Ce mercredi 30 mai la stratégie nationale de soutien à la parentalité doit être officiellement lancée au cours d’une journée qui donnera lieu à de nouvelles tables-rondes. La Direction Générale de la Cohésion Sociale a supervisé les auditions de nombreux experts et acteurs de terrain et a également sollicité les avis de plusieurs instances dont le Haut Comité à la Famille et aux Ages de la Vie.
La stratégie nationale couvrant la période 2018-2022 devrait se décliner en huit grands axes : l’accompagnement des parents de jeunes enfants, l’accompagnement des parents d’enfants âgés de 6 à 11 ans, puis des parents d’adolescents, le développement du « répit parental », l’amélioration des relations familles-école, l’accompagnement des conflits parentaux, le soutien par les pairs et l’amélioration de l’information transmise aux parents.
Dans un document de travail (donc non définitif) auquel nous avons eu accès, il est indiqué en préambule : « Les facteurs susceptibles d’influencer le parcours de l’enfant sont multiples et, si le contexte social dans lequel évolue la famille peut impacter le devenir de l’enfant, l’éducation et les soins parentaux contribuent également à construire son parcours.» Ou encore: «L’accompagnement des parents dans leur rôle de premiers éducateurs de leur enfant peut renforcer ou créer un contexte familial bienveillant et ainsi éviter ou contenir des situations potentiellement appelées à faire l’objet, quelques mois ou quelques années plus tard, d’une prise en charge plus lourde.(…) C’est en cela que l’action publique auprès des parents, traditionnellement appelée « soutien à la parentalité », est un levier puissant de l’investissement social ; elle constitue tout autant une réponse au besoin que nombre d’entre eux expriment d’être accompagnés dans leurs rôles et responsabilités ». Le document met en avant « une politique de prévention précoce, généraliste, universelle de l’ensemble des risques pesant sur les familles : décrochage scolaire, conséquences néfastes des ruptures familiales sur les enfants comme les parents, dérives sectaires ou radicales d’un membre de la famille, troubles de santé spécifiques à l’enfance et à l’adolescence, parcours de délinquance, violences intrafamiliales… »
Un universalisme saucissonné plus que proportionné
Les auteurs rappellent les principes fondamentaux posés en 2012 par le Conseil national de soutien à la parentalité dont « la reconnaissance du parent comme premier éducateur de l’enfant et la logique d’universalisme proportionné ». Si la DGCS semble bien insister sur la valorisation du rôle parental (s’inscrivant dans la lignée des rapports qui ont précédé cette stratégie), on retrouve moins la notion d’universalisme proportionné, telle qu’elle a en tous cas été pensée au départ par l’anglais Michael Marmot et l’Organisation Mondiale de la Santé, à savoir des services universels, accessibles à tous, mais avec une intensité, et des moyens, proportionnels au niveau de « défaveur ». Avec le séquençage proposé par cette stratégie 2018-2022 on est plus proche de l’acception française de cet universalisme proportionné, telle qu’elle était portée par exemple par le rapport Giampino consacré à l’accueil du jeune enfant : une adaptation des services aux besoins exprimés selon les moments de la vie et les événements qui la jalonnent. Exit la dimension sociale et la gradation des besoins. Il s’agit davantage d’un universalisme ajusté (aux différents moments de vie et événements conjoncturels) que proportionné (au niveau de « défaveur », sociale notamment).
La lutte contre les inégalités, une priorité… vraiment ?
Pourtant la DGCS semble bien inscrire le soutien à la parentalité dans une politique de prévention précoce et de lutte contre les inégalités. En rappelant notamment que « 2018 est une année charnière, idéale pour donner une nouvelle impulsion au soutien à la parentalité, (…) en premier lieu parce que le Président de la République a souhaité la mise en œuvre d’une stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté des enfants et des jeunes, ambition exigeante dont l’accompagnement des familles constituera un levier essentiel.»
La précarité des familles fait l’objet d’un encadré dans le document relatif à cette stratégie et sera l’un des thèmes abordés ce 30 mai, dans la dernière table-ronde de la journée. On pourrait considérer qu’il s’agit d’une relégation assez paradoxale dans la mesure où le statut socio-économique d’une famille et le niveau d’instruction des parents constituent un fort facteur de risque pour nombre des problématiques énumérées plus haut (notamment le décrochage scolaire, les conséquences néfastes des ruptures familiales sur les enfants comme les parents, les troubles de santé spécifiques à l’enfance et à l’adolescence, les parcours de délinquance, les violences intrafamiliales).
La périnatalité, objet de toutes les attentions
Le focus mis sur la périnatalité montre bien, en revanche, le souci d’une prévention précoce. « Les premiers mois et années de vie d’un enfant, s’ils ne sont en rien prédictifs de son avenir, voient toutefois s’installer des situations et habitudes familiales qui peuvent avoir des conséquences durables dans des domaines divers tels que la santé, le rapport à l’école, la qualité du lien familial,… Ce peut être en outre une période éprouvante physiquement et mentalement pour le(s) parent(s), en situation de monoparentalité ou lorsqu’ils sont, pour différentes raisons, peu ou pas entourés. » On peut lire aussi : « Cette période est décrite comme une période de « fragilités » – une part importante des difficultés rencontrées plus tardivement par les familles trouvent leur origine dans les premières années de vie de l’enfant – mais aussi « d’opportunités » : une action menée précocement peut avoir un impact majeur, en particulier si elle permet aux parents de prendre confiance en leur capacité à éduquer et accompagner leur enfant sur le long terme.(…) Aider les parents à répondre aux besoins de leur jeune enfant est ainsi le levier le plus généraliste et le plus puissant de l’action publique en matière de soutien à la parentalité ; la qualité, la cohérence et la fluidité des services qui sont proposés aux parents de jeunes enfants (que ces services concourent explicitement ou implicitement au soutien à la parentalité) sont donc essentiels. »
La nécessité d’une intervention précoce est bien posée. Mais via des dispositifs « généralistes » et sans que soient particulièrement évoqués des services plus intensifs et plus spécifiques pour des familles qui seraient considérées comme plus vulnérables, plus isolées, plus « empêchées ». Parmi les pratiques « inspirantes » sont ainsi cités les LAEP, très universels dans leur approche, mais pas très portés sur des soutiens plus dirigistes quand c’est nécessaire. La stratégie propose de renforcer les actions à domicile via les TISF (voir notre article sur ces interventions), ce qui peut en effet relever d’une intervention plus intensive. Les acteurs de ce secteur sont néanmoins inquiets : il semblerait que la Convention d’Objectifs et de Gestion (COG) entre la CNAF et l’Etat prévoie une diminution des financements de la CNAF pour l’aide à domicile de 2% par an en moyenne entre 2018 et 2022. L’information, pas confirmée par la CNAF puisque la COG n’est pas signée, apparaît contradictoire avec le souhait de renforcer les interventions au domicile en périnatalité.
Le recours au soutien à la parentalité comme levier d’action dans la lutte contre les inégalités se révèle plus flagrant dans le chapitre consacré à l’école où l’accent est beaucoup mis sur les parents illettrés.
La DGCS entend en tous cas « positionner l’Etat comme le garant de la cohérence et de l’efficacité de l’action de l’ensemble des pouvoirs publics en la matière ». Un certain flou demeure toujours sur la mesure de cette efficacité. Dans le document consulté, la question de l’évaluation des dispositifs n’est pas abordée dans le détail. Tout comme il n’est pas fait référence à une approche fondée sur les preuves. Des dispositifs sont mis en avant parce qu’ils sont « inspirants », sans qu’on sache très bien s’ils sont efficaces.
Rendre l’information accessibles aux parents, mais quelle information ?
Un dernier chapitre est dédié à l’information des parents. « Dans sa forme, l’information délivrée aux familles doit être accessible, c’est-à-dire à la fois visible, claire, et adaptée aux capacités et préférences de chaque parent. » Il s’agit à la fois de l’information institutionnelle et pratique relative aux services et dispositifs existants. Mais aussi de l’information concernant la parentalité en tant que telle. Sur le sujet, la DGCS conserve les grands principes mis en avant ces dernières années, soit un refus de la norme et la promotion d’un certain relativisme éducatif. Il est ainsi impératif de « se refuser à un discours normatif ou injonctif » car « il n’est pas aisé d’être parent, il y a de nombreuses façons d’assumer cette responsabilité, et l’information délivrée doit le reconnaître ». « La valeur ajoutée de l’action publique en matière de soutien à la parentalité est, par une information objective, équilibrée et respectueuse des préférences de chacun dès lors qu’elles sont compatibles avec l’intérêt de l’enfant, d’aider les parents à faire en conscience les choix qui leur reviennent en tant que premiers éducateurs de leur enfant. »
Le sujet est complexe et le terrain glissant. Une information peut-elle toujours être à la fois objective, équilibrée et respectueuse des préférences de chacun ? Si la limite posée est celle de l’intérêt de l’enfant, tous les acteurs en partagent-ils la même définition ? Ne pourrait-il pas être possible de définir un consensus sur des pratiques éducatives plus ajustées que d’autres, à partir des données de la recherche, de la même façon qu’il apparaît tout à fait normal d’émettre des recommandations de santé publique en matière de couchage ou d’alimentation des bébés ? De la même façon qu’il a été possible de trouver un consensus sur les besoins fondamentaux de l’enfant. Mais encore faudrait-il pour cela reconnaître que les inégalités se nourrissent aussi, très précocement, de ces choix éducatifs différents (parler à son bébé ou pas, lui lire une histoire le soir ou pas, lever la main sur lui ou pas, prendre en compte ses émotions ou pas, fixer une routine ou pas).
Ce mercredi, la journée nationale du soutien à la parentalité s’ouvrira avec les témoignages du sociologue Claude Martin et du pédopsychiatre Daniel Marcelli. Les participants seront invités à voter pour le titre définitif de cette stratégie.