L’Ancremin (association nationale des centres de référence de la mort inattendue du nourrisson) a organisé son 4ème congrès national le 24 septembre dernier, dans les locaux des Hôpitaux pédiatriques de Nice CHU-Lenval. Au programme notamment : l’intérêt et les risques des nouveaux matériels de couchage, la difficile information du grand public, le malaise des professionnels face aux procédures judiciaires.
La première table ronde de ce congrès consacré à la mort inattendue du nourrisson (MIN) a porté sur un sujet passionnant parce que très sensible : les matériels de puériculture de couchage, avec, au cœur de la discussion, le « cocon », né dans un service de néonatalogie et devenu en trois ou quatre ans un produit phare des grandes marques du secteur.
Favoriser la motricité libre chez le nouveau-né fragile
Myrtha Martinet-Sutter (ci-contre, sur la droite), infirmière suisse spécialisée en soins de soutien au développement, explique d’abord en quoi les nourrissons fragiles, parce que nés prématurés ou très malades, ont besoin d’un couchage très spécifique. Ces bébés si menus sont écrasés par l’apesanteur et doivent bénéficier de soutiens posturaux pour se mettre en mouvement, coordonner leurs sensations tactiles et vestibulaires, développer la proprioception, trouver une sensation d’intégrité corporelle. Le soutien à la posture favorise les interactions et libère les possibilités visuelles et auditives. Quand l’ajustement postural est en place, le bébé peut finaliser son mouvement. Il peut, par exemple, porter ses mains à sa bouche. Myrtha Martinet-Sutter insiste : «les mouvements dus à l’activité propre de l’enfant sont très importants. Les sensations tactiles éprouvées par son activité propre activent le cortex somato-sensoriel».
C’est dans la posture en flexion, la plus physiologique, que cette motricité libre est la plus facile et que se trouve favorisée l’activité orale par le contact mains-bouche. De la naissance à quatre mois, la motricité dépend vraiment de la posture (ce sujet a été largement développé dans le colloque « Petite enfance: du langage corporel à la communication verbale » organisé en février dernier par Zoeki). Un enfant sur le dos est figé et part en extension (car le dos constitue la seule surface sur laquelle il peut s’appuyer), sa tête est souvent désaxée, son diaphragme est étiré, sa respiration plus superficielle. Il ne s’agit pas de considérations anodines. Il est essentiel de permettre à un enfant de s’exprimer par sa motricité avant l’acquisition de la parole. Lorsque certaines périodes sensibles du développement sont passées, les manques peuvent être irrécupérables. Cette phase de flexion est primordiale. Pour les grands prématurés, cela signifie qu’il faut soutenir l’enfant au niveau de la tête et du bassin et lui proposer des postures dites « asymétriques », dorsales ou ventrales (ces bébés hospitalisés sont surveillés en permanence) qui vont libérer sa motricité.
Naissance des cocons en néonatalogie
C’est dans ce contexte et dans cette recherche constante d’une meilleure prise en charge des bébés prématurés que sont nés les couchages « cocons ». C’est ce que rappelle le docteur Inge Harrewijn, pédiatre au Centre de Référence de la MIN (CRMIN) de Montpellier, à l’aide d’une petite vidéo réalisée dans un service de néonatalogie de Marseille. Ces cocons favorisent la posture en flexion, évitent que les nourrissons partent en hyper-extension et offrent davantage de confort et de possibilité de développement moteur à ces bébés nés trop tôt. Mais très vite, le succès de ces nouveaux couchages a dépassé le cadre des services de pédiatrie. La taille des cocons s’est agrandie, les marques de puériculture et les parents d’enfants nés à terme et tout à fait bien portants se sont emparés de ce nouveau produit (voir photo ci-contre, le cocon proposé par l’une de ces marques). Or, interroge Inge Harrewijn, « faut-il vraiment un cocon pour tous ces bébés ? »
Pour le moment, une suspicion de risques accrus
C’est une autre intervenante, Béatrice Kugener, pédiatre du CRMIN de Lyon, qui a pour mission de répondre à la question et notamment d’expliquer pourquoi les spécialistes de la mort inattendue du nourrisson se préoccupent du sujet. Elle prévient : la problématique est récente, les données de la littérature très pauvres. Elle présente les éléments théoriques qui peuvent susciter des réserves : « la plupart de nos bébés (ndlr : comprendre « la plupart des bébés décédés pris en charge par les CRMIN ») sont retrouvés avec une flexion cervicale exagérée, un problème de régulation thermique et une motricité limitée ». Lorsqu’un bébé a une régurgitation, il doit pouvoir mettre sa tête en extension quelques secondes, ce qui semble plus compliqué dans un cocon. Plusieurs accidents de malaises obstructifs sur régurgitation ont été recensés dans des cocons. D’où l’impression pour les médecins des CRMIN qu’il existe un problème positionnel avec ce type de matériel. Le médecin note également que certains parents abandonnent le cocon parce qu’ils estiment qu’il tient trop chaud au bébé.
Béatrice Kugener rappelle que le couchage sur le ventre qui constitue un facteur de risque important de la mort subite venait lui aussi d’une pratique des services de néonatalogie. Elle reconnaît que les éléments épidémiologiques fiables font pour le moment défaut. Mais les quelques cas de décès recensés et les « malaises obstructifs » devraient à tout le moins, estime-t-elle, justifier une modification des notices et de la communication autour de ces produits.
Toute une communication sur le sommeil des bébés à revoir
Le message véhiculé par les marques est que les bébés de moins de quatre mois peuvent y être déposés à tous les moments de la journée, pour les phases éveillées comme pour les phases de sommeil. La pédiatre insiste : un bébé bien en bonne santé doit aussi être porté et laissé sur une surface plane. « Il y a un impact de cette mode des photos de bébés endormis dans des positions foetales extrêmes. Les parents imaginent aussi qu’un bébé qui dort bien est un bébé qui ne bouge pas du tout pendant son sommeil, ils sont très sensibles aux images des fabricants qui présentent toujours des bébés profondément endormis. Il faudrait expliquer à la maternité les phases de sommeil agité, apprendre aux parents à observer le sommeil de leur enfant et à ne pas intervenir systématiquement. Il y a vraiment des anticipations anxieuses des adultes autour de cette question.»
En tous cas, au-delà des potentiels risques de malaises et de décès, les spécialistes présents sont catégoriques : au domicile, les enfants qui vont bien n’ont pas besoin de ce type de matériel. Pour autant, face à des parents qui sont confrontés à des bébés très agités qui pleurent beaucoup, il ne faut pas rester sans réponse. « A Montpellier, les bébés de mamans grandes tabagiques sont très excitables, ils pleurent 20 h/24, note Inge Harrewinj. On les met avec le bassin en asymétrie grâce à une serviette enroulée, glissée dans la turbulette. » « Il faut aussi favoriser le portage pour des bébés qui en ont besoin », assure Myrtha Martinet.
Les mises en garde des professionnels de santé feront-elles le poids face à la force de frappe marketing des grandes marques de puériculture et à la puissance prescriptrice de la bonne copine ? Des représentants de la chaîne de magasins « Autour de bébé » sollicités par les organisateurs sont venus, assez courageusement, confirmer l’énorme succès des cocons auprès des jeunes parents.
Le partage du lit, sujet sensible dès la maternité
L’autre item également très polémique en matière de couchage et de sécurité porte sur le partage du lit. Et ce, dès la maternité. Les équipes expriment leur désarroi : même quand elles déconseillent fortement le partage du lit en expliquant que l’enfant peut chuter, les mères gardent leur bébé avec elle. « Qu’est ce qu’on répond ? Interroge une puéricultrice. Est ce qu’on transige parce que de toute façon elles le feront ou reste-t-on dans notre tour d’ivoire ? Peut-on accompagner le bedsharing en maternité ? » Dans la salle une participante explique que son service a équipé les lits de barreaux pour éviter les chutes. « Oui mais elle va reproduire cette pratique à la maison dans d’autres conditions, conteste Elisabeth Briand-Huchet, pédiatre à Clamart. On n’a pas intérêt à montrer en maternité des choses qu’on ne veut pas voir reproduire à la maison.»
Or, de nombreuses maternités proposent des berceaux avec des couvertures, contredisant le message adressé aux parents que les couvertures sont à proscrire. Certaines maternités ont tenté de remplacer les couvertures par des turbulettes mais ont été confrontées à des problèmes de vol. Une participante fait remarquer que si la turbulette est indiquée sur la liste de maternité, il est préférable de l’accompagner d’un dessin. « Les familles non francophones ne savent souvent pas de quoi il s’agit ».
La question du lit et du lieu de couchage reste épineuse. Pour les professionnels de santé la situation la plus sûre est celle d’un bébé qui partage la chambre de ses parents, mais dans son propre lit. Et c’est autant valable pour les bébés non allaités que pour les autres. Ce lit n’a d’ailleurs pas besoin d’être très grand. Un intervenant évoque les lits évolutifs. Mais ces derniers nécessitent d’investir dans plusieurs matelas, ce qui constitue un frein financier. Personne n’évoque les fameuses boîtes en carton norvégiennes (voir photo ci-contre, nous en parlions dans notre dernier Pueriscope). Adressées gratuitement à tous les nouveaux parents, elles contiennent des vêtements et produits de puériculture. Surtout, une fois assemblées, elles sont utilisées pour le couchage des nouveaux-nés. Peu encombrantes, elles peuvent sans problème être installées dans la chambre parentale. C’est ce dispositif qui a en grande partie contribué à faire chuter la mortalité infantile norvégienne au vingtième siècle. Ce type de boîte pourrait par exemple constituer une solution pour les familles résidant en hôtel social ou dans des logements très exigus.
En conclusion sur le sujet, Béatrice Kugener rappelle que « les situations les plus dangereuses sont celles d’un bébé resté dans les bras du parent lui-même couché sur un canapé, ou le bébé couché entre ses deux parents. » « Si une mère tient absolument à dormir avec son bébé, alors il faut rappeler que dormir par terre sur un matelas très fin sans couverture limite le risque ».
Des informations contradictoires et pas toujours sûres
A travers les échanges sur ces sujets complexes, on comprend à quel point l’information aux parents constitue un enjeu majeur. Béatrice Kugener est allée voir sur les sites internet, sites d’information et sites commerciaux ainsi que sur les forums quelles étaient les informations proposées et les échanges. Elle constate « une anticipation anxieuse vis à vis du sommeil concernant la qualité et la quantité mais pas la sécurité ». « De façon étonnante, ce qui préoccupe les parents c’est de savoir si un couchage est bon pour le dos du bébé, il s’agit d’une préoccupation d’adulte. » Elle a relevé peu de discussion sur le partage de la chambre et remarque que les sages-femmes apparaissent comme référentes sur la question du couchage. « Nous devons nous mêler de l’art d’accommoder les bébés » martèle le médecin. Une étude réalisée à Nantes montre que 78% des familles ont été informées sur la MIN par leur médecin généraliste lors des examens obligatoires des si premiers mois. Seules 38% des sages-femmes et 35% des pédiatres disent avoir transmis cette information.
La prochaine modification du carnet de santé devrait permettre une réelle avancée en matière de mise à jour des informations transmises aux parents. L’Ancremin a formulé plusieurs propositions dont la plupart ont été validées par le Haut Conseil de la Santé Publique en mai dernier.
La prochaine modification du carnet de santé, une meilleure information des parents
Quelles sont ces recommandations ? Sur la page 9, celle de la sortie de maternité, il s’agit d’ajouter un item « les conseils sur la MIN ont-ils été donnés ? Oui/non ». Entre les pages 12 et 17, il est envisagé d’ajouter les conseils suivants :dès la naissance prendre le bébé dans les bras, lui parler, le coucher à plat sur le dos, ne pas s’endormir avec le bébé dans un lit, fauteuil, canapé, pouf, ne pas ajouter de matelas dans un lit parapluie, utiliser une gigoteuse et non des tours de lit, ne pas installer de cale bébé, ne pas déposer d’objets mous dans le lit, placer le bébé dans la chambre des parents, aérer, ne pas surchauffer la chambre. Il est important de revenir aussi sur la nécessité d’un environnement sans tabac. Une allusion au portage pourrait être faite pour rappeler qu’il faut installer le bébé suffisamment haut pour lui permettre de respirer à l’air libre.
Elisabeth Briand Huchet insiste aussi sur l’un des visuels présentés dans l’actuel carnet de santé: il représente un lit orné d’un tour de lit. La prochaine mouture pourrait voir ce tour de lit disparaître.
Pour des relations médecine-justice plus fluides
Ce quatrième congrès a longuement abordé les relations complexes entre les centres MIN et les services judiciaires. Les professeurs Michiels (anatomopathologiste) et Quatrehomme (médecin légiste) rappellent dans une intervention conjointe les différences entre une procédure hospitalière et une autopsie médico-légale effectuée à la demande du procureur.
La première repose sur un bilan clinique, biologique et radiologique précoce (et plus c’est précoce, mieux c’est), un examen anatomopathologique classique (et très méticuleux), une vérification de la perméabilité des vois aériennes, un examen des organes avec photos. Par rapport à l’autopsie effectuée par le légiste, l’examen du squelette est très limité et les globes oculaires ne sont pas pris. Sur le plan toxicologique, les investigations sont plus poussées dans le cadre d’une procédure judiciaire. Le médecin recherche des signes évoquant une suffocation criminelle (exercice complexe puisqu’il y a presque toujours suffocation en cas de MIN), une ouverture du dos est pratiquée. En cas d’autopsie hospitalière, les résultats sont transmis à l’équipe du CRMIN et les résultats intégrés au dossier médical par le pédiatre. Dans le cadre judiciaire, seuls le procureur et le juge sont destinataires des informations qui ne peuvent être transmises au médecin et à la famille.
Le Professeur Quatrehomme insiste : «Ce qui nous rend service c’est d’avoir le plus de renseignements médicaux, d’informations sur les circonstances de découverte, le dossier médical, un début d’enquête, et des prélèvements bactériologiques précoces ».
On le voit, selon que le bébé décédé fasse l’objet d’une prise en charge par la filière hospitalière ou judiciaire, les objectifs, la gestion des résultats, la nature des prélèvements, la communication avec la famille seront différents.
Entre la crainte d’une intervention judiciaire trop précoce et celle d’un homicide non détecté, le malaise des équipes
Il est apparu lors de ce congrès que l’intrication de ces deux filières était plus ou moins forte selon les régions. Le docteur Mickaël Afanetti, de Nice, organisateur de l’événement, le rappelle dans son exposé. Il compare d’abord les acteurs du champ hospitalier et ceux de l’administration judiciaire à « des chiens de faïence qui ont du mal ou ont peur de se regarder ». Et il le reconnaît : « J’ai la hantise de passer à côté d’un homicide ». Seule une autopsie poussée permet d’exclure une pathologie traumatique mais dans le même temps il y a la crainte d’une intervention trop précoce de la justice dans une mission de soutien aux familles. Mickaël Afanetti avance que « 5 à 10% des MIN seraient des homicides cachés » mais s’interroge sur l’origine de ces pourcentages. Il faut dire que ce sujet est très épineux, notamment parce qu’il existe un flou statistique considérable concernant les infanticides.
En France Anne Tursz, pédiatre, épidémiologiste et chercheur à l’INSERM, assure depuis des années que les infanticides et notamment les homicides sur les enfants de moins d’un an, sont très sous-estimés. Dans une étude publiée en juillet 2005 sur les « morts suspectes de nourrissons de moins de un an », elle pose qu’ « il existe certainement un sous-enregistrement par les structures hospitalières des morts liées à des mauvais traitements » et que nombre de MIN sont en fait des homicides. Elle avance plusieurs explications : « une importante variabilité et subjectivité des critères de suspicion de maltraitance », pas d’autopsie systématique, une communication problématique entre médecine et justice, « un remplissage des certificats de décès au niveau des services de soins de qualité douteuse, d’où des problèmes de codage et de fiabilité des statistiques nationales de mortalité ».
Syndrome de Munchausen par procuration et MIN, les ravages d’un mythe
Pourtant, le procureur de Nice, Jean-Michel Prêtre, invité à s’exprimer sur le sujet au congrès, semble estimer pour sa part que depuis les années 90, les autorités judiciaires sont plutôt entrées dans l’ère du soupçon, notamment vis-à-vis des mères.
« Ni la justice ni les professionnels de santé ne sont indemnes de la déflagration de certaines théories qui ont émergé dans les années 90, raconte-t-il. En Grande-Bretagne, un médecin, Roy Meadow avait inventé le syndrome de Münchausen par procuration. Syndrome qui n’a pas eu de succès jusqu’à ce qu’il décide de lui faire rencontrer la mort inattendue du nourrisson. On a alors vu à l’oeuvre la percussion de 3 éléments : le syndrome, les limites de la science, l’utilisation erronée des mathématiques et des statistiques. A l’occasion du procès d’une mère dont les deux bébés étaient décédés, Meadow a fait une démonstration mathématique en expliquant qu’il y avait une chance sur 79 millions que le décès de ces enfants soient naturels. Compte tenu de cette probabilité, cette femme ne pouvait être que coupable. Or il s’agissait d’une lecture statistique erronée. Mais à partir milieu des années 90, il y a eu de la part des autorités judiciaires une certaine suspicion à l’égard des mères dans les cas de MIN ».
Il est vrai que les théories de Roy Meadow, très médiatisées, ont considérablement influencé les professionnels de la justice, en tous cas en Angleterre, tout comme elles ont inspiré les auteurs de polars. On trouve plusieurs romans basés sur la description de mères infanticides liant la MIN et le syndrome de Munchausen (« L’ange des ténèbres » de Caleb Carr et « La séquence des corps » de Patricia Corwell, notamment). En France, un reportage diffusé dans le cadre de l’émission Envoyé Spécial en 1999 avait suscité une très vive controverse puisqu’il avançait, sans aucun fondement épidémiologique, que 20% des MIN seraient en fait des syndromes de Munchausen par procuration.
Accompagner les familles même quand la procédure est judiciaire
Ce chiffre fantaisiste n’empêche bien évidemment pas que certains décès de nourrissons sont la conséquence de maltraitances. Les professionnels de santé doivent donc remplir la mission d’accompagnement d’une famille en deuil alors qu’en parallèle des investigations peuvent être menées pour confirmer ou infirmer l’hypothèse d’un homicide. Tâche difficile. Lors de la table-ronde sur le sujet les participants s’interrogent sur les liens établis entre la filière hospitalière et la filière judiciaire.
« Comment rassembler les deux filières et que chacun reste dans la loi ? demande Mickaël Afanetti. Pourrait-il y avoir une concertation entre le parquet et le médecin du CRMIN pour décider si on fait une autopsie scientifique ou si on double avec du médico-légal ? Un mixe des deux procédures est-il possible ? » Le Dr Afanetti se demande notamment dans quelle mesure les médecins peuvent continuer à avoir des échanges avec la famille lorsque la procédure judiciaire est lancée, dans quelle mesure également la police peut communiquer, même a minima, avec les médecins du centre ressource. Il propose un schéma (ci-dessus) dans lequel le suivi psychologique des familles peut être assuré jusqu’à la décision de la justice (inculpation ou non lieu) et les résultats scientifiques peuvent être transmis aux familles même en cas d’autopsie médico-légale. Le procureur semble sur la même ligne : « L’enquête judiciaire ne peut pas interférer dans la prise en charge psychologique.(…)Pour nous c’est très clair, la priorité c’est le soin. »
Une grande hétérogénéité des pratiques
Se pose aussi la question des premières constatations. Mickaël Afanetti explique qu’en Grande-Bretagne, un pédiatre expérimenté accompagne les officiers de police lors de l’enquête, systématiquement menée.
Dans la salle, les professionnels racontent leurs propres procédures, assez différentes d’une région à l’autre. A Bordeaux par exemple, l’autopsie se pratique à quatre mains, l’anapathomologiste est systématiquement accompagné du médecin légiste.
A Poitiers un protocole vient d’être signé par le CRMIN, la SAMU, le procureur. L’intervenante remarque qu’il est difficile pour les équipes arrivées au domicile pour la réanimation de devoir procéder aux premières constatations. Mickaël Afanetti évoque l’impossibilité pour les membres du centre de ressource de mener ce travail en retournant au domicile en raison du manque d emoyens et de personnel. A Toulouse, la difficulté a été surmontée. Le centre ressource et le SMUR se confondent. Les équipes du SMUR sont donc formées et habituées à mener une enquête environnementale. Dans la salle un autre participant rappelle que l’officier de police judiciaire (OPJ) ou le parquet, « ce n’est pas le démon ». « J’ai vu une OPJ dire à une mère qu’elle était elle-même maman et la prendre dans ses bras. Quand on interroge les parents après, ils comprennent très bien la nécessité des procédures».
Les premiers chiffres de l’OMIN
Un peu plus tard dans la matinée, le Dr Karine Levieux, coordonnatrice de l’Observatoire des Morts inattendues du nourrisson (OMIN) créé en mai 2015, a livré les premiers chiffres recensés. L’objectif de l’OMIN est de collecter les données cliniques, biologiques, radiologiques et socio-environnementales des MIN en France les plus exhaustives. Depuis le 19 mai 2015 les données collectées auprès de 35 CRMIN (sur 37) ont permis de recenser 168 cas. Pour l’étude présentée au congrès, 104 dossier ont été analysés. Les résultats sont les suivants :
- L’âge médian est de trois mois et quelques, avec deux pics, un le premier mois, le deuxième entre trois et cinq mois. 60% des enfants décédés sont des garçons. Dans 15% des cas a été noté un petit poids de naissance et dans 12% un antécédent de mort subite dans la famille. 12% des bébés n’étaient pas à jour de leurs vaccinations.
- Le contexte socio-économique est plutôt défavorisé. Plus de 50% des mères sont peu diplômées ou sans emploi ou vivant dans des conditions économiques précaires.
- On note très peu de décès pendant le week-end et un pic de constatations au réveil des siestes (9 heures, 14h, 17h, 23h). La majorité des décès surviennent au domicile parental, 15% ont lieu chez l’assistante maternelle. Il y a en revanche peu de décès en crèche. Ce qui signifie que la prévention doit particulièrement cibler les familles et assistantes maternelles.
- Certains enfants présentaient des signes cliniques dans les 72 heures précédent le décès : changement de comportement (9%), Vomissements (6%), diarrhées (5%), anorexie, toux et fièvre. Karine Levieux note qu’il sera intéressant de croiser ces signes avec la bactériologie.
- Concernant les facteurs de risque : dans 50% des cas est pointé un tabagisme anténatal. 28% des enfants étaient couchés sur le ventre ou en position latérale. Quelques 19% des enfants étaient couchés sur le dos et se sont retournés. 9% des enfants étaient dans les bras d’un adulte. Un seul enfant était en écharpe. Karine Levieux estime qu’il faudra observer si le nombre de cas en écharpe augmente avec la taille de l’échantillon. Le portage suscite depuis plusieurs années de réelles interrogations chez les spécialistes de la MIN. Cinq cas de décès de bébés ont été recensés en France jusqu’en mai 2014. Rien de statistiquement notable mais la pratique étant en constante augmentation, ces quelques cas suffisent à justifier des investigations plus poussées.
Caroline Rambaud, anatomopathologiste à Garches, citera un peu plus tard deux études qui ont conclu que l’écharpe de portage constituait une position à risque pour un nouveau-né en raison de la flexion accentuée de la tête du bébé avec un menton très replié. Elle estime ainsi que l’écharpe est à déconseiller pour des bébés de moins de quatre mois.
- Un quart des enfants décédés dormaient dans le lit des parents. 50% dormaient dans leur propre lit, dans la chambre parentale. Karine Levieux précise que cette question est restée fréquemment sans réponse, ce qui risque de fausser les analyses statistiques. Moins de 40% des bébés étaient couchés dans leur lit à barreaux. 2% étaient sur un canapé, 5% dans un lit parapluie avec un matelas rajouté, 8% dans un lit parapluie sans matelas rajouté. Plus de 30% avaient un objet dans le lit. 20% avaient un oreiller, 16% un tour de lit, 9% plusieurs peluches, 6% se trouvaient dans un coussin d’allaitement, 4% avaient un coussin de positionnement de tête. 1% se trouvaient dans un cocon.
Karine Levieux insiste ensuite sur la difficulté de classer ces décès, difficulté pas propre à la France par ailleurs. 12% des décès recensés sont expliqués par une cause étiologique, 20% sont classés comme MIN avec facteurs de risques. Mais dans 48% des cas le classement est laissé sans réponse. Elle note également que moins de 7% de ces décès ont fait l’objet de la totalité des examens recommandés par la Haute Autorité de santé et que 65% ont donné lieu à une autopsie.
En conclusion, elle constate que la population étudiée est identique à celle recensée dans la littérature et qu’on retrouve les mêmes facteurs de risque dont le couchage et la tabagie. Elle déplore enfin une grande hétérogénéité des pratiques avec une « observance médiocre des recommandations de la HAS ».
Ce quatrième congrès national des Centres de Référence de la MIN a donc permis de balayer un certain nombre de sujets sensibles, au confluent, comme l’a pointé Mickaël Afanetti, du médical, du social, du judiciaire et de l’administration. Et a permis de rappeler à quel point il est capital d’avoir, enfin, des données épidémiologiques fiables et précises.