En matière d’infertilité les pays développés et les populations aisées n’ont pas l’apanage des difficultés ni de la la douleur. Or,au-delà de la simple question du coût, le droit à la procréation médicalement assistée est souvent considéré comme loin d’être prioritaire pour les pays en voie de développement. C’est ce sujet épineux et captivant sur un plan éthique qu’a abordé l’ONG Gynécologie Sans Frontières lors de sa 5ème journée humanitaire sur la santé des femmes dans le monde.
La vision d’une Afrique surpeuplée et la forte fertilité des populations immigrées dans les pays occidentaux font oublier que la difficulté à concevoir un enfant n’est pas qu’un problème de pays ou de citoyens riches. Une enquête de l’OMS de 2013 rappelait que sur les 180 millions de couples touchés par l’infertilité dans le monde, la moitié vivaient en Afrique subsaharienne ou en Asie du sud est. Non seulement les problème d’infertilité concernent tout autant les pays en voie de développement, voire davantage (l’infertilité est souvent liée à une maladie sexuellement transmissible ou à un avortement non sécurisé) mais en plus ils entraînent de lourdes conséquences, au-delà de la seule souffrance psychologique. « Stigmatisation des personnes stériles, risque de répudiation, divorce, accusation de sorcellerie » énumère Doris Bonnet, anthropologue, dans l’auditorium de la maternité des Diaconesses qui accueille cette journée organisée par Gynécologie sans frontières. Sans oublier la propagation des maladies sexuellement transmissibles, dans un infernal cercle vicieux. Parce que l’homme dont l’épouse ne peut pas lui donner d’enfant (c’est toujours la femme qui est responsable de la stérilité, contre toute évidence médicale) va prendre une deuxième épouse. « Ou parce que les femmes vont elles mêmes faire du « shopping » procréatif pour réussir à être enceintes » précise Jan Goossens, directeur exécutif de l’association « The walking egg » qui milite pour l’accès de tous aux traitements de l’infertilité. Le risque d’être contaminé par le sida serait ainsi trois fois plus élevé chez les femmes infertiles.
L’infertilité en Afrique, thématique invisible
Le sujet n’est donc pas anodin. Or, il ne constitue pas une question de santé publique, ni pour les autorités sanitaires des pays concernés ni pour les organisations internationales qui sont en charge des programmes humanitaires. Il existe 131 centres de fertilité en Afrique contre plus de 1630 en Europe. L’infertilité et ses traitements constituent un angle mort des politiques et programmes consacrés à la santé reproductive dans les pays les moins riches. Le coût très élevé des techniques de PMA est une explication possible. Mais ce n’est certainement pas la seule. The Walking Egg a ainsi mis au point une technique de FIV spécifiquement dédiée aux pays pauvres, très fiable et financièrement très abordable, ne nécessitant pas de matériel ou de locaux high tech. Une quarantaine d’enfant sont déjà nés grâce à cette FIV low cost. Jan Goossens assure rencontrer d’immenses difficultés dans sa recherche de fonds. L’infertilité dans les pays en voie de développement ne suscite pas l’intérêt ou l’empathie des riches donneurs. « Nicole souffre du sida, Sophie est enceinte, Chantal vient d’accoucher, Nathalie veut avorter, elles ont toutes droit à un programme international, constate-t-il. Marie n’arrive pas à avoir un enfant, il n’y a pas de programme pour elle. Pourtant c’est un droit élémentaire. »
La PMA impossible à promouvoir face au risque de surpopulation
« Quand on parle de santé reproductive pour l’Afrique, on ne parle que de planification des naissances », confirme Doris Bonnet. Les raisons de cette invisibilité de la problématique de l’infertilité semblent à la fois internes et externes aux pays. Le sujet, culturellement porteur de stigmatisation et de honte, est tabou, rarement abordé publiquement, peu médiatisé. « On n’en meurt pas et la communauté internationale ne considère pas ce problème comme une priorité, analyse Jan Goossens. Mais si on attend d’avoir résolu tous les autres problèmes de ces pays pour agir, ces couples ne seront jamais aidés. La communauté internationale a fait des recommandations mais on n’arrive pas à transcender cette réalité. On n’a que des discours creux. »
Pour Doris Bonnet, l’une des explications de ce désintérêt de la part des dirigeants des pays mais aussi des organismes internationaux est à chercher du côté de la vision d’une « Afrique en danger de surpopulation ». « On me dit souvent« Pourquoi allez-vous travailler sur ces sujets alors qu’ils font tellement d’enfant ? » Mais cette vision démographique ne permet pas la prise en compte de la souffrance individuelle. »
Dans un texte publié en 2013 dans la revue « Facts, views and vision in Obgyn », Nathalie Dhont, une spécialiste belge de l’infertilité, creusait cet argument démographique et moral : « c’est l’idée que l’individu n’a de sens qu’en tant qu’élément d’une communauté plus grande et que les besoins individuels sont subordonnés aux intérêts du groupe. Après tout, fabriquer des enfants dans un environnement de la rareté n’est peut-être pas une bonne idée. Mais il me semblerait étrange que les donneurs des pays de l’ouest, les décideurs politiques et les chercheurs adhèrent à une telle philosophie qui est l’exact opposé de nos principes modernes occidentaux de liberté individuelle et de droits de l’Homme. Ce paradigme occidental est illustré par la déclaration issue de la conférence internationale du Caire pour la population et le développement en 1994 : la population n’est pas une question de nombre mais d’individus. L’implicite de cette approche des droits est l’idée que chaque individu compte. » Et donc que la souffrance d’une femme, d’un homme ou d’un couple infertiles est à prendre en considération quelle que soit la réalité démographique ou socio-économique du pays dans lequel ces individus vivent.
En France une prise en charge très aléatoire des couples migrants
Lorsque ces couples quittent leur pays pour venir en France, qu’en est-il de leur désir d’enfant inassouvi ? C’est le sujet qu’a présenté une autre intervenante de ce colloque décidément passionnant, Lise Selleret, gynécologue obstétricienne à l’hôpital Tenon à Paris.
Les migrants régularisés deviennent des assurés sociaux et sont donc pris en charge comme n’importe quel couple. Les couples étrangers en situation irrégulière, eux, bénéficient de l’Aide Médicale d’Etat (AME). Avant 2011, ils constituaient 30% des patients suivis pour infertilité à Tenon. Depuis 2011, « seule une consultation par mois concerne une personne sous AME », précise Lise Selleret. En 2011 en effet les cures thermales et la prise en charge des traitements d’AMP ont été sortis du régime de l’AME et ne sont donc plus remboursés à ces patients. Depuis lors, les hôpitaux ont adopté des pratiques très disparates. Bichat et Cochin ne reçoivent plus les couples sous AME. A Tenon, Bondy, Poissy ou Sèvres, les couples sont reçus et chaque rendez-vous, chaque examen, sont facturés. «J’ai actuellement un monsieur asiatique qui économise pour pouvoir bénéficier d’une biopsie testiculaire, raconte Lise Selleret. Il m’a appelée récemment, très content, pour me dire qu’il avait presque rassemblé la somme.»
Au CHU de Lille une assistante sociale reçoit les patients pour les aider à devenir des assurés sociaux. « On peut en effet opter pour cette solution, explique Lise Selleret. Mais il faut prendre en compte l’âge de la femme, les résultats de ses dosages. Quand il y a urgence, on n’a pas le temps d’attendre la régularisation et il vaut mieux que le couple paie. Et quoi qu’il en soit, il faut toujours rappeler aux couples les taux de réussite.»
Derrière les choix des équipes, des situations parfois douloureuses
Il est étonnant de voir que des hôpitaux accueillant des populations similaires, comme Bichat et Tenon, ont néanmoins mis en place des procédures différentes. Le premier n’accepte plus les patients sous AME, le second les reçoit, et les fait payer. « Les équipes se prononcent en fonction des situations auxquelles elles ont pu être confrontées, expose Lise Selleret. Par exemple, l’histoire de cette femme enceinte de jumeaux après un traitement mais qui vivait en hôtel social et qui a eu la gale. D’un point de vue médical la prise en charge n’a peut-être pas été optimale. Ou le cas de ce couple asiatique tellement endetté par les traitements que son enfant a fini par être placé. » Certaines équipes vont avoir le sentiment d’avoir envoyé des couples dans la spirale du surendettement ou d’en avoir poussé certains vers les mafias. D’autres pensent que ça ne les regarde pas et que les couples sont des adultes responsables de ce qu’ils font.
Chaque équipe se prononce donc selon son expérience et ses convictions. Contrairement à la procédure d’adoption, aucun agrément à dimension socio-économique ou psychologique n’est exigé pour les couples qui suivent un parcours de PMA et il est difficile de prendre en compte l’intérêt d’un enfant qui n’existe pas encore.