Avec la Loi “Egalité et Citoyenneté” votée en décembre 2016, la France se mettait en conformité avec les textes internationaux : l’interdiction des châtiments corporels était inscrite dans la loi. Le Conseil Constitutionnel vient de censurer, ce jeudi 26 janvier 2017, l’article 222 interdisant symboliquement toute violence envers les enfants. Cette interdiction était réclamée depuis de nombreuses années par les associations qui luttent contre les violences éducatives ordinaires et qui s’appuient notamment sur les études prouvant les effets nocifs à long terme de ces violences.(Article actualisé le vendredi 27 janvier 2017)

 

Trente sept ans après la Suède, la France avait donc décidé à son tour d’interdire explicitement les châtiments corporels et rejoint les 21 pays de l’Union européenne qui ont déjà banni la fessée.
La loi Égalité et Citoyenneté votée le 22 décembre venait modifier l’article 371-1 du code civil en interdisant tout recours aux châtiments corporels (mais sans assortir cette interdiction de sanctions). Lequel stipule que «l’autorité parentale appartient aux parents jusqu’à la majorité ou l’émancipation de l’enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne.» L’article 222 de la Loi Egalité et Citoyenneté avait ajouté : «et à l’exclusion de tout traitement cruel, dégradant ou humiliant, y compris tout recours aux violences corporelles ». Saisi par une soixantaine de sénateurs de l’opposition, le Conseil Constitutionnel a décidé de censurer cet article 222, qu’il a considéré comme sans rapport avec l’objet principal de la loi, selon l’article du Monde. Retour sur ce débat en forme d’arlésienne.

La violence éducative, une tradition française

L’article 222 constituait une victoire de taille pour les militants de longue date engagés contre les « violences éducatives ordinaires », ces violences qui pour beaucoup de Français n’en sont pas et relèvent plutôt de l’arsenal éducatif : gifles, fessées, humiliations. En mars 2015, la France a encore été condamnée par le Conseil de l’Europe pour ne pas interdire officiellement les châtiments corporels. Le sujet, généralement ramené à la seule « fessée » -alors qu’il couvre plus globalement les violences qu’elles soient physiques ou psychologiques-, s’apparente à une spécificité française. Dans la plupart des sondages réalisés depuis 15 ans, les Français sont en grande majorité opposés à l’idée d’une interdiction légale. Plus de la moitié des parents frappent leur enfant avant l’âge de deux ans et plus des trois quarts avant l’âge de 5 ans.

capture-parents-martinetCette main leste ne date pas d’hier. D’après un article paru dans le magazine PARENTS en 1969 (photo ci-contre), la France détenait à l’époque le record d’Europe de vente de…martinets, avec 300.000 martinets vendus chaque année. Le discours des spécialistes de l’époque était assez saisissant. « Selon quelques psychanalystes, spécialisés dans les problèmes de l’enfance, écrit le journaliste, les châtiments corporels peuvent être justifiés, lorsqu’on veut mettre l’enfant en garde contre des dangers qu’il est malaisé pour lui d’apprécier. » Plus loin, un de ces experts affirmait encore : «Il n’y a aucun rapport entre l’importance des sévices subis par l’enfant et son évolution morale

L’impact des violences éducatives de plus en plus étayé

Une telle assertion a été depuis totalement invalidée, comme le rappelle le communiqué que viennent de publier conjointement l’Observatoire contre les violences éducatives ordinaires( OVEO), l’association Stop-VEO et la Fondation pour l’Enfance :
« L’OMS a clairement établi, dans son Rapport sur la violence et la santé de novembre 2002, un lien de cause à effet entre les violences subies dans l’enfance et de nombreuses pathologies physiques et mentales. » Le communiqué cite des chercheurs de l’université d’Austin au Texas qui ont réalisé une méta-analyse parue en 2016 (Journal of Family Psychology), regroupant les données de 75 études, réalisées sur une période de 50 ans, portant sur 13 pays et 160000 enfants. Cette étude révèle que les punitions corporelles favorisent les troubles du comportement. Il est bien évident que ce sont les violences les plus graves, ou en tous cas les plus répétées, qui ont un impact direct sur le long terme. Le Pays de Galles vient ainsi de publier une étude saisissante (voir notre Pueriscope de novembre) dans laquelle il apparaît que 23% des Gallois de moins de 69 ans ont été victimes d’abus psychologiques pendant l’enfance et 17% d’abus psychologiques. Ces mêmes adultes qui ont expliqué avoir été confrontés à des violences pendant l’enfance sont deux fois plus nombreux à avoir déclaré une maladie chronique (diabète, trouble cardio-vasculaire).

La fessée, une violence aussi

Au-delà des maltraitances les plus graves, de plus en plus de chercheurs essaient d’identifier l’impact du recours à la fessée comme méthode éducative (pas de la fessée donnée très exceptionnellement sous le coup de la peur, aucune étude n’est en mesure de montrer une corrélation entre une fessée unique et des comportements ultérieurs). Les auteurs de la méta-analyse publiée en 2016 montrent que les adultes qui ont été fessés le plus souvent sont aussi ceux qui souffrent le plus fréquemment de problèmes mentaux, d’une baisse de l’estime de soi, baisse des performances, ou de troubles de comportement antisocial. « La société pense que la fessée et les châtiments corporels sont très différents, écrivent les auteurs, or nos recherches montrent que la fessée entraîne les mêmes résultats sur les enfants mais à un degré moindre ». Ces éléments sont importants puisque c’est bien la vision d’une fessée pensée comme naturellement éducative qu’il s’agit de modifier. Pour les partisans d’un changement législatif, il est nécessaire de provoquer une prise de conscience, de sortir la fessée et la gifle du champ de la normalité et de rappeler les enjeux de ce sujet tout sauf mineur.

D’après Martine H.-Evans, professeur de droit de l’exécution des peines et de criminologie à l’université de Reims, citée par l’OVEO, « en criminologie, la théorie de l’apprentissage social (Akers) a démontré que les comportements des êtres servant de modèle aux enfants (parents, enseignants…) sont repris par les enfants par le biais d’intégration dans la sphère cognitive : les violences deviennent ainsi la norme, favorisant leur reproduction ultérieure à la fois dans la sphère familiale et au dehors. » « La violence intrafamiliale contribue ainsi à la délinquance dans toute la société. […] La violence altère le lien d’attachement entre un enfant et son parent; l’on sait que les déficits d’attachement sont également centraux dans la délinquance. »

Elever sans violence n’est pas élever sans cadre

Dans leur communiqué, l’OVEO, Stop VEO et la Fondation pour l’Enfance rappellent quelques idées reçues sur les châtiments corporels qui ont la vie dure, (« ça permet de poser les limites », « ça permet d’éviter de faire des enfants roi », « ça prépare à la vie ») et insistent sur la différence entre refus des violences éducatives et laxisme : opter pour une parentalité bienveillante et non violente n’a rien à voir avec la démission parentale et le laisser faire, au contraire. Donner un cadre à un enfant sans le violenter nécessite une forte mobilisation parentale. D’où l’idée émise par les signataires de ce communiqué de mieux sensibiliser les parents aux besoins de l’enfant, à son développement (notamment cognitif) et à la théorie de l’attachement.

Le modèle nordique souvent contesté

Ces précisions ne sont pas inutiles dans la mesure où les pays pionniers en matière de protection de l’enfance et d’interdiction des châtiments corporels voient régulièrement leur modèle être remis en cause. Les enfants suédois qui ont les premiers expérimenté l’art de grandir sans recevoir de coups, sont souvent accusés d’être de petits tyrans en puissance parce que personne ne leur dirait jamais non. En 2014, le livre d’un médecin suédois, David Eberhard, intitulé « comment les enfants ont pris le pouvoir » assurait ainsi que ces jeune gens étaient tous en train de devenir de « petits cons mal élevés et dépressifs ». En Norvège le débat est lui aussi croissant mais pour d’autres raisons. Les placements d’enfants ont beaucoup augmenté sur les cinq dernières années et de plus en plus de parents mais aussi de professionnels de l’enfance accusent les services sociaux d’avoir une vision trop normative et dogmatique de la parentalité : les parents se verraient enlever leurs enfants parce qu’ils auraient recours à la fessée.

Châtiments corporels et traditions culturelles

Le Barnevernet (le service norvégien de protection des mineurs) est régulièrement accusé de « kidnapping » d’état. Plusieurs affaires de parents ayant perdu la garde de leurs enfants ont défrayé la chronique. Notamment parce que ces parents sont souvent d’origine étrangère, peu au fait des lois en vigueur (notamment de la très stricte interdiction des châtiments corporels). Les services sociaux sont donc accusés de discrimination. Le Ministère norvégien en charge de l’enfance est bien en peine de répondre précisément à ces attaques publiques car la loi lui interdit de divulguer les détails d’un dossier. Mais ses représentants l’assurent à chaque fois : un enfant n’est jamais placé sous le seul prétexte que l’éducation qu’il reçoit serait culturellement non conforme à l’éducation norvégienne. Il l’est parce qu’il est victime de mauvais traitements ou de négligence. Et d’insister : sur le sol norvégien, tous les enfants ont les mêmes droits en matière de protection, c’est la seule limite à la liberté de leurs parents.

Dans son plan national de réduction des châtiments corporels qui a couvert la période 2010-2015, intitulé « Don’t hit the child » (ne frappez pas les enfants), la Finlande prévoyait de cibler en priorité les parents de très jeunes enfants, les parents d’enfants porteurs de troubles et les parents issus de l’immigration. Ces derniers viennent souvent de pays où la législation n’interdit pas les violences éducatives et doivent donc être informés de la loi finlandaise (qui interdit les châtiments corporels depuis 1983, soit quelques années après la Suède).

Retour à la case départ

Durant ces cinq années, la Finlande a donc développé un programme ambitieux de campagnes à la télévision et sur le web, mais aussi de sensibilisation de tous les professionnels du champ socio-éducatif. Cette question est devenue un enjeu national. Il n’existe malheureusement pas d’évaluation de l’impact de ce programme. Pour les promoteurs français de l’éducation non violente l’inscription dans la loi de cette interdiction de la fessée ne pouvait avoir de réel effet que si elle s’accompagnait comme chez nos voisins du nord d’une mobilisation des acteurs de terrain et de campagnes publiques de grande ampleur. La décision du Conseil Constitutionnel les oblige à mener de nouveau bataille sur le plan législatif.

Ces derniers jours plusieurs journaux français ont relayé la dépénalisation des violences domestiques votée en Russie, en relevant que ce texte a notamment été adopté en réaction aux lois considérées comme liberticides de certains pays occidentaux. En matière de protection de l’enfance, la France ne saurait désormais servir de contre-modèle à la Russie. Députés LR et Douma, même combat.