Une journée internationale de sensibilisation, une campagne nationale lancée par l’Agence Nationale de Santé Publique mais aussi un colloque organisé par l’ANECAMSP. Le syndrome d’alcoolisation foetale suscite de plus en plus d’intérêt. Tant mieux. Les troubles qu’il génère sont graves, et les enfants concernés nombreux. Le colloque organisé le 9 septembre dernier a permis à de nombreux spécialistes de faire le point sur l’état des connaissances et de la prise en charge.
A l’occasion de la journée internationale de sensibilisation au syndrome d’alcoolisation foetale (SAF), et alors qu’une nouvelle campagne de santé publique est diffusée, l’ANECAMSP a organisé un colloque dédié à cette thématique de plus en plus médiatisée (après n’avoir suscité, pendant des décennies, que très peu d’intérêt). Huit mille enfants naissent chaque année porteurs de Troubles Causés par l’Alcoolisation Foetale (TCAF) dont 800 souffrent de la forme la plus aiguë, le SAF. Il s’agit de la première cause de déficit mental non génétique. Il s’agit aussi de handicaps évitables.
Le sujet est sensible puisqu’il renvoie à l’alcoolisation féminine, encore taboue, et à la culpabilité maternelle, et qu’il heurte de plein fouet des pratiques culturelles ainsi que des idées reçues fortement ancrées.
Une grande variété de symptômes
Le syndrome d’alcoolisation foetale complet se manifeste par le triptyque suivant : un retard de croissance in utero, une dysmorphie faciale et des troubles cognitifs et comportementaux. Le visage des enfants présente des caractéristiques, un philtrum émoussé au repos par exemple (l’espace entre le nez et le menton est plus lisse, légèrement bombé), une lèvre supérieure très fine (ci-contre, visuel tiré d’un document du docteur David Germanaud), des sourcils très arqués et parfois de l’hirsutisme. Cette forme aiguë n’est que la partie émergée de l’iceberg. Pour les 8000 enfants qui sont concernés chaque année par les TCAF, les manifestations seront diverses et d’ampleur variable. C’est ce que souligne notamment Bérénice Doray, généticienne, directrice du centre de ressources pour le SAF à La Réunion. «On note des malformations du système nerveux central, cardiaques, rénales, faciales, sensorielles, auditives, ophtalmologiques, des troubles neuro-développementaux, de l’ Hypotonie, de l’irritabilité. L’enfant aura peut-être une déficience cognitive. C’est vers 7-8 ans qu’on perçoit les difficultés. Il a le « cerveau en désordre », éprouve des difficultés pour les apprentissages. Des troubles de l’attention avec hyperactivité sont aussi présents, les troubles psychologiques plus fréquents. Ces enfants éprouvent des difficulté à comprendre la vie en société, à gérer les affects. » Les conséquences sont ravageuses : échec ou décrochage scolaire, problème judiciaire, chômage, dépendance sociale, risque de conduites addictives.
D’où la mobilisation de plus en plus forte des professionnels, des parents et des autorités de santé.
Un seuil d’innocuité impossible à définir
Les spécialistes tentent notamment de tordre le cou à une idée reçue extrêmement répandue : une dose modérée d’alcool pendant la grossesse ne serait pas néfaste. « Le fœtus a un foie immature, il ne peut pas métaboliser l’alcool, rappelle le professeur Gilles Crépin, auteur du rapport publié par l’Académie de médecine en mars 2016. Le seul mot d’ordre doit être la tolérance zéro ». «L’effet dose est indéniable mais les seuils d’innocuité sont très difficiles à définir, explique David Germanaud. On ne va pas dire « si vous consommez très peu d’arsenic, ce n’est pas toxique » ». D’autant plus que la vulnérabilité du fœtus à l’alcool dépend aussi de facteurs génétiques.
Toutes les femmes potentiellement à risque
Le problème concerne-t-il un partie de la population plus qu’une autre ? Les spécialistes présents assurent que toutes les femmes sont potentiellement concernées. Les modes de consommation ont évolué et les jeunes femmes diplômées peuvent connaître des épisodes d’alcoolisation intense lors de soirées tout comme les femmes occupant des postes à responsabilité sont amenées à boire de façon répétée, lors de cocktails ou de repas d’affaire. Quant à l’alcoolisme mondain il n’est pas réservé aux hommes. Toute femme enceinte est donc susceptible de boire tant qu’elle ne connaît pas son état. La grande tolérance et les idées reçues concernant l’alcool pendant la grossesse ne sont pas non plus propres à un milieu social. C’est pourquoi les messages de santé publique tels que la dernière campagne de la toute nouvelle Agence Nationale de Santé Publique (ci-contre) ciblent une population très générale, toutes les femmes enceintes ou en âge de procréer.
Cela étant dit, les régions les plus en pointe dans la lutte contre le SAF (La Réunion par exemple) sont celles qui y sont le plus exposées et qui sont fortement marquées par la précarité. Comme le note Jean-Marc Buziot, du CAMSP de Caudry dans le nord, « beaucoup d’enfants sont touchés dans notre région très concernée par la pauvreté ».
Corinne Chanal, sage-femme à Montpellier, distingue dans sa patientèle les femmes « sans usages nocifs de façon habituelle mais qui ont bu en ne se sachant pas enceintes » et les « femmes avec une consommation pathologique qui n’arrivent pas à arrêter ». « Les premières arrêtent de boire dès qu’elles apprennent leur grossesse, elles sont très inquiètes, ont besoin d’être rassurées de façon extrême, les autres sont dépendantes et cachent qu’elles boivent ». La sage-femme ne précise pas si ces deux groupes correspondent à des catégories socio-économiques distinctes. La question n’est pourtant pas anodine dans la mesure où en cas de TCAF, « l’environnement post-natal est fondamental », selon David Germanaud. Or l’environnement d’un enfant, la façon dont il sera stimulant sur le plan cognitif, sécurisant sur le plan affectif, psychologique et matériel, ont partie liée au niveau social des parents.
Repérer tôt et assurer une vraie prise en charge
Tous les intervenants au colloque de l’ANECAMSP insistent en tous cas sur la nécessité d’un repérage et d’une prise en charge précoces pour ces enfants, afin d’éviter que de petits troubles possibles à juguler ne s’installent durablement et ne se transforment en handicap durable. Les parents qui témoigneront au cours de la journée diront eux aussi à quel point le diagnostic est crucial. Pour Marie-José Taboada, psychiatre au réseau DAPSA (Dispositif d’Appui à la Périnatalité et aux Soins Ambulatoires), « découvrir un trouble à l’entrée au CP, c’est tard, c’est une perte de chance ». « Quand un enfant vient à 3 ans avec des troubles avérés, il est difficile de faire le lien avec l’alcool pendant la grossesse », renchérit Corinne Chanal, sage-femme. Qu’est-ce qui doit alerter les professionnels ? « Il faut être rigoureux avec le périmètre crânien, prévient David Germanaud, neuropédiatre à l’hôpital Robert Debré. Chez un enfant exposé à l’alcool, un périmètre qui flirte avec la norme n’a pas la même signification. » Pour ce médecin le décalage dans les acquisitions ne sera pas le symptôme le plus parlant car c’est à partir de trois ans que les retards se révèlent. L’apparition de TDAH, l’hyperkinésie, la réactivité et l’émotivité sont des indices plus probants chez des tout-petits.
Pour les enfants fortement exposés à l’alcool, on ne tergiverse pas
David Germanaud insiste : lorsque la consommation d’alcool peut être repérée en cours de grossesse, ou qu’elle est révélée à la naissance, il est très important de pouvoir la quantifier pour ensuite « stratifier » la prise en charge des enfants selon les risques. Il faut donc différencier les consommations modérées, occasionnelles (un verre en moyenne par semaine et jamais plus de deux verres à chaque prise), les consommations modérées préoccupantes (au moins un verre par semaine ou plusieurs verres à chaque prise) et les consommations lourdes (plusieurs fois par semaine, plusieurs verres par prise). Une étude sud-américaine a montré que pour les enfants lourdement exposés à l’alcool pendant la grossesse, la prévalence de troubles cognitifs importants est d’au moins 50%. Le neuropédiatre martèle donc le message :« Quand on est face à une consommation lourde de la mère, il faut orienter les enfants d’office vers la filière « enfants vulnérables », comme pour les prématurés. C’est presque un scandale que ce ne soit pas déjà fait ! » Cette « filiarisation » des enfants doit permettre de leur assurer un suivi en néonatalogie au moins pour le premier semestre, des consultations avec un médecin spécialisé au courant, et au minimum un nouveau bilan en deuxième année de maternelle.
Privilégier le travail en réseau
Le repérage précoce n’a de sens que si les professionnels sont ensuite en capacité d’apporter des réponses. Pour apporter des réponses ils doivent inscrire leur travail dans un réseau. Le fonctionnement en réseau avec mise en commun des compétences se révèle le seul à même d’accompagner efficacement ces familles. Plusieurs dispositifs semblent faire leurs preuves. En Ile de France, le DAPSA soutient les familles mais aussi les professionnels. Des équipes mobiles se déplacent auprès des parents, établissent un diagnostic de la situation, identifient avec la famille ce que seraient pour elle des « soins supportables », d’un point de vue médical mais aussi social, éducatif, psychologique. En cas de rupture dans le suivi (placement de l’enfant par exemple), le dispositif permet de s’assurer de la continuité des soins. L’autre mission du DAPSA consiste à faciliter le travail de groupe entre la multitude de professionnels qui interviennent autour d’un enfant, et qui n’ont pas forcément la même culture ou les mêmes idéologies.
A Montpellier, lorsque la consommation d’alcool est détectée pendant la grossesse, des consultations anténatales avec un pédiatre sont proposées pour préparer l’examen de l’enfant à la naissance, expliquer l’intérêt du suivi précoce et chercher un professionnel pour ce suivi. Sont également possibles un suivi échographique mensuel, des consultations plus rapprochées en alternant gynécologue et Sage-femme, des consultations locales avec addictologues locaux. Des sage-femmes référentes ont été implantées dans chaque maternité, formées au travail en réseau et au repérage des vulnérabilités. « Les échographistes sont devenus une pierre importante dans le repérage des patientes qui ont consommé de l’alcool, précise Corinne Chanal. Ils peuvent demander : « je vous sens inquiète…Il y a une raison particulière ? » »
Dans le nord, à Caudry, le dispositif Handisaf est né d’une volonté conjointe du CAMSP de la maternité et du service d’addictologie. Il a permis de sensibiliser le grand public dont les jeunes, d’informer et de former l’équipe soignante en interne et les partenaires médico-sociaux. En prévention secondaire un protocole d’hospitalisation conjointe est possible entre le service addictologie et la maternité. Depuis peu une cellule de maternologie avec psychologue et psychomotricienne a ouvert. En prévention tertiaire, la prise en charge des enfants se fait à travers des atelier massage et accordage.
A La Réunion, Joëlle Balanche, psychomotricienne, a mis au point une prise en charge innovante pour ces enfants. Elle organise des séances en duo avec un autre enfant qui va présenter des troubles différents, ce qui permet la co-construction. « Ils s’inspirent l’un l’autre. Cette approche facilite la gestion de leurs émotions, ils mesurent davantage les relations de cause à effet. Ca soutient le développement de l’empathie, on voit une amélioration des capacités relationnelles et cognitives. »
Pour une prévention très précoce
« Le véritable traitement du SAF c’est la prévention », rappelle Gilles Crépin. Ce qui signifie que le sujet doit systématiquement être abordé avec les femmes enceintes au cours de la grossesse, via des auto-questionnaires par exemple (comme celui développé par le GEGA), très efficaces, que la consommation de la future ou jeune maman doit être estimée très finement. Mais ce qui signifie aussi qu’il faut pouvoir prévenir avant même la survenue de la grossesse, notamment pour éviter les consommations massives d’alcool en début de grossesse lorsque celle-ci n’est pas connue. D’où l’intérêt des visites pré-conceptionnelles. Les médecins généralistes mais aussi les médecins addictologues devraient aussi régulièrement évoquer le sujet avec les patientes en âge de procréer. En tous cas, il y a urgence, et la toute nouvelle Agence Nationale de Santé Publique l’a bien compris, en témoigne la nouvelle campagne d’information. Il ne va pas falloir s’arrêter là car comme le résume David Germanaud, «si on ne fait rien, on accepte le fardeau d’une morbidité effrayante. »