Les études se multiplient sur la parentalité des personnes handicapées mentales depuis une dizaine d’années mais les méta analyses ou revues de littérature restent peu nombreuses. Le niveau de preuves semble faible quant à l’incidence directe de la déficience intellectuelle sur la parentalité et sur le développement des enfants. Pourtant, c’est un fait, dans l’ensemble des pays développés, les enfants de parents déficients sont plus souvent que les autres retirés à leur famille et à l’inverse nombre de mineurs qui bénéficient d’une mesure de protection ont des parents porteurs d’une déficience intellectuelle. Passage en revue des données de la littérature pour compléter notre compte-rendu d’une journée de réflexions pluridisciplinaires autour de la parentalité des personnes porteuses d’un handicap mental.
Les études françaises répondant à un minimum de critères scientifiques sont rares sur le sujet. On trouve évidemment des articles, études de cas, analyses d’expériences cliniques mais peu de données épidémiologiques ou de travaux scientifiques. Le travail le plus complet et le plus instructif réalisé en France sur les parents porteurs d’une déficience intellectuelle est peut-être celui de Bertrand Coppin menée en 2004 (donc assez ancien) au sein du Laboratoire de recherche PADI (pour « Parents avec une Déficience Intellectuelle »). Cette recherche a porté sur 683 familles et 1060 enfants. Il en ressort qu’à l’époque la grande majorité des PADI vivent en couple (82% des hommes et 73% des femmes). 27% de mères vivent seules. Les auteurs notent que « globalement, les familles PADI ne semblent pas relever des situations de grande pauvreté qui frappent les travailleurs durablement exclus du marché de l’emploi et qui relèvent par exemple du R.M.I. » Une mère sur deux paraît éloignée ou plutôt éloignée de la vie sociale. Concernant l’hygiène corporelle, l’habillement, l’alimentation, les repères dans le temps, les achats, le ménage, la lessive et la gestion de l’argent, la moitie des mères semble en autonomie complète, peu de mères (moins de 15%) se situent dans la partie correspondant à une autonomie quasi inexistante ou très moyenne.
Concernant l’éducation, les auteurs estiment que « les difficultés supposées ou réelles des PADI dans leurs rapports aux enfants, qu’il s’agisse de leur implication quantitative et/ou de leurs capacités d’autonomie, ne diffèrent pas radicalement de celles que connaissent les parents ordinaires. » « Simplement, et c’est sans doute là un acquis de cette étude, la déficience intellectuelle paraît alourdir ces difficultés. Tandis que se confirme une dimension sexuelle du travail domestique et des tâches de soins et d’éducation des enfants. »
Du côté des enfants :17% sont reconnus comme handicapés et 27% sont scolarisés en établissement spécialisé. Qu’en concluent les auteurs ? Que le pourcentage de handicap est « très supérieur à ce qu’on observe ordinairement », mais qu’« en même temps il infirme l’idée que tous les enfants nés de PADI sont déficients intellectuels ». « Il ne semble pas, et ce de manière significative, que les enfants des familles PADI naissent avec une déficience ou ne finissent par le devenir. » Cette formulation peut sembler étrange. Il ne nous était pas apparu que le débat était posé en de tels termes, et que l’idée d’un déterminisme absolu était réellement avancée. C’est plutôt la question d’un risque statistique qui est en général évoquée. Risque statistique qui à l’évidence existe bien. L’étude souligne par ailleurs que 36% des enfants ont des troubles du langage, 50% des troubles des apprentissages, 56% des problèmes de comportements et 8% des troubles psychiatriques.
L’étude montre également que la majorité des enfants (67,2%) n’est pas placée et que ces enfants vivent avec leurs parents. « Ceci étant, quand on rapporte le nombre d’enfants de PADI placés au nombre d’enfants de parents ordinaires placés, on observe une différence significative (32,77% contre 0,16% ) ».
Difficile de différencier les effets de la déficience des effets imputables à la précarité
Qu’en est-il des publications étrangères dans les revues scientifiques ? Une étude parue en novembre 2016, dans le Journal of Applied Research in intellectual Disabilities, réalisée en population générale à partir de la cohorte britannique Millenium, a comparé les mères déficientes avec les mères non déficientes. Les recherches précédentes portent souvent sur des populations cliniques à risque, puisque sélectionnées dans le champ de la protection de l’enfance, ou recrutées parce que bénéficiant d’un suivi spécifique. D’où l’intérêt de cette recherche effectuée en population générale. Elle montre que la déficience intellectuelle maternelle est bien associée avec un risque élevé de faible bien-être socio-émotionnel de l’enfant à 3 et 5 ans mais pas à 7 ans. Surtout, elle souligne qu’après ajustement des caractéristiques individuelles, familiales et environnementales, aucune association statistiquement significative n’a finalement pu être établie entre la déficience des parents et la mauvaise santé psychique des enfants. Les mêmes auteurs avaient montré en 2014 que les quatre items étudiés (retard développemental, problèmes de langage, problèmes de comportement, blessures et accidents fréquents ) étaient impactés par la présence d’un parent intellectuellement déficient dans le foyer. Mais en parallèle ces foyers cochaient également la plupart des cases en matière de difficultés sociales (précarité et isolement notamment).
C’est toute la difficulté d’interprétation de ces recherches : les mères intellectuellement déficientes sont aussi, dans les cohortes étudiées (Américaines, Britanniques, Australiennes), plus pauvres que les autres, plus exposées à des événements de vie négatifs. Il est donc difficile de faire la part entre l’impact de leur déficience et l’impact de leur situation sociale sur le développement de leur enfant.
Une autre revue de littérature publiée en février 2016 dans Current Developmental Disorders Reports soulignait que les mères intellectuellement déficientes cumulent dès le départ de nombreuses difficultés (jeune âge maternel, monoparentalité, bébés de petits poids, santé mentale fragile, difficultés socio-économiques) qui peuvent expliquer par la suite le moins bon développement de leur enfant.
Un article paru en juin 2016 dans le Journal of Intellectual Disability Research aboutit aux mêmes conclusions : les enfants de ces femmes présentent des problèmes de comportement et des retards cognitifs (ils ne sont néanmoins pas à risque d’être plus agressifs) mais ces familles affrontent des difficultés socio-économiques plus importantes.
Une revue de littérature plus ancienne Journal of Intellectual & Developmental Disability parue en 2012, souligne de son côté que certaines études
pointent un impact négatif de la déficience intellectuelle des parents quand d’autres indiquent des niveaux de développement similaires entre les enfants de ces parents et les autres.
Aller au-delà du quotient intellectuel pour évaluer les capacités parentales : l’intérêt de la théorie du traitement de l’information sociale
Nous vous proposons un focus sur une recherche qui nous semble particulièrement intéressante. Parue en 2012 dans le Journal of Mental Health Research in Intellectual Disabilities, elle pointe que la seule utilisation du quotient intellectuel comme indicateur d’un risque parental basé sur la déficience cognitive ne se justifierait pas vraiment. Les auteurs estiment que la mesure du QI ne peut fournir des informations suffisamment spécifiques pour proposer des interventions de soutien adaptées et efficaces. Ils proposent une autre approche qui s’appuie sur la théorie du traitement de l’information sociale (Social information processing ou « SIP » en anglais, élaborée au début des années 90) appliquée à la négligence parentale. Ce modèle du SIP fait le lien entre des facteurs de cognition sociale (on verra lesquels) et l’adaptation ou inadaptation sociale. Il s’agit de souligner l’impact de capacités cognitives très spécifiques (les fonctions exécutives par exemple) sur les comportements sociaux. Pour les auteurs de la présente étude, ce modèle peut se révéler très pertinent en matière de négligence parentale. Celle-ci repose sur une extrême inattention aux besoins de l’enfant. Le parent est dans l’incapacité de reconnaître l’immaturité de l’enfant, de planifier des actions, de résoudre des problèmes, de gérer, il ne parvient pas à se montrer flexible face aux changements de comportement de l’enfant et aux risques environnementaux. Cette incapacité parentale reposerait sur des faiblesses de la cognition sociale très particulières qui expliqueraient également d’autres difficultés retrouvées dans les cas de négligence (isolement social, désorganisation domestique, manque de propreté, difficulté à gérer les finances familiales). Cet ensemble de difficultés peuvent apparaître de façon plus marquée chez les parents intellectuellement déficients.
Dans le modèle développé par les auteurs, c’est la combinaison de trois éléments qui semble jouer un rôle majeur dans cette parentalité inadaptée : d’une part des schémas simplistes, inappropriés et rigides (des attentes irréalistes vis à vis de l’enfant par exemple), d’autre part de faibles fonctions exécutives (absence de flexibilité cognitive, faible capacité de résolution de problèmes), enfin des biais d’interprétation (attribuer à l’enfant des intentions délibérées et négatives -il fait ça pour m’embêter-).
L’intérêt de ces travaux est d’affiner les mécanismes qui peuvent expliquer les liens entre déficience intellectuelle et négligence parentale et de permettre une meilleure évaluation du risque.
Les auteurs montrent que les faibles résultats concernant ces différentes domaines de la cognition sociale (schémas/ fonctions exécutives/ biais d’interprétation) sont caractéristiques d’une partie des individus avec déficience intellectuelle et peuvent donc expliquer le lien entre faible QI et négligences parentales. Ils soulignent aussi que chaque facteur semble lié aux autres. Les différents facteurs étudiés (toujours schéma/fonctions exécutives/ biais d’interprétation) sont corrélés aux caractéristiques de la négligence (faible stimulation cognitive de l’enfant, comportement intrusif ou désengagement, faible synchronie, manque de chaleur et de flexibilité). L’étude confirme que ces facteurs sont aussi directement liés à des manifestations physiques de négligence incluant l’environnement physique (comme la propreté et la sécurité du logement), la croyance que les blessures des enfants sont dues à la fatalité, une forte tolérance au risque dans la supervision. Dans l’échantillon de femmes avec un faible QI de l’étude, ces facteurs semblent bien liés à une parentalité négligente.
Les auteurs estiment que prendre en compte ces critères est plus pertinent que le seul QI, en tous cas lorsqu’il s’agit de mettre en place un accompagnement de ces parents. Car cette approche permet de cibler des points très précis. En modifiant la seule perception des personnes concernées quant aux compétences, aux besoins, aux intentions d’un très jeune enfant il est possible d’accroître leur capacité de réponse. Les auteurs notent aussi que ces schémas dysfonctionnels dans la relation à l’autre prennent souvent leur source dans un passé de maltraitance ou dans l’expérience antérieure du rejet ou de la stigmatisation. Les auteurs estiment que cette approche devrait aussi permettre de mieux évaluer les capacités des parents au-delà du simple quotient intellectuel afin d’évaluer le risque parental. Car ils le précisent : ces dysfonctionnements de la cognition sociale peuvent se retrouver dans des populations avec un QI normal. Et à l’inverse n’être pas forcément présents chez les personnes intellectuellement déficiences.
On le voit, il s’agit d’un champ de recherches encore peu investigué et la littérature ne permet pas d’aboutir à des conclusions tranchées. Sortir ces familles de la précarité économique peut-il suffire à garantir une parentalité « suffisamment bonne » ? Travailler sur la cognition sociale est-il plus pertinent que la simple prise en compte des capacités cognitives de ces parents ? Comment être à la fois efficace et bienveillant avec ces parents et suffisamment compensateur pour les enfants ? Il faudra attendre des travaux ultérieurs pour affiner les connaissances et commencer à répondre plus précisément à ces questions.