La CNAF et l’Institut de Recherche Interdisciplinaire sur les Enjeux sociaux (IRIS) viennent de co organiser dans les locaux de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales un colloque dédié à l’action publique en direction des parents. Un événement important qui a permis de reposer les points de consensus et de dissensus, de rappeler l’histoire de cette problématique, de proposer des comparaisons internationales et de questionner les objectifs poursuivis et les pratiques observées. Dans ce premier article, nous relayons la session d’ouverture de cette conférence qui remet en perspective la philosophie française en matière de parentalité et les débats qui la sous-tendent.
Deux autres articles sont consacrés au reste des interventions : l’un évoque les besoins et pratiques des parents, l’autre les dispositifs proposés aux parents.
L’amphithéâtre François Furet de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS) est plein ce mardi 19 septembre pour le colloque organisé en partenariat avec la CNAF sur le thème de « L’action publique en direction des parents » et articulé autour de deux questions : « Quels problèmes ? Quelles réponses ?». Dans son propos liminaire, Daniel Lenoir, directeur général de la CNAF (bientôt remplacé), insiste sur le nécessaire « dialogue entre la recherche, les institutions et les praticiens ». Il rappelle également que lors de la dernière convention d’objectifs et de gestion (COG), « la parentalité a constitué un axe fort », notamment parce que « la question du développement de l’enfant est devenue une préoccupation majeure et croissante, avec une pression forte sur les parents ». Les négociations de la future COG vont bientôt démarrer. Pour Daniel Lenoir elles auront notamment à prendre en compte quatre enjeux : le renforcement de la visibilité de l’action publique, l’adaptation des modalités à la diversité des besoins ( penser au soutien des parents d’adolescents qui constitue le chaînon manquant), la poursuite du développement des dispositifs d’accompagnement et la diffusion d’une information qui permette un accès réel des parents.
La nécessité de l’évaluation, mais sur quels critères ?
Daniel Lenoir insiste : « il ne s’agit pas de traquer le parent irresponsable et désengagé mais de répondre aux inquiétudes des parents, de contribuer à des relations de qualité entre parent et enfant. » Daniel Lenoir met en garde contre des « injonctions normatives fortes » et insiste sur « la vocation universaliste » de l’approche française. Ce sera en effet répété au cours de cette journée (et nous l’avons plusieurs fois souligné dans nos articles), la philosophie française en matière de soutien parental se veut résolument universaliste (personne n’est censé être ciblé en particulier) et très soucieuse de ne pas transmettre des normes.
Il termine son propos avec deux sujets qui lui sont chers : l’évaluation et l’investissement social (ce qui induit déjà une question de fond : comment évaluer sans définir préalablement des normes?). Il constate ainsi que pour le moment, il n’existe sur le sujet qu’une évaluation de la gouvernance et qu’il serait nécessaire d’adopter désormais une approche qualitative. « La parentalité est un sujet parfois un peu « brumeux ». Or, un des axes de la prochaine COG c’est d’inscrire l’action dans une logique d’investissement social. Sur ce sujet il est important de pouvoir montrer que l’euro investi est un euro utile. Il faut regarder la dépense sociale dans une logique d’investissement social. En apporter les preuves dans un contexte budgétaire tendu. Il est important de mettre en valeur l’efficacité des dispositifs. »
Mais comment mesure-t-on l’efficacité d’un Réseau d’Ecoute, d’appui et d’accompagnement aux parents ou d’un Lieu d’Accueil Enfant Parent ? A partir de quels critères ? Comme le notera Claude Martin quelques minutes plus tard, l’une des grandes différences entre la France et des pays comme la Suède, le Royaume-Uni, les Pays-Bas (sans parler, évidemment, des Etats-Unis ou du Canada), réside dans le fait que nous recourons à des « dispositifs » quand les autres mettent en place des « programmes ». Autre différence, de taille : nous évaluons en général la satisfaction des usagers tandis que les programmes standardisés évaluent les pratiques éducatives des familles et leur évolution, la qualité des interactions parents-enfants, ainsi que les progrès (ou pas) du développement de l’enfant. Les objectifs recherchés ne sont pas les mêmes. Les programmes de soutien parental peuvent être classés, selon leur niveau de preuves, selon leur efficacité et selon leur coût (c’est tout le travail de la Early Interventin Foundation en Angleterre ou des organismes qui produisent le rapport américain “parenting matters“). Le même exercice avec les LAEP français paraîtrait totalement incongru.
Michel Villac, du Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge, pointe d’ailleurs dans son intervention que « nous nous appuyons sur une charte de valeurs et pas sur une logique d’evidence based. » Il rappelle les conclusions du rapport produit par le Haut Conseil à la Famille sur le sujet (voir notre article). A savoir qu’en France « le champ est encore très discuté, avec des objectifs débattus et des contours flous ». Et d’énumérer les interrogations: est-on dans une logique d’accompagnement ou une logique de protection voire de répression ? Parle-t-on de droits et devoirs ou de parentalité positive ? Se place-t-on dans une dimension préventive pour éviter l’apparition de difficultés ? Opte-t-on pour des mesures coercitives ? Privilégie-t-on l’universalisme ou le ciblage ? Laisse-t-on les parents échanger entre eux ou faut-il faire intervenir tiers réputés qualifiés ? Michel Villac rappelle qu’à l’époque le Haut Conseil à la Famille s’est interrogé sur la pertinence d’un service public national. Mais « couvrir de façon équilibrée et équitable l’ensemble du territoire implique une standardisation et une normalisation. » Le Haut Conseil à la Famille est donc resté « réservé », proposant « le renforcement des dispositifs actuels pour des raisons pratiques ». Et pas, comprend-on, parce qu’ils auraient fait la preuve de leur efficacité. Changer de paradigme, suppose, comme le reconnaît Michel Villac, « des réponses tranchées aux questions précédentes ». Notons qu’Agnès Buzyn, la Ministre de la Santé, vient pour sa part de se prononcer pour un soutien de “la politique d’accompagnement de la parentalité par une politique plus structurée“.
Le soutien parental : une longue histoire
Le début de ce colloque a en tous cas eu l’intérêt de reposer ces grandes questions (que nous abordons régulièrement sur GYNGER) et de donner une perspective historique et internationale au sujet. Claude Martin, dont le rapport “Accompagner les parents dans leur travail éducatif et de soin” vient d’être publié (plusieurs intervenants de ce colloque font partie du groupe de travail sollicité pour la rédaction de ce document), relève ainsi que le tournant vers la parentalité s’est opéré dans l’ensemble des pays de l’OCDE. En France le terme « parentalité » est plus ambigu que le mot anglais de « parenting » (« l’action de parenter ») puisqu’il désigne à la fois l’action des parents et le fait même d’être parent. Pour Claude Martin plusieurs déclencheurs expliquent l’engouement marqué et généralisé pour le soutien aux parents au premier rang desquels la convention internationale des droits de l’enfant qui a suscité une prise en compte des droits propres aux enfants, la production de rapports conséquents de l’institution européenne sur le sujet, ainsi que les débats sur l’investissement social en petite enfance. Le chercheur rappelle que le fait de donner des conseils aux parents n’est pas nouveau en soi (en témoigne l’abondante littérature sur le sujet depuis les années 50). C’est l’inclusion de ces problématiques dans des politiques publiques qui l’est davantage. En France la création des REAAP en 1998 a constitué un tournant.
Le risque du « parentalisme »
Citant plusieurs chercheurs dont Franck Furedi, l’auteur de « Paranoïd Parenting» (avec ce sous-tire: pourquoi il ne faut pas écouter les experts), Claude Martin pointe ce qui lui semble constituer un risque inhérent au focus mis sur la parentalité : « détourner notre attention des causes collectives en nous focalisant sur les causes individuelles et familiales ». « Or, assure-t-il, les parents ne sont qu’une des variables en cause. Ce discours sur le risque de déterminisme parental va rencontrer l’inquiétude des parents (qui sont en demande de soutien) et en même temps appuyer sur « vous êtes la condition même du bonheur de votre enfant ». Soyons donc très vigilants. » Le sujet du déterminisme parental, comprendre la part du rôle parental dans le développement de l’enfant, nous semble aussi passionnant que central. Il n’est pas certain que les chercheurs en sciences cognitives, spécialistes du développement de l’enfant, aient le même avis sur le sujet que les sociologues ici présents. Dans cette discipline (sciences cognitives, psychologie du développement), les recherches actuelles ne portent pas tant sur l’influence parentale versus le rôle de la société au sens large que sur l’effet respectif des pratiques parentales et de la génétique dans le développement de l’enfant.
Les réticences françaises vis-vis des programmes evidence based
Claude Martin note que si le soutien parental a pris de plus en plus d’ampleur c’est aussi en raison de « l’émergence de types de risques sociaux pas envisagés avant, une problématique de la société du risque qui a joué un rôle. » A noter en effet que dans de nombreux pays l’accompagnement à la parentalité apparaît comme un outil de prévention des risques psycho-sociaux, parmi lesquels la délinquance. En France, depuis le rapport de l’Inserm sur les troubles des conduites en 2005, et surtout sa récupération dans le cadre d’un projet de loi liant interventions précoces et prévention de la délinquance proposé à l’époque par Nicolas Sarkozy, alors Ministre de l’Intérieur, le sujet -à tort ou à raison- est pour le moins miné. Tout comme l’est celui des programmes evidence based (fondés sur les preuves), standardisés, « très peu développés en France en raison du scepticisme des milieux professionnels, et de critiques de la part de certains chercheurs et mouvements », comme le pose Claude Martin. Il évoque des « raisons pour certaines justifiées, pour d’autres à discuter ». « Les programmes standardisés ne correspondent pas à notre culture. On préfère faire du sur-mesure que du prêt à porter. Il y a là quelque chose de culturel et quelque chose à discuter sur notre capacité à agir de façon standardisée ». Là où Claude Martin apparaît assez partagé sur le sujet, Gérard Neyrand, spécialiste de la parentalité, est lui plus affirmatif, s’inscrivant sans ambiguïté dans la lignée du discours des initiateurs, en 2006, du collectif « Pas de zéro de conduite ».
Prévention prédictive versus prévention prévenante
Comme il l’avait fait il y a près d’un an, lors d’une conférence donnée dans le cadre du 12ème colloque international de l’ARIP, le sociologue oppose une approche -française- plus centrée sur l’accompagnement à celle -anglo-saxonne- axée sur des parents jugés déficients. Il revient lui aussi sur les polémiques révélatrices de cet antagonisme lors du projet de loi sur la prévention de la délinquance en 2006. Il évoque une « vision plus prédictive, plus portée sur le contrôle », alors que l’autre (la nôtre) serait plus « prévenante ». Gérard Neyrand raconte comment le Comité national de soutien à la parentalité créé en 2010 a progressivement été désinvesti. La logique voulue à l’époque par Nadine Morano de « mieux coordonner les actions d’aide à la parentalité et les actions de prévention de la délinquance des mineurs » aurait été « mal vécue » par les acteurs du secteur. C’est alors que les CAF ont été désignées comme les leaders du dispositif de soutien.
Puis s’est opéré un rapprochement entre le soutien à la parentalité et la politique de la petite enfance. « Cela dessine des perspectives d’orientation future, estime le sociologue : intégrer le soutien dans une perspective de co-éducation, avoir un recentrage sur les parents qui soit moins normatif. Ca permettra de lutter contre le parentalisme qui guette le soutien à la parentalité.» Signe que c’est bien la vision française d’une prévention supposée prévenante qui continue de l’emporter sur une prévention perçue comme « prédictive et normative » : en 2016, rappelle Gérard Neyrand, Sylviane Giampino, l’une des initiatrices de « Pas de zéro de conduite », prend la vice-présidence du Haut Conseil de la Famille de l’Enfance et de l’Âge (HCFEA).
A la fin de la journée, Sylvie Rayna, spécialiste de la petite enfance et de l’éducation, ira dans le même sens : « il faut valoriser ce qu’on fait de bien plutôt que chercher à reproduire des programmes réducteurs et soi disant evidence based très critiqués à l’étranger. » “Réducteurs”, “soit disant evidence-based” et “très critiqués à l’étranger”: trois assertions qui mériteraient presque à elles seules un colloque.