucoup d’enfants. »
Mais des conditions de vie globalement et fortement améliorées
Le scientifique manifeste pourtant un fort enthousiasme.« A mon sens, le plus intéressant c’est comment ce type de programme impacte la vie quotidienne des gens, les relations, la vie domestique, pose Daniel Mäusezahl. Et je vous l’assure : l’impact sur l’environnement de la cuisine a été massif. Les mères nous ont dit de façon répétée que leur cuisine était devenue propre, les cochons d’inde ne venaient plus roder, c’est devenu plus respirable, ce n’était plus enfumé. Les femmes se sont exclamées : « waouh, mon mari vient me voir dans la cuisine ! Parce que ça ne sent plus mauvais et je ne sens plus mauvais, ma relation avec mon mari a changé ». »
Autre effet bénéfique : le feu ne brûlait plus directement sur le sol, les enfants ne tombaient plus sur les braises. Dans ces populations, tous les enfants ont un jours été brûlés, certains sont défigurés.
Les mères ont aussi rapporté avoir moins de douleurs lombaires, et moins le nez pris. « C’est exactement le genre de changements qu’on veut pouvoir insuffler pour faire cesser la spirale de la pauvreté avec ses effets cumulatifs», assure Daniel Mäusezahl.
Favoriser les interactions mère-bébé à travers le jeu
Le second programme, axé sur le développement des enfants, a eu des résultats pour le coup extrêmement nets, en tous cas statistiquement significatifs. Des jouets homologués et du matériel éducatif (changés tous les deux mois) ont été distribués aux familles participantes. Des professionnels ont dispensé 45 minutes de formation au début de l’expérience à chaque mère pour les sensibiliser à la nécessité des interactions et de la stimulation. Pendant douze mois les mères ont ensuite reçu toutes les trois semaines, au domicile, des sessions de conseils complémentaires. Elles ont été incitées à jouer avec leur enfant une demi heure par jour et à noter les progrès constatés.Tous les deux mois, les mères étaient complimentées pour leur investissement et recevaient le nouveau set de jouets. Au total chaque enfant a reçu six sets de cinq jouets.