C’était le cinquième “objectif millénaire pour le développement” défini en 2000 par l’Organisation Mondiale de la Santé: réduire de trois quarts le nombre de décès maternels d’ici 2015. Le constat est aujourd’hui en demi teinte puisque ces décès n’ont diminué que de 40%. Un colloque organisé par l’ONG Gynécologie Sans Frontière vient de mettre l’accent sur les solutions à mettre en oeuvre pour sauver la vie de ces femmes.
Chaque jour dans le monde 800 femmes meurent pendant leur grossesse ou en accouchant. 73 pays supportent 96% du fardeau mondial de la mortalité maternelle et bénéficient de 42% des ressources. C’est en Afrique subsaharienne que la situation demeure particulièrement préoccupante. Le colloque organisé vendredi 11 mars à l’hôpital des Diaconesses de Paris par l’ONG Gynécologie Sans frontière (GSF) a permis d’approfondir cette thématique de la santé maternelle et de développer les options possibles pour l’améliorer.
Planifier les naissances
La planification des naissances constitue une façon efficace de limiter cette mortalité. « L’accès aux services de planification pour toutes les familles qui le souhaitent a un impact de 30 à 40% sur mortalité maternelle » assure Luc de Bernis, conseiller principal sur la santé maternelle pour le Fonds des Nations Unis pour la Population (UNFPA). L’accès à la contraception permettrait ainsi de sauver 90.000 vies par an. «Le but n’est pas de forcer à une réduction de population mais de donner le droit à chaque femme et chaque homme d’avoir accès à la décision dans la façon dont ils veulent construire leur famille. Pour raisons économiques et culturelles, on en est loin. » Le fait que la grossesse a été désirée ou pas a une incidence sur le déroulement de cette grossesse. « Or, on pose très peu cette question dans les consultations prénatales », constate Sandrine Simon, de l’ONG Médecins du Monde. La planification des naissance passe aussi par la possibilité de recourir à des avortements sécurisés. Une question médicale qui se révèle souvent sensible comme l’explique le docteur Anne-Sophie Coutin, de Médecins Sans Frontières : « Nous pensons qu’il faut cesser de simplement répondre à une patiente qui demande une IVG que c’est interdit dans son pays. Nous devons procéder à une analyse de risque. Quelle est exactement la législation ? Quels sont les risques pour le personnel ? Quelle est l’acceptation de l’IVG dans le pays ? Il existe en fait très peu de pays dans le monde ou l’interdiction de l’avortement ne souffre aucune exception. »
Le recueil des données, outil fondamental
Pour résoudre un problème encore faut-il être capable de le quantifier et d’en identifier les causes. Connaître le nombre exact de décès, leur localisation, leur évitabilité, les mesures qui ont été prises pour les prévenir constituent des informations indispensables. L’OMS préconise de répertorier ces décès maternels mais de s’intéresser également aux « near-miss », que l’on peut traduire par les « échappées belles » : les femmes qui sont passées tout près de la mort en raison d’une complication grave. Ces situations sont elles aussi riches d’enseignements quand on cherche à améliorer un système de soins. Problème : 50% des pays dans le monde n’ont aucune donnée chiffrée sur les décès maternels, encore moins sur ces « échappées belles ».
Améliorer la prise en charge de l’hémorragie du post-partum
L’hémorragie de la délivrance est une des premières causes de mortalité maternelle dans le monde (24% des décès). « Le bon médicament donné au bon moment réduit considérablement le risque d’hémorragie, assure Luc de Bernis. L’approvisionnement est donc très important ». Sur ce sujet très précis, la France a longtemps été à la traîne dans le classement des pays développés. La façon dont notre pays s’est saisi de la question permet de mettre en exergue les critères d’une stratégie efficace : la reconnaissance que la plupart des décès sont évitables, la volonté politique, la définition d’objectifs précis et un recueil épidémiologique exhaustif. C’est ce qu’explique Marie-Hélène Bouvier Colle, directeur de recherche émérite à l’INSERM, épidémiologiste, spécialiste de la santé périnatale. Les comparaisons internationales, en soulignant la spécificité française en matière d’hémorragie de la délivrance, ont obligé notre pays à se saisir du problème. L’étude menée alors par l’INSERM a pointé l’effet délétère d’un recours à l’ocytocine (pour accélérer le travail) lorsque celui-ci n’est pas suivi par une délivrance dirigée. Comme le note la chercheuse, c’est l’alliance entre une stratégie politique précise, la pression internationale et le travail indépendant d’une équipe de l’INSERM qui a permis d’améliorer les pratiques françaises.
Le progrès dans les pays en développement viendra des sages-femmes
Une doctorante de l’université de Göteborg effectue actuellement un travail de recherche pour les Nations-Unies sur l’amélioration de la santé en périnatalité dans les pays d’Asie du sud. Elle axe son étude sur la professionnalisation des sages-femmes, un métier qui n’existe pas dans ces pays (voir notre Puériscope). La plupart des spécialistes sont d’accord : sécuriser les accouchements par la présence d’un personnel qualifié, notamment des sages-femmes, quel que soit le lieu, a un immense impact sur la santé des mères et des bébés. Fabienne Richard, sage-femme et directrice du Groupe pour l’abolition des mutilations sexuelles (GAMS) en Belgique, en donne un excellente illustration en racontant comment l’Europe est parvenue à réduire drastiquement, et bien plus vite que les Etats-Unis, ses taux de mortalité maternelle. Elle propose l’exemple très éclairant de la Suède qui dès la fin du 19ème siècle obtient une nette diminution des décès maternels, contrairement aux USA qui plafonnent à la même époque. Que s’est-il donc passé en Suède qui ne s’est pas produit outre-atlantique ?
Dès 1749, la Suède a mis en place un registre national permettant de quantifier les décès maternels et de constater qu’une partie d’entre eux étaient évitables. La prise de conscience et l’engagement politique ont donc été précoces. Les sages-femmes ont été reconnues comme une profession à part entière dès 1777 et ont été présentes dans tout le pays. « La Suède était très rurale, il n’y avait qu’un seul hôpital dans la capitale et tout le monde accouchait à domicile, raconte Fabienne Richard. On a donné le pouvoir aux sages-femmes qui allaient à domicile pour suivre les femmes. » En 1829, elles obtiennent le droit d’utiliser des forceps. Un quadrillage du pays a été permis par la sélection de jeunes femmes pauvres dans chaque paroisse, qui se voyaient délivrer une bourse pour être formées et qui revenaient ensuite exercer dans leur village. Dès le départ la sage-femme a été en première ligne avec une intervention du médecin en cas de complication, dans un duo gynéco/sage-femme opérationnel. Fabienne Richard, note que du côté des USA, au début du 20ème siècle, les chiffres de mortalité maternelle demeuraient mauvais. Les Etats-Unis accusaient un retard de 150 années sur ce qui se pratiquait alors en Europe. Ils n’avaient ainsi toujours pas mis en place de registre ou d’évaluation statistique. A l’époque le lobby des gynécologues faisait pression contre les sages-femmes. La plupart étaient des migrantes, très déconsidérées. Les autorités de santé américaines considéraient que la modernité était du côté de l’hôpital (et passaient sous silence les complications iatrogènes), pas du côté des sages-femmes envoyées au domicile. C’est un article du New-York Time sur les progrès réalisés en Europe qui créera une prise conscience dans les années 30.
Fabienne Richard énumère les difficultés auxquelles se heurtent les tentatives de professionnalisation des sages-femmes dans les pays africains: la grande disponibilité demandée, l’absence d’évolution et la faiblesse de la rémunération, la formation encore aléatoire dans les faits alors qu’en théorie « on a de beaux standards ». D’autres facteurs entrent en ligne de compte : « Les femmes ont encore des réticences à aller voir la sage-femme. D’abord parce qu’elles peuvent être confrontées à de la violence morale ou physique, certaines sages-femmes sont très dures. Chaque acte peut être monnayé. Pour un toucher vaginal, pour un examen supplémentaire, il faut payer en plus. Dans les classes supérieures il y a l’idée qu’aller chez le gynécologue c’est montrer qu’on est riche ». Elle insiste : 87% des besoins de base des femmes et des nouveaux-nés peuvent être couverts par les sages-femmes. « La qualité essentielle d’une professionnelle c’est de savoir à quel moment elle doit passer la main ».
Améliorer les soins obstétricaux d’urgence
« 20% des décès maternels surviennent entre J2 et J7 après l’accouchement, constate le docteur Anne-Sophie Coutin, de MSF. Les consultations prénatales sont importantes mais seules elles n’ont pas d’impact. Ce qui compte : les soins obstétricaux et néonataux d’urgence (SONU). » Longtemps ces SONU mis en place par les ONG se sont focalisés sur les césariennes. Avec parfois des conséquences inattendues, comme au Bénin. C’est Fabienne Richard qui l’explique : l’Etat avait institué la gratuité de la césarienne. Les femmes demandaient donc à en bénéficier plutôt que de devoir payer pour un accouchement par voie basse. « Si on ne rend gratuit que les soins d’urgence c’est la prise en charge normale qui en pâtit ». Pour que les SONU soient optimum il faut réunir plusieurs critères : des personnels qualifiés, une organisation, des équipements et du matériel adéquats.
Certaines crises sanitaires rendent la prise en charge de la santé maternelle encore plus épineuse. Ce fut le cas avec l’épidémie du virus Ebola. Il existait très peu de données dans la littérature. « Le risque nosocomial était majeur pour les soignants et les accompagnants et la priorité était de protéger les soignants » pose Anne-Sophie Coutin. La première difficulté était de lever la confusion entre le symptôme d’une pathologie obstétricale et un symptôme d’Ebola. Puis une contrainte de prise en charge a été posée : ne pas recourir à la chirurgie et privilégier la prise en charge médicamenteuse. Pas d’épisiotomie, pas de procédures invasives. Un protocole d’organisation a également été mis en place : chaque personnel soignant ne pouvait rester plus d’une heure et demie dans la zone à risque. En Sierra Léone, le taux de survie des femmes enceintes était de 46%. Lorsqu’elles guérissaient elles devaient néanmoins rester dans le centre de traitement car le placenta et le liquide amniotique pouvaient rester infectés. Les bébés, eux, sont tous décédés.
Au cours de cette matinée consacrée par GSF à la mortalité maternelle dans le monde les leviers d’action permettant de réduire les décès des femmes enceintes ont été clairement identifiés: recueil épidémiologique exhaustif, meilleur accès à la contraception, formation des personnels, notamment des sages-femmes, optimisation des soins d’urgence. En Afrique comme en Europe, la mortalité maternelle ne peut plus être considérée comme une fatalité.