Un vif débat s’est engagé par lettres ouvertes interposées dans le Guardian entre la fin décembre et la mi janvier au sujet des écrans et de leur impact sur le développement de l’enfant. Le sujet est plus que récurrent chez nous comme chez nos voisins. La question des nouvelles technologies semble être devenue la principale préoccupation des parents et de nombreux professionnels. A tort ou à raison car les inquiétudes des uns et des autres ne seraient aujourd’hui ni confirmées ni infirmées par la recherche, encore embryonnaire sur le sujet.
Fin décembre, une quarantaine de spécialistes de l’enfance et de l’éducation ont donc adressé une lettre ouverte au gouvernement britannique pour exiger la mise en place d’une politique publique forte contre l’enfance « toxique ». Nous avions relayé cette information dans notre dernier Pueriscope et nous reprenons ici le texte rédigé pour l’occasion, complété dans une deuxième partie par la réponse que leur ont adressé d’autres scientifiques.
Ecrans: la santé et le bien-être des enfants en péril
Dans le viseur de ces experts qui se sont exprimés dans le Guardian en décembre pour signifier leur inquiétude, on trouve : le problématique déclin des jeux d’extérieur, l’hyper compétitivité scolaire et un mode de vie de plus en plus focalisé sur les écrans. Avec, selon eux, de terribles conséquences : une obésité galopante et une forte augmentation des troubles psychiques chez les enfants et es adolescents. Les experts signataires plaident pour que soient remis au goût du jour « l’engagement sans hâte d’adultes aimants » et les jeux de plein air. Ils demandent le développement d’une approche cohérente et fondée dans la petite enfance et l’éducation, de la pré conception jusqu’aux sept ans de l’enfant, avec la mise en place de jardins d’enfants pour les 3-7 ans qui insisteraient sur le développement social et émotionnel et les jeux en extérieur. Ces experts réclament également des recommandations officielles sur l’utilisation des écrans par les moins de douze ans. Leur conclusion est alarmante : « Sans une action concertée, la santé physique et mentale de nos enfants va continuer de se détériorer avec des conséquences à long terme pour la société britannique qui sont absolument impensables ».
Halte à la “panique morale”
D’autres spécialistes ont ensuite répondu par une seconde lettre ouverte, toujours dans le Guardian, en déplorant le ton alarmiste de ce texte et la « panique morale » autour des écrans. Ces signataires de plusieurs pays de l’OCDE (USA, Grande-Bretagne, Australie, Ecosse, Irlande, Allemagne, Pays-Bas, entre autres) reconnaissent que la question des effets des écrans sur les enfants est importante mais ils estiment que les recommandations doivent être établies à partir des données de la recherche et pas sur des a priori. « Bien que nous soyons d’accord avec le fait que le bien-être des enfants est une question cruciale et que l’impact d’un mode de vie axé sur les écrans nécessite des investigations sérieuses, le message qui va être entendu par de nombreux parents est que les écrans sont nocifs en tant que tels. Ce n’est tout simplement pas étayé par des recherches et des preuves solides. » Ils estiment également que le concept de « temps d’écran » est simpliste et dénué de sens et que le focus sur la quantité de l’usage n’est pas très aidant pour les parents. Il existerait en fait peu de recherches qui s’intéressent au contexte de l’utilisation des écrans et au contenu auquel les enfants sont confrontés quand ils ont accès aux technologies digitales, des éléments qui peuvent avoir autant d’importance que la quantité elle-même.
D’autres facteurs de risque à prendre en compte
Ces spécialistes assurent que selon la recherche, la santé et le bien-être des enfants sont des questions complexes affectées par bien d’autres facteurs certainement plus pertinents pour en analyser les variations. Ils citent le statut socio-économique, la pauvreté relationnelle et l’environnement familial. Et assurent que, toujours d’après les études, la diminution du temps de jeu en plein air n’est pas liée à l’augmentation du temps d’écran. Richard Tremblay, spécialiste canadien du développement de l’enfant que nous venons d’interviewer est lui aussi très réservé quant aux effets réels des écrans sur le développement des enfants, en tous cas sans prise en compte des autres facteurs environnementaux. L’Académie Américaine de Pédiatrie (AAP), elle, se risque néanmoins depuis plusieurs années à publier des recommandations. Les dernières datent d’octobre 2016 (nous avons synthétisé ici la partie concernant les jeunes enfants) et chaque préconisation est adossée à une ou des études. L’AAP reconnaît dès l’introduction de ce document que ces études sont embryonnaires et évoque à plusieurs reprises des preuves « émergentes ». En France, la publication en janvier 2013 d’un avis de l’Académie des sciences sur le sujet avait fait couler beaucoup d’encre. Ce rapport concluait notamment que l’usage des tablettes par des enfants de moins de deux ans pouvait être éducatif, à condition d’être accompagné par un adulte. D’autres spécialistes avaient signé une tribune dans le Monde pour dénoncer un rapport trop complaisant qui sous-estimait les effets délétères des écrans sur les jeunes enfants. Quatre ans plus tard, les anglo-saxons rejouent le match.