Après six années de combat judiciaire, Baby-Loup a fini par obtenir gain de cause contre son ex salariée voilée. Cette affaire aura fait de la crèche un véritable symbole de la défense de la laïcité et de la lutte contre l’islamisme. Un combat dont l’équipe se serait bien passée, qu’elle souhaite laisser derrière elle. Mais qu’elle assume pleinement.
En décembre 2008, Fatima Afif qui exerce comme directrice adjointe, revient d’un congé parental de cinq ans. Elle souhaite porter le voile au sein de la crèche. Ce n’est pas possible, en vertu du règlement intérieur qui impose aux salariées le principe de neutralité confessionnelle. Face au refus de Fatima Afif de retirer son voile et à son attitude menaçante, le Conseil d’administration de l’association décide de la licencier pour faute grave. S’ensuivront six années de démêlés et de rebondissements judiciaires marquées notamment par l’avis de la HALDE en 2010 en faveur de la salariée licenciée et par une décision de la chambre sociale de la Cour de Cassation en 2013 elle aussi favorable à l’ex salariée.
Les soutiens publics de Baby-Loup seront très rares mais fermes. Ils viendront de Manuel Valls, à l’époque député, de la philosophe Elisabeth Badinter (déjà marraine de la crèche avant la survenue de l’affaire) et de Jeannette Bougrab qui remplacera Louis Schweitzer à la tête de la Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Egalité (HALDE). L’affaire connaît son épilogue le 25 juin 2014 avec un nouvel arrêt de la Cour de Cassation, réunie en Assemblée plénière, qui confirme cette fois la validité du licenciement. Six années de combats judiciaires qui auront d’abord fait de cette structure une loupe grossissante puis un véritable symbole.
Si seules face à l’intégrisme
Natalia Baleato et son équipe souhaitent très clairement « tourner la page » et pouvoir se consacrer à leur cœur de métier : l’accueil des enfants et de leurs parents. De cette période tourmentée il reste évidemment de profondes blessures, le sentiment d’avoir longtemps alerté dans le désert et de s’être retrouvées très seules.
« A l’époque on ne nous croyait pas sur ce que nous constations, se souvient l’une des salariées. Quand on disait à d’autres professionnels, à des institutions ou des politiques locaux « voilà ce qu’on voit », on nous répondait « c’est marginal, ce sont des phénomènes isolés ». Pourtant, d’autres racontaient la même chose, à Lyon notamment. On avait vraiment envie de se dire que ça n’allait pas durer. Mais au fur et à mesure on a vu apparaître des petites filles voilées. Des femmes jeunes qu’on avait pu connaître libérées, affirmées, affichant leur féminité, se retrouvaient complètement voilées, comme effacées. Ce n’était que des petites choses, des petites touches au fur et à mesure des années, mais la radicalisation était importante et construite. »
Le choc de la première décision de La Halde
Ce que beaucoup n’ont pas voulu voir à l’époque c’est que l’affaire du voile et du licenciement n’était que la partie émergée de l’iceberg, la suite logique d’un mouvement de longue haleine, d’une lente maturation, à bas bruit. Qui soudain, à l’occasion de ce contentieux, a pris une ampleur stupéfiante. Car ce qu’ont vécu ces femmes est sidérant : des enfants qui ne devaient pas manger dans des assiettes sur lesquelles figuraient éventuellement un petit cochon rose ou auxquels on ne pouvait pas lire un livre avec des animaux de la ferme, des parents qui demandaient à ce que leur enfant soit réveillé pour la prière, ou qu’il y ait des tables séparées selon la confession supposée des enfants. L’équipe de Baby-Loup se plaindra que les prédicateurs psalmodient les versets du Coran à côté des dortoirs. Ils seront déplacés de l’autre côté de la place.
Lorsque le premier avis de la Halde tombe, en 2010, favorable à l’ex salariée, le choc est immense. « On avait confiance, se souvient cette salariée. Cela faisait 15 ans qu’on était au cœur de la cité, qu’on accueillait la diversité, que les professionnelles venaient du quartier. Quand la décision a été rendue, j’ai eu l’impression qu’un immeuble s’effondrait sur moi. Il était écrit noir sur blanc qu’on avait eu une attitude discriminatoire. On nous accusait d’être racistes. C’était comme si on me l’avait tamponné sur le front. C’était très douloureux, tellement énorme, tellement injuste ».
Elles le disent aujourd’hui avec une forme de fatalisme et finalement très peu d’amertume : à l’époque même les parents absolument pas vindicatifs les ont finalement peu soutenues. « Au mieux les gens ne disaient rien. C’était la loi du silence. La loyauté envers la communauté était la plus forte. »
Face à l’hostilité, obligées de déménager
Au fur et à mesure des différents procès, la tension monte. Les salariées, insultées, viennent travailler la boule au ventre. Leurs voitures sont vandalisées. Hanane, la jeune salariée venue du Maroc, reste marquée. « Je ne supporterai pas de vivre cette situation une deuxième fois ». La direction de la crèche soumet l’éventualité d’un déménagement au vote. Le oui l’emporte. On sent bien que cette décision, la seule possible face à tant d’hostilité, n’a pas été prise de gaieté de cœur. « A la fin, quand on a déménagé, il ne restait plus que nous, raconte Patricia, la directrice adjointe. La Poste, la CAF, même la police avaient fini par partir ». La quasi totalité des employées suivront la direction à Conflans Sainte Honorine, en avril 2014. Hanane veut voir dans ce déménagement un événement positif. « J’étais contente de suivre la crèche à Conflans. C’était une façon de commencer quelque chose, de vivre les débuts que je n’avais pas vécus à Chanteloup. » La jeune femme traduit bien le sentiment général : garder le cap, prendre un nouveau départ, voir le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide.
Ces femmes se seraient bien passées des projecteurs et de l’attention médiatique dont elles ont fait l’objet, elles voudraient être reconnues pour leur travail de dentelle au quotidien, leur implication sur le terrain auprès des plus fragiles. Seulement voilà, un jour elles ont décidé de ne pas se coucher et c’est ce courage là, ombre un peu encombrante, qu’elle doivent aujourd’hui continuer de porter sur leurs épaules. Pour Natalia Baleato, il n’y avait de toute façon pas d’autre choix possible. « Quand on est confrontés à ce genre de situation, à ce que nous avons pu vivre, il y a deux façons de réagir. Soit on laisse faire, on accepte de plier, soit on est un peu têtes brûlées comme nous et on se bat. A ceux qui autour de nous étaient plutôt partisans de la première option, je disais « si tout le monde réagit comme vous, ça va nous revenir dans la figure et on va se retrouver à devoir vivre à genoux. » Pour moi ce n’était pas possible.»