L’une est née le 13 mai 1986, l’autre le 13 juillet 1988, dans la même maternité de Marseille, aujourd’hui devenue maison de retraite : la clinique de la Renaissance. Ce n’est pas leur seul point commun. Un prénom commençant par un A. Une conception hors norme. Une quête obsessionnelle des origines. Anaïs et Amandine sont toutes les deux issues d’une mère porteuse. Et elles cherchent obstinément la trace de ces femmes qui ont accepté de porter pendant neuf mois un bébé dont elles savaient qu’elles le remettraient à la naissance à un autre couple.
Il y a quelques semaines ces deux jeunes mamans ne se connaissaient pas. Et puis au détour de leurs frénétiques recherches elles ont chacune trouvé l’article de GYNGER au sujet de Patricia, qui, il y a 30 ans, fut considérée comme la première mère porteuse française, et nous ont contactés. Dans cet article nous relations comment au milieu des années 80, alors que les mères porteuses ne faisaient l’objet d’aucun texte de loi, un médecin marseillais, le docteur Sacha Geller, avait entrepris de mettre en place un dispositif qui permettait la rencontre entre des couples infertiles et des femmes candidates à la gestation, moyennant finances. Il est difficile de savoir combien d’enfants sont nés ainsi, entre 1984 et 1988. Une cinquantaine vraisemblablement.
Un jour, la vérité : « ta mère ne t’a pas portée »
Amandine est donc née le 13 juillet 1988 à Marseille. Elle n’a appris la vérité sur cette conception un peu particulière que l’année dernière, à 29 ans. « J’ai toujours eu des doutes, raconte-t-elle. Je me demandais si j’avais été adoptée, si mes parents m’avaient enlevée. Une de mes tantes m’avait fait comprendre qu’elle ne pouvait pas m’en parler. J’ai émis l’hypothèse d’une mère porteuse. Sur les photos de mon album de naissance ma mère est très plate, elle n’a pas de ventre, pas de poitrine. Il n’y a pas de photos de moi avant trois jours, c’est d’ailleurs ce qui m’a mis sur la piste. » Et puis un jour une de ses cousines, très dépressive, lâche la vérité : « ta mère ne t’a pas portée ». Amandine commence ses recherches. Elle contacte le couple Mennesson, parents de jumelles nées d’un mère porteuse aux USA et à la pointe du combat pour la légalisation de la GPA en France. Dominique Mennesson avertit la jeune femme : à l’époque il s’agissait d’inséminations. Les mères porteuses n’étaient pas que des gestatrices, elles étaient les mères biologiques des bébés. Amandine comprend qu’elle n’est génétiquement pas la fille de sa mère. Lorsque la jeune femme commence à en parler à cette dernière, elle réagit mal. « Elle ne m’a donné que des informations lapidaires. Ce que je sais ? Cette femme s’appellerait Marie (mais je n’en suis absolument pas certaine), elle aurait eu trois enfants. Mes parents ne l’ont rencontrée que le jour de l’accouchement.»
Amandine réalise que dans sa famille, tout le monde est au courant. « La femme de mon cousin qui est arrivée dans notre famille quand j’avais dix ans m’a raconté qu’elle avait poussé mes parents à me dire la vérité lorsque j’ai fait une très grosse crise à l’adolescence. Je me suis droguée, scarifiée. Elle leur disait : « vous devez lui parler ». Lorsque j’ai fait une première fausse-couche j’ai dit à ma mère que ce devait être génétique puisqu’elle aussi en avait fait plusieurs. Elle m’a dit « va voir ton père ». Lui m’a assuré que ce n’était pas génétique mais il n’est pas allé plus loin. Ca aurait été l’occasion de dire la vérité. » Elle assure ne pas leur en vouloir de ces « omissions ».
Depuis qu’elle « sait », Amandine mène un méthodique travail d’enquête. Elle déroule la pelote et tire les fils, un à un, en espérant que l’un d’entre eux la mènera à cette femme qui lui a donné la vie et transmis une partie de ses gènes. Mais pourquoi tant d’énergie dépensée, pourquoi une telle obstination ?
Comprendre les motivations des mères porteuses
« J’aimerais apprendre que ce n’est pas une sorcière, quelqu’un de vénal. J’ai quand même ses gènes! Je n’arrive pas à me dire que l’argent a été sa seule motivation. Et puis je suis tellement différente de mes parents. Mon père est l’archétype du patriarche sicilien qui fait régner la loi. Je suis tatouée, très extravertie. Alors forcément je me demande si ça vient d’elle, ma mère biologique. Avait-elle un côté un peu hippie ? Si ça nous ronge, nous les enfants, ça doit bien les ronger aussi.» Pour Anaïs également, les questions sans réponse sont abrasive, corrosives. « J’ai vraiment l’impression d’être face à un puzzle dont il manque des pièces, de vivre en permanence avec un point d’interrogation au-dessus de ma tête. C’est très présent. Je veux faire le deuil de cet abandon du bébé que j’ai été. J’ai l’impression que je pourrais refermer une blessure en entendant son récit, ses motivations même si j’ai bien sûr peur d’être déçue. J’ai peur de découvrir que ça n’a été qu’une histoire d’argent. Je ne voudrais pas n’avoir été qu’une marchandise. Je voudrais que ma naissance ait représenté quelque chose pour elle. J’essaie de faire le deuil. Mais ça me ronge. Or je ne veux pas être rongée, je veux avoir de l’énergie pour mes filles. » Anaïs confie avoir été bouleversée par le témoignage de Patricia, qui parle, avec beaucoup d’émotion c’est vrai, de la façon dont elle a vécu cette grossesse et cet accouchement si particuliers. « Elle prononce les mots que je rêverais d’entendre», soupire la jeune femme.
Pour Anaïs, l’histoire de sa conception, bien que peu verbalisée, n’a pas fait l’objet d’un secret absolu, grâce à un médecin de famille qui a exhorté ses parents à ne pas lui cacher la vérité. « Mes parents m’en auraient parlé quand j’avais 4 ou 5 ans mais je n’en ai pas le souvenir. A l’adolescence j’avais une très mauvaise relation avec eux et c’est devenu une obsession : j’étais persuadée d’avoir été adoptée. Plus tard j’ai fait un épisode dépressif et j’ai posé la question. Là mes parents m’ont expliqué dans le détail. Le dossier avait été monté avant la naissance par une avocate. Ma mère a ensuite fait une adoption plénière. » Aujourd’hui la mère de la jeune femme est atteinte de la maladie d’Alzheimer la communication est rendue difficile. « Mon père, lui, est plus ouvert à la discussion. C’est même le côté positif de l’histoire. Je n’ai jamais autant parlé avec lui. Au début il m’a opposé une fin de non recevoir, il ne voulait pas en parler. Et puis il a vu ma souffrance, il a compris. Surtout après la naissance de mon deuxième enfant. Il garde le souvenir d’une procédure coûteuse. A chaque nouvelle étape il fallait verser une nouvelle somme. Il m’a parlé de cette douleur insoutenable de l’infertilité. Lui avait un besoin vital d’être père. A la naissance, une fois qu’on lui a annoncé que j’allais bien, la première chose qu’il a regardé c’est si je lui ressemblais. Il voulait être certain qu’on ne l’avait pas « floué ». Il pensait que c’était important pour l’attachement. Avec ma mère je n’ai jamais vraiment pu en parler. C’était trop dur pour elle. Elle se demandait ce qu’elle avait fait pour que je recherche cette femme. » Anaïs n’a que peu d’informations en sa possession. Sa mère biologique habitait à l’époque à Saint-Tropez et elle-même ou son mari était gendarme.
Le poison du secret
Pour la jeune femme le problème n’est pas le recours aux mères porteuses en tant que tel. « J’ai même l’impression d’une régression par rapport à ces années où on tentait des choses pour aider des gens en détresse. Non, ce qui me choque c’est le secret. La souffrance liée au secret est insupportable. C’est un droit de connaître ses origines. Ma mère a vécu cette histoire comme un tabou alors que c’était une victoire et que cela aurait dû être fêté comme tel. Moi je me suis demandée si j’étais normale, si je devais avoir honte d’être née comme ça, si je n’avais pas tout inventé.»
Il est possible qu’en effet ce soit cette dimension, le silence, la honte, la culpabilité, qui porte préjudice aux enfants, bien plus que la façon dont ils ont été conçus. L’exemple de Mylène est à cet égard assez éclairant. La jeune femme est elle aussi un bébé de la filière « Geller ». Mais parce qu’elle a pu mettre un nom et un visage sur la femme qui l’a portée, sa mère biologique, elle a pu faire la paix avec son histoire personnelle. Mylène a découvert la vérité à 13 ans.« A l’époque j’en ai été vraiment perturbée. J’ai rencontré ma mère porteuse parce que mes parents connaissaient son identité. Mais j’ai alors tout confondu, je voulais vivre avec elle. Sur le coup j’étais très en colère qu’ils m’aient menti. Et puis petit à petit ça s’est tassé. On comprend que les liens du cœur sont plus forts que les liens du sang. Aujourd’hui ça fait partie de ma vie mais je n’y pense pas. Quand je regarde ma mère, je ne pense pas à cette autre femme. Je ne la vois plus d’ailleurs. En revanche je suis en relation avec l’une de ses filles, ma demi sœur. Notamment parce que j’ai eu un souci avec ma dernière grossesse et que c’était génétique. Mes parents ont un couple d’amis qui a suivi le même parcours mais leur fils a appris la vérité à 28 ans. Il leur en veut beaucoup. La vérité finit toujours par éclater. Et plus elle éclate tard, plus elle fait mal.»
Amandine, Anaïs, Mylène, ont en commun d’avoir eu des enfants jeunes, et rapprochés. Les trois jeunes femmes l’assurent : devenir mère relevait d’un besoin viscéral.
Anaïs a raconté son histoire à sa gynécologue qui lui demandait les antécédents de sa mère, -« elle a été abasourdie»-, ainsi qu’à une psychologue, -« qui pensait que je me trompais et n’arrivait pas à croire mon histoire». Amandine, elle, bien déterminée à retrouver la trace de la femme à qui elle doit peut-être cette malformation du pouce génétique (une brachydactylie), a pris rendez-vous il y a quelques jours avec le gynécologue qui suivait sa mère à l’époque. Lorsqu’il commence à lui poser des questions de routine pour une première consultation, elle l’arrête. « Ne vous fatiguez pas, je ne suis pas là pour ça ». Et lui parle de ses recherches. Le médecin réagit très mal à sa demande d’aide, il ne comprend pas sa démarche. « Je ne m’y attendais pas du tout, raconte-t-elle. Il m’a dit d’aller voir un psy. Que j’avais été voulue que je devrais me contenter d’avoir eu des parents. »
Ce n’est évidemment pas la bêtise, la suffisance et l’inhumanité d’un vieux gynécologue qui pourront la freiner dans sa quête. Elle ne cherche pas une mère mais des réponses à des questions qui, laissées béantes, prennent trop de place. Elle aimerait aussi remercier cette inconnue qui l’a mise au monde. « Elle a permis à mes parents d’avoir un enfant, elle m’a donné la vie, c’est un énorme cadeau ».