L’expression, de plus en plus utilisée par les institutions, nourrit encore les angoisses et réserves de nombreux acteurs de terrain. Que signifie “évaluer son action” dans le champ social ? Nous faisons le point avec Claire Kramme, fondatrice de la société Meaningful Impact, spécialiste de la mesure d’impact.
En quoi consiste la mesure d’impact social ? Comment la définir ?
Claire Kramme. Vouloir mesurer son impact, c’est tout d’abord faire l’hypothèse que son action a un ou plusieurs effets sur ses bénéficiaires et, le cas échéant, sur la société. A l’échelle d’un projet, mesurer son impact social, c’est chercher à identifier et à comprendre l’ensemble de ces effets (positifs, négatifs, anticipés, inattendus, etc.) et leurs mécanismes de production : quels changements ? auprès de qui ? comment y parvient-on ? La mesure d’impact peut répondre à une multitude d’attentes. Elle peut servir à mieux connaître ses bénéficiaires, à prendre du recul par rapport à sa stratégie et son action, à mieux objectiver ses résultats et à communiquer plus efficacement. In fine, elle doit permettre d’améliorer la qualité des services proposés. En cela on dit souvent de la mesure d’impact qu’elle répond à deux grands objectifs :
– prove (démontrer la valeur ajoutée de son action)
– improve (améliorer la manière dont on travaille avec les familles, les enfants, les partenaires pour mieux répondre aux besoins)
Préalablement à la mesure d’impact, il est nécessaire de clarifier les objectifs que l’on poursuit et les résultats que l’on vise. L’étape suivante consistera à identifier les données et les informations qui permettront de renseigner sur le niveau d’atteinte des objectifs.
Quel intérêt présente-t-elle dans le champ de l’enfance, de la prévention, du social ?
C.K. Dans le contexte actuel de raréfaction des ressources financières, les attentes vis-à-vis du secteur associatif sont très fortes. Le secteur est, de ce fait, de plus en plus invité à démontrer l’impact qu’il produit et le bénéfice direct de ses actions sur son public. Mesurer son impact, c’est l’opportunité d’objectiver, de quantifier mais aussi de caractériser plus précisément ce bénéfice en l’illustrant de manière très concrète (chiffres, témoignages, etc.). Ainsi un programme d’éveil à la musique des tout-petits dont l’évaluation permettra la fois de montrer si oui ou non il touche le public initialement ciblé et de quelle manière, si l’activité encourage le développement du lien parent/enfant, la socialisation des jeunes enfants, etc.
La recherche des réponses à ces questions est complexe. La relation de cause à effet est rarement évidente, linéaire, et on parle souvent de « contribution » à un résultat plutôt que « d’attribution » du résultat. Autrement dit, dans le champ du social et de l’enfance en particulier, on admet que de multiples facteurs entrent en jeu pour expliquer un changement de pratique ou de condition (relative par exemple au développement de l’enfant).
Il n’empêche que se lancer dans une démarche de mesure d’impact peut s’avérer très efficace pour réorienter un projet, réaffecter des ressources, rassurer un partenaire et montrer pourquoi et comment on fait la différence.
Les acteurs de ces différents champs sont-ils suffisamment sensibilisés quant à la nécessité d’évaluer leurs actions ?
C.K. L’évaluation n’est pas une préoccupation nouvelle dans le secteur. De nombreux ouvrages et formations existent qui ont ouvert la voie à des pratiques intéressantes (évaluation des expérimentations notamment). Néanmoins, elle est encore trop souvent perçue par les acteurs du champ social comme une volonté de contrôle des pouvoirs régulateurs et financeurs, mais aussi comme une entreprise réservée aux grosses structures, notamment en raison de sa complexité et de son coût. En fait, tout dépend de la façon dont on aborde l’évaluation et de ce que l’on souhaite en faire. L’évaluation ne doit pas nécessairement avoir une visée scientifique. Elle peut agir avant tout au service du projet, à une échelle très circonscrite et dans ce cas, s’appuyer sur des outils plus simples qui relèvent davantage de l’auto-évaluation.
Notre conviction, chez Meaningful Impact, c’est que toute structure, quelle que soit sa taille et son objet, doit pouvoir se lancer dans une démarche d’auto-évaluation en s’appuyant sur les ressources disponibles en interne et sur des outils simples et accessibles. Notre expérience a montré que cette approche est efficiente et bénéfique, à très court terme, pour toutes les associations qui sautent le pas.
De quelle façon accompagnez-vous les organismes qui vous sollicitent ? Quel est votre rôle ?
C.K. Nous travaillons principalement pour des fonds et fondations qui soutiennent des associations œuvrant dans le secteur de la petite enfance et de la lutte contre la pauvreté et qui souhaitent, au-delà d’un soutien financier « classique », investir dans les compétences des professionnels de terrain.
Notre rôle consiste alors à accompagner les associations dans la mise en place d’une démarche d’auto-évaluation en leur proposant de suivre pas à pas de grandes étapes clés qui leur permettront de construire leur cadre d’évaluation et leurs propres outils. Pour les guider, nous nous appuyons sur la méthode de la théorie du changement qui permet de décomposer en différentes étapes le processus de changement social attendu par la mise en œuvre d’un programme ou d’un projet.
Dans un premier temps, nous invitons les organisations à prendre du recul sur leur activité et à réfléchir sur le ou les problème(s) auxquels elles souhaitent s’attaquer. Nous travaillons ensemble à la formulation des objectifs de court, moyen et long terme et nous déterminons les quelques indicateurs clé qui permettront de mesurer régulièrement l’atteinte de ces objectifs. Nous accompagnons ensuite les organisations dans l’élaboration d’une feuille de route (qui va évaluer, quand, comment ?) et dans sa mise en œuvre : construction des outils de collecte des données, appui à l’analyse des résultats et communication autour de ces résultats.
Forts de notre expérience de terrain et de notre connaissance du secteur de la petite enfance, nous apportons un regard extérieur sur leur projet et leur stratégie. Nous les accompagnons dans leur réflexion en leur fournissant des conseils et une assistance très opérationnelle et pragmatique, tenant compte notamment des contraintes propres au secteur.
Avez-vous développé des outils spécifiques pour les acteurs de ces secteurs (enfance/social) ?
C.K. Nous avons construit, avec le soutien de la Fondation Roi Baudouin, fondation belge reconnue d’utilité publique avec laquelle nous collaborons très régulièrement, un « Guide pratique pour réussir l’auto-évaluation de son projet dans les secteurs de la petite enfance et de la lutte contre la pauvreté ». Avec l’appui d’une dizaine d’associations, nous avons développé en annexe du guide, de nombreux outils pratiques adaptés aux spécificités de ce secteur : tableaux de bord, menu d’objectifs et d’indicateurs, fiches de demande de renseignement, des exemples de guides d’entretien ou encore des grilles d’évaluation.
Ce guide, téléchargeable gratuitement sur le site de la fondation a été écrit dans le but d’accompagner les associations dans leur démarche auto-évaluation. Il sert aujourd’hui de document de référence dans l’animation de formations que nous proposons au secteur associatif, en collaboration avec la Fondation Roi Baudouin.
Pouvez-vous illustrer votre travail par un exemple précis ?
C.K. Nous avons accompagné un service de soutien et de prévention à la parentalité, Le Petit Vélo Jaune (voir notre article), qui offre un accompagnement des familles à leur domicile dans la mise en place de sa démarche d’auto-évaluation. Ce travail a permis de professionnaliser les pratiques de l’équipe en formalisant un certain nombre d’outils de gestion de projet, de pilotage et d’auto-évaluation. L’association a ainsi mis en place des protocoles d’accueil et d’accompagnement partagés par toute l’équipe et a développé des grilles de suivi du travail mené avec les familles accompagnées. Ces changements de pratique ont non seulement permis de fédérer l’équipe et de sécuriser le fonctionnement d’une association en fort développement (nouvelles antennes, augmentation sensible du nombre de familles accompagnées chaque année) mais aussi d’améliorer la qualité des services (diagnostics plus fins des besoins en amont), de mieux valoriser le travail des intervenants auprès des familles et, plus généralement, de renforcer la cohérence et la qualité du projet.