Dans ce dernier article que nous consacrons au colloque « L’action publique en direction des parents : quels problèmes? Quelles réponses ? », organisé mardi 19 septembre, l’accent est mis sur la façon dont les professionnels, collectivités et institutionnels pensent les dispositifs pour et/ou avec les parents. Deux autres compte-rendus sur les précédentes sessions de cet événement sont consultables : l’un sur les enjeux du soutien à la parentalité, son histoire et les spécificités françaises, l’autre sur les besoins et pratiques des familles.
Lors de cette toute dernière partie du colloque dédié à l’accompagnement des parents, co-organisé par la CNAF et l’Institut de Recherche Interdisciplinaire sur les Enjeux sociaux (IRIS), Chantal Zaouche Gaudron, médecin et professeur de psychologie à l’université Toulouse 2 Jean Jaurès présente un topo sur le rapport des parents au web 2.0. Elle rappelle d’abord certains résultats de l’étude réalisée par la CNAF : 29% des parents disent vouloir partager leur expérience avec d’autres parents, 26% veulent obtenir des informations générales, 23% veulent acquérir des savoirs ou compétences, 33% préféreraient des entretiens individuels, 33% souhaiteraient avoir accès aux informations utiles sur internet.
Le web 2.0, doudou virtuel des parents
Chantal Zaouche-Gaudron énumère les avantages du web : partager les difficultés rencontrées avec un spécialiste de l’enfant, avoir des échanges qui donnent le sentiment d’être compris par d’autres parents, utiliser un langage pas hiérarchisé, parler en toute confiance de sujets sensibles, développer son bien être psychique, susciter un sentiment d’appartenance et une réciprocité (l’un devient responsable de l’autre).
Internet permet d’augmenter le lien social, de briser l’isolement, de développer un meilleur capital social de santé, un sentiment de sécurité, un soutien formel ou informel. Chantal Zaouche-Gaudron prend l’exemple du forum « Maman blues » sur lequel on trouve des mères confrontées à un fort sentiment d’isolement, à une angoisse souvent doublée de honte, à la peur de ne pas pouvoir/savoir materner, de ne pas être à la hauteur des prescriptions entendues, lues, vues. « La confrontation à l’autre virtuel permet d’interroger les normes, les valeurs, les représentations : chacun cherche à faire valider par le regard de l’autre ses pratiques ».
Les femmes se sentent moins seules quand elles lisent que d’autres présentent les mêmes symptômes qu’elles. Entre en ligne de compte la vitesse : on a une question, il faut une réponse. Les usagers (insatisfaits par les réponses fournies par les professionnels?) piochent dans divers catalogues des solutions. « Ils partent à la pêche ».
Chantal Zaouche-Gaudron émet une autre hypothèse : il s’agit d’appels au secours ou d’une « reconnaissance par le doute ». Les parents lancent des appels. On peut y voir un manque d’autonomie. Ou considérer que ces appels démontrent aussi une capacité à vouloir être de bons parents. « Etre en doute ou lancer des appels démontrerait une adaptation au normes ».
Le médecin prévient : avoir un ordinateur n’est pas suffisant. Sur maman blues les femmes ont un bon niveau scolaire. Il faut avoir un niveau suffisant pour pouvoir mobiliser certaines compétences. Il existe une inégalité dans l’accès à l’information mais aussi le risque que de nouvelles normes soient véhiculées par les CSP+ via le web. Elle cite l’exemple de la mode des « papas poules » des années 80 partie des classes aisées.
Pour le médecin, le web est peut-être « un nouveau doudou virtuel, étayant et rassurant, un espace transitionnel virtuel, instance de création et de dépassement. »
Les REAAP, espace de sociabilité accueillant
C’est ensuite Jessica Pothet, de l’Université de Lorraine, qui est venue présenter un travail de recherche effectué entre 2011 et 2013 sur les REAAP (réseaux d’écoute, d’appui et d’accompagnement des parents) avec deux intentions de recherche : comprendre et éclairer ce que viennent y chercher et y trouver les parents, dégager une économie des enjeux qui animent un groupe d’écoute et de parole.
Elle s’est intéressée à trois dispositifs qui prennent place dans les centres sociaux des territoires sud de Marseille, trois associations (Aslya, Re-pères, Ecole des Parents et des Educateurs) qui animent des groupes de parole et des modules de formation des professionnels. Les trois s’appuient sur une approche clinique du sujet et proposent des temps de réflexion et de regroupement mensuels aux parents.
Que viennent y chercher les parents ? « Le REAAP est assimilé à un cadre bienveillant, un espace de sociabilité accueillant, détaille Jessica Pothet. C’est une manière d’habiter l’espace, d’habiter un quartier et de rompre avec isolement, d’échanger, de confronter des idées, de se réassurer face au quotidien en discutant de lieux communs. De développer une réflexivité parentale aussi, de catalyser la prise de conscience à l’aune du discours de l’autre. Le collectif sert de support pour un retour sur soi et pour réviser ses comportements. »
Les objectifs et pratiques des REAAP diffèrent selon le statut socio-économique des parents
La chercheuse note que les parents usagers partagent un même bassin de vie, une même communauté. Dans chacun de ces trois lieux elle n’a noté aucune mixité sociale. Les trajectoires biographiques sont relativement homogènes. Cela ne peut pas s’expliquer par la seule variable territoriale puisque les centres sociaux accueillent des publics relativement mixtes. En revanche, comme le souligne Jessica Pothet, « les contenus et visées diffèrent selon que le dispositif sert à travailler le lien social à partir du statut du parent ou qu’on travaille à accroître les compétences parentales ». D’où la différenciation des publics selon les centres. Aslya et Re-pères effectuent un travail sur la parentalité qui se tisse à partir des trajectoires. On y trouve 80% de monoparentalité, des mères en contrats de courte durée, des conditions de vie plus précaires. « La parentalité est vue comme un « sas » permettant de nouer d’autres formes de prise en charge ». Dans ces groupes, les parents reviennent sur une éducation fragilisée et sont soumis à différentes formes de désaffiliation. La parentalité sert à capter le public pour le diriger vers d’autres prises en charge.
A l’Ecole des Parents et des Educateurs, on vise en revanche à développer une plus grande réflexivité parentale. L’accompagnement se construit au prisme des travaux sur le développement de l’enfant, à partir du vécu et de l’expérience de l’enfant. Les parents sont en couple, appartiennent à des milieux plutôt favorisés, occupaient avant l’enfant une profession intellectuelle. Il s’agit d’aller vers un dépassement de soi avec un impératif du tout éducatif, un tournant pédo-centrique. Le groupe de parole veut aller vers une fonction parentale optimisée. Les parents expriment des craintes : « J’ai peur de lui mettre trop de pression », « j’ai peur de ne pas avoir de temps pour chacun de mes enfants ». L’intervenante invite à prendre de la distance. Il s’agit de parents qui ont la possibilité de se poser des questions sur leur travail parental.(ndlr: on retrouve ici les angoisses parentales des parents aisés, relevées dans l’étude québécoise qui vient de paraître et que nous analysons dans un autre article)
Comme le relève Jessica Pothet : il existe bien deux catégories de services proposés dans une même approche universelle. Les parents des catégories les moins aisées se voient proposer une approche biographique, avec un focus sur la régulation des risques sociaux et des prises en charge socio-éducatives. Pour les parent aisés c’est davantage une approche éducative et familiale qui est offerte, avec un travail sur la façon de répondre aux besoins de l’enfant, et le renforcement des capacités réflexives centrées sur l’enfant.
Précisons que c’est là encore une des différences avec les programmes d’accompagnement à la parentalité standardisés mis en place chez nos voisins du nord ou dans les pays anglo-saxons. Ces programmes visent à proposer aux familles considérées comme à risques sur un plan psycho-social un soutien parental justement axé sur les besoins de l’enfant, les capacités réflexives et les compétences parentales.
Les LAEP, ou les « rencontres légères » importantes
Sylvie Rayna, spécialiste de l’éducation et de la petite enfance livre ensuite une analyse des Lieux d’Accueil Enfants Parents (LAEP) censés « proposer un soutien social informel lors de rencontres plus ou moins prévisibles ». Il s’agit de faire des parents des acteurs plus ou moins impliqués de ces lieux. Les LAEP seraient des « laboratoire où les rencontres interpersonnelles de divers types se produisent ». Sylvie Rayna parle de « rencontres légères » importantes. Une étude internationale, Together (Belgique, France, Italie, Japon 2015), montre ce qu’il peut y avoir de commun à ces lieux d’accueil dans les pays étudiés : « accompagnement informel, pratiques de co-construction (espace des possibles), observation des moments d’arrivée, ballet des allées et venues. » Les parents sont les bienvenus, invités à se positionner comme des acteurs du lieu. La co-présence d’adulte et d’enfant procure un climat chaleureux et serein. L’aménagement spatial est soigné avec des coins living confortables et agréables. Concernant les attitudes et pratiques professionnelles : une grande attention est accordée au matériel ludique, un liberté optimale est donnée aux parents. Il s’agit de permettre la liberté et en même temps d’orienter (nous avons traité les modalités de l’accueil dans les LAEP dans un précédent article).
Sylvie Rayna explique que partout se posent les mêmes questions concernant l’accès à ces lieux : on y trouve peu de bébés, pas de pères, peu de parents migrants, peu d’enfants porteurs de handicap.
Elle prévient dans la foulée qu’il ne faut pas « penser par population cible, mais envisager des transitions et évolutions ». Et, comme nous l’avons précisé dans notre article consacré à l’introduction de ce colloque, Sylvie Rayna estime qu’il « faut valoriser ce qu’on fait de bien plutôt que chercher à reproduire des programmes réducteurs et soi disant evidence based très critiqués à l’étranger.» Elle avait déjà formulé cette critique lors d’un précédent colloque, déjà co-organisé par la CNAF, sur l’investissement social en petite enfance.
Faire face à un public multiculturel
Pour évoquer la diversité des familles, les organisateurs du colloque donnent également la parole à Nathalie Picard, coordinatrice parentalité à la ville des Mureaux, qu’elle décrit en quelques mots : 32.000 habitants, une forte part de population immigrée, beaucoup de précarité, de chômage, des fractures affectives, sociales et familiales. « Et des parents qui vont bien ». « Il y a 7 ans, la politique sur la parentalité a eu du mal à démarrer. Il a fallu prouver son bien fondé. » Elle évoque la diversité du public en terme de nationalités, de cultures, de pratiques éducatives. Familles sub sahariennes, d’Afrique du nord, du Portugal, de Turquie…« C’est une grande richesse culturelle et humaine et des fractures aussi. » Nathalie Picard parle des difficultés à mobiliser le public, de parents « très sollicités » ou qui avaient une grande appréhension face aux institutions. Ils se sentent « convoqués », reçoivent énormément de conseils parfois contradictoires. « Les professionnels ont du mal à changer de casquette, à dire « moi aussi j’ai eu ce problème ». »
Elle rappelle les objectifs poursuivis (ceux mis en avant par quasiment toutes les actions d’accompagnement) : « mobiliser, rassurer, impliquer, valoriser les parents de diverses origines et situations, travailler avec eux, les rendre acteurs, favoriser leur pouvoir d’agir. » Elle le précise : « Tous les parents ont des capacités ». Un réseau de parents solidaires a été monté en 2014, des formations données aux parents et aux professionnels pour savoir comment animer des ateliers et faire vivre un réseau, comment être bienveillant avec l’autre. Un travail a également été mené sur une université populaire des parents avec l’ACEPP. Une semaine de la famille est organisée pour permettre aux parents de connaître toutes les actions. La ville a aussi ouvert une structure « Les pâtes au beurre », sur le modèle de celle initiée par Sophie Marinopoulos à Nantes.
Aller chercher les pères
Nathalie Picard estime qu’il y a besoin « d’une réflexion commune autour de l’accompagnement des parents à l’échelle locale. » « C’est bien d’avoir une norme qui permette à chacun de s’y retrouver. Il faut que le REAAP continue de nous apporter des formations. » Elle conclut : «Les parents ont vraiment envie que leurs enfants réussissent. Si on leur donne les moyens ça donne de belles choses. » L’une des grandes victoires remportées : avoir réussi à faire venir une dizaine de pères. La question des pères est bien évidemment revenue, comme une antienne, tout au long de ce colloque. Comment les impliquer ? Bertrand Geay pointe qu’avec son travail sur la cohorte Elfe, il a eu accès aux pères, en tous cas pour les familles d’origine étrangère ou de milieu populaire. Parce que dans ces familles le père constitue le point d’entrée. Sans son accord, on ne franchit pas la porte. Comme le note le chercheur, c’est évidemment l’indicateur d’une inégalité de genre mais c’est aussi le signe d’un rôle spécifique du père sur lequel il est peut-être possible de s’appuyer.
Le « plateau innovation » de la CAF des Alpes Maritimes
Fabienne Guilhot et Sabine Carles, de la CAF des Alpes maritimes ont clôturé ce colloque avec une expérimentation assez étonnante reposant sur la construction de projets avec les parents via un « plateau innovation ». Le « pôle parentalité et innovation » mis en place est un lieu ressource pour tous les acteurs, permettant le partage de connaissance et l’échange de pratiques. Ce pôle constitue une « offre de service spécifique pour proposer des idées d’action, des projets innovants et pertinents ». L’objectif est de faire passer le parent du statut de bénéficiaire au statut d’acteur.
Le plateau innovation assure une veille sociale, l’animation d’un réseau des parents, une évaluation des actions et un partage des connaissances. Il s’agit de faire du « benchmark », de « repérer des outils ». Les équipes sont constituées en plateau de personnes ressources (parents, professionnels), avec des animations en binôme pour proposer des idées d’actions avec les parents.
Les deux intervenantes détaillent le processus : d’abord, le porteur de projet est reçu (un outil de créativité est utilisé pour formuler le sujet), la problématique est extraite, puis vient la phase de benchmark (étude de marché), ensuite la séance de créativité proprement dite avec production des idées et enfin la restitution des idées. « C’est le principe de l’intelligence collective, précisent les intervenantes. On traite les sujets en profondeur, on les décortique. Cela permet l’évolution de la pratique. Les parents sont heureux de participer à des projets importants, ils formulent leurs besoins, leurs attentes. »
Un dispositif d’évaluation est mis en place pour interroger la dimension qualitative (sur les pratiques des professionnels et des parents). Il s’agit d’une évaluation participative et partagée. Ce dispositif permet de « mieux cerner les besoins des familles, d’ajuster les connaissances et in fine de proposer une réponse plus adaptée.»
L’ensemble des interventions de ce colloque devraient bientôt être disponibles en podcast sur le site de la CNAF.