La nouvelle ministre de la Santé, Agnès Buzyn envisage de rendre obligatoires les 11 vaccins du calendrier vaccinal. Pourquoi? Parce que si la France reste à un relativement bon niveau de vaccination, la confiance s’est effritée pour 21 % de sa population. Les « antivax » semblent trouver plus d’écho chez nous qu’ailleurs. Le rapport publié en 2016 sur la politique vaccinale souligne, entre autres, la perception floue de la balance bénéfice/risque. Et sur ce sujet hautement épidermique, les arguments scientifiques laissent parfois la place au fantasme. Voici l’article que nous avons publié sur le sujet il y a un an et demi.

« Pour le Gardasil, spontanément, c’est non. Nous n’avons pas assez de recul. Pourtant, ma gynéco était plutôt pour que je vaccine ma fille car elle voit beaucoup de patientes concernées par le papillomavirus », lance Bénédicte, qui a respecté à la lettre le calendrier vaccinal de ses trois enfants, jusqu’à ce que le doute la saisisse pour celui-ci. Le Gardasil semble cumuler toute la gamme des soupçons qui pèsent sur la vaccination en général. Et c’est pour ce vaccin que les différences de couverture entre la France et d’autres pays comparables sont les plus marquées (lire notre article En Europe et aux USA, personne ne baisse la garde) .

Le Gardasil, efficace d’accord mais vraiment utile ?

Commercialisé depuis 2009 par le laboratoire Sanofi-Pasteur MSD (Merck) pour prévenir l’apparition du cancer de l’utérus en éliminant les papillomavirus, le Gardasil voit son adhésion chuter d’années en années (1). Les adolescentes françaises et leurs mères le boudent « 17 % aujourd’hui, c’est dramatique. Il y a un déballage médiatique sur les risques du vaccin, hors de toute vérité scientifique », déplore le professeur Olivier Graesslin, gynécologue-obstétricien au CHU de Reims. Ce vaccin combat 70 % des papillomavirus, en visant les génotypes 6, 11, 16 et 18. Une étude australienne à grande échelle menée chez les adolescentes vaccinées conclut à une efficacité de 75 % sur les lésions précancéreuses. Et les études récentes françaises sur les maladies auto-immunes induites sont rassurantes. «  Il n’y a pas de surrisque lié à la vaccination », insiste ce spécialiste. Tout juste note-t’on un léger excès de syndrome de Guillain-Barré, qui provoque, entre autres, une atteinte des nerfs périphériques, des manifestations transitoires dans la grande majorité des cas.

La forte médiatisation du cas de Marie-Océane Bourguignon, victime d’une sclérose en plaques après l’injection, a marqué l’opinion publique. La confusion s’installe d’autant plus que les pathologies auto-immunes éclosent souvent à l’adolescence. Pourtant, confirme Marion Mathieu, docteur en biologie et co-auteur en 2015 avec Annick Guimezanes du livre « Vaccination : agression ou protection » (éd. Le Muscadier) « Aujourd’hui, les études épidémiologiques ne montrent pas de problèmes avec la sécurité du vaccin Gardasil ».
Les médecins généralistes, aux premières loges pour recommander le vaccin chez les très jeunes filles, l’approuvent : 75 % d’entre eux sont partants, alors qu’ils n’étaient que 20 % en 2007. « Le principal facteur qui joue dans le comportement des médecins généralistes vis-à-vis du vaccin est la perception de la balance bénéfice-risque », analyse le docteur Pierre Verger, épidémiologiste, co-auteur en juillet 2015 d’un rapport de l’Inserm sur l’attitude vaccinale d’un panel de 1500 médecins généralistes. La balance leur semble positive, les généralistes adhèrent. Alors pourquoi un taux de couverture si faible comparé à d’autres pays, dont nos proches voisins (89 % au Royaume-Uni et 87 % au Portugal) ?

D’abord, l’intérêt du vaccin apparaît comme très relatif: même vacciné, il faut faire des frottis. S’il est effectué avec régularité, ce prélèvement qui vise à vérifier l’absence de lésions précancéreuses, parvient à diminuer près de 90 % du risque de cancer du col de l’utérus. Autrement dit, le vaccin n’est que le complément du dépistage. Pour certains professionnels de santé, la priorité devrait porter sur les 4 françaises sur 10 qui ne bénéficient pas de frottis réguliers.  La Cour des comptes, dans un document intitulé La politique vaccinale de la France publié le 20 février 2013, précise qu’avec un taux de couverture vaccinale inférieur à 60 %, l’impact sanitaire reste inférieur à celui d’un dépistage efficace par le frottis. Le collège des gynécologues obstétriciens (CNGOF), lui, plaide pour une approche globale« Nous pourrions réduire à néant cette pathologie en associant le dépistage et la vaccination, assurait Olivier Graesslin lors d’une récente conférence de presse du collège. Tous les modèles mathématiques confirment que cette association est la plus efficace.» Mais, arguent les sceptiques, n’est-ce pas sortir une artillerie bien lourde alors que l’écrasante majorité des papillomavirus disparaissent spontanément ? L’écrasante majorité, pas tous.

Autre réserve : les plus agressifs de ces virus ne sont pas les seuls responsables de la survenue d’un cancer du col de l’utérus. Le tabac, la nutrition, les hormones, l’immunité constituent aussi des déclencheurs de la maladie. Nombre de parents ne sont donc pas convaincus par cette vaccination précoce -elle est vivement conseillée à 9-10 ans, avant le contact avec le papillomavirus par voie sexuelle- incapable de garantir une efficacité à 100 %. « Je ne suis pas anti-vaccination. Je ne me suis pas posé la question pour le BCG ; mais au vu des informations dont je dispose, je ne vois pas en quoi les bénéfices avérés sont concluants», affirme Véronique, qui a refusé de vacciner son adolescente, aujourd’hui âgée de 13 ans.

Les industriels pousseraient à la consommation

Aux yeux des parents réticents, d’autres arguments, pas médicaux, viennent peser dans la balance. « Il y a beaucoup de conflits d’intérêt dans cette prescription », avance ainsi Bénédicte, qui a écarté le Gardasil du calendrier vaccinal de sa fille. Les médecins généralistes sont d’ailleurs 53 % à estimer que leur source d’information est influencée par l’industrie pharmaceutique. Le professeur Olivier Graesslin se défend quant à lui de conflits d’intérêt avec le Gardasil, mais est néanmoins expert pour le laboratoire MSD. Il travaille actuellement sur un nouveau vaccin, qui couvrira un plus grand nombre de papillomavirus. «  Le médecin est le partenaire naturel des laboratoires, argue-t-il. Alors, les experts ont souvent des liens d’intérêt puisqu’ils travaillent pour tester de nouveaux produits. »

A 121,36 euros l’injection de Gardasil (2 doses sont recommandées aujourd’hui), les produits engrangent des bénéfices importants pour les laboratoires. En France, pour la seule année 2013, l’Assurance maladie a déboursé 34 millions d’euros pour la prise en charge à 65 % des deux vaccins anti HPV sur le marché. Au niveau mondial, le Gardasil a rapporté plus d’un milliard de chiffre d’affaires en 2012. Une somme telle que la Cour des comptes, dans son rapport de 2013, recommande de « négocier une baisse significative du prix des vaccins HPV ».

Ce prix exorbitant participe de la méfiance et le soupçon de marketing offensif pèse dès lors sur les laboratoires. « Un certain nombre de gens pensent que l’industrie cherche à placer les produits », confirme le docteur Pierre Verger. Un événement sanitaire illustre avec force cette suspicion à l’égard des laboratoires et ses effets collatéraux sur la couverture vaccinale. En 2009, une campagne de vaccination sans précédent pour le vaccin contre la grippe H1N1 fait un flop, avec 8 % de Français vaccinés. Le vaccin a été mis sur le marché en un temps record, le virus n’est pas arrivé quand on l’attendait, et avec moins de virulence. De plus, les médecins généralistes ont été écartés du dispositif. Résultat, une défiance généralisée qui perdure aujourd’hui. La couverture vaccinale de la grippe a chuté de 13 points depuis 2008.

Peur sur les adjuvants

En ligne de mire des anti-vaccins, enfin, les adjuvants. Ces produits créent une inflammation, ce qui augmente la réponse immunitaire et la fabrication d’anticorps. Dans l’épisode H1N1, certains lots contenaient des adjuvants, et d’autres non, notamment ceux destinés aux femmes enceintes. La coexistence des deux formes a empiré les choses, laissant penser que la formule sans adjuvant, réservée aux futures mamans, était moins dangereuse. Non, il s’agissait juste d’appliquer un principe d’extrême précaution. « Et dans l’urgence, l’adjuvant, utilisé en période pandémique, permet de produire une plus grande quantité de vaccins avec une quantité limitée d’antigènes », nous explique l’immunologiste Annick Guimezanes.
Les polémiques sur les adjuvants restent prégnantes. C’est le cas des sels l’aluminium, qui se trouvent sur la sellette, 90 ans après leur création. Chez certaines personnes, vraisemblablement prédisposées génétiquement, l’aluminium contenu dans les vaccins n’est pas éliminé en totalité et peut provoquer la myofasciite à macrophages. Maladie dégénérative, elle se manifeste par d’importantes douleurs articulaires, associées à une faiblesse musculaire, une fatigue chronique et des troubles digestifs et neuro-cognitifs. Début 2014, l’Inserm U955 a lancé un programme de recherche sur la toxicité aluminique de certains vaccins. Les résultats de cette étude sont attendus pour l’été 2017. Ce sujet très spécifique, on le voit, est complexe. Pas étonnant donc, que selon le docteur Pierre Verge, « 43 % des médecins généralistes doutent de leur capacité à expliquer le rôle des adjuvants ».

Le DTP et le ROR, acceptés mais toujours discutés

Faible pour la grippe, quasiment inexistante pour le HPV, notre couverture vaccinale est en revanche très honorable pour les autres maladies évitables. Nous nous situons dans la moyenne des pays européens, mais avec un effritement tendanciel, ou, à tout le moins, des signaux d’alerte. La confiance des familles est variable d’une maladie à l’autre. Elle évolue aussi selon le statut du vaccin, selon qu’il est obligatoire ou recommandé (lire l’encadré : Rénover la politique vaccinale, pas à pas). A ce jour, seul le vaccin DTP (diphtérie-tétanos-polio), réalisé dès 2 mois, est obligatoire, avec une adhésion à 95 %. Le score, même s’il a légèrement diminué ces dernières années, reste élevé, avec ce vaccin trivalent qui a subi, et subit toujours, une pénurie sous cette forme. Aujourd’hui, 80 % des parents se tournent vers deux autres produits : le pentavalent, qui associe une protection contre les méningites graves et la coqueluche ; ou l’hexavalent, qui ajoute l’hépatite B, dont le vaccin traîne une mauvaise réputation depuis les années 1990. Pour cette maladie, le lien de causalité avec la sclérose en plaques a été écarté dans de nombreuses études, mais on ne peut exclure qu’il favorise son apparition lorsque la maladie est sous-jacente. Le cas très récent d’un enfant non vacciné hospitalisé à Tours pour un tétanos (avec un carnet de santé falsifié) montre que même pour le DTP il existe encore des résistances. Cette affaire a d’ailleurs mis en lumière la pratique des faux certificats de vaccination, impossible à quantifier.
A côté, le vaccin recommandé ROR (rougeole-oreillons-rubéole), effectué à l’âge de 12 mois, atteint 90 % de couverture vaccinale. Excellent taux a priori. Sauf que pour tendre à une quasi disparition de cette maladie très contagieuse il faut se situer au-dessus des 95%, objectif fixé par l’OMS. En 2006, seuls 40 cas de rougeole étaient déclarés. En 2008, on passe à 600 cas. Et en 2011… 15.000 cas ! Entre le 1er janvier 2008 et le 31 mai 2015, l’institut national de veille sanitaire enregistre 23.500 cas. Avec 147 cas l’année dernière, les Etats-Unis, eux, ont presque cédé à la panique. Nous avons depuis, heureusement, endigué l’épidémie. En septembre 2015, avec 131 cas déclarés sur 12 mois, nous arrivions en 5ème position en Europe derrière l’Allemagne, l’Autriche, l’Italie et la Croatie.
Dans une majorité écrasante de cas, la rougeole ne provoque pas de séquelles graves. Il n’empêche. En France, dix personnes sont décédées de la maladie entre 2008 et 2011, 900 ont souffert d’une forme grave de pneumopathie, 26 encéphalites ont été diagnostiquées. Pour une maladie qui pourrait être éradiquée depuis longtemps, ça fait beaucoup. Les pouvoirs publics restent donc sur le qui-vive face, là-aussi, à une baisse de la couverture et la menace permanente d’une résurgence des foyers épidémiques.

Chez les anti, faire feu de tout bois

En face, dans le camp des anti, il y a les idées préconçues, le manque d’information, les craintes irraisonnées. Mais pas que. Certains opposants à la vaccination sont éduqués, diplômés, documentés et considèrent leur position comme « éclairée ». Corinne est enseignante, mère de six enfants. Elle dit qu’avant, pour son premier bébé, elle était « formatée ». Avant que son conjoint, jamais vacciné, adepte des médecines naturelles, ne lui ouvre les yeux. « Mon mari a fait des recherches sur le net, et un jour il m’a montré un document (« Silence, on tue ! »). Puis, il a découvert une littérature antivaccinale abondante. Après, je me suis dit : c’est bon, c’est fini ! En Europe, seuls 3 pays obligent à se vacciner. » Certes. Mais vaccination obligatoire ou pas, tous les pays européens affichent de toute façon de très hautes couvertures vaccinales, c’est à dire une très forte adhésion de leur population au principe de la vaccination. Pour justifier son refus, Corinne convoque les risques médicaux, les dérives commerciales et l’apparente absurdité du principe vaccinal en lui-même. « Je suis persuadée que les nombreux troubles du sommeil et l’autisme sont liés à la vaccination. Je suis en alerte sur le business de la santé. Et je ne crois pas au mirage de la vaccination : on inocule un virus et parfois un adjuvant à un enfant en bonne santé !» Rares sont les mirages dont l’efficacité aura été autant documentée et prouvée scientifiquement dans l’histoire de l’humanité. Mais après tout, si la science n’a pas fait disparaître les religions, pourquoi réussirait-elle à faire disparaître les antivaccins ?
Suzanna, enseignante également, est quant à elle une enfant « antivax ». « Ma mère a fait le choix de ne pas nous vacciner. Pour mes enfants, Nous avons limité au minimum : le DTP. Et encore, mon médecin homéopathe a fait semblant de faire le rappel… Pour le reste, il a déclaré que les vaccins étaient incompatibles avec leur état de santé.» Comme quoi le médecin de Tourangeau n’est visiblement pas le seul à falsifier les carnets. Suzanna a une explication de son refus pour chaque maladie. « Récemment j’ai découvert que je suis naturellement immunisée contre le tétanos sans être vaccinée. Pour moi, la diphtérie reste inutile, nous n’allons pas en Afrique. Je comprends la politique vaccinale d’un point de vue épidémiologique, mais pour moi, cela n’est pas utile. Ca ne va pas dans le sens de l’individuation des soins. On nous fait croire que c’est vital. En plus, la plupart ne protège pas complètement. Et puis, aujourd’hui, le DTP s’est transformé en vaccin hexavalent (hépatite b, coqueluche, infections à haemphilus…). Je trouve que 6 vaccins en une fois pour un bébé de 2 mois, c’est beaucoup ! » Les réserves à l’encontre d’un hexavalent peuvent s’entendre de la part de parents d’un très jeune bébé légitimement angoissés. Les autres arguments laissent forcément pantois. Car c’est bien parce que chacun joue le jeu de la vaccination que la population dans son ensemble est protégée. Notamment les plus faibles, ceux qui sont trop jeunes pour l’être ou qui présentent une réelle inaptitude. Mais ça aussi les antivax le contestent. Ou s’en fichent.

On le voit, quand on aborde la vaccination, les arguments purement scientifiques ne sont pas les seuls invoqués, loin de là. Les opinions défavorables reposent soit sur un déficit de connaissance, soit sur une posture critique, plus ou moins étayée, plus ou moins rationnelle, presque ataviquement suspicieuse à l’égard de toute parole officielle ou tout courant dominant. Malgré tout, s’il est une certitude aujourd’hui, en France et chez nos voisins, c’est bien celle-là : l’information, la pédagogie mais aussi la transparence sur les produits restent la seule clé pour faire sauter le verrou de la défiance.

(1) Cervarix, son concurrent qui couvre les papillomavirus de type 16 et 18, reste aussi très peu prescrit.

A consulter :
. www.infovac.fr
. www.mesvaccins.net