Un collectif de salariés de la protection de l’enfance du Maine et Loire, vent debout contre un appel d’offre du département qui rebat totalement les cartes de la prise en charge, a investi la semaine dernière la scène du Palais des congrès à l’occasion des 10èmes Assises de la Protection de l’enfance. Leur colère semble faire écho à la souffrance de nombre de professionnels de ce secteur confrontés à une surcharge de travail et parfois à une inquiétante perte de sens.
Le mardi 4 juillet ils ont investi la salle du Palais des Congrès où se tenait la deuxième journée des 10èmes Assises Nationales de la Protection de l’Enfance, avec leurs masques blancs, leurs tee-shirts, leurs pancartes, et leur cercueil en carton pâte censé symbolisé la lente agonie d’un système. Ce collectif de salariés de la protection du Maine et Loire dont certains avaient entrepris de venir en marchant depuis le département (plus de 350 km) a été soutenu à l’extérieur de la salle par un rassemblement de 500 personnes et à l’intérieur par des applaudissements nourris.
Une inadéquation entre l’offre et la demande
Que se passe-t-il dans le Maine-et-Loire pour que l’organisation rodée d’un événement devenu une institution soit ainsi perturbée pendant près d’une heure ? Une communication pas optimale entre le politique et le terrain, comme souvent, des malentendus certainement, et là-bas peut-être encore plus qu’ailleurs, une vive inquiétude des professionnels quant à l’évolution d’un système qu’ils jugent inadapté face à des besoins de plus en plus grands et de plus en plus complexes. C’est d’ailleurs ce qui fait consensus dans cette histoire. Le Conseil Départemental comme les acteurs de terrain semblent d’accord sur le fait que les réponses proposées étaient depuis quelques années déconnectées des réels besoins des familles et des enfants.
« Ce que nous avons identifié avec le schéma départemental enfance famille, c’est notamment que la répartition des places n’était pas la bonne, pose Marie-Claude Catel, directrice générale adjointe en charge du développement social et des solidarités au Conseil Départemental du Maine-et-Loire. En terme de tranches d’âge, notamment. Nous manquons aussi de places d’accueil pour les fratries alors qu’il s’agit de 60% des enfants accueillis et de places avec un accueil plus individualisé pour les enfants avec des troubles sévères. Nous nous retrouvons aussi avec 70 enfants non accueillis mais avec 90 places vacantes parce qu’il y a un vrai problème d’inadéquation entre l’offre et la demande. »
L’appel d’offre de la discorde
Le collectif de salariés n’en disconvient pas. « Il y a en effet besoin d’un rééquilibrage des places sur le territoire mais aussi de diversifier les modalités et les outils de prise en charge », confirme Julien Capelle, éducateur spécialisé, l’un des marcheurs, qui a notamment pris la parole le 4 juillet sur la scène du Palais des Congrès. Mais ce que conteste le collectif, c’est la façon de procéder du département : le choix d’un appel d’offre général plutôt qu’une consultation des douze associations jusqu’à présent en charge de l’accompagnement et de l’accueil des enfants. Avec pour résultat 5 associations « historiques » finalement évincées. Pour le collectif, l’appel d’offre était « hors sol », déconnecté des réalités du terrain. «Etant donné les échéances, les délais demandés par les associations pour une consultation de gré à gré n’étaient pas raisonnables, répond Marie-Claude Catel. L’ensemble des problématique avait déjà été pointé en 2012. Des réunions collectives ont été organisées avec toutes les associations. Certainement n’ont-elles pas toutes mesuré l’ampleur des besoins et peut-être l’information en interne de leur côté n’a-t-elle pas été suffisante. Les associations attributaires de la nouvelle offre ont travaillé le projet avec leurs salariés. Certaines associations ont monté un projet ensemble. »
Le département assure que 40 postes supplémentaires doivent être créés et que l’ensemble des salariés des associations évincées pourront être repris par les nouvelles structures attributaires. Marie-Claude Catel explique également que les enfants pris en charge ne seront pas forcément amenés à changer de lieu de vie puisque les locaux seront repris et réutilisés. Certains devront néanmoins être transférés mais pour se rapprocher de leur famille ou dans le cadre du respect du PPE.
Les moyens financiers, le point d’achoppement
Au cœur du conflit, aussi, la question des moyens financiers. Pour les salariés contestataires, cet appel d’offre est l’occasion de revoir à la baisse le coût de l’accueil à la journée. « Nous avions un coût à la journée parmi les plus élevés, nous nous sommes alignés sur la moyenne nationale, argue Marie-Claude Catel. Dans l’appel à projet, le facteur coût n’était pas décisif. Nous avons appliqué une règle de différenciation des tarifs avec des accueils singuliers plus chers. » « D’un strict point de vue budgétaire c’est vrai que les moyens alloués ne diminuent pas, reconnaît Julien Capelle. Mais ce que ne dit pas le département c’est que nous allons être amenés à accueillir de plus en plus d’enfants. J’ai conscience que longtemps le social a jeté l’argent par les fenêtres sans rien évaluer. Mais aujourd’hui, je vous l’assure, chaque centime dépensé est utilisé dans l’intérêt des enfants. On fait tout pour maximiser chaque euro dépensé. Mais nous sommes face à tellement de restrictions budgétaires qu’on n’y arrive plus. Nous sommes au bout de nos capacités d’imagination pour continuer à faire sans aucun moyen. »
Prévention et accompagnement des familles : le hiatus entre les objectifs et la réalité
L’éducateur insiste : « Franchement, notre souci ce n’est pas de changer d’employeur, on s’en fiche. Notre souci c’est l’intérêt de chaque enfant ». Au-delà d’un conflit qui peut revêtir de l’extérieur des aspects catégoriels, il y avait dans la voix et l’urgence du discours des marcheurs du 4 juillet, et il y a dans les réponses formulées par Julien Capelle, une souffrance brute, un sentiment de trop plein, de saturation, une forme d’appel au secours. Pas contradictoires d’ailleurs avec le constat posé par le Conseil départemental que quelque chose dysfonctionne.
Julien Capelle évoque un système qui finit par se faire lui-même maltraitant. « Il y a plein d’enfants qu’on accueille dont les parents ont un vrai potentiel. Mais on ne peut pas faire de retour à domicile parce qu’on n’en a pas les moyens. On va reprocher deux ans plus tard aux parents de ne pas comprendre leur enfant mais on n’a pas tout fait pour leur permettre d’assumer leur rôle. On leur reproche nos propres défaillances. A contrario il y a des situations où on sait que l’enfant ne rentrera jamais chez lui mais on ne prononce pas de déchéance d’autorité parentale. Parce que pour le faire, il faut être en capacité d’évaluer le potentiel d’un parent, et de le faire avec lui. On ne fait pas de réel accompagnement des familles. Les services de PMI sont débordés et ne peuvent pas faire de prévention, ils ne sont que dans la détection. Résultat : sur notre territoire, le nombre d’enfants placés augmente, la durée moyenne des placements augmente parce que le travail avec les familles n’est pas fait.» Cet amer constat est d’autant plus étonnant que, comme le souligne Marie-Claude Catel, l’accompagnement à la parentalité et la prévention précoce apparaissent au cœur du schéma départemental Enfance Famille.
La souffrance des professionnels en écho à celle des enfants
L’éducateur dénonce aussi un manque de souplesse. Il déplore ainsi que le placement éducatif à domicile ne soit pas utilisé dans le cadre du retour au domicile à l’issue d’une mesure de placement, en aval et non en amont, pour préparer l’enfant et sa famille, que de tels placements éducatifs au domicile ne soient jamais autorisés par un juge pour un enfant de moins de trois ans. Or, estime-t-il, « il faut laisser une liberté d’appréciation aux éducateurs ». Il évoque également de graves dysfonctionnements. « Le département a laissé un enfant agresseur et la petite fille agressée dans la même structure. Comment dire à cette gamine « je suis là pour te protéger » si son agresseur dort à quatre mètres d’elle ? On a dû aller jusqu’au droit de retrait pour obtenir gain de cause. » Le 4 juillet, une de ses collègues avait livré un autre exemple, des larmes dans la voix : « Laura, 6 ans, a été placée en assistance éducative dans 6 lieux différents depuis ses 11 mois dont deux MECS et deux familles d’accueil. Elle a subi des attouchements sexuels dans la première famille. Elle est retournée au domicile familial car l’ASE n’avait pas de solution pour elle. La famille a demandé son placement au bout de trois semaines ». Notons ici que la question qui brûle les lèvres est celle du maintien du lien. N’était-il pas possible de faire le constat, très vite, que cette petite fille ne retournerait vraisemblablement jamais dans sa famille et de lui offrir la possibilité de grandir dans un autre milieu familial ?
Ce qui apparaît évident en tous cas, à l’écoute de ces éducateurs écorchés par ce qu’ils voient et ce qu’ils vivent, c’est que, comme ils l’ont eux-mêmes formulé, « l’appel d’offre du département a été comme un électro choc ». Politiques, institutionnels, acteurs de terrain font donc le même constat que le changement est indispensable et urgent, sans réussir pour le moment à se mettre d’accord sur la méthode et les outils. Le Département du Maine et Loire débute cette semaine ses réunions techniques avec les associations retenues par l’appel d’offre. Le 4 juillet dernier, sur la scène du Palais des Congrès, Julien Capelle, lui, l’assurait : « nous ne lâcherons rien ».