Pollution environnementale et grossesse: le sujet est de plus en plus sensible et fait l’objet d’un vif intérêt chez les chercheurs. Le Collège National des Sages-Femmes leur a donné la parole lors de ses 15èmes journées organisées au Palais des Congrès d’Issy-Les-Moulineaux les 30 et 31 janvier dernier.
Le Collège National des Sages-Femmes a consacré l’une des sessions de ses 15èmes journées aux effets de la pollution environnementale. Claire Philippat, chercheur à l’INSERM, est intervenue sur l’impact des polluants chimiques sur le neurodéveloppement de l’enfant, en axant sa présentation sur les troubles du spectre autistique (TSA).
Troubles du spectre autistique: expliquer leur augmentation
Elle rappelle tout d’abord que les TSA sont beaucoup plus fréquents chez les garçons, avec un ratio de quatre garçons pour une fille (cette surreprésentation des garçons se retrouve dans l’ensemble des troubles neurodéveloppementaux comme nous le rappelons dans notre article sur les cohortes longitudinales). L’apparition des TSA est précoce, peut (et doit) être diagnostiquée avant l’âge de trois ans. La prévalence est faible en France mais augmente dans le temps. La même tendance est observée aux Etats-Unis. Plusieurs causes de cette augmentation sont avancées : une modification des critères diagnostics, des troubles mieux détectés, des dépistages plus précoces. Mais, assure Claire Philippat, ces éléments ne peuvent à eux seuls expliquer l’augmentation sensible de la prévalence de l’autisme. D’où ces interrogations sur d’éventuels effets de l’exposition aux polluants chimiques.
Les origines de l’autisme
La chercheuse revient sur les causes connues de l’autisme, un sujet hautement polémique depuis plusieurs décennies. Elle rappelle que dans les années 50 on culpabilisait les mères, « accusées de ne pas être assez aimantes ». Puis des facteurs de risque génétiques ont été avancés. Une étude en Suède sur deux millions d’enfants nés entre 82 et 2006, dont le neurodéveloppement a été évalué à quatre ans (évaluation obligatoire en Suède) a montré que le fait d’avoir un lien de parenté avec quelqu’un porteur de troubles augmente les risques. Il existe donc bien une transmission génétique. Mais cette part due à la génétique n’expliquerait que 50% de la survenue d’un TSA. Reste donc l’hypothèse de l’épigénétique et de l’environnement.
TSA: sur la piste des polluants chimiques
Parmi les différents facteurs environnementaux, Claire Philippat travaille plus précisément sur le risque chimique et notamment sur les perturbateurs endocriniens. Sa recherche porte essentiellement sur les effets des polybromodiphényléthers, les PBDE. Il s’agit de retardateurs de flammes, utilisés pour ignifuger les textiles, coussins, appareils électroniques. Certains d’entre eux ont une longue « demi vie », c’est à dire que leur présence persiste longtemps dans l’environnement. Une seule étude s’est intéressée aux liens des PBDE avec les TSA, note Claire philippat, sans parvenir à établir de liens clairs, en raison notamment d’un effectif trop limité. Une nouvelle étude a donc été mise en place sur la base d’une cohorte prospective dans une population à risque : des femmes enceintes ayant déjà un enfant atteint de TSA. Il s’agit de la cohorte américaine MARBLES, encore en cours de recrutement. Des prises de sang sont effectuées chez ses femmes pendant la grossesse puis leurs enfants sont suivis jusqu’à l’âge de trois ans. A trois ans, les enfants sont évalués et répartis dans trois catégories : enfants diagnostiqués avec un TSA, enfants avec un problème de neurodeveloppement hors TSA, enfants sans problème.
D’après les résultats préliminaires, pas encore publiés et donc pas validés, 26 enfants ont été diagnostiqués porteurs de TSA, 29 manifestaient d’autres troubles, 77 ne présentaient pas de difficultés. Les examens sanguins effectués sur les mères ont montré peu de différences entre les mères des enfants porteurs de TSA et les mères des enfants témoins, à part la présence de « PBDE 153 » plus forte chez les mères d’enfant autiste. Pour Claire Philippat il faut désormais «étendre les dosages à l’ensemble de la cohorte pour voir si ces résultats se confirment ».
Exposition in utero aux polluants et développement cognitif des enfants
Rémi Beranger, sage-femme épidémiologiste (Inserm U1085 – IRSET), propose ensuite une présentation sur les effets du Phénoxyethanol sur le neurodéveloppement de l’enfant exposé pendant la grossesse. Il s’agit d’un solvant appartenant à la catégorie des éthers de glycol (EG). Les EG représente une petite partie des solvants oxygénés. Les autres solvants se répartissent entre solvants pétroliers et solvants chlorés. Les éthers de glycol ont été utilisés comme produit de substitution pour remplacer les solvants pétroliers. Ils sont solubles dans les graisses et dans l’eau, peu coûteux et donc très utilisés (on en trouve dans les peintures, produits de nettoyage, cosmétiques, médicaments, colles). L’Europe en utilise 350.000 tonnes par an. C’est toute la population générale qui est potentiellement exposée. Dans les études les plus récentes, le composé le plus détecté chez les personnes testées était le métabolite du phénoxyethanol. Il s’agit de substances qui s’éliminent très vite. Si on les trouve massivement en population générale c’est donc que l’exposition est quasi constante. Les EG peuvent franchir la barrière cutanée et la barrière placentaire. Certains ont été associés à des problèmes de fertilité, à des malformations foetales ou des risques allergiques, plusieurs EG ont été interdits à la fin des années 90 et d’autres réglementés (c’est le cas du phénoxyethanol en 2002).
Neurotoxicité des solvants peu étayée chez l’enfant
Que sait-on des risques de ces produits pour le développement cognitif ? La neurotoxicité des solvants, de façon générale, est bien connue chez l’adulte mais peu de données existent pour les EG en particulier et la littérature est quasi inexistante concernant les effets sur le développement cognitif de l’enfant en cas d’exposition pendant la grossesse. Ont été évoquées des altérations du comportement (hyperactivité et agressivité) et de moins bonnes performances aux tests portant sur les capacités visuospatiales. Mais, estime Rémi Beranger, « ces études sont de mauvaise qualité, peu précises, et conduites sur de petits effectifs ». En outre, elles ne permettent pas de cibler une famille de solvants en particulier. La plupart des EG n’ont jamais été testés ni sur l’être humain ni sur l’animal.
Le projet PEPSY, à partir de la cohorte Pélagie
D’où l’intérêt du projet PEPSY censé étudier l’effet des expositions prénatales aux EG sur les performances cognitives des enfants de six ans. Cette recherche est effectuée à partir de la cohorte PELAGIE qui compte 3421 femmes ayant accouché entre 2002 et 2006. A partir de cette cohorte, 204 couples « parents-enfant » ont été sélectionnés. Des tests urinaires ont été effectués à 19 semaines d’aménorrhée. Un bilan médical de l’enfant est effectué à la naissance puis des tests neurocognitifs sont pratiqués sur les enfants à six ans. Il s’agit de mesurer l’attention, la concentration et la mémoire de travail ainsi que les aptitudes verbales.
Les facteurs pouvant présenter des biais ont été pris en compte pour corriger les résultats obtenus. Parmi ces facteurs susceptibles d’influer sur les résultats, on peut citer les caractéristiques de la mère (son IMC, son niveau d’étude, son âge…) ou le niveau de stimulation dont bénéficie l’enfant, l’exposition d’autres polluants ou toxiques (plomb, alcool, tabac…).
Nette corrélation entre une forte exposition in utero au phénoxyethanol et des scores plus faibles aux tests cognitifs
L’étude a montré que la quasi totalité des femmes suivies présentent une exposition à des métabolites. 100% d’entre elles sont exposées au phénoxyethanol. C’est le métabolite présentant la plus forte concentration dans les urines. Concernant les enfants, les résultats montrent des écarts statistiquement significatifs en ce qui concerne l’indice de compréhension verbale selon le degré d’exposition in utero au phénoxyethanol. Les enfants ont été répartis en trois terciles : le premier rassemble les enfants les moins exposés et le troisième les enfants les plus exposés. Les premiers obtiennent de meilleurs scores aux tests cognitifs que les seconds. « Dès qu’on réduit l’exposition des femmes, on augmente la capacité cognitive des enfants », résume Remi Beranger.
Des preuves encore trop faibles mais une vigilance nécessaire
Que faut-il en déduire en terme de santé publique ? Rémi Beranger concède que les résultats obtenus doivent être reproduits pour être validés. Les tests urinaires uniques présentent un aléa statistique qui ne peut être complètement écarté. Il faudra donc de nouvelles études pour confirmer ce lien entre exposition in utero au phénoxyethanol et performances cognitives. Concernant la présence de phenoxyethanol dans les produits de consommation courante, les chiffres mériteraient d’être actualisés. En 2006, ce composé était décelé dans près de 50% des produits cosmétiques. Des chiffres plus récents ne sont pas disponibles. Néanmoins, dans la mesure où cette substance a une durée de vie courte, le fait que 100% des femmes enceintes soient exposées signifie que cette exposition était très fréquente. La revue 60 millions de consommateurs a mis en évidence en 2013 la présence de ce composé dans une grande partie des produits cosmétiques. Or, les femmes enceintes utilisent en moyenne plus de 18 cosmétiques par jour. Les lingettes pour bébé sont elles-mêmes épinglées, leur utilisation déconseillée, en raison de la présence de phénoxyethanol. Rémi Beranger estime donc que « les actions de prévention pour réduire l’exposition aux cosmétiques restent pertinentes ». D’autant plus que ces derniers peuvent contenir d’autres molécules toxiques et que le phénoxyethanol, au-delà de la question de ses effets sur le développement cognitif de l’enfant, est connu pour sa toxicité.
La recherche concernant l’impact des polluants environnementaux sur le développement de l’enfant n’en est qu’à ses balbutiements, et il ne faut pas oublier que pour le moment, en l’état actuel des connaissances, le facteur le plus impactant pour le développement cognitif d’un enfant demeure très sociologique puisqu’il s’agit du niveau d’étude de ses parents. Ces travaux présentés aux sages-femmes n’en suscitent pas moins un réel intérêt, des interrogations voire des inquiétudes.