Les programmes standardisés de soutien parental qui ciblent les troubles du comportement de l’enfant présentent un niveau de preuve plutôt élevé. Mais on en sait finalement peu sur les mécanismes qui accroissent ou modèrent leur efficacité. Ces deux méta-analyses apportent un éclairage intéressant en posant notamment la question suivante : est-il vraiment judicieux de travailler à la fois sur une amélioration de la sensibilité parentale et sur les techniques de gestion du comportement de l’enfant ? Ces considérations peuvent apparaître comme très éloignées des préoccupations françaises où le soutien parental poursuit des objectifs très vagues à travers des dispositifs peu évalués (mais peut-être la stratégie nationale de soutien à la parentalité annoncée à la fin du mois proposera-t-elle de changer tout ça). Elles sont pourtant essentielles puisqu’elles questionnent en creux les mécanismes qui sous-tendent les liens entre les pratiques parentales d’un côté et le développement de l’enfant de l’autre.
De nombreux programmes de soutien parental qui visent à réduire les comportements « disruptifs » des enfants (agressivité, désobéissance ou opposition systématiques) reposent sur la théorie du « couple en or » : ils promeuvent à la fois l’amélioration de la relation parents-enfants (en misant notamment sur une augmentation de la chaleur et de la sensibilité maternelles) et une meilleure gestion du comportement de l’enfant à travers la discipline positive (renforcer les comportements attendus, féliciter, utiliser un système de récompenses, recourir aux temps de pause, éviter les châtiments corporels ou une discipline « dure.»…). Les troubles du comportement de l’enfant sont en effet considérés comme résultant en partie d’un trouble de la relation parent-enfant et d’une discipline inadaptée. Ces programmes sont aujourd’hui très étudiés, avec de nombreuses données sur leurs résultats mais on en sait peu en revanche sur les effets respectifs des différentes compétences enseignées aux parents. Est-ce le renforcement de la sensibilité parentale aux besoins de l’enfant qui explique ces bons résultats ? Ce renforcement vient-il augmenter l’efficacité des techniques strictement comportementales en matière de discipline suggérées aux parents ? Il n’y a pas de consensus sur ce sujet. Certains auteurs pensent que la piètre qualité des relations parent-enfant et les pratiques coercitives se développent simultanément et ont des effets conjoints, d’autres que c’est le premier phénomène qui induit le second ou vice-versa. En tous cas, quid de l’intérêt d’approches intégratives qui ciblent à la fois la qualité des relations et les techniques éducatives des parents ?
Cet article publié dans la revue Child Development en mars 2018, signé par des chercheurs des universités d’Amsterdam, de Cardiff et d’Oxford ( Patty Leijten, G.J. Melendez‐Torres, Frances Gardner, Jolien van Aar, Susanne Schulz et Geertjan Overbeek), propose deux méta analyses pour répondre à ces questions. Le sujet est important car cette approche intégrative fondée sur deux axes constituent aujourd’hui la pierre angulaire de la plupart des programmes de soutien parental tels qu’ils sont conçus et implantés un peu partout dans le monde (mais à une toute petite échelle en France où de rares programmes standardisés commencent à être testés depuis 15 ans, comme Jeux d’enfants, Soutien aux familles et à la parentalité, ou encore Incredible Years en cours d’expérimentation à Montpellier).
Est-il plus efficace de marcher sur deux jambes, et de miser à la fois sur l’amélioration des interactions et la gestion du comportement ?
Les auteurs balaient d’abord les principales connaissances sur le sujet. Le pré supposé qui sous-tend ce choix théorique bidirectionnel est qu’un enfant bénéficiera d’autant mieux des félicitations adressées par son parent qu’il entretient avec celui-ci une relation de bonne qualité. Empiriquement, la capacité à gérer le comportement de son enfant et la qualité des relations sont corrélées avec le comportement de l’enfant, ce qui suggère que les deux dimensions sont importantes. Les chercheurs et praticiens semblent aussi penser intuitivement qu’il est plus efficace de transmettre une boîte à outils globale donnant une vue d’ensemble de la parentalité et du développement de l’enfant qu’un nombre limité d’outils. L’idée implicite est bien que le renforcement des interactions parents-enfants va permettre de renforcer les effets des techniques comportementales.
Quels sont les arguments qui amènent à nuancer l’intérêt de cette double focale ? La réduction des comportements problématiques chez l’enfant grâce aux techniques comportementales peut avoir en elle-même pour effet d’améliorer les relations, sans qu’il soit nécessaire de viser spécifiquement et séparément l’amélioration de cette relation.
Pour le dire autrement : quand un enfant devient plus obéissant, il est alors plus facile pour le parent d’exprimer de la chaleur et de la sensibilité. De plus les programmes qui cherchent à améliorer plusieurs dimensions peuvent se révéler contre productifs car trop longs et trop lourds.
Pour identifier la part respective des effets liés à la relation de ceux liés au comportement, il faut pouvoir comparer les programmes qui incluent les deux dimensions avec des programmes qui ne visent que les compétences comportementales. C’est ce qu’on entrepris les auteurs de cet article. Ils se sont également demandé s’il était pertinent de proposer les mêmes programmes en matière de traitement pour des familles chez lesquelles un trouble du comportement est déjà identifié et en matière de prévention. La théorie du « couple en or » produit-elle les mêmes effets en matière de traitement et en matière de prévention ?
Dernière question : le fait de s’intéresser à la qualité des relations au-delà de la simple gestion du comportement présente-t-il un « effet dormant » ? Les programmes qui misent sur ces deux axes ont-ils des conséquences à plus long terme ?
Les auteurs ont donc mené deux méta analyses. La première traite les deux premières questions et teste l’idée selon laquelle l’approche globale a plus d’effets que la seule gestion du comportement de l’enfant, et si c’est surtout le cas pour les situations avérées plus que pour la prévention. Elle inclut 156 études (44% contiennent un aspect lié à l’amélioration de la relation parent-enfant). La deuxième méta analyse (42 interventions) s’intéresse à la durée des effets dans le temps. Pour les chercheurs il s’agit de mieux comprendre d’une part les aspects de la parentalité qui ont un effet sur le comportement de l’enfant et d’autre part de permettre l’amélioration nécessaire des programmes qui présentent aujourd’hui des effets robustes mais faibles à modérés.
L’approche intégrative efficace en curatif, pas en préventif
Dans la première meta-analyse on retrouve principalement les programmes Incredible years et Triple P mais 43 études portent aussi sur d’autres interventions. Les évaluations ont été menées principalement en Amérique du Nord, en Europe de l’ouest et en Australie-Nouvelle Zélande.
Les programmes incluant les deux dimensions ne présentent globalement pas d’effets plus forts que ceux qui sont uniquement axés sur le comportement de l’enfant. L’efficacité des programmes ne dépend donc pas de leur propension à enseigner aux parents comment avoir une relation plus positive avec leur enfant. Néanmoins, si l’on retire les programmes uniquement préventifs, les résultats changent. L’approche intégrative s’est révélée plus efficace que le seul focus sur la gestion du comportement pour les programmes mis en place auprès de familles où les problèmes de l’enfant étaient diagnostiqués. Pour les programmes préventifs en revanche ce n’était pas le cas. L’hypothèse du « couple en or » est donc valable pour les programmes curatifs, quand il s’agit de modifier un comportement existant.
Les programmes appliqués en traitement d’une situation déjà problématique ont par ailleurs de meilleurs effets que les programmes préventifs, ce qui rejoint des résultats antérieurs. La cible est plus diversifiée dans les programmes de prévention et la motivation des parents certainement moindre. La deuxième méta analyse ne permet pas de conclure que l’approche intégrative conduit à des résultats plus durables.
Pour des programmes plus souples et plus modulables
Les résultats de ces méta analyses doivent, selon leurs auteurs, amener à mieux différencier les contenus des programmes selon qu’ils sont proposés en curatif ou en préventif. Les familles ne sont pas les mêmes, que la prévention soit universelle ou sélective (selon des critères psycho-sociaux par exemple). Il est normal que les parents des enfants porteurs d’un trouble avéré du comportement aient une relation plus complexe avec cet enfant et davantage besoin d’être soutenues dans l’amélioration des interactions. Enseigner des compétences qui ne correspondent pas aux besoins réels des parents n’est pas efficace et peut même se révéler contre-productif en induisant par exemple une diminution de l’estime de soi.
Les auteurs constatent que les programmes de soutien parental présentent des résultats robustes à travers de nombreux pays. Néanmoins leur efficacité ne s’accroît pas et ils ne semblent ne pas fonctionner avec certaines familles. Pour y remédier les concepteurs ont tendance à ajouter des modules. Ce n’est visiblement pas la bonne solution. Peut-être serait-il plus judicieux de s’interroger sur les besoins réels des familles et sur les composantes des programmes qui semblent les plus adaptées. Pour les auteurs il serait donc nécessaire de cibler davantage, de chercher plus de sur-mesure et de penser des programmes plus flexibles avec des composantes ajustables selon les besoins. Mais penser des programmes plus personnalisés nécessite une meilleure compréhension des comportements parentaux spécifiques qui devraient être ciblés en fonction des difficultés et des forces de chaque famille. Pour être efficace chaque aspect du programme devrait cibler le mécanisme psychologique central qui sous-tend le problème qu’on cherche à résoudre. La plupart des programmes parentaux sont conçus pour réduire le comportement disruptif de l’enfant en brisant le cercle vicieux d’une interaction parent-enfant coercitive. Pour ce faire ces programmes comportent en général une douzaine d’outils. Pour les auteurs, il est désormais nécessaire d’investiguer davantage les effets spécifiques de chaque volet d’un programme, de comprendre si un outil produit intrinsèquement des effets ou si les effets sont conjoints. Et d’identifier les outils qui sont réellement efficaces de ceux qui semblent plus superflus. En se livrant à cette analyse fine des composantes il sera alors possible de mieux identifier la façon dont les comportements parentaux impactent le développement de l’enfant et de proposer des stratégies plus efficaces. Les auteurs appellent donc à ne pas se contenter des effets globalement avérés des programmes mais à mettre le nez dans leur boîte noire pour en améliorer l’efficacité.